Les amoureux de Houri-Kouri

Les amoureux de Houri-Kouri
Nathalie et Yves-Marie Clément
Editions du Pourquoi pas ? 2021

Le cercle rouge

Par Michel Driol

Il y a Nourh, qui vivait il y a 300000 ans. Elle assiste à une éruption volcanique qui détruit son clan, puis rencontre Dhib, d’une autre race humaine, avec laquelle elle fonde une famille. Il y a Aya, une jeune Ivoirienne, archéologue, préhistorienne, qui doit aller au Mali sur un chantier de fouilles nouvellement découvert, que doit explorer son professeur parisien. Il y a Oscar, un vieil homme du Burkina, qui doit rembourser la tontine qui lui a permis d’acheter des chèvres que le climat a tuées. Il y a enfin Kim, une orpheline malienne, enrôlée par un groupe islamiste armé. Et tout au long de la lecture, le lecteur se demande quand et comment ces protagonistes vont se retrouver. « Quand des hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux, et Ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inexorablement, Ils seront réunis dans le cercle rouge. » (Citation qui précède le Cercle rouge de Melville). Ce dispositif narratif ingénieux est tout à fait en lien avec le propos des deux auteurs.

En effet, écrit à quatre mains par Nathalie et Yves-Marie Clément, ce roman est entièrement tendu vers ce qui nous réunit, ou devrait nous réunir, quand tant de choses nous séparent.  Ce sont d’abord des personnages singuliers, bien typés et caractérisés, qui représentent, chacun à leur façon, un aspect et une génération de l’Afrique contemporaine. Aya, jeune femme instruite, « noire et fière de sa couleur », Oscar, incarnation d’une sagesse, de coutumes et de tournures orales traditionnelles, Kim enfin, enfant soldat victime de la vie, obligée de survivre dans un monde devenu hostile. Trois voix singulières qui prennent la parole, tour à tour, pour raconter leur propre histoire. C’est cette polyphonie qui permet de mieux saisir ce qui fait l’originalité de chacun des personnages, qui incarnent à la fois un destin individuel mais aussi une vision du monde particulière. A ces trois voix s’ajoute le récit – à la 3ème personne – de Nourh et Dhib, récit qui tient compte des plus récentes découvertes en matière de paléoanthropologie. C’est un récit qui accorde une grande importance à l’Afrique, on le voit (l’un des personnages ne dit-il pas avec un certain humour, que l’homme de Cro-Magnon devait être noir…), à la fois l’Afrique comme berceau de l’humanité, mais aussi l’Afrique contemporaine, avec ses problématiques spécifiques, mais aussi avec l’espoir de l’éducation et de la fraternité qui éclairent la fin de l’ouvrage. Ce n’est pas un hasard non plus si 3 des personnages principaux sont des femmes, façon de dire leur rôle à la fois dans les sociétés préhistoriques, plus matriarcales qu’on ne le pense habituellement, mais aussi dans le monde contemporain. Ainsi le personnage du journaliste, Célestin, ne se voit pas doté d’une voix particulière.

Un roman qui s’inscrit à la fois dans la lignée des grands romans sur la préhistoire (La Guerre du feu), un roman qui se permet un clin d’œil à Quasimodo et à Esméralda, mais surtout un roman pour apprendre à faire société, bien sûr, un roman pour aller vers l’Autre, quelles que soient les cultures, les idéologies, un roman passionnant qui invite et incite au métissage.

 

C’est chez moi !

C’est chez moi !
Aurore Petit
La Martinière Jeunesse 2020

Un imagier pop-up pour visiter la terre

Par Michel Driol

Sur chaque page, qui associe un milieu naturel et un animal, revient comme un refrain « C’est chez moi, dit… ». On parcourt ainsi 5 lieux différents, de la montagne au désert, en passant par la banquise ou la forêt. Arrive enfin l’homme dans la ville. Et c’est la terre qui conclut l’album avec un « C’est chez nous ».

Conçu comme un imagier destiné à sensibiliser les plus jeunes sur la notion de milieu naturel, d’écologie et de préservation de la nature, l’ouvrage présente des pop-ups astucieux dans lesquels les animaux se cachent comme le loup, ou le scorpion (bien tapi sous ses lamelles de papier figurant le sable du désert). Il ne cherche pas à figurer le monde de manière réaliste, mais propose plutôt des formes géométriques, épurées et presque abstraites, façon peut-être de rapprocher l’habitat humain dans la ville très rectangulaire des habitats animaux. Seule la terre, figurée comme un visage rond, sympathique et souriant, échappe à ce système.

Un imagier animé pour découvrir quelques milieux naturel et avoir envie d’en savoir plus sur les animaux sauvages évoqués.

 

 

 

Bob et Marley. Le capitaine

Bob et Marley. Le capitaine
Marais, Dedieu
Seuil jeunesse, 2020

On serait des pirates

Par Anne-Marie Mercier

Bob (c’est le plus petits de cette paire d’amis) a une idée en regardant une fourmi naviguer sur une feuille au fil de l’eau : et si on construisait un bateau?
Marley (le gros ours noir) se met au travail. Celui-ci terminé, la grande question est de savoir qui va ramer, qui va commander, bref qui sera le capitaine. Si Marley cède, on comprend vite que c’est peut être avec une arrière pensée : commander donne quelques droits amis aussi des devoirs.
Voilà une jolie dispute pleine de conséquences. Les images sont comme dans toute la série délicieuses de simplicité.

Doudou loup et le drôle de bruit

Doudou loup et le drôle de bruit
Stéphanie Bardy (ill.)
Casterman, 2021

Doudou y es tu?

Par Anne-Marie Mercier

Si l’idée d’offrir un petit carré de tissu représentant le héros de l’histoire (doudou loup) est intéressante et généreuse, on reste perplexe quant à sa présentation : n’est pas doudou qui veut et pour les petits cela pourrait relever de l’imposture, ou au moins du non-sens.
L’intrigue est mince: Doudou loup entend du bruit, il a peur et cherche d’où vient ce bruit étrange. Mais elle a deux qualités : elle permet une répétition des mêmes onomatopées qui rythmeront la lecture et elle invite le jeune lecteur à agir pour consoler ou rassurer doudou loup, en suivant l’exemple des livres de Bourgeon et Ramadier.
Pour que cela fonctionne, il faudrait que le personnage (Doudou loup) soit perçu comme tel, et qu’on puisse repérer ses oreilles pour les frotter, que l’on ait  envie de le caresser ; rien n’est moins sûr.
Les illustrations sont jolies, mais il leur manque de la lisibilité et il leur faudrait un scénario un peu plus convaincant, davantage  de cohérence et de pertinence et un vocabulaire un peu moins inutilement complexe. Est-ce la raison pour laquelle le livre est donné sans nom d’auteur pour le texte ?

Le petit camion de papa

Le petit camion de papa
Mori
HongFei 2021

Sur la route…

Par Michel Driol

Une fillette part pour la journée dans le camion de son papa. Ils y entendent des chansons, traversent des villes, des ponts, échappent au mauvais temps, gravissent des montagnes, traversent des tunnels, s’envolent… Papa répare le camion…

Ce voyage peut se lire à différents niveaux. Voyage réel avec le père d’abord, bien sûr, père qui emmène sa fillette travailler avec lui. Mais aussi voyage merveilleux dans l’imaginaire, car ce voyage bien réel prend très vite une dimension surnaturelle : tantôt c’est le camion qui rétrécit, devenant un jouet sur la table, sous l’œil du chat, tantôt les montagnes et la nature prennent la forme d’animaux, qui emmènent finalement le camion dans les airs. C’est aussi un voyage dans la mémoire : le présent du récit change de sens à la fin, pour correspondre au moment de l’énonciation, et s’associe avec un imparfait, façon de montrer que le temps a passé, que la fillette est devenue grande, mais que les souvenirs sont toujours là. C’est enfin le voyage de la vie qui est évoqué, avec la compagnie silencieuse et bienveillante du père, père plein de puissance pour la petite fille, plein de mystère aussi avec ses chansons qu’on ne comprend pas, père omniprésent et pourtant jamais représenté sur les illustrations. L’album dit, avec tendresse,  les liens étroits et inoubliables qui unissent la fillette et son père, dans des illustrations colorées, pleines de fantaisie et de gaité, composées à base de papiers découpés, des images qui entrainent de plus en plus dans l’imaginaire avant de se styliser dans les dernières pages. A la fin ne subsiste, sur fond blanc, qu’un camion qui avance jusqu’à sortir de la page sur la ligne bleue du temps, accompagnant ainsi la petite fille dans son propre cheminement…  Les illustrations de Mori, artiste taïwanais,  ont été justement remarquées dans plusieurs sélections internationales.

Un album sensible sur les liens entre une fillette et son père, mais aussi sur les souvenirs et le temps qui passe.

