C’est moi la plus verte !

C’est moi la plus verte !
Nadia Roman, Bruno Robert
Les éditions du Ricochet, 2009

 Quand la volonté didactique gâche le plaisir 

par Sophie Genin

C'est moi la plus verte.gif L’histoire est plaisante et, s’il n’y avait cette volonté farouche de faire référence à d’autres textes célèbres de la littérature de jeunesse, nous serions sensible aux traits d’humour… mais, outre les illustrations qui ne font pas montre d’une originalité suffisante pour se démarquer de ce qui a déjà été édité avant, le texte est bien trop prétexte à aller lire ailleurs, ce que le lecteur finira par faire, faute de s’attacher aux personnages de cette histoire-ci !

 

Le dîner

Le dîner
Michel Van Zeveren,
Pastel, 2011

Oui, mais la grenouille ?…

par Christine Moulin

Michel Van Zeveren est (entre autres) l’auteur du délicieux Et pourquoi ? (Ecole des Loisirs, 2008). C’est donc avec gourmandise que l’on ouvre son nouvel album, d’autant que le titre met en appétit. On est peut-être un peu déçu : bien sûr, le lapin est très, très mignon et ses oreilles très expressives. Bien sûr, on aperçoit toutes sortes de contes en filigrane : la maman lapin a un air de maman chèvre (Les sept biquets), les personnages s’empressent de transgresser tous les interdits qui empêcheraient l’histoire de se dérouler, il y a même une grenouille (qui restera grenouille…), un loup, un réfrigérateur, bref, tout le confort moderne.
Mais la chute, sans être mièvre, est un peu tiède.
Et puis, j’ai rencontré, à la lecture, un problème : comment se fait-il que la grenouille ne se soit pas enfuie avant, puisqu’elle savait comment faire ? Humm ? Comment cela se fait-il ? (Les lecteurs de cette chronique sont cordialement invités à me tirer d’embarras dans les commentaires ci-dessous ! Que ceux qui se voient contraints, de ce fait, de révéler la fin de l’histoire fassent bien précéder leur commentaire du traditionnel « spoiler »!!)

Le Livre magique des contes infinis

Le Livre magique des contes infinis
José Antonio Moreno Alfonso (éd?)
Illustré par Eric Puybaret
Traduit (espagnol) par Prospérine Desmazures
Gautier Languereau, 2010

Ouvroir de contes : ad libitum

par Anne-Marie Mercier

lelivremagiquedescontes.aspx.gifL’objet se présente d’abord comme un grimoire : c’est un grand format, épais, en fait une boîte. Dissimulé à l’intérieur, ce « livre magique ». On ne sait qui est l’auteur de cet ouvrage étrange. Il a en tout cas un « éditeur » déclaré, José Antonio Moreno Alfonso, qui en donne le, ou plutôt les modes d’emploi.

Mode d’emploi pour les raconteurs, lors de la lecture : garder le mystère, ne jamais faire voir les pages de ce livre, commencer et clore les histoires par les mêmes formules, proposer des substituts, des variantes…

Mode d’emploi de la création des histoires : hors les phrases de début et de fin, les histoires sont faites chacune de la succession de 73 paragraphes issus des 73 doubles pages du livre : on prélève ces paragraphes dans l’ordre, de 1 à 73, mais de façon aléatoire à l’intérieur de chaque double page, chaque paragraphe, court ou long, pouvant y être choisi au hasard. Ce ne sont pas les mille milliards de poèmes de Queneau, mais 33 puissance 73 contes… ce qui est aussi impressionnant.

Un exemple : « Il était une fois/il y a très très très longtemps/dans un monde parallèle au nôtre/une jeune servante/tout en peluche/à l’oreille ornée d’un bijou/il chantait d’une voix enchanteresse/, était très adroit ».

L’idée est bonne, mais elle demande au lecteur d’être capable de s’adapter pour maintenir la cohérence du récit : on voit déjà le problème des accords en genre. Ou bien il lui faudra tricher pour choisir ce qui collera le mieux, et espérer que son auditeur patientera, feindre la recherche d’inspiration, ou tout autre retard.

Donc c’est inventif, tout en  restant traditionnel (les situations ne sont guère surprenantes : on se bat, le bien triomphe). Et cela propose un bel entrainement aux raconteurs qui se sentiraient en mal d’inspiration.

Quant aux illustrations, elles sont d’Eric Puybaret, pleines de fantaisie et de poésie et ce serait dommage que les enfants ne puissent les voir, ultime paradoxe de cette tentative hardie.

