Mort au loup !

Mort au loup !
Philippe Jalbert
Seuil Jeunesse 2017

La fine équipe ?

Par Michel Driol

Voici une bande dessinée en deux actes. D’abord, décor militaire. Une tente, une jeep, et sous la tente un instructeur chien tente d’expliquer aux trois petits cochons comment se débarrasser du loup. Mais comme ils n’ont pas d’avion pour bombarder, ni d’argent pour acheter des mercenaires, reste la troisième solution, tendre un piège au loup, l’entrainer chez eux, et le supprimer. Acte deux, un petit cochon invite à grand peine le loup chez lui. Après quelques discussions, celui accepte, et se trouve face à trois ennemis bien décidés à en finir avec lui. Il veut bien se sacrifier, mais il leur conseille de ne manger que sa bouche, qu’il ouvre grand… et surprise… Son haleine est si fétide que les cochons le mettent à la porte, avant qu’il ne revienne demander du dentifrice !

C’est un album drôle et inventif. D’abord du côté des personnages et des situations : les trois petits cochons sont limités intellectuellement, peureux, quelque peu imbus d’eux-mêmes… des caricatures d’enfants un peu immatures… L’instructeur, devant son tableau noir, est la parfaite caricature du GI, que les réactions de ses recrues exaspèrent. Et quant au loup, qui voudrait être aimé par le petit cochon, changer les relations cochons-loup, il apparait subtil, élégant, distingué et cultivé. Des contrastes entre ces personnages naissent des dialogues parfaitement écrits, pleins d’humour et de cocasserie. Les illustrations  jouent aussi avec ces codes. La représentation des personnages permet de les caractériser : la cravate et le costume pour le chien, trois teeshirts rayés pour les trois cochons, de couleur différente bien sûr, un pantalon à bretelles pour le loup. Graphiquement, la hiérarchie des personnages – très anthropomorphisés –  est ainsi posée.  Par ailleurs, l’absence de vignettes permet de jouer dans un entre deux album – Bd : ainsi certaines doubles pages viennent rythmer et marquer les temps forts : l’explosion de l’instructeur, qui fait voler la tente, et de jouer sur les points de vue : celui du loup qui voit les trois cochons armés jusqu’aux dents, ou ce plan étonnant où un petit cochon est vu depuis la gueule du loup… Le récit est donc conduit avec entrain, jusqu’à ménager une chute surprenante. Quant aux intentions réelles du loup, elles restent voilées : est-il l’intellectuel  un peu naïf prônant ce rapprochement avec les cochons, ou un personnage subtil et plus rusé que ces ennemis ? La force de l’album est de ne pas trancher…

Un album rythmé, coloré, et plein d’humour, qui tient les promesses de sa couverture, dont le graphisme évoque les films de gangsters des années 50.

Les Mous

Les Mous
Delphine Durand
Rouergue, 2015

Vive les mous !

Par Anne-Marie Mercier

lesmousQu’est-ce qu’un mou ? une bestiole sympathique, de forme indéterminée, plutôt arrondie, « cool », « niais », ils vivent sous terre, sont sociables. Il y a toutes sortes de mous. Ils ressemblent un peu aux Gibis pour ceux qui connaissent les Shadocks, l’intelligence et la gaieté en moins.

Si vous êtes séduits après la lecture de cette encyclopédie et souhaitez avoir un mou chez vous, sachez que le mou apprivoisé demande des soins. En fin de volumes, vous trouverez toutes sortes de conseils…

Parodie d’encyclopédie jubilatoire !

Robots intergalactiques: Les super Brikabraks

Robots intergalactiques: Les super Brikabraks
Richard Marinier
Rouergue, 2014

Cata…logue?

Par Chantal Magne-Ville

Robots intergalactiques- Les super BrikabraksQue peut-on trouver dans un catalogue de robots ? Des prouesses technologiques ? Des solutions pour la maison ? Une inspiration pour une nouvelle de science-fiction ? Pas du tout… Une rêverie à l’état pur ! Il faut dire que les dix robots proposés sont le fruit d’une folle inventivité, mais pas là où on l’attendrait. Ils sont faits de bois, et qui plus est de bois de récup’, mêlant des éléments aisément identifiables : au cas où l’un d’eux échapperait à la sagacité du lecteur, des notes de marge doubles l’aident à retrouver l’élément manquant, qui loin d’un inventaire de bricoleur, montrent comment on joue avec la langue…mais pas la langue de bois justement….plutôt celle de la poésie.

La présentation en diptyque montre les robots à l’état naturel, puis transcendés par le dessin sous forme de sérigraphies de type « vintage ». Ils sont affublés d’un nom révélateur de leur personnalité et magnifiés jusqu’à devenir de véritables héros aux pouvoirs multiples. Pour ne pas s’y perdre, l’auteur a obligeamment joint une évaluation pour chacun d’eux, au moyen d’un code couleur et d’un système de curseur qui teste leurs puissances d’attaque, leurs faiblesses, leur capacité de défense et les dégâts qu’ils peuvent occasionner ! Une porte ouverte sur la création d’histoires. Et dieu merci !, on trouve des robots féminins, dont les performances n’ont rien à envier à celles des hommes. A noter, toutes sortes de qualités intellectuelles et guerrières bien sûr, mais gourmandes également… La parodie du monde électroménager n’est pas loin, mais enflée par une imagination débordante. A consulter et re-consulter : chaque lecture offrant de nouvelles découvertes…

 

Perdu !

