Ecoute battre mon coeur

Écoute battre mon cœur
Nathalie Le Gendre
Flammarion, Émotions, 2012

Nouvelle Star

Par Caroline Scandale

écouteDe plus en plus, la littérature jeunesse puise ses influences dans la musique. On pense notamment aux romans de l’excellente collection Exprim’. Comme elle, mais en moins radicale, la collection Émotions s’approprie quelques uns des codes actuels en matière de romans pour jeunes adultes. Le dernier opus littéraire de cette collection, Écoute battre mon cœur, débute par une playlist que les lecteurs peuvent facilement se constituer sur Deezer, service d’écoute de musique à la demande (en « streaming »). Cette bande son est censée refléter la rythmique et l’ambiance du roman. Elle donne une dimension supplémentaire à l’histoire, en entremêlant réalité et fiction…

Lula l’héroïne de ce roman et son grand frère Phil vibrent et respirent musique, comme leur papa professeur de musique. Comme lui, ils sont muselés par une mère angoissée et tyrannique. Phil déjà majeur, est le premier à se libérer de ses chaînes et à partir vivre de sa passion, le rock, à Paris… Reste Lula, 17 ans, lycéenne brillante et musicienne virtuose, obéissante mais aussi pleine de fougue et d’envies… Depuis le départ brutal de ce frère aîné quelques années plus tôt, sa mère s’oppose plus que jamais à ce que sa fille, pourtant si douée, devienne artiste…

Heureusement, la vie est bien faite… Elle autorise enfin Lula à partir seule chez sa meilleure amie, à Paris, lors de vacances scolaires. A cette occasion, elle découvre avec enchantement la vie d’artiste « underground » grâce à son grand frère et elle fait la connaissance de Mathias, jeune violoncelliste virtuose et passionné comme elle… Goûter à la liberté et à l’amour provoque un tsunami dans la vie de la trop sage Lula… Le retour au bercail n’en est que plus douloureux.

Ce roman devrait beaucoup plaire aux ados pour qui la musique est un refuge car l’auteure ne cesse de convoquer au fil des pages, des morceaux ou des artistes reconnus. Elle s’est d’ailleurs très certainement inspirée d’Izia, fille de Jacques Higelin, jeune et géniale rockeuse, pour créer son héroïne.

L’écriture est fluide et rythmée. La psychologie des personnages est intéressante, notamment celle de la mère. Même si sa personnalité extrême dérange, elle reflète avec justesse l’attitude mortifère de certaines mères névrosées. Petit bémol tout de même autour d’un paradoxe majeur… La raison est incarnée par une maman qui déraisonne et la passion par une ado trop sage. En effet, Lula est à mon goût (de trentenaire fan de Virginie Despentes et D’Antoine Dole… ) un peu trop raisonnable et soumise et le « happy end » final un peu inattendu, mais n’est-ce pas ce qu’on attend d’un gentil roman de littérature jeunesse?

Le Dernier Jour de ma vie

Le Dernier Jour de ma vie
Lauren Oliver
Traduit (anglais, USA) par Alice Delarbre
Hachette (Black moon), 2011

Antidote à l’idiotie, ou : la chick-lit comme outil philosophique

Par Anne-Marie Mercier

Conseil à ceux qui ont à la maison (ou pas loin) une adolescente insupportable, narcissique et grégaire : vite, offrez lui ce livre. D’abord, elle l’aimera, puis il la fera (horreur !) réfléchir.

Dans un premier temps, avouons-le, ce livre tombe des mains tant il donne l’impression d’être complice de la lectrice visée. On a l’impression de lire un volume de la série des L. B. D. (« Les Bambinas Dangereuses » de Grace Dent, gros succès commercial – voir ma non-chronique du t. 2 ), centré sur les choses capitales comme : sortir avec le garçon le plus canon du lycée, décider avec ses copines de ce qu’on va porter pour la fête, être celle qui aura le plus de roses le jour de la saint Valentin, voir la tête de celle(s) qui n’aura pas de rose ce jour là, faire une mauvaise blague à celle(s) qu’on n’aime pas (en général, des moins riches, moins belles, etc. que soi)… la liste serait longue. L’héroïne fait partie d’un groupe de copines « populaires », de celles qui font la pluie et le beau temps dans le lycée Jefferson, célèbre pour son taux de suicide et de consommation d’alcool (des points qui seront confirmés par cette histoire).

On s’accroche, parce qu’on sait que ce roman au titre anglais polysémique et évocateur (Before I fall) a eu un succès mondial (nominé par RT Book Reviews en 2010 dans la catégorie « Best Young Adult Paranormal/Fantasy Novel » et que Lauren Oliver est l’auteur de Delirium que Sophie Genin a beaucoup aimé, écrivant que « Ce roman devrait être mis entre toutes les mains adolescentes ».

Mais, après ce premier chapitre consternant (et d’une écriture aussi pauvre que les pensées de la niaise héroïne), les choses s’arrangent. D’abord, elle meurt, ouf ! Mais pas pour renaître en ange (pitié, non !). Les chapitres suivants commencent tous au même matin du 14 février avec une héroïne qui est la seule à se souvenir des expériences et découvertes du jour « précédent » (on pense au beau film « Un jour sans fin »). Six chapitres se succèdent sur le même modèle, six étapes dans la découverte de la vacuité de sa vie et de sa responsabilité dans les drames de cette journée. L’incrédulité et la panique font place progressivement à l’analyse et à l’éclosion d’un sens moral – jusqu’ici enfoui sous des comportements grégaires et des postures.

Ce sont aussi six tentatives pour infléchir  le cours de cette journée et se racheter.  Que l’entreprise soit difficile et presque désespérée est une des belles idées de ce roman philosophique : le hasard et la fatalité, la vie et la mort, mais aussi l’amitié et l’amour, la famille et le groupe (l’ « embrigadement » évoqué dans Delirium est ici vu à l’échelle d’une génération), sont évoqués à travers une intrigue et des interrogations intéressantes ; il est cependant un peu dommage que tout ramène à la nostalgie de l’enfance perdue (forcément pure) et au retour aux valeurs familiales (seules bases solides).

Sur cette écriture en contraste :

J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de romans pour adolescent(e)s composés de la même façon : un premier chapitre accrocheur, niais et mal écrit, puis progressivement une amélioration (voir Promise de Allie Condie ). Serait-ce un procédé conscient de captation du lectorat? ou bien une imitation du roman de Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon, dans lequel le niveau d’écriture et de réflexion varie avec celui du narrateur ?

Qui es-tu Alaska?

Qui es-tu Alaska?
John Green
traduit de l’anglais (américain) par Catherine Gibert
Gallimard (pôle fiction/filles), 2011

Vie et mort en pension

par Anne-Marie Mercier

John Green,Gallimard (pôle fiction),pension, suicide, adolescent,amitiéAvec ce roman déjà paru en collection scripto en 2005, on entre dans un univers de « collège » américain, et plus précisément de pensionnat. Bien loin de Harry Potter ou de Twilight, on est dans la réalité la plus crue, sexe quasi excepté, même si le désir du héros adolescent pour sa camarade Alaska est très présent et analysé avec précision ; le roman hésite entre crudité et pudibonderie. L’auteur a été aumônier étudiant auprès d’enfants, et on sent tout au long du livre une grande proximité avec ses personnages et beaucoup d’empathie, mais une volonté de ne pas trop choquer et sans doute d’édifier.

Le narrateur, Miles, qui sera vite surnommé « le gros » pour sa maigreur, est un garçon normal quoique un peu solitaire et habité par une passion curieuse, celle des derniers mots proférés par les hommes célèbres au moment de leur mort. Il devient l’ami de garçons et de filles un peu déjantés, très portés sur l’alcool et les cigarettes (mais pas de drogue) et les conduites à risque.

Le quotidien du pensionnat est très bien rendu : cantine, cours, angoisses des examens (les élèves se préparent à l’examen de fin d’études secondaires et misent beaucoup sur celui-ci qui doit leur permettre d’entrer ou non dans l’université de leur choix). Les clans s’affrontent parfois à travers des farces brutales, séparés souvent par des considérations de classe sociale.

Les personnages sont très attachants, chacun dans son genre et l’histoire, comique et cruelle dans ses débuts, devient vite bouleversante, à mesure que le mystère du caractère suicidaire d’Alaska s’épaissit et que le personnage du « Colonel », le camarade de chambre de Miles se complexifie.

En résumé, c’est un beau livre, touchant et intéressant, où les questions existentielles (à travers le cours de « religion ») ne sont pas absentes : à conseiller, à moins qu’on ne suive un avis plus réservé dans un bon article du site altersexualité. De nombreux blogs ados le classent comme un coup de coeur… mais il est vrai que ce sont des blogs de filles et que Gallimard l’a classé dans la série « filles », alors que le narrateur est un garçon.

Le soleil et la mort

Le soleil et la mort
Elise Fontenaille
Grasset-Jeunesse (Lampe de poche ados),  2011

Regarder la mort en face

par Maryse Vuillermet

  «  Le soleil et la mort ne se peuvent regarder en face ». Cette  phrase de La Rochefoucauld est placée en exergue de ce court roman car, justement, la mort, plus exactement le suicide, en est le centre, on y revient toujours, à la fois horrifiés et fascinés.

Le narrateur, 15 ans, a perdu sa mère, très jeune, puis son grand-père qui l’a élevé, et, enfin, son chat écrasé par une belle-mère stupide. Il ne supporte plus sa vie chez son père, remarié à cette marâtre, et rêve de mourir. Mais comment ? Sur un site internet dédié, intitulé Le soleil et la mort, il rencontre d’autres adolescents qui, comme lui, veulent mettre fin à leurs jours, ils en parlent sans cesse, jouent avec l’idée, se l’approprient, sont heureux d’avoir trouvés des « frères de suicide ». Avec l’aide d’Anton, le plus âgé d’entre eux, le plus cultivé aussi et le plus déterminé, ils organisent une expédition qui sera un suicide collectif sur l’île du grand-père. Mais la rencontre « ça nous avait fait drôle de nous voir en vrai », l’arrivée sur l’île, la vie de groupe, tout cela va changer un peu la donne.

Il faut du courage pour s’attaquer à un sujet aussi délicat, quand on sait que le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes. Les passages où les jeunes parlent aussi naturellement de la mort que de musique ou d’informatique sont un peu déconcertants au début : complaisance morbide ? Sujet noir en or ? Mais l’auteur, malgré un style percutant, des phrases courtes, le fait avec délicatesse et c’est le récit qui met en place la sortie de l’enfer, qui trouve les solutions : écoute de sa souffrance, de sa peur, amitié, projets de vie, épreuves communes. 

J’émets quelques réserves, certains personnages sont un peu stéréotypés, