L’Affaire Méduse

Les Enquêtes d’Hermès, vol. 2: L’Affaire Méduse
Richard Normandon
Gallimard jeunesse (folio junior), 2019

Pétrifiant!

Par Anne-Marie Mercier

Le roman commence dans une atmosphère de péplum hollywoodien : Zeus a organisé une fête sur l’Olympe, tous les dieux sont là et certains ont déjà bu un peu trop de nectar, comme les futurs détectives de ce roman policier olympien… Le changement de ton est, au moment où le forfait est découvert, radical et dramatique : la narration vire au noir, à l’angoisse et à la cruauté. Hermès et Éros font ce qu’ils peuvent pour déjouer une sombre machination, dans des décors grandioses allant des déserts aux profondeurs marines, à la hauteur de ce vaste monde des dieux. On croise les Olympiens, Zeus, Héra, Athéna… on apprend de vieilles histoires et de nouvelles versions du destin de Méduse, d’Atlas, de Pégase…
C’est un vrai roman noir, avec des morts, des secrets de famille, des trahisons, de fausses confidences, sur fond de magie – bien noire elle aussi.

C’en est trop, Herman Hesse

C’en est trop, Poèmes 1892-1962
Herman Hesse, Edition bilingue Allemand Français, Trad. François Mathieu
Editions Bruno Doucey, 2019

Une poésie intemporelle

Maryse Vuillermet

Herman Hesse, auteur révolté,  connu pour ses positions pacifistes a écrit des romans qui l’ont rendu célèbre comme Le loup des steppes et il a obtenu le Nobel En 46.
Or, ce qu’on sait moins, c’est qu’il a écrit toute sa vie de la poésie. Et c’est très heureux que les éditions Bruno Doucey nous proposent une édition bilingue des poèmes d’une vie  » soixante-dix ans d’écriture, des emportements de la jeunesse aux chants du crépuscule.  »
Ces poèmes sont très accessibles, ils décrivent le quotidien, ses joies, ses peines, ses révoltes, ses amours dans un langage poétique universel. Certains de ces poèmes sont de purs cris de révolte et des condensés d’émotion dans lesquels les jeunes se reconnaîtront.

« Je jette mes vieux bâtons de randonnée
Dans l’herbe mouillée
C’est à crever, j’en ai les larmes aux yeux
De nouveau, il faut que je parte
(…)
Je crache en silence dans un buisson
Vous tous qu’il faut servir, c’en est trop,
Ministres, excellences, généraux
Que le diable vous emporte ! »

L’Ours contre la montre

L’Ours contre la montre
Jolivet et Fromental
Hélium, 2018

Apprendre à lire l’heure avec un ours

Par Anne-Marie Mercier

Un ours qui est obsédé par l’heure ? quelle idée ! mais pas plus folle que de les histoires de pingouins de Jolivet et Fromental ; et le lapin d’Alice a ouvert la voie. Ici, on peut aussi supposer que le jeu avec l’expression « c-ourse  contre la montre » a pu jouer. Donc au début de l’album un ours, gigantesque et orange, se bat avec le temps et arrive en retard partout : à l’arrêt du car scolaire, à l’école, à la cantine… il n’est jamais au bon moment au bon endroit.

La famille humaine qui l’héberge prend le problème à bras le corps après avoir compris qu’il vient du fait que l’ours ne sait pas lire l’heure. Grâce aux explications et aux schémas proposés en quantité par le père, l’ours comprend tout et entre dans une vie de temps réglé, efficace, employé à des activités multiples : en plus des cours de l’école où il n’est plus jamais en retard, il prend des cours de tuba, de claquettes, de cuisine, fait du bénévolat, du baby-sitting… jusqu’au « burn-ours » qui l’oblige à avoir encore un nouveau rapport au temps.

Ce gros ours encombré de lui-même et qui emplit bien les pages est touchant de maladresse et d’enthousiasme et l’album propose une réflexion sur le temps tout en fournissant une méthode d’apprentissage de la mesure du temps : à faire lire aux oursons en difficultés avec ces comptages complexes, donc.

 

 

même pas en rêve Vivien Bessières

même pas en rêve
Vivien Bessières
Rouergue, doado, 2019

Qui a dit que l’adolescence était le plus bel âge de la vie ?

Maryse Vuillermet

Pour Tim, adolescent, rien n’est facile et rien ne lui est épargné. Trop gros puis anorexique, timide, et rêveur, il est vite la proie et la victime des très méchants de l’internat.
Brimades, insultes, harcèlement, quand il croit apercevoir une lueur d’espoir sous la forme d’un petit mot de sa voisine de table, c’est encore pire, et il s’enfonce, il ne résiste plus, il subit.
Mais dans sa chambre, il y a Louis, le contraire de Tim, beau, fort, riche, impressionnant et Louis le défend, le protège et ils deviennent amis. Ensemble, ils sortent, se droguent, se battent…
Jusqu’au jour où Louis couche avec celle que Tim aime.
La trahison le fait replonger dans l’enfer, car,  sans protecteur, il touche le fond…
Mais Louis, le beau Louis a un secret, ou un problème, et si sa froideur n’était pas normale ?
On ne s’ennuie pas une seconde, les événements se succèdent à un rythme soutenu, mais c’est le thème de l’amitié qui rend ces personnages et cette histoire très attachants.
Un roman cru et réaliste pour ados avertis.

L’Anti-Magicien, vol. 2 : l’ombre au noir

L’Anti-Magicien, vol. 2 : l’ombre au noir
Sébastien de Castell
Traduit (Canada) par Laetitia Devaux
Gallimard jeunesse, 2017

Amis et ennemis

Par Anne-Marie Mercier

Le deuxième tome n’a pas la richesse anthropologique du premier et comporte davantage de scènes d’action; il augmente aussi la complexité de l’intrigue et la noirceur du monde. Le héros est toujours aussi maladroit (mais il se sort de toutes les difficultés – ça en devient un peu gênant). Son ami animal, le chat-cureuil, reste aussi insupportable et attachant. Enfin, autour de lui, de nouveaux personnages mettent le héros à l’épreuve de l’amour, de l’amitié, de la fidélité… il va ainsi d’initiation en initiation, en attendant l’épreuve finale… (nous aussi).

 

Mais qui a craché sur la maison du hérisson?

Mais qui a craché sur la maison du hérisson ?
Dedieu
Saltimbanque éditions, 2019

Un polar entomologique pour enfants

Par Maryse Vuillermet

Ce petit livre est une curiosité, et le premier ouvrage d’une série d’enquêtes. Trois héros, la fourmi 7707, Cruchod l’escargot et madame chouette « qui sait tout sur tout » mènent l’enquête. Qui a craché tout près de la maison du hérisson ? Et ce n’est pas la première fois !
Alors nos enquêteurs interrogent tous les voisins.
A la fin de l’ouvrage, la réponse sera imparable et instructive.
Les dessins en noir, rouge et roses simples et puissants sont très drôles, une réussite !

Le Jazz de la vie

Le Jazz de la vie
Sara Lövestam
Traduit (Suède) par Esther Sermage
Gallimard jeunesse, 2018

Un roman qui swingue

Par Anne-Marie Mercier

On ne sait quoi admirer le plus dans ce roman : c’est en partie le portrait d’une adolescente suédoise un peu à part, qui ne s’intéresse ni aux garçons ni aux modes, pas non plus au travail scolaire, mais au jazz, et au jazz des années de guerre en Suède : elle est donc totalement isolée malgré des parents attentifs et aimants, et un peu aussi grâce à une sœur exécrable. Pas de quoi mobiliser les foules, direz-vous.

Mais c’est aussi le portrait de la vie dans un établissement scolaire dans lequel le harcèlement est massif, parfois avec la complicité des enseignants; on voit ce que subissent tous les jours ceux qui en sont les victimes à travers la vie de Steffi, tyrannisée par un groupe de filles de sa classe, physiquement, verbalement, sur internet, etc. On y voit aussi à l’œuvre un racisme larvé. On ne comprend que petit à petit que l’héroïne est d’origine étrangère – petit à petit car tout est vu de son point de vue et elle ne se vit pas comme telle – et que son malheur vient en partie de là. On y découvre l’homophobie rampante, surtout chez celles qui ont des doutes sur leur propre orientation sexuelle.
On a un début d’explication, à la fin du roman, de toutes ces maltraitances : les bourreaux ont eux aussi été des victimes d’autres victimes, etc. Dans la méchanceté crasse des Karro et des Sanja, il y a les mauvais traitements qu’elles ont subis dans l’enfance et qu’elles subissent parfois encore. Il y a toute l’histoire de la ville de Björke, des années de guerre à l’époque actuelle, avec ses secrets, ses quartiers de réprouvés mis à l’écart, de multiples Cosette et Gavroche. Tout cela n’apparait que petit à petit, encore une fois.
En effet, le récit est mené de main de maitre, guidant le lecteur d’un état d’innocence à une compréhension de plus en plus profonde des faits et de leurs racines. Ce n’est pas Steffi qui mène ce récit, bien que son point de vue soit central ; c’est un vieil homme, Alvar, qui lui raconte une partie de sa vie, par fragment, retenant certaines informations pour plus tard, laissant Steffi tirer ses propres conclusions. Alvar est en maison de retraite, très isolé ; il vit avec ses souvenirs de musicien : il a connu un certain succès à Stockholm pendant les années de guerre. Lors des visites de Steffi, il luit raconte par bribes sa très belle histoire d’émancipation et même d’amour,  fait son éducation musicale en commentant les disques qu’il lui fait écouter (et la « play list » du roman est impressionnante). Il est impuissant à la consoler et à la protéger contre ses bourreaux, mais il la guide dans sa pratique musicale et suit son évolution jusqu’à sa réussite à l’examen d’entrée dans un lycée musical de Stockholm où elle sera enfin au milieu de ses pairs et respectée comme telle.

Le récit est construit avec un tempo parfait, qui ménage les surprises, avec un art du contrepoint,  des thèmes et des images récurrentes, des récits qui s’interrompent puis reprennent, des fils qui se tissent peu à peu, et tout cela l’air de rien. Récit musical, duo parfait entre celui qui a été et celle qui voudrait être, c’est aussi une belle histoire d’amitié et de respect mutuel, une démonstration des pouvoirs de la musique sur ceux qu’elle enchante et sur les autres, et enfin un récit plein d’espoir porté par une héroïne solitaire et obstinée, victorieuse de tous les obstacles, donnant autant qu’elle reçoit.

Sara Lövestam a obtenu en 2017 le grand prix de littérature policière 2017 pour Chacun sa vérité (Sanning med modifikation, 2015), « premier titre d’une série consacrée aux enquêtes de Kouplan » (Wikipedia). Dans une intrerview on voit que l’histoire de Steffi est un peu nourrie de la sienne

 

Dis-moi ma vie Pierre Seghers

Dis-moi ma vie 
Pierre Seghers
Editions Bruno Doucey, coll. Résistances, 2019

Un bilan en images fiévreuses

Par Maryse Vuillermet

Bruno Doucey décide de republier un court recueil du fondateur des fameuses éditions  Poètes d’aujourd’hui.
Ces pages sont un bilan, un travail d’introspection qu’adresse le poète, dans un dédoublement onirique,  à sa propre vie. Il  y retrace,  à travers des images somptueuses,  une vie dévouée à la poésie et aux poètes mais aussi une vie de découvertes et d’émerveillements.

 

« Dis-moi, ma vie, t’aurais-je traversée en songe comme un nuage
Survolé de haut, toujours trop pressé pour te voir
Ou bien toi-même aurais-tu dérivé comme ces îles imaginaires
Ces Orénoques arrachées avec leurs arbres pleins d’oiseaux ?

Nous sommes-nous jamais rencontrés ? Dis-moi, ma vie
T’ai-je rêvée de temps en temps, t’ai-je tenue dans mes mains d’homme
A travers les saisons qui nous regardaient passer, toi et moi »

« Nous buvions le vin dans de grands verres
Embués, jamais vides, notre vin permanent
Et, dans nos mains, d’autres poitrines
Se laissaient caresser pour éblouir le vent. »

Brexit Romance

Brexit Romance
Clémentine Beauvais
Sabracane (« Romans »)

Le Brexit, romance, linguistique et fantaisie déjantée

Par Anne-Marie Mercier

Faire de la question grave du Brexit un roman (au sens de « romance ») comique et sentimental est osé pour qui, comme l’auteure, en connait bien les enjeux. Mêler à tout cela des éléments de politique (avec les personnages de Marine Le Pen et Jeremy Corbyn) l’est également. Et tisser sur tout le livre une réflexion sur les deux langues, l’anglais et le français, et les deux cultures, avec les difficultés pour se comprendre et s’accepter relève encore d’une autre ambition.
Tous ces paris sont réussis : Clémentine Beauvais livre un « roman de mariage » (ou Mariage plot, voir le livre de J. Eugenides) digne de ses devanciers victoriens (mais beaucoup plus déjanté) : on se demande jusqu’au bout qui va épouser qui et dans quel but, ce que deviendra la jeune orpheline méritante et son dévoué protecteur, et c’est là le cœur du roman.
Il est aussi porté par des personnages originaux et un peu excessifs (surtout les anglais !), des rebondissements, des quiproquos… C’est aussi un roman sur les mœurs contemporaines : le langage des jeunes et leurs obsessions, la culture (de l’opéra aux réseaux sociaux), le monde de l’aristocratie anglaise et celui de la débrouillardise des middle class ou des jeunes désargentés. C’est aussi un pastiche de Lewis Caroll, avec des duchesses hystériques, un cochon habillé en bébé, un jeu de croquet qui dégénère…  Mais c’est surtout un roman sur la langue, très drôle, avec des traductions littérales, des contresens et des faux amis, avertissement indispensable à qui veut apprendre l’anglais sur le tas.
Et c’est aussi un roman sur le Brexit, ses raisons avouées ou non, la fracture profonde qu’il installe – ou qu’il révèle – dans le pays et les difficiles relations franco anglaises, mêlant amour et haine.

 

Festival de la Première Oeuvre de littérature de Jeunesse

Le Festival de la Première Oeuvre de littérature de Jeunesse, organisé par le CRILJ01, fête, cette année, sa dixième édition. Suite au vote des Comités de lecture sont invités :
Lisa Blumen pour Gros Ours (Kilowatt) dans la catégorie des 3-5 ans
Richard Petitsigne pour Le pirate le plus terrible du monde (P’tit Glénat) dans la catégorie des 6-9 ans
Gally Lauteur pour Ne m’appelez pas Blanche-Neige (Hachette) dans la catégorie des 13 ans et plus

Vous pourrez aussi rencontrer, dans le cadre d’un partenariat avec le Réseau de Lecture Publique la marraine du Festival, Florence HINCKEL et Alex SANDERS 
à la Médiathèque Vailland à 18h30 le vendredi 7 juin