Sur la bouche

Sur la bouche
Antonin Louchard
Thierry Magnier (tête de lard), 2011

Cap ou pas cap d’embrasser cet album ?

par Sophie Genin

9782844208996.gif

Antonin Louchard l’avait déjà commis en 2003 chez un autre éditeur. Il se fait plaisir (et à nous par la même occasion !) en rééditant ce petit album cartonné, « à embrasser », comme nous l’apprend la couverture, dans la collection dont il est responsable chez Thierry Magnier.

« Livre à embrasser », en effet, car le pauvre prince transformé en crapaud par un « sorcier très méchant » demande à une princesse qui lirait cette histoire de le délivrer de sa malédiction en l’embrassant, tour à tour sur le front, les yeux, les pieds, les mains… jusqu’au baiser salvateur. Mais la fin, surprenante, c’est peu de le dire, nous fera, comme très souvent chez cet auteur illustrateur de talent, nous esclaffer et crier « beurk » en même temps !

De plus, outre les références aux contes de fées traditionnels et l’humour décapant de son auteur, le texte, écrit en jaune sur fond rouge, rime. Citation à l’appui, comme mise en bouche (!), pour finir :

« Mais il me faut
une vraie princesse
pas une grenouille
avec des tresses
pour que le charme soit brisé
Embrasse-moi sur les pieds. »

 

Poucette

Poucette
Andersen, Charlotte Gastaut

Père Castor, 2011

Une nouvelle vision de Poucette

par Sophie Genin

9782081246423.gifCharlotte Gastaut est l’auteur et l’illustratrice du Grand Voyage de mademoiselle Prudence, dédicacé à sa Prudence : « Sois libre mon amour ! Mon hirondelle, ma toute belle. » Le personnage que la petite fille avait inspiré, ainsi que l’hirondelle évoquée dans cette phrase, semblent conduire logiquement à cette magnifique version de Poucette, dédicacée, cette fois-ci, à sa Violette, nouvelle inspiratrice : « Toujours heureuse mon amour. Je t’aime infiniment. Ma merveille. Ma mignonne. Ma rigolote. »

 Le grand format et le fond bleu violet de la couverture, avec l’hirondelle et l’héroïne du conte entourées de fleurs, attirent le lecteur. En ouvrant l’album, on découvre les illustrations caractéristiques de Charlotte Gastaut : l’utilisation du rose fluo, les détails fleuris japonisants et le petit personnage féminin, sorte de petite soeur de Prudence. L’illustratrice est une habituée du Père Castor mais aussi d’Andersen, puisque Cendrillon et La Petite Sirène l’avaient déjà inspirée. Cette fois-ci, son ton s’est affirmé et le résultat est à la hauteur de ce beau conte qu’elle réactualise dans une atmosphère atemporelle et onirique. Redécouvrir ce conte classique grâce à cette illustratrice est un vrai bonheur !

L’Oiseau de feu

L’Oiseau de feu
Adapatation : Mairi Mackinnon
Usborne (La Malle aux livres), 2011

Nouvelle version d’un classique russe

par Sophie Genin

 9781409526667.gifDe nombreux éditeurs fameux et sûrs se sont attaqués à cette adaptation d’un des contes russes les plus connus et les plus populaires dont une des versions a inspiré un ballet célèbre à Igor Stravinski. L’adaptation proposée par Usborne est accompagnée d’illustrations d’Alida Massari brillantes, colorées et nombreuses. Elles rendent le texte vivant et son univers magique accessible. Mais l’ensemble manque de virtuosité et d’originalité. En effet, la collection « la Malle aux livres » est trop « didactique », dans la mesure où l’éditeur a voulu calibrer un très beau texte, pour qu’il « colle » au « niveau trois », qui « convient au lecteur plus âgé capable d’aborder une longue histoire ».

 Préférez, pour découvrir ou redécouvrir le pommier aux fruits d’or, l’oiseau mythique et la quête du fils du Tsar, la version proposée par L’Ecole des Loisirs dans le recueil de Contes russes d’Afanassiev ou celles avec CD chez Actes Sud Junior et Calligram.

Les poulets guerriers

Les poulets guerriers
Catherine Zarcate, Elodie Balandras
Editions Syros (Album Paroles de conteurs)

par Aurélie Caruso et Céline Rican

Il était une fois, en Afrique, des guerriers… Oui, de vrais guerriers Massaï à quelques détails près : ce sont de jeunes poulets dont la crête se dresse vers le ciel grâce à la magie du gel coiffant ! Déterminés, ils traversent le village pour emprunter le sentier de la guerre. Un petit poussin souhaite les accompagner : pas question, bien trop petit ce poulet là ! Soudain, dans la brousse apparaît l’ennemi : un chat tigré qui se lèche les babines en comptant les jeunes poulets. L’esprit guerrier cède alors la place à la panique chez les gallinacés. Ils sont pris au piège, ils ont peur… Comme vous le savez, les chats ne conçoivent pas un régal sans jeu. Alors, le chat sauvage de la brousse se délecte à l’idée du repas qui l’attend, en grattant un petit air à la guitare. Mais que se passe-t-il quand les petits poussins connaissent des chants guerriers capables d’effrayer le plus redoutable félin de la brousse ?

L’histoire est drôle et touchante : de jeunes poulets s’appliquent à faire les coqs pendant qu’un petit poussin devient un héros sans le vouloir. L’auteur porte un regard aussi amusé sur l’adolescence qu’attendri face à la capacité d’émerveillement qui caractérise l’enfance.

L’objet livre est beau, c’est un album grand format qui met en valeur le travail d’illustration d’Elodie Balandras. Les illustrations, pleine page, avec des couleurs chaudes, des personnages expressifs et drôles s’accordent parfaitement à l’humour et à l’enthousiasme de la conteuse. La composition du texte est elle-même travaillée de manière à rendre au conte, toute sa vitalité communicative. Les petits et les grands auront sans doute envie de jouer avec les différentes voix des personnages, et les enfants seront désormais convaincus qu’on a toujours besoin d’un plus petit que soi.

Les Contes de fées et l’art de la subversion

Les Contes de fées et l’art de la subversion. Etude de la civilisation des mœurs à travers un genre classique : la littérature pour la jeunesse
Jack Zipes

traduit (anglais) par François Ruy-Vidal
Payot (petite bibliothèque), 2007

Le conte à l’ère du soupçon

Par Anne-Marie Mercier

Les Contes de fées_subversion.gif  Publié en 1983, traduit en français depuis 1986, cet ouvrage en version « poche » paru en 2007 n’est pas d’une actualité récente, mais nous le présentons pour deux raisons. L’une est d’annoncer la parution en janvier du prochain livre de l’auteur (The Enchanted Screen: The Unknown History of Fairy-tale Films) ; l’autre est que celui-ci mérite d’être davantage pris en compte dans le monde des études françaises en littérature de jeunesse.

Zipes s’inspire des travaux de Norbert Elias, comme le montre le sous-titre de son livre. L’approche est à la fois sociale et historique : il étudie le conte dans la durée, depuis l’élaboration de ses premiers modèles écrits à tendance conservatrice (Perrault, Grimm, Andersen), à l’émergence du conte moderne à visée émancipatrice (Mac Donald, Wilde, Baum), au refus ou à la récupération politique du genre (Weimar, la période nazie) jusqu’au conte contemporain, marqué par le mélange du fantastique et du féérique.

On est constamment fort loin des discours convenus (sur l’excellence du genre, sa richesse, son charme éternel…). Le conte est vu essentiellement comme un « outil de manipulation » (Zipes cite ici Denise Escarpit) qui varie selon les époques. Perrault est le premier « coupable ». Mais avant lui l’évolution de la société a fait que, au moment où la classe bourgeoise commençait à s’affirmer, le fossé entre l’adulte et l’enfant s’est creusé et la nécessité de dressage de cet âge, vu comme un sauvage à civiliser, s’est imposée. J. Zipes est germaniste et a publié de nombreux ouvrages non traduits en français, notamment sur les frères Grimm. Il montre comment ceux-ci ont manipulé les textes, modifiant leur premier manuscrit de 1810 dans l’édition de 1812 puis dans celle de 1819 qu’ils ont pu alors désigner comme « livre d’éducation ». Ces ajouts introduisent une dimension sexiste et conservatrice très nette, ce qui permet de souligner que « les racines des contes furent européennes, germaniques et bourgeoises ». Andersen perpétue cette tradition en faisant de la soumission la vertu principale. Ainsi, la critique de ces contes amène à une position anti-Bettelheim : les contes empêchent de grandir autant qu’ils aident à grandir.