Perdu !
Alice Brière-Haquet, Olivier Philiponneau

Éditions MeMo, 2013

Contine

par François Quet

9782352891246FSPerdu ! est un hommage aux contes (en tous cas, à un conte en particulier) qui prend la forme d’une comptine un peu farce. Sept jours pour perdre un petit bonhomme dans les bois ! Ce n’est pas trop grave : il retrouve à chaque fois son chemin, mais ce n’est pas si simple, car quand il sème des fraises des bois, il constate qu’il y en a déjà des tas, et si ce sont des bonbons au miel qu’il laisse sur son chemin, ils ont fondu au soleil au moment de rebrousser chemin. Bref, passons tout de suite à la moralité de cette reprise loufoque d’une situation dramatique : « Que personne ne me dérange ! Je vais relire deux ou trois contes, ça peut servir à l’occasion ! ».

La structure de la comptine est bien présente et à chaque jour, par rimes plus ou moins savantes, correspondent des semailles plus ou moins fantaisistes mais toujours inefficaces… jusqu’aux cailloux blancs du samedi ! Beaucoup d’humour donc dans ce petit texte parodique, qui sans citer le Petit Poucet y fait constamment référence. Les gravures sur bois d’Olivier Philiponneau privilégient chaque jour une couleur (les fraises des bois, les petits pois, les gouttes d’eau, les pièces d’or, les bonbons au miel, …) avant de se retrouver sur l’arc-en-ciel du dimanche.

Sans se moquer (c’est un risque de la parodie : celui de faire le malin aux dépens de ce qu’on parodie), les auteurs font un clin d’œil malin à une vieille histoire (connue ou encore à découvrir pour les plus jeunes lecteurs) à travers une petite musique très personnelle et une imagerie séduisante.

Le Petit Chaperon bleu

Le Petit Chaperon bleu
Guia Risari (texte) – Clémence Pollet (illustration)
Le Baron perché

Toute ressemblance avec une histoire connue ne serait que pure coïncidence

Par Michel Driol

pcbUne nouvelle réécriture du Petit Chaperon Rouge… et autres histoires, car on y retrouvera aussi les Trois petits cochons, Cendrillon et la Belle au bois dormant.

Voici un album qui offre une version moderne (le décor est urbain, contemporain) et décalée des contes, car cette fois, ce sont les deux enfants héros de cette histoire qui jouent à interpréter les personnages des contes. La petite fille, espiègle, malicieuse, ne se laisse pas impressionner et domine le garçon déguisé en loup, vêtu de rouge… Cette inversion des stéréotypes de genre modifie profondément la signification du conte, pour en faire une rencontre amoureuse dans laquelle c’est la fillette qui prend les initiatives, le loup n’étant plus le danger absolu, mais un partenaire de jeu consentant et séduit. Dès lors les deux enfants – complices – peuvent réinterpréter les histoires du monde entier : l’album invitant alors, à la fin, à cette réinvention des significations, indiquant tout à la fois que les enfants ont besoin de contes pour grandir, mais aussi qu’ils doivent s’approprier ces contes comme espace de jeu nourrissant leur imaginaire. Quel enfant n’a pas joué à « Si j’étais, tu serais.. » ?

Cet album se prête donc à différents niveaux de lecture, d’abord physiquement, puisque, comme dans les thèses les plus savantes, des notes nourries de bas de page l’accompagnent. Notes toujours pleines d’humour,  tantôt sérieuses comme la notice sur les « dents de lion »,  tantôt mathématiques comme la composition et le poids du panier,  médicales (la liste des maladies de la grand-mère)… Les uns y retrouveront l’histoire du Petit Chaperon Rouge, et s’amuseront des variations qui n’ont rien de gratuit. Les autres y liront les relations femme – homme, adultes – enfants. D’autres apprécieront les relations texte – image (comment l’univers urbain et le jardin de jeux d’enfants prennent la place de l’univers du conte)…

Gageons que cet album fera date dans les réécritures du PCR*

* PCR : abréviation universitaire pour le Petit Chaperon Rouge

Pierre Gripari : oeuvres

Pierre Gripari
Sept farces pour écoliers
Illustrations de  Till Charlier

Contes de la folie Méricourt
Illustrations de Serge Bloch

Contes d’ailleurs et d’autre part
Illustrations de Guillaume Long
Grasset, 2012

Petite bibliothèque et grands plaisirs

Par Anne-Marie Mercier

Vous le voulez comment, Le Marchand de fessées? En conte? Allez voir à la Folie Méricourt. En théâtre? C’est dans les farces pour écoliers. La truculence de Pierre Gripari son insolence et son goût de la subversion fonctionnent à plein dans ces titres, moins connus que les contes de la rue Broca, mais tout aussi drôles et inventifs. Les contes français, russes, grecs… sont revisités; les sorcières ont de multiples rôles, les enfants sont vifs et rusé.

On trouve quelques surprises : conte en forme d’échelle (Nanasse et Gigantet), conte à la table des matières rimée (Petite soeur, où l’on montre qu’on peut être fille et courageuse comme un prince). Les farces se disent au téléphone ou dans un bureau (entre Lui et Elle), on assiste au dialogue d’une famille avec la télé, d’un bébé avec un dieu, d’un diable avec un ange…

Chaque volume est imprimé dans une belle typographie, sur un beau papier épais et  illustré en noir et blanc de dessins proches de la caricature. De quoi monter une belle première bibliothèque d’oeuvres complètes pour une chambre d’enfant.

 Dans la même collection : Huit farces pour collégiens, Jean-Yves à qui rien n’arrive, Marelles et L’Histoire du prince Pipo, dont on reparle bientôt.

 

Contes de la rue Broca

Contes de la rue Broca, l‘intégrale
Pierre Gripari
Illustrations de Claude Lapointe
Grasset, 2012

 Hommage!

Par Anne-Marie Mercier

Les contes de Pierre Gripari, publiés pour la première fois en 1967 (chez La Table ronde), sont connus, archi-connus, mais risquaient d’être méconnus, transposés à présent en dessins animés. Il est temps sans doute de se souvenir de ce qu’ils étaient dans leur fraîcheur. Réédition en un volume des deux tomes publiés en 1990 par Grasset-Fasquelle, toujours illustrés par Claude Lapointe, ce beau livre carré, au dos « effet toilé » et aux belles illustrations pleines pages est un vrai cadeau des éditions Grasset. On retrouve la verve du texte : La sorcière de la rue Mouffetard, Scoubidou la poupée qui sait tout, La sorcière du placard à balais, Le prince Blub et la sirène… les contes sont présentés dans une typographie claire et aérée, et les dessins de Lapointe, n’ont rien perdu de leur charme.

Pour lire et relire, et pour offrir sans doute en ce temps de fêtes, à moins d’opter pour les autres rééditions que propose Grasset, de textes moins connus, en version poche, avec d’autres illustrateurs? (A suivre)

Le chevalier à la courte cervelle

Le chevalier à la courte cervelle
Anne Jonas, Bérangère Delaporte
Milan, 2012

Conte à l’envers

par Anne-Marie Mercier

Les chevaliers n’ont décidément pas bonne presse aujourd’hui : on traque les stéréotypes partout et l’on pastiche à tour de bras. D’où cette histoire comique d’un chevalier qui part vers son destin et rate la princesse, le trésor, mais pas le dragon (qui, lui, ne le rate pas). C’est assez léger, pas inoubliable. Mais les étapes du conte traditionnel sont bien mises en valeur.

Les Willoughby

Les Willoughby
Lois Lowry

Traduit (anglais) par Francis Kerline
L’école des loisirs (neuf), 2010

Les Désastreuse et Hilarantes Aventures des non-orphelins Willoughby

Par Anne-Marie Mercier

Les Willoughby.gif« Abominablement écrit et ignominieusement illustré par l’auteur », lit-on dans la page de titre, sous le nom de la famille héroïne de l’histoire. Les termes « lugubre », « ignoble », « dégoûtant », « abject », « ignominieux » (un glossaire est donné dans les dernières pages), rythment le récit, accumulant les détails sinistres dans la vie de ces enfants qui aimeraient bien être orphelins (et méritants, et donc récompensés à la fin de l’histoire), comme dans les livres « vieux jeu » pour enfants « vieux jeu ».

Le livre est un concentré d’allusions à cette littérature à travers des titres (essentiellement anglais et américains – une bibliographie est donnée en fin d’ouvrage, avec des résumés de ces histoires édifiantes – Un chant de Noël de Dickens, La maison aux pignons verts, Heidi…). On y retrouve également des personnages et intrigues classiques (une gouvernante pauvre mais tendre, des parents diaboliques, un enfant trouvé, une famille perdue, des destins qui se rassemblent à la fin…). Le livre offre un festival de caricatures et de situations rocambolesques dignes des romans d’autrefois – pour petits et grands (Willoughby est d’ailleurs le nom d’un personnage peu sympathique de Jane Austen). On y retrouve aussi des éléments modernes de la littérature de jeunesse : la veine des orphelins Baudelaire (pour le côté désastreux), une touche de Marie-Aude Murail (pour la fratrie malmenée mais résistante), un recours massif à l’intertextualité et à la parodie.

Les enfants Willoughby ne manquent pas de ressources. L’aîné a des idées très traditionnelles sur ses prérogatives d’aîné et sur la place des filles, la fille s’affirme (c’est difficile), les jumeaux gagnent en indépendance. Ce qui était séparé est réuni, tout s’arrange, mais pas comme dans les histoires « vieux jeu » où les héros ont « un choix limité ». Lois Lowry ne s’est tenu à aucune limite de vraisemblance et de sérieux, à l’exception de celle de l’unité du style et du ton, et c’est tant mieux.