Poussin

Poussin
Davide Cali, David Merveille
Sarbacane, 2019

Petit traité de littérature

Par Anne-Marie Mercier

Comment devient-on écrivain ? et comment devient-on écrivain pour enfants ? peut-on écrire pour les deux publics ? Est-ce que les enfants ont bon gout dans leurs choix de lecture ? et les critiques ? Que faut-il penser des séries populaires ?

Dans cet album, par ailleurs très drôle, on aborde toutes ces questions.
C’est une fable acide créé par des auteurs qui se moquent d’eux-mêmes, ou plutôt de ce que d’autres voient dans leur profession. Le personnage principal apprend à écrire, dans tous les sens du terme : de la formation des lettres à la vocation d’écrivain. Il apprend moins bien à surmonter les échecs lorsque ses manuscrits lui reviennent avec un mot de refus d’un éditeur.. De rage, il envoie pour se venger ce qu’il juge être un torchon indigne, les aventures d’un personnage « idiot », « moche », « banal », qu’il dessine lui-même en faisant une tache jaune et qu’il nomme Poussin. Poussin fait du ski est, à sa grande surprise, immédiatement publié et connait un tel succès que l’éditeur lui commande une série de 12 titres : Poussin fait du vélo, est suivi de Poussin fait un gâteau, etc… Il espère dégouter l’éditeur et en finir en lui proposant Poussin fait un gros caca : c’est un immense succès.  Tout l’itinéraire d’un succès mondial est décrit : séries télévisées, produits dérivés…
La succes story est ailleurs : l’écrivain aigri finit par découvrir qu’il a fait quelque chose de sa vie avec Poussin et que là où lui ne voyait que banalité et laideur, les enfants voyaient tout autre chose.

C’est toute une réflexion sur le livre pour enfants et sa place dans la hiérarchie des « produits culturels », et, plus largement et plus philosophiquement sur la question de « pourquoi écrit-on ? », menée avec drôlerie, sans se prendre au sérieux, mais en prenant les enfants au sérieux.

 

Arthur le bandit

Arthur le bandit
Benoit Debecker 
Seuil jeunesse, 2018

Le bandit et la bibliothécaire

Par Marion Mas

Arthur le bandit est un personnage ungererien. Certaines pages de l’album s’inscrivent dans le droit fil de l’univers graphique des Trois brigands, dont le héros de Benoit Debecker a d’ailleurs hérité quelques traits de caractère. Ainsi, « Il lui suffit de se tenir à la croisée des chemins sur son formidable cheval pour que les passants lui abandonnent tout ce qu’ils ont de plus précieux sur eux. » et comme Zéralda, il cultive ses talents de cuisinier. Cependant, ce n’est ni la rencontre avec un géant, ni la rencontre avec une orpheline qui le réforme, mais celle de Marie-Rose, une dame un peu âgée – ou plus exactement, la rencontre avec la bibliothèque de Marie-Rose, et les histoires qu’elle lui raconte.
Les illustrations se mettent alors à flirter avec toute une mémoire graphique, évoquant, dans un style très personnel, les récits d’aventures coloniaux du XIXe siècle aussi bien que Tom Sawyer ou l’univers de David B. C’est aussi à partir de cette rencontre que les illustrations, dominées par les tons de bleu sombre et de rouge, se colorent, suggérant la naissance du héros à l’imagination. Par son traitement plein d’humour et plein d’allusions, cette fable d’un bandit devenu colporteur d’histoires est très réussie.

 

Où tu lis, toi ?

Où tu lis, toi ?
Cécile Bergame – illustrations Magali Dulain
Didier Jeunesse 2019

Lieux de lecture…

Par Michel Driol

Voici un album qui se présente comme un inventaire des lieux où un enfant peut lire, lieux improbables, lieux secrets, lieux mystérieux, avant de se terminer par la question qui donne aussi son titre à l’ouvrage.  La mise en page est toujours la même : page de gauche, un groupe nominal précisant le lieu, page de droite, une illustration pleine page montrant l’enfant avec un livre.

