Sauve qui peut !

Sauve qui peut !
Texte et illustrations Annabelle Buxton – Animations Olivier Charbonnel
La Martinière Jeunesse 2024

La mort aux trousses !

Par Michel Driol

Tout commence par le grand lapin racontant à des lapereaux la fois où il est allé chercher du persil tubéreux. Pour cela, il a dû traverser la sinistre Forêt des Murmures, affronter une immense plante carnivore, zigzaguer entre les morts vivants du Marécage des Revenants, éviter d’être le plat principal d’un banquet , et rentrer chez lui bredouille ! C’est alors, à ce point du récit, qu’on frappe à la porte… dernier pop-up à ouvrir !

Voilà un album qui, à travers la formule rituelle sur chaque page, Etes-vous sûrs de vouloir entendre la suite ? propose aux enfants de jouer avec leurs peurs, en toute sécurité. Ce sont tous les archétypes des histoires d’horreur qui sont convoquées, animalisées à hauteur de lapin. Des chauves-souris vampires et des arbres mangeurs (de lapins !), des zombies, des animaux à double visage réunis pour un repas  inquiétant. Les décors revisitent aussi les lieux effrayants de l’imaginaire enfantin : la sombre forêt, le marécage gluant, la grotte. Des animaux menaçants – crapauds, crocodiles, araignées sont là, à chaque page.  Les couleurs, noir, bleu nuit, caca d’oie contribuent à créer cette ambiance de terreur. Les animations font jaillir une immense plante carnivore,  font surgir des lapins zombie ou la bouche menaçante d’un arbre. Tout cela pour le plus grand plaisir de l’enfant, bien en sécurité car tout cela arrive à un lapin en quête d’une plante – le persil tubéreux – dont il n’a jamais vraisemblablement  entendu parler ! Le récit, à la première personne – se contente de sobrement raconter les mésaventures du héros, sans effet de style particulier, laissant toute l’attention disponible pour se plonger dans les illustrations et l’odyssée de ce jeune lapin, tombant de Charybde en Scylla dans un univers de cauchemar.

Un album d’épouvante pour rire, qui plonge le lecteur dans un univers animé, effrayant, plein de fantaisie,  à travers un récit de quête où se mêlent tous les dangers, avec la distance suffisante pour qu’on joue à se faire peur !

La Terre rouge a bu le sang

La Terre rouge a bu le sang
Jean-François Chabas
Éditions courtes et longues, 2024

L’Australie, des premiers jours jusqu’aux derniers

Par Anne-Marie Mercier

Pour fêter le début du salon de Montreuil 2024 (auquel je ne pourrai pas me rendre cette année, le Covid ayant encore frappé), je vous propose un texte étonnant et fascinant, beau et utile aussi.