Eau douce

Eau douce
Emilie Vast
MeMo, 2021

Encyclopédouce

Par Anne-Marie Mercier

Cet album allongé se lit à la verticale; chaque page forme une moitié de la scène à contempler, l’une montrant ce qui se passe au-dessus de l’eau, l’autre ce qui se passe sous la surface, la pliure se situant exactement entre les deux zones. Ces très belles scènes aux couleurs douces (bruns, gris, bleu pâles, parfois quelques touches de rose, de jaune, de bleu vif) alternent avec des pages qui présentent un contenu encyclopédique, décrivant l’état de chacun des « personnages » dans la saison présentée (hiver, début du printemps, printemps, début de l’été…).
Les poissons (ici des ablettes), les grenouilles, les oiseaux (cincles plongeurs et martins-pêcheurs), les insectes (machaons, libellules, scarabées…)… sont vus à différents stades de leur vie, patientant pendant l’hiver, préparant leur portée ou couvée au printemps, la nourrissant ; certains se métamorphosent à l’automne. Parallèlement, les plantes (salicaire, renoncule aquatique, nénuphar…) mènent leur vie.
Tout cela est expliqué dans de courts textes très précis, complétés par un glossaire. La dernière page montre en images les étapes des métamorphoses du papillon, de la grenouille et de la demoiselle, et les cycles du nénuphar et du poisson.
Que de vie sous l’eau douce et à sa surface ! Et aussi quelle délicatesse dans les dessins d’Émilie Vast, quelle apparente simplicité dans cette entreprise d’explicitation de la complexité du vivant et de la variété des saisons !
Chez le même éditeur, on trouvera aussi Eau salée, pour prolonger les eaux d’été.

Dino et la fin d’un monde

Dino et la fin d’un monde
Eric Pessan
Théâtre l’école des loisirs 2021

Un lanceur d’alerte à la fin du crétacé

Par Michel Driol

L’originalité de cette pièce est qu’elle met en scène des diplodocus. L’un d’eux, Dino, indique au troupeau que, durant la nuit, il y a eu une explosion, que la terre a tremblé, et qu’il fait plus sombre que d’habitude. Personne ne veut l’entendre, les enfants ont peur de ce qu’il dit. Puis il remarque d’autres choses anormales, les signale, et se fait bannir du troupeau. Accompagné de son amie Dina, il tente une dernière fois de convaincre le troupeau de partir au loin. Mais celui-ci est aveugle, jusqu’au moment où la catastrophe survient. Dino et Dina nagent dans l’espoir de trouver une ile où perpétuer leur espèce…

A travers cette fable grinçante, Eric Pessan évoque bien sûr les lanceurs d’alerte d’aujourd’hui, mais aussi la possible disparition des hommes sur la terre. Dino est un diplodocus quelque peu différent des autres : il entend se servir de son cerveau, réfléchir, et pas seulement se contenter de vivre comme on l’a toujours fait. Ce faisant, il se heurte au troupeau, et à son chef, élu pour ses trois qualités : être paisible, savoir trouver les bonnes forêts, et dormir…  Confiants dans leur taille, leur force, les diplodocus se croient invincibles, comme l’homme du XXIème siècle, persuadé que son intelligence le sauvera de tous les périls. Le lecteur, ou le spectateur, anticipe la fin de l’histoire dès le début, à travers le titre, mais aussi grâce à sa propre connaissance sur l’extinction des dinosaures. Cette supériorité qu’il a par rapport aux personnages lui permet dès lors de mieux percevoir dans les comportements des membres du troupeau ce qu’il y a d’inconscience, mais aussi de le rapporter à la situation de l’homme contemporain face aux menaces climatiques, aux lanceurs d’alerte qui ne sont pas crus jusqu’à ce que la catastrophe arrive. Ce dispositif dramatique montre alors toute sa pertinence pour faire prendre conscience de l’urgence qu’il y a à agir aujourd’hui. Le propos est tenu sans didactisme, avec des personnages bien caractérisés, même s’ils conservent l’apparence de dinosaures : Dino, l’inquiet insomniaque, sa compagne Dina, qui veut profiter de la vie, son ami Didi, et Docus, le chef incompétent du troupeau se détachent sur d’autres personnages : un enfant et sa mère, un vieillard un peu infirme… Le tout est rythmé, efficace, et entrecoupé de chansons pleines d’entrain. On apprécie aussi les remarques acides et drôles des diplodocus par rapport aux autres dinosaures, comme les T Rex, ou leur façon de se situer dans la chaine de l’évolution, ainsi que leurs interrogations sur ce qui restera d’eux…

Une farce tragique pour mieux comprendre l’urgence climatique.

Menteurs

Menteurs
François David
Calicot 2021

Peut-on effacer l’histoire ?

Par Michel Driol

Dans la S.E., la Société Exemplaire, toute trace du passé, en particulier de la Shoah et de l’esclavage a été effacée, réécrite. Les photos sont retouchées, réinterprétées. Pour avoir osé demander en classe pourquoi les cours ne sont plus mixtes, Noémie, l’héroïne est renvoyée de l’école. Chez elle, elle trouve des vieux livres interdits qui lui montrent un autre passé que celui qui est enseigné. Pour avoir refusé de donner ces livres aux autorités, ses  parents sont licenciés, puis réduits à l’état de parias. Ils refusent la proposition qui leur est faite d’être réintégrés s’ils reconnaissent leurs « erreurs » concernant le passé. Le livre se clôt pourtant sur une lueur d’espoir car des camarades de classe de Noémie s’étonnent devant la directrice de sa disparition, commencent à douter des mensonges officiels et se préparent à désobéir à leur tour.

Bonne idée de rééditer ce livre – paru en 2001 – à l’heure des révisionnismes en tout genre et des fake-news. Il s’agit bien pour l’auteur dans cette dystopie de dénoncer la manipulation et le travestissement des vérités historiques. La société dépeinte est une société tyrannique et totalitaire qui, sous couvert de bienveillance, interdit toute réflexion et pensées personnelles. Comme dans 1984, chacun est surveillé par un état tout puissant et manipulateur, non nommé, sauf par ils… Le récit, incisif, rythmé, dépayse le lecteur avec les codes de la dystopie, en particulier dans le vocabulaire désignant les fonctions, les lieux ou les objets. Pour autant, ce dépaysement conduit le lecteur à s’interroger sur les liens entre le monde décrit et notre monde actuel, et laisse percevoir la permanence de certaines valeurs humaines : le sens de la famille, le souvenir des défunts, et le sens de la révolte et de la désobéissance qui s’avèrent nécessaires pour défendre sa dignité et ses libertés.

Une dystopie dont on ne peut que conseiller la lecture aujourd’hui.

De la terre dans mes poches

De la terre dans mes poches
Françoise Lison-Leroy & Matild Gros
Coccotcot éditions 2021

Pour respirer la terre…

Par Michel Driol

Cotcotcot a la bonne idée de republier un poème précédemment paru sous le titre Jean jardinier dans le recueil Dites trente-deux (Editions Luce Wilquin, 1997).

Ce court texte, le premier de la collection matière vivante, célèbre la terre et le jardinage vus par un enfant. Il évoque le plaisir du jeu, de l’imaginaire (pousseront des pommes et des cailloux), de l’odeur de la terre.

Ode au jardinage, et aux joies enfantines qu’il procure, le livre est une façon de relier la nature et la poésie de l’enfance. Les illustrations de Matild Gros, très colorées avec une dominante d’ocre, donnent à voir un monde où humains et végétaux se complètent, voire se confondent.

Ecrit dans une langue simple et accessible superbement illustré, ce poème donne envie de retrouver les plaisirs de l’enfance et de mettre, à son tour, de la terre dans ses poches…

Mais où est Momo ? Vive les vacances

Mais où est Momo ? Vive les vacances
Andrew Knapp
Les grandes personnes, 2021

Cherche et trouve au grand air

Par Anne-Marie Mercier

Dans la grande collection des cherche-et-trouve, cet album a plusieurs originalités : tout d’abord on n’a pas un personnage à trouver (comme le célèbre Charlie) mais deux : Momo et Boo, deux petits chiens noirs et blancs, avec une belle symétrie entre eux, oreilles dressées vs oreilles tombantes, truffe noire encadrée de blanc ou de noir, etc. Les petits chiens ont un talent réel pour se dissimuler (mais pas trop) et on peut ajouter la recherche d’un ours en peluche, présent discrètement sur toutes les images. À la recherche des personnages s’ajoute celle d’objets, présentés avec les chiens en page de gauche, sous la forme d’un imagier.

On commence les pages de droite par une image de chambre d’enfant (où trouver les deux chiens et un réveil, un livre et une balle), on continue avec l’arrière d’un camping-car bourré de bagages, puis un lieu de pêche, un canoë sur la rive d’un lac, une table de pique-nique, une forêt.. jusqu’à un feu de camp (on cherchera un yukulélé, une poêle et une bûche) et enfin une tente éclairée dans la nuit (en plus des deux chiens comme toujours, on cherchera un chapeau, une lampe et enfin le fameux ours en peluche) : c’est toute un jour de voyage dans la nature sauvage et grandiose, bien balisé avec des objets du quotidien.
Troisième originalité : des photographies composent cet album. Son format carré aux bords arrondis et ses pages en carton fort en font un objet à emporter partout et à feuilleter sans modération.