Le texte inclut une forte dimension poétique, comme si l’imaginaire propre au livre rejaillissait sur les lieux où l’on lit. Ainsi l’escalier est sans fin, le linge à repasser forme des collines et des vallées, et l’arbre a des bras… Cette poésie des lieux est vue à taille d’enfant : la cabane en bois a oublié de grandir… Métaphores et comparaisons transfigurent l’univers familier, pour lui donner une autre dimension – parfois paradoxale –  à laquelle la lecture permet d’accéder. Cet inventaire poétique, qui unit l’intérieur et l’extérieur, l’ouvert et le fermé, ouvre un vaste champ de possibles où l’on ne retrouve ni la table, ni le bureau de l’écolier, ni le lit de l’enfant…

Les illustrations prolongent le texte dans sa dimension fantastique : ainsi les yeux des personnages photographiés regardent-ils tous l’enfant lecteur, ainsi un vrai lion de mousse occupe-t-il la baignoire à pattes de lion apprivoisé… On pourra aussi parcourir les illustrations à la recherche des livres évoqués : albums, bandes dessinées, classiques de la  jeunesse. Comme un fil rouge, le chien, animal familier, accompagne, à la fois complice et libre, mais non lecteur…

Un album libérateur, qui insiste sur la liberté du lecteur, la diversité des pratiques de lecture, et qui dit à quel point les livres sont indispensables pour changer notre vision du monde.

Le bout du bout (du bout)

Le bout du bout
François David, Henri Galeron
Motus, 2018

Je me suis décidé(e): j’ai tiré! 

Par Christine Moulin

L’auteur comme l’illustrateur du superbe objet qu’est Le bout du bout sont deux grands: François David, Henri Galeron, excusez du peu! Et ce qu’il y a de mieux, c’est qu’on n’est pas déçu: en effet, cet ouvrage (peut-on encore parler d’album?) se tire et s’étire pour atteindre un bon mètre de long et pour le prix d’une, on a deux histoires. Côté jaune (côté mille-pattes?), la lecture se donne à lire: le plaisir que l’on éprouve à découvrir les successifs morceaux emboîtés du livre est décrit au fur et à mesure par un « je » dont on ne sait plus s’il est l’auteur ou le lecteur! La fin nous ramenant au début, on peut parcourir Le bout du bout du bout, côté rouge (côté perroquet): se déroule une forme de fable visuelle, inspirée du nez de Pinocchio,  sur les dangers de la parole étourdie. Le ravissement est aussi au rendez-vous grâce aux dessins splendides d’Henri Galeron, toujours aussi poétiques et précis, surréels et ressemblants. Bref, nous voilà devant un grand petit livre !

 

Le Livre qui fait aimer les livres. Même à ceux qui n’aiment pas lire !

Le Livre qui fait aimer les livres. Même à ceux qui n’aiment pas lire !
Françoize Boucher

Nathan, 2011

Par Anne-Marie Mercier

Le Livre qui fait aimer les livres« Lire fait grandir », « lire développe ton vocabulaire », ton imagination, améliore ton orthographe… toutes ces vérités qui ont tendance à lasser les lecteurs réticents sont énoncées ici avec humour et distance. Mais aussi qu’on peut relire un livre à l’infini dans l’user, lire par tous les temps, à tout instant, qu’il y a forcément des livres sur les sujets qu’on aime… et qu’on a droit de ne pas aimer lire : tout cela est dit avec humour.

On est proche des idées des superbes C’est un livre et C’est un petit livre de Lane Smith, mais le discours est davantage adapté aux adolescents.

Le livre sans images

Le livre sans images
B.J. Novak
L’Ecole des Loisirs 2015

Le livre le plus dingo du monde ?

Par Michel Driol

livre-sans-images-novakUn album sans images dans un monde où nous sommes envahis par les images ? D’apparence sérieux (sage couverture élégante, titre en noir, auteur en bleu), ce livre part du postulat qu’il y a un adulte lecteur et un enfant auditeur  et met en scène cette situation particulière de lecture par un adulte à un enfant. Et le texte joue de ce postulat, obligeant l’adulte à dire des choses insensées, à chanter, et à faire des bruits rigolos… Toutefois, même si l’adulte-lecteur résiste, se rebelle, le pacte de lecture (tous les mots doivent être dits à haute voix par la personne qui fait la lecture) l’entraine toujours plus loin… jusqu’à demander à l’enfant-auditeur de choisir, la prochaine fois, un livre avec des images…

Cet album met en évidence le plaisir du texte, du texte seul, qu’il construit comme unique source de jubilation quand il entraine le couple lecteur-auditeur dans les voies insolites proposées par la mise en abyme.  De la sorte, le livre entraine dans l’aventure de la lecture, une aventure qui transforme nos relations avec les autres, nous conduit à jouer des rôles, bouleverse ce que nous sommes pour notre plus grand plaisir. L’adulte-lecteur se retrouve bien malgré lui coincé entre le livre prescripteur et l’enfant-auditeur tyran, qui veut bien sûr avoir la suite… Toutes les ressources de la typographie (couleurs, lettrages, corps, polices…) animent les pages avec fantaisie, tandis que la voix de l’adulte-lecteur reste prisonnière d’une petite police sans-Serif. Le rire – très carnavalesque – est mis ici au service du rabaissement et de la déconstruction de l’adulte-sérieux au profit d’une complicité avec l’enfant-auditeur.

Un livre jubilatoire sur le pouvoir et le plaisir des mots…dans la lignée de Rabelais et de Lewis-Caroll.

Livres

Livres
Murray McCain, John Alcorn (ill.)
Autrement Jeunesse, 2013

It’s a book !

par Christine Moulin

 9782746733480FSNombreux les livres qui vantent le livre, à l’heure où l’on craint ou feint de craindre les progrès de la lecture numérique. Leur ancêtre à tous semble bien être l’ouvrage Livres, publié par les éditions Autrement, dans cette judicieuse collection qui veut faire « découvrir […] des classiques injustement oubliés ou jamais publiés en France, qui se distinguent par leur force littéraire et leurs qualités graphiques ». En effet, il date de 1962 et annonce les jeux postmodernes dont nous sommes friands, ceux, par exemple, de Lane Smith, d’Emily Gravett ou d’Hervé Tullet. Même s’il figure dans la collection « Vintage », il n’est en rien démodé (que peut être la « mode », d’ailleurs, dans le domaine qui nous occupe?). Le graphisme, faussement vieillot, arbore des couleurs qui se rehaussent mutuellement pour aboutir à une atmosphère gaie et dynamique, à base de rouge, de rose et d’ocre. Mais surtout, cet ouvrage ravira les amoureux des listes: elles sont nombreuses et farfelues à souhait. C’est ainsi que l’on a, forcément, envie de compléter celle des sujets de livre (où se côtoient Picsou, le vent dans les saules et « ce bon vieux roi Arthur »), celle des mots épineux (où l’on trouve Grigrimenufretin mais aussi travailler…), celles des mots heureux, des mots rigolos, des mots pour réfléchir (où figurent, le linguiste étant prié de ne pas chipoter à propos de la notion de mot, tu ne devrais pas, tout un chacun mais aussi en douceur). Parfois, l’humour absurde est juste délicieux (voir la page… sur les pages). La joyeuse mise en abyme finale est à l’unisson et fait de cet album un livre réjouissant.

Les fantastiques livres volants de Morris Lessmore

Les fantastiques livres volants de Morris Lessmore
William Joyce, Joe Bluhm
traduit (anglais) par Alice Boucher
Bayard Jeunesse, 2013

Tendre mise en abyme

Par Christine Moulin

FANTASTIQUES-LIVRES-VOLANTS-DE-MORRIS-LESSMORE-LES_ouvrage_largeLes livres qui veulent assurer la promotion de la lecture sont parfois pesants. Ce n’est pas le cas du magnifique album de William Joyce, qui reprend à son compte (à son conte…) la métaphore du grand livre de la vie. Ainsi commence l’histoire: « Morris Lessmore aimait les mots. Les histoires. Les livres. Page après page, il remplissait scrupuleusement le livre de sa vie ». Malheureusement, une tempête vient tout bouleverser et effacer les efforts de notre écrivain raté. Par la magie d’une rencontre avec une jolie dame mais surtout avec Humpty Dumpty (il est vrai que l’on a souvent l’impression de passer De l’autre côté du miroir), il devient alors soigneur et passeur de livres (bibliothécaire?). Il coule avec eux une existence douce, remplie de tendresse et d’histoires. Nourri de ses lectures, il a repris l’écriture de son propre livre. Mais un jour, il est temps de l’achever… La fin, pleine d’espoir, de lumière, renvoie au livre que nous tenons entre les mains, stricto sensu : mais rien de borgésien dans cette chute. Tout est serein, apaisé.

« Toute histoire compte », dit Morris Lessmore. Celle-ci un peu plus que d’autres…

Pour prolonger la magie des illustrations, à la fois réalistes et poétiques, on peut regarder le film d’animation. Il existe une application, aussi (c’est même elle qui a paradoxalement connu le plus grand succès…)

La guerre des livres

La guerre des livres
Alain Grousset

Gallimard, Folio Junior, 2009, 2013

Book wars

Par Christine Moulin

product_9782070651009_244x0Voici une réédition d’un roman d’Alain Grousset. Le problème qu’il abordait il y a quatre ans en est encore un: faut-il craindre la disparition des « vrais » livres, sur papier? le tout numérique est-il dangereux? On se doute un peu de la réponse… Mais l’argumentation n’est pas pesante. Parce qu’elle se développe au sein d’un récit de science-fiction digne des aventures de Lucas avec combats (celui qui ouvre le roman est un modèle…), factions, empereur, fille d’empereur, héros en forme de Jedi (Shadi), faux traîtres, vrais traîtres, et même quelques maîtres (certes moins pittoresques que Maître Yoda mais quand même…). Autre charme: le décor est un labyrinthe borgésien, une immense bibliothèque qui renferme tous les livres (ou presque) de l’univers. De quoi rêver… Enfin, en exergue de chaque chapitre, figurent des citations sur la lecture, certaines assez connues (« Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux », Jules Renard), d’autres peut-être moins (?) (« Les livres nous obligent à perdre notre temps de manière intelligente », Mircea Eliade), en tout cas, toutes très belles (« Lire, c’est aller à la rencontre d’une chose qui va exister », Italo Calvino).

La Fabuleuse méthode de lecture du professeur Tagada

La Fabuleuse méthode de lecture du professeur Tagada
Christophe Nicolas, Guillaume Long
Didier jeunesse, 2013

La lecture est un jeu…

Par Anne-Marie Mercier

tagadaComment décrire cette « méthode » de lecture ? Son titre en dit beaucoup; ajoutons que ce professeur a un assistant nommé « tsoin-tsoin », un petit oiseau qui se démène sur toutes les pages pour accompagner efficacement les lettres nécessaires à la leçon.

Voici le début du texte :

« Leçon n°1 : Tu ne sais pas lire, c’est dommage. Mais la grande personne qui te lit ce livre sait lire. Il faut en profiter. Ta grande personne peut lire des mots faciles comme bébé, bobo, mémé, popo. Elle peut aussi lire des mots difficiles, comme plénipotentiaire ou hexakosioihexekontahexaphobie. Qu’est ce que ça veut dire ? La grande personne qui sait lire te l’expliquera plus tard. »

Suivent des leçons sur les avantages qu’il y a à savoir lire (bonne idée de commencer par aiguiser le désir d’apprendre avec de vraies raisons), les lettres, voyelles et consonnes (on est dans une méthode syllabique traditionnelle), les cas compliqués (comment faire le son [k])… enfin, en 10 leçons, l’affaire est réglée.

Ce n’est peut être pas si simple, mais en tout cas on s’amuse, les illustrations sont tordantes, parents et enfants riront ensemble, et ce livre pourrait être un accompagnement joyeux de méthodes moins mécaniques et sans doute plus efficaces mais moins drôles, quoique… le rire fait bien des miracles.