Les romans de Jean-François Chabas provoquent toujours une surprise. C’est chaque fois la même qualité, le même beau style fluide, parfois discrètement poétique, le même attachement au vivant, les mêmes qualités d’intrigue, mais il y a toujours autre chose. La première surprise tient au nombre de page du volume : 390, je pense que c’est un record chez lui (mais je n’ai pas tout lu, tant il y a de titres, plus de 90 dit la quatrième de couverture). Une autre tient au changement d’éditeur : lui qui a tant publié à L’école des loisirs se trouve maintenant aux Éditions courtes et longues chez lesquelles il n’avait jamais rien publié jusqu’ici.
Il faut dire que ce texte étonnant avait sans doute besoin de marquer sa différence. L’auteur a déjà parcouru presque tous les genres, peut-être tous d’ailleurs (sur lietje vous trouverez des chroniques d’histoires de sorcières, d’histoires d’animaux, de romans de l’ouest sauvage…), et le voilà en train d’en rejoindre un autre ou plutôt d’en croiser plusieurs autres.  Cela tient à la SF car les deux personnages principaux sont des envoyés d’une autre planète ; cela tient du roman historique car ils arrivent sur terre au début du neuvième siècle, se font connaitre sous forme humaine au seizième, et accompagnent l’humanité jusqu’au vingt-deuxième siècle. C’est aussi un roman ethnologique et écologique : tout se passe en Australie ; on y apprend beaucoup sur le continent, son relief, son climat, sa flore, sa faune (du requin au crocodile en passant par la souris, les papillons et bien d’autres, sans oublier bien sûr les kangourous de toutes sortes) ; on découvre différents peuples, ceux que l’on nomme aborigènes pour simplifier, leurs langues leurs coutumes, leur histoire et surtout leur humanité. C’est enfin un roman politique qui dénonce les méfaits (le mot est faible) de la colonisation de ce continent et l’attitude des blancs encore et toujours à l’égard des descendants des peuples autochtones. Enfin, c’est un roman écologique : les deux personnages mystérieux que sont Minga (ce qui signifie fourmi en wajarri) et Bimbarlulu (pélican) prennent tour à tour la parole, s’adressant aux humains du futur, pour raconter la vie du peuple qui est devenu le leur et la lente dégradation de leur milieu de vie, jusqu’aux incendies gigantesque du vingt et unième siècle et au-delà, jusqu’au vingt-deuxième siècle… et pour maintenir le suspense je ne vous dis pas la fin.
Malgré cette allure un peu disparate, le roman reste un roman, une histoire humaine d’amour et de violence, de fidélités et de tensions : les deux envoyés de l’espace (on ignorera longtemps la raison de leur venue) racontent, chacun avec son tempérament. C’est celui qui s’est incarné en homme en ayant pris involontairement un peu de la fourmi, Minga, qui commence. Minga est calme, doux, il n’oublie jamais pour quoi il est là. Il est aimant aussi et se prend d’une affection immense pour un petit garçon un peu étrange. Bimbarlulu créée femme est imprévisible et violente, indisciplinée (une nouvelle Eve ? mais puissante). Elle commet plusieurs choses interdites : tuer pour le plaisir, tomber amoureuse et avoir un enfant d’un humain, massacrer les premiers blancs qui attaquent le peuple de celui qu’elle aime, et ce n’est qu’un début. Minga raconte les débuts : leur croissance en tant que graines semées dans le désert (sept siècles durant) et leur assimilation des connaissances et langues locales. C’est lent, passionnant et poétique. Les relations avec le peuple du Rêve qui les protège en ne révélant pas leur présence au long des siècles sont complexes : ils sont craints, on cherche à les utiliser, on ne comprend pas pourquoi ils n’ont pas renouvelé chaque fois que cela avait été nécessaire le grand massacre du début. Leur longévité et leur mémoire infinie tissent des relations riches avec tous les descendants d’aborigènes dont ils ont connu les ancêtres.
L’auteur parvient à mener de front intrigue romanesque et aspect encyclopédique, revendication et émerveillement. Chaque étape franchie dans la connaissance de ces êtres si humains que sont Minga et Bimbarlulu nous les rend attachants, jusqu’à ce que leur mission se dévoile peu à peu. L’intrigue parfaitement maitrisée soutient un roman extrêmement ambitieux qui mêle beaucoup de thèmes avec une grande cohérence. Il met au premier plan, sans didactisme mais sans voiler la vérité, le pillage et le massacre des peuples premiers d’Australie. En postface, on peut lire un texte du navigateur James Cook (1728-1779) en anglais et en français, généreux et lucide. Il est suivi par le texte de son commentaire par un auteur du XIXe siècle qui le trahit. On y voit les mensonges des colonisateurs du dix-neuvième siècle et les origines d’une culture installée sur une culture du mépris.

Enfin, ce gros livre est aussi un beau livre. Sa couverture reprend les motifs de l’art premier de ce pays, motifs et couleurs que l’on retrouve sur la tranche : un peu de désert entre les mains…

 

Un automne avec M. Henri

Un automne avec M. Henri
Fanny Ducassé
Seuil Jeunesse 2024

L’autre saison des amours

Par Michel Driol

Monsieur Henri est un blaireau qui adore l’automne. Mais lorsqu’il reçoit la lettre anonyme d’une inconnue lui déclarant sa flamme, lui, le solitaire, s’en trouve bien intrigué. Il ne change rien à ses habitudes : vêtements choisis, promenades en forêt, recettes gourmandes… Il reçoit la visite de son amie Mouflette, l’exact contraire de lui : intrépide, toujours nue… Une nouvelle lettre l’informe qu’il saura, lors de la fête de l’automne, qui est son amoureuse. Il la reconnaitra à une odeur particulière…Mais n’en disons pas plus !