Dans l’analyse des périodes suivantes, Zipes montre comment l’histoire modèle les contes et leur réception : régimes autoritaires, guerres, crises économiques influencent auteurs et éditeurs, quand la censure ne s’en mêle pas. L’utopie du monde d’Oz (dont les lecteurs français ne connaissent qu’un volume) est mise en regard avec la biographie de Baum comme avec la crise américaine pour expliquer les débuts de l’américanisation du conte.

Zipes revisite également les modèles familiaux du conte, la remise en cause de la famille patriarcale précédant la critique de la société. Il étudie aussi la notion d’ « Heimat » (intraduisible mais signifiant à peu près « foyer »), fondamentale pour la culture allemande, qui permet d’étudier les œuvres en fonction de leur valeur régressive (L’Histoire sans fin de Ende) ou non.

Un autre des mérites de l’ouvrage de Zipes est de donner un aperçu véritablement international de la question du conte, analysant des œuvres mal connues des lecteurs français, mais aussi proposant quelques titres français oubliés.

Il est dommage que la plupart de ses analyses ne soient pas encore traduites, comme la réédition augmentée de cet ouvrage parue en 2007 chez Heinemann qui comporte une étude du rôle des dessins animés (Walt Disney, Miyazaki) dans l’émancipation des enfants : voir l’article de Marie Musset sur le site de l’INRP, qui recense cet ouvrage (http://litterature.inrp.fr/litterature/dossiers/litterature-de-jeunesse/lire-les-contes-de-fees/contes-de-fees-et-subversion), et son article sur un livre plus récent  de Zipes qui analyse le charme si fort du genre : Why fairy tales stick  (Routlege, 2006 :  http://litterature.inrp.fr/litterature/dossiers/litterature-de-jeunesse/lire-les-contes-de-fees/jack-zipes-why-fairy-tales-stick-the-evolution-and).

Celui qui voulait changer le monde

Celui qui voulait changer le monde
Juliia, Célia Chauffrey
Auzou, 2010

« Trouver la voie de son royaume »

Par Christine Moulin

 changer monde.jpgCet album aux belles dimensions attire par sa couverture, envahie par un immense cœur rouge, sur lequel est juché un petit garçon à l’allure décidée. Le titre est celui d’un conte et de fait, on a bien affaire à un conte, initiatique. Le héros, qui a la beauté de sa mère et la force de son père, a malgré tout reçu d’eux en héritage un certain désabusement : sa mère chante, sans se lasser, il est vrai, la venue toujours repoussée du roi qui va changer le monde. Son père, qui a voyagé, ne lui cache pas l’horreur des « hommes qui se battent », des « femmes qui pleurent » et des « enfants qui ont faim ». Alors, les poings du jeune garçon, Simon, restent serrés. Jusqu’à ce qu’arrive un oiseau, qu’il va suivre et qui le mènera vers la seule véritable quête qui vaille.

Le propos, poétique, humaniste, optimiste ne peut qu’ouvrir à la discussion : on pourrait craindre qu’il célèbre une forme de repli sur soi. Mais, en fait, on comprend qu’il s’agit de hiérarchiser ses efforts : inutile de vouloir changer le monde, si on ne fait pas sur soi le travail nécessaire, si on ne s’ouvre pas à l’autre. Et surtout, il vaut peut-être mieux habiter le monde que le changer. Reste à savoir si ce message ne paraîtra pas un peu trop réformiste à certains.

Le site de Célia Chauffrey.

Ma Soeur-Etoile

Ma sœur étoile
Alain Mabanckou, Judith Gueyfier
Seuil Jeunesse, 2010

Dessine-moi un Petit Prince

par Christine Moulin

soeur étoile.jpgAu milieu des avatars médiatiques plus ou moins réussis du Petit Prince, cet album fait chaud au cœur. Le format en est conforme au propos : généreux. Les illustrations, aux riches couleurs nocturnes, font la part belle aux doubles pages et permettent de pénétrer dans un univers onirique peuplé de moutons. C’est qu’en effet l’intertexte de l’ouvrage de Saint-Exupéry est très présent : en dehors du célèbre ovidé, on retrouve l’Afrique (mais pas celle du désert), l’étoile et au-delà, la célébration de la foi en l’amour, qui triomphe du deuil, le mépris des richesses matérielles, le pouvoir de l’amitié. Seule manque au rendez-vous « l’absente de tout bouquet », la rose… A peine peut-on regretter un début un peu lent : mais c’est que cet album est sans doute plus poétique que narratif, au fond.

Vous pouvez aller visiter le site de l’auteur.