Il pleut des chats

Il pleut des chats
François David
La Feuille de thé, 2020

LE chat

Par Christine Moulin

S’il est un recueil qui peut rendre compte du pouvoir de la poésie, c’est bien celui-ci car le chat, de même qu’il est difficile à dessiner, est difficile à évoquer. Or François David y réussit merveilleusement, à travers un registre varié de poèmes, qui va du presque-haïku à la liste, en passant par des feux d’artifice de mots inventés. Il sacrifie avec bonheur à ce qui est presque attendu: les jeux sur les expressions contenant le mot « chat » (à commencer par celle qui constitue le titre, en un clin d’oeil à l’absurde et délicieux idiome anglais « it’s raining cats and dogs ») ou bien le répertoire des races félines, des façons de dire « miaou » selon les langues, des noms donnés par les écrivains à leur animal. Mais là où l’auteur excelle, c’est dans la description de certaines attitudes qui rappellent en quelque sorte les estampes japonaises: il sait capter un instant, le coucher sur la page et en préserver la vibrante magie. C’est que François David aime les chats: on le sent quand il décrit leur regard, leur pelage, leurs mouvements; on le sent quand il évoque leurs « pattes sudoripares » qui laissent d’émouvantes traces, leur habitude d’occuper le siège de leur humain avec la « ronronnante conviction » de participer à son travail ou la façon qu’ils ont de dissimuler leur trouble et de se donner une contenance en se livrant à une toilette compulsive. On le sent quand il esquisse les rapports que les hommes entretiennent avec eux, parfois marqués par la cruauté humaine, dénoncée dans des poèmes coups de poing. On le sent quand il envisage, de façon tellement poignante, la mort d’un chat aimé.
« S’il n’y a pas un chat
on se sent seul alors
vraiment »

Le bout du bout (du bout)

Le bout du bout
François David, Henri Galeron
Motus, 2018

Je me suis décidé(e): j’ai tiré! 

Par Christine Moulin

L’auteur comme l’illustrateur du superbe objet qu’est Le bout du bout sont deux grands: François David, Henri Galeron, excusez du peu! Et ce qu’il y a de mieux, c’est qu’on n’est pas déçu: en effet, cet ouvrage (peut-on encore parler d’album?) se tire et s’étire pour atteindre un bon mètre de long et pour le prix d’une, on a deux histoires. Côté jaune (côté mille-pattes?), la lecture se donne à lire: le plaisir que l’on éprouve à découvrir les successifs morceaux emboîtés du livre est décrit au fur et à mesure par un « je » dont on ne sait plus s’il est l’auteur ou le lecteur! La fin nous ramenant au début, on peut parcourir Le bout du bout du bout, côté rouge (côté perroquet): se déroule une forme de fable visuelle, inspirée du nez de Pinocchio,  sur les dangers de la parole étourdie. Le ravissement est aussi au rendez-vous grâce aux dessins splendides d’Henri Galeron, toujours aussi poétiques et précis, surréels et ressemblants. Bref, nous voilà devant un grand petit livre !

 

Jabberwocky le dragragroula

Jabberwocky le dragragroula
François David, Raphaël Urwiller, d’après Lewis Carroll
Sarbacane, 2012

« Sur la terre sous les cieux rôde le dragragroula qui terrifige qui scogneugneute qui ravageolle sous l’éther silencieux »

Par Dominique Perrin

Voici la chanson de geste de Jabberwocky, vainqueur du bien nommé dragragroula, monstre à figure de dragon et corps en muraille de papier tantôt déroulé sur la plaine infinie, tantôt sinuant entre les arbres de la forêt. Cette revisitation francophone de la fantaisie de Lewis Carroll par deux grands auteur et illustrateur est une merveille de stylisation graphique en deux couleurs, et un condensé d’humour verbal. Tout ceci n’inspire qu’un seul regret : que la réécriture d’un tel chef-d’œuvre de subversion épique à destination de l’enfance n’ait pu prêter une potentialité féminine à son protagoniste. Une réplique comme : « à présent, mon fils, file ! » semblait y inviter ? Les petites filles d’aujourd’hui méritant de se concevoir sans détours en chevalières porteuses de « l’épée humouristible/ qui zigouille tous les oiseaux de malheur » ­ comme, assurément, les petits garçons en Alice.

Tes Mots sur mes mots

Tes Mots sur mes mots
François David
MØtus, 2011

La poésie par tout et pour tous

Par Anne-Marie Mercier

Ce n’est pas un livre, ce n’est pas un texte… Ce serait un bloc-notes : de petites feuilles carrées banches empilées dans un étui carré à rabat, noir. Et puis non, ce n’est pas cela : on voit, imprimé en gris très pâle, sur ces feuilles apparemment vierges des mots. Inscrits sur quatre lignes, ils en couvrent l’espace. Ils invitent à écrire, à penser à l’autre ou à soi, à mieux lire, à peser ses mots. Ils proposent de griffonner en poète au jour le jour comme on inscrit sur des coins de pages des idées, des rendez-vous, ou plus. Le bloc anonyme se fait voix, invite. Et voilà réalisé, le désir de la beauté en toutes choses, à s’offrir ou à offrir, du bonheur au quotidien à portée de la main.

Les mots
sombres
illuminent
parfois

Ecris-toi
à toi aussi
parfois ou
souventes fois

il y a lire
et lire
les mots n’en
reviennent pas

Pour en savoir plus sur François David, grand poète d’enfance, voir son site.

 

Les Bêtes curieuses

Les Bêtes curieuses
François David, Henri Galeron

mØtus, 2011

Jeux de mots et de formes

Par Anne-Marie Mercier

Sixième collaboration des deux artistes, ce recueil de définitions loufoques accompagnées d’images du même tonneau est un régal. Les « bêtes » sont un singe, un canard, un girafon… Mais certains surprennent et abritent un autre bestiaire, mmétaphorique : le blues : « animal à la voix triste de la famille du cafard et du bourdon » ; un aspirateur : « bête à roues comme le paon » ; une machine à laver : « bête toute ronde dont les petits sont provisoirement retirés à leur naissance afin d’être réchauffés au soleil » … Quant aux vrais animaux, ils sont l’occasion de jeu sur les mots (la caille est un animal très frileux) et d’images drolatiques (la caille chaussée de brodequins et emmitouflée a un air enrhumé absolument évident).

Entre énigmes, mots valises et poésie, les pouvoirs du langage et de l’image et leur capacité à jouer ensemble sont ici évidents.

Le Garçon au cœur plein d’amour

Le Garçon au cœur plein d’amour
François David et Stasys Eidrigevicius

Motus, 2010

Vertiges (de l’amour ?)

Par Anne-Marie Mercier

legarçonaucoeur.gifLes images, impressionnantes, sont rendues plus impressionnantes encore par le grand format de cet album. Les pages de droite, face au texte, sont toutes occupées par des visages fantastiques qui représentent au pied de la lettre ce que dit le texte sur l’état du pauvre garçon dont on raconte l’histoire : son cœur est si grand qu’il aime trop, se perd dans ce qu’il contemple à tel point que son visage finit par prendre la forme de tout ce qu’il voit.

Successivement, son visage se transforme en celui d’une marionnette, d’un âne, d’un chat, d’un objet, d’une bouche… jusqu’à atteindre une monstruosité qui inquiète tant les autres (et le lecteur) qu’il est renvoyé à sa solitude, puis à lui-même, pour finir pourtant par se retrouver et s’aimer lui-même.

Cette fable philosophique évoque un état de dépersonnalisation angoissante mais ne tombe jamais dans le traité de psychologie. Le procédé évoque un autre album grand format auquel il semble répondre, La Fille sans cœur, dans lequel les états psychologiques étaient représentés de façon très différente mais tout aussi percutante. Les superbes pastels, très colorés, proposent des images saisissantes qui font partager au lecteur le malaise et l’étonnement du garçon. Les cœurs trop sensibles pourraient s’y brûler, espérons que ce serait pour mieux se retrouver, à l’image du personnage qui doit toucher le fond pour renaître à lui-même.

Bouche cousue

Bouche cousue
François David, Henri Galeron
Motus, 2010

par Frédérique Mattès

Motus et bouche cousue… Un livre sur le murmure et les mots retenus. Et livre sur tous les autres livres de Motus. Ainsi est présenté par ses auteurs ce magnifique ouvrage sur la beauté du silence, la résonnance dans les espaces…. Que dire de plus pour ne pas le dénaturer ? L’objet livre est tout aussi précieux : papier gris, brut qui met en valeur (mais est-il besoin de le faire ?) les illustrations surréalistes d’Henri Galeron. Un écrin qui recueille des textes minimalistes sublimés par un trait exceptionnel. C’est tout simplement un incontournable à lire et relire.