Qu’il est doux et réconfortant l’automne de M. Henri ! D’abord par ce personnage de blaireau, animal peu représenté dans les albums jeunesse comme personnage positif : un grand sentimental, qui aime se promener longtemps en forêt, se vêtir avec soin et élégance, et se cuisiner de bons petits plats avec des ingrédients de saison (dont l’autrice donne les recettes, faciles à réaliser !).  Le texte suit le point de vue du personnage, fait pénétrer dans ses pensées, ses sentiments, ses émotions, avec parfois une petite pointe d’humour et de poésie, lui donnant réellement corps. Ensuite par les illustrations qui sont des véritables tableaux aux innombrables détails qui montrent de magnifiques forêts aux teintes ocre, ou un intérieur confortable auprès d’un poêle où brule un bon feu. Enfin par l’histoire d’amour improbable, avec ses lettres mystérieuses et sensibles, ses jeux de séduction passant par la cuisine, et les questions que se pose M. Henri : est-il vraiment l’individu idéal décrit par les lettres ?

Un album qui sait évoquer les petits bonheurs simples et réconfortants de l’automne, la flamboyance des couleurs de la forêt, et le tendre espoir d’un futur à deux. Un album épicurien et tendre qui sait allier les plaisirs des yeux, du cœur, et des papilles.

Le Cinéma de l’horreur

Le Cinéma de l’horreur
Denis Côté
Flammarion Jeunesse 2024

L’affiche maléfique

Par Michel Driol

Alors qu’on va détruire l’église Saint-Joseph, le narrateur, Thomas, apprend que son grand-père y était projectionniste, dans une salle de cinéma située au sous-sol.  Fouillant parmi les cartons appartenant à cet aïeul, il découvre une affiche bien cachée, représentant une créature à un œil, affiche pour un film d’horreur dont il ne trouve pourtant aucune trace. Explorant le chantier de démolition de l’église, il pénètre au sous-sol dans une salle de cinéma intacte au milieu des gravats. Il accroche l’affiche au mur de sa chambre, et les cauchemars commencent… Et si cette affiche renfermait un véritable monstre près à se réveiller ?

Dans la collection Le bureau des histoires étranges, voici un récit efficace qui se situe entre le fantastique et l’épouvante. Comme dans tous les grands récits fantastiques, il y a une montée de l’angoisse, de la peur éprouvée par le narrateur confronté à des événements qu’il cherche à comprendre, seul d’abord, puis en demandant l’aide de ses parents. On retrouve les grands thèmes récurrents du fantastique : le passage, le doute, la possibilité d’un monde parallèle, ces éléments s’incarnant ici dans l’affiche et le cinéma, lieux de projection, de représentation des fantasmes. Puis on va basculer dans l’épouvante, avec l’apparition du monstre dont la taille ne cesse de grandir créant la panique dans toute la ville, détruisant tout sur son passage. Ce roman apparait ainsi comme un bel hommage aux films fantastiques et d’épouvante des années 60, avec leur musique faite à l’aide d’un instrument bien particulier, le thérémine, qu’un qrcode permet d’écouter, et leur façon de suggérer plus que de montrer l’horreur, ce que réussit bien le texte.

Comme dans les contes de fée, le roman oppose un enfant à la puissance du mal incarné ici dans ce monstre. Avec beaucoup de réalisme, le récit évoque la psychologie d’un enfant ordinaire, sa peur de ne pas être cru par les autres, ses recherches qui le conduisent à suivre celles de son propre grand-père, sa détermination lorsqu’il a compris être le seul à savoir comment venir à bout de cette créature.  Beaucoup de qualités donc dans ce récit où tout est fait pour que le lecteur d’identifie au héros. L’illustration de couverture, signée Nicolas Degaudenzi reprend les codes graphiques des affiches des films de série B avec le surgissement du monstre hors de l’écran pour s’emparer du spectateur. Les illustrations de Cab, dans les pages intérieures, dans un pur noir et blanc, montrent un héros peut-être particulièrement jeune, à la fois soutenu par ses parents,  et confronté au monstre suggéré par ses griffes, son œil, laissant le lecteur le reconstituer en entier grâce au texte.

Belle mise en page enfin pour cet ouvrage, dont les pages sont encadrées d’une bordure noire, trouée régulièrement comme une pellicule de film, tandis que chaque chapitre s’ouvre sur un clap et le rayon blanc de la lumière qui sort du projecteur. Façon de montrer l’omniprésence du cinéma dans cet ouvrage fort en sensations !

Chambres adolescentes, 20 portraits à lire et à écouter

Chambres adolescentes, 20 portraits à lire et à écouter
Jo Witek, Juliette Mas

La Martinière Jeunesse, septembre 2024

Donner la parole aux adolescents

Par Lidia Filippini

Chambres adolescentes regroupe vingt portraits littéraires et photographiques de jeunes, âgés de douze à dix-neuf ans, qui ont accepté de recevoir Jo Witek, autrice jeunesse quinquagénaire, et Juliette Mas, photographe trentenaire, dans leur chambre, pour évoquer leur vie quotidienne.
À l’origine de ce projet, un constat de Jo Witek : ces jeunes, qu’elle rencontre fréquemment dans le cadre scolaire, de par son métier d’autrice, sont des êtres curieux, intelligents qui portent un regard vif sur le monde. Pourtant, ils semblent souvent méprisés par les adultes qui les imaginent sans cesse collés à leurs écrans, incapables de vivre dans la vie réelle. Cette « génération Z » subit de plein fouet les erreurs de ses aînés : désastre écologique, social, migratoire qu’elle devra résoudre. Évoluant dans un monde ultra-connecté, elle est pourtant peu visible car personne ne lui donne la parole.
Les jeunes interviewés sont issus de milieux socio-culturels variés. Ils habitent en ville, en banlieue ou à la campagne. Certains vivent dans des familles nombreuses, d’autres dans des familles monoparentales ou encore dans des foyers d’accueil. Tous ont en commun l’envie de livrer leurs doutes, leurs inquiétudes mais aussi leurs espoirs et leurs coups de gueule, avec la plus grande franchise. Les sujets abordés sont variés : les inégalités sociales, la politique mais aussi les réseaux sociaux, les écrans, l’amitié ou la sexualité. Pour Jo Witek et Juliette Mas, les adolescents d’aujourd’hui ne sont pas si différents de ceux d’hier. Comme leurs aînés avant eux, ils désirent changer le monde, améliorer les conditions de vie de leurs contemporains. Ils ont des rêves à réaliser et des angoisses à apaiser.
On sent, dans chacun des portraits, le respect de Jo Witek, qui ne force pas à la confidence. Pour elle, entrer dans la chambre, et donc dans l’intimité des adolescents, est « l’inverse de l’intrusion ». C’est au contraire un levier qui permet aux jeunes de laisser libre cours à leurs pensées dans un univers familier et rassurant. L’autrice sait se mettre en retrait. On assiste alors à des discussions d’égale à égal.e qui mettent en lumière un monde adolescent riche et plein de subtilités.
Les photographies de Juliette Mas, qui a participé à tous les entretiens, saisissent Zoé, Emily, Fahad, Younig et les autres dans leur quotidien, sans mise en scène, tels qu’ils sont. On est loin des clichés publiés sur les réseaux sociaux où l’on cherche à paraître ce qu’on n’est pas.
En rendant visibles ceux qui ne le sont pas, Jo Witek et Juliette Mas posent la première pierre d’un projet en forme d’espoir : celui de développer l’écoute transgénérationnelle et, « pourquoi pas [de] rêver ensemble à un avenir commun ? »
Chambres adolescentes est un projet transmédiatique qui peut être écouté en version sonore via un QR code à flasher dans le livre (chaque podcast dure environ une heure). Les portraits donneront également lieu à plusieurs expositions de novembre 2024 à mai 2025 (au Centre Tignous d’Art Contemporain à Montreuil puis, dans diverses médiathèques).

 

 

Petit parleur

Petit parleur
Fabien Arca
Editions espace 34 – Théâtre Jeunesse 2024

Premier jour d’école

Par Michel Driol

Il va à l’école, pour la première fois, avec sa maman, et ce petit parleur dit ses émotions, ses joies, ses peines tout au long de cette journée exceptionnelle, en 23 courtes séquences qui sont autant de monologues, ou de soliloques intérieurs. Fabien Arca raconte les temps forts de cette journée mémorable d’un enfant mutique, l’arrivée en classe, serrant fort la main de maman, puis la séparation, les cris et les bruits inhabituels, la récréation, la cantine, la sieste, et enfin les retrouvailles avec la mère.

C’est un texte d’une grande poésie, qui vient d’abord de la langue de cet enfant. Il écorche gentiment certains mots. Ainsi la récréation devient la récrémation, la table ronde devient la table monde, ouvrant ainsi à une autre vision du monde. Ainsi sa particulière et pittoresque façon de désigner les autres enfants, le-garçon-il-est-triste ou la fille-elle-parle-beaucoup, ou encore les autres adultes comme la dame-elle-donne-les-plats ou la dame-elle-aide-la-mitresse. Ce sont aussi se erreurs de syntaxe, comme A l’enfile mes chaussons, qui donnent accès à un autre usage du langage, poétique. Si tout est nouveau pour lui, la force du texte est de nous faire sentir à quel point cette première journée de classe, pleine de rituels inconnus, d’enfants et d’adultes inconnus, est la plongée dans un univers angoissant malgré la bienveillance d’adultes. Le Petit parleur est souvent aux bords des larmes,

Mon chagrin
De cailloux
Il fait plouf

Il exprime son mal être, sa difficulté à se montrer nu aux toilettes, et le pipi au lit durant la sieste devient la pluie de mon sommeil qu’elle a tout mouillé.

On le voit, les métaphores du texte ont une réelle force poétique et émotive, mais aussi créatrice de l’imaginaire de l’enfant muré dans son silence extérieur, mais qui a une riche vie intérieure faite d’émotions, de sentiments, de ressenti…

Si le texte joue sur l’émotion, il n’est en rien sombre. Cet éveil au monde a quelque chose de lumineux, presque comme une seconde naissance, parfois douloureuse, qui fait entrer dans un monde où le seul lien n’est plus celui de la maman, dont l’absence se fait cruellement sentir, mais celui de  tous les autres qu’il faudra apprendre à nommer, à connaitre. C’est là toute la polysémie du dernier verbe, partez, à la fois partez hors de l’école, mais aussi partez sur le riche chemin de la vie sociale.

Nous sommes l’étincelle

Nous sommes l’étincelle
Vincent Villeminot

Pocket Jeunesse, 2024

L’espoir d’un avenir

Par Pauline Barge

2061, Montana, Dan et Judith pêchent au bord de la rivière, au cœur de la forêt qu’ils ont toujours connue. Ils se font capturer par un groupe de braconniers sans scrupules. Qui sont ces ennemis, ces soi-disant « cannibales » ? Et qui est cet homme dans les arbres qui tente de les sauver ?
Avec des va-et-vient sur trois générations, entre passé et présent, l’histoire se démêle petit à petit. On remonte aux origines de cette vie dans la forêt. Cette révolte, cette étincelle qui a poussé certains à se reconstruire dans un ailleurs loin de cette société, dans cette forêt hostile, mais si belle.
Le récit pousse à se questionner. Il nous plonge dans cet avenir proche et soulève toutes ces idées, ces ambitions, ces rêves d’une vie autre et meilleure. Mais cette vie utopique est-elle vraiment la solution ? Ce n’est pas un roman sur une révolution. C’est un roman sur le retour à la nature, le retour aux sources. C’est une lecture pleine de réflexion, qui nous interroge sur nous-mêmes, sur nos choix de vie, une parole engagée et poétique, mais surtout nécessaire face à ce futur incertain.

Paru en 2019, cet ouvrage est à présent en version poche. On peut entendre et voir des interviews de l’auteur sur youtube.

 

 

Alma, t. 3 : La liberté

Alma, t. 3 : La liberté
Timothée de Fombelle
Gallimard jeunesse, 2024

Du rose dans le noir

Par Anne-Marie Mercier

Arrivé au dernier volume de sa trilogie, Timothée de Fombelle s’est trouvé devant des choix difficiles : en effet, comment faire pour réunir des personnages dispersés entre France et Amérique, les uns captifs ou même esclaves, d’autres coincés par diverses obligations, d’autres encore sans ressources, blessés… Comment faire aussi pour qu’ils se retrouvent, cachés parfois sous des noms d’emprunt ?
Le récit va, tambour battant, se pliant à la marche de l’histoire (Révolution française, prise de la Bastille, journées d’octobre, fuite à Varennes etc., insurrection à Saint Domingue, exploits de Toussaint Louverture, abolition de l’esclavage, commencée à Paris mais effective par les armes aux Antilles…). De nombreux personnages fictifs ou « historiques » interviennent mais on retrouve toujours le sinistre Saint-Ange, cupide et sans scrupules mais  amoureux comme d’autres de la belle Amélie, Joseph Mars, à la poursuite d’un trésor, oubliant parfois que le vrai trésor est l’amour qu’il éprouve pour l’indomptable Alma; elle a toujours son arc et son cheval, le cheval Brouillard, présent dès les premières pages de la trilogie, qui galope avec eux jusqu’au dénouement… tout cela fait un merveilleux roman d’aventures où la quête de la vengeance, de l’amour et de la fortune s’entremêlent pour s’effacer devant le bien suprême, la liberté.
Mais malgré tout, il demeure un malaise : tout finit bien, du moins pour les personnages principaux : ils se retrouvent pour couler enfin des jours heureux. Un roman qui a pour toile de fond l’esclavage peut-il finir bien à ce point ? Cette lecture laisse au lecteur assez informé pour être réticent face aux invraisemblances un sentiment de malaise. Il aurait fallu quelques séquelles, sacrifier quelques personnages, et un peu (beaucoup ?) du futur possible pour que tout cela ne finisse pas en conte de fées.

Le Livre extraordinaire du Japon ancestral

Le Livre extraordinaire du Japon ancestral
Peter Chrisp, Eugenia Nobati

Traduit (anglais) par Emmanuel Gros
Little Urban, septembre 2024

 

Une plongée dans l’art ancien du Japon

Par Lidia Filippini

Depuis son lancement en 2016, la série « Le Livre extraordinaire » de Little Urban est devenue emblématique de la maison d’édition. Dans un premier temps consacrée au documentaire animalier, elle se diversifie désormais en s’intéressant à l’art antique. Après l’Égypte, Rome et les Vikings, le nouvel opus est l’occasion de découvrir le Japon ancestral à travers ce qu’il nous reste de son art.
Chaque double-page présente un objet illustré de manière ultraréaliste par Eugenia Nobuti. Les images, qui se déploient sur la page de droite, offrent une précision telle qu’on croirait des photographies. Elles vont jusqu’à montrer les traces d’usure et la patine du temps. C’est un travail minutieux et précis qui, tout en dévoilant le talent des artistes ancestraux, fait apparaître celui de l’illustratrice argentine.
Sur la page de gauche, le texte permet à la fois de découvrir l’œuvre et d’en apprendre davantage sur le mode de vie des japonais de l’époque. En bas à gauche, une fiche d’information indique les lieux de découverte et de conservation, la date, les matières utilisées ainsi que les dimensions de l’œuvre. Un dessin à l’échelle permet de bien visualiser la taille réelle de l’objet, qui est mis en perspective à côté d’un homme ou d’une main.
Le lecteur découvre des statues, des estampes mais aussi des objets usuels tels que les inrōs, ces boîtes magnifiquement décorées que les hommes accrochaient à leur kimono pour pallier l’absence de poches.
Le grand format cartonné (28×37,8 cm), caractéristique de la collection, de même que le papier épais donnent à l’objet livre un côté précieux. Le grand soin apporté à la mise en page (chaque double-page est entourée d’un cadre orné d’un motif de vagues, le seigaiha ; dans le texte, chaque nouveau paragraphe est précédé d’un éventail stylisé) renforce cet aspect.
Cet album documentaire peut être lu d’une traite. Il peut aussi être utilisé comme une petite encyclopédie où les jeunes passionnés de la culture nippone pourront venir piocher des informations au fur et à mesure de leurs envies.

Jacomimi

Jacomimi
Rébecca Dautremer
Sarbacane, 2024

Jacominus for ever

Par Anne-Marie Mercier

Nous avons été nombreux à être ébloui/es par les aventures de Jacominus, déclinées de différentes façons par Rébecca Dautremer. Les histoires précédentes – mais le pluriel est sans doute de trop : c’est toujours la même histoire, déclinée de multiples façons – se présentaient en grand, voire très grand format, avec une grande ambition. Ici, on rétrécit avec un album cartonné presque carré, aux coins arrondis, un peu plus grand cependant que les albums destinés aux tout petits. Le titre et la couleur de la tranche (bleu layette) nous précisent immédiatement que c’est d’un petit qu’il sera question pour un petit.
Le texte comme l’idée sont simples : Jacominus est mignon (6 pages), puis gentil (idem), rêveur… et à chaque qualificatif on développe, page après page : « très mignon, (…), trop mignon ? Mais non ! on n’est jamais trop mignon », en variant les formules (le « très » devient « drôlement », puis « tellement »…, le « non » devient « pas du tout », « Rhôôô !, mais enfin ! », etc). C’est minimal mais très doux, lent et joueur.
Le dessin se fait doux aussi : les figures de Jacominus et de ses amis apparaissent duveteuses comme des peluches, avec de grands yeux de verre écarquillés ; mais en dessous on retrouve le graphisme précis des autres albums, et les mêmes vêtements : l’auteure joue avec le gilet tricoté du héros, le détricotant pour le mettre partout. Les amis se multiplient, on joue et on rêve ensemble, le temps est encore une fois suspendu. Bien sûr, c’est peu, et l’auteure exploite facilement son histoire, mais comme le dit la dernière page, « on l’aime trop Jacomimi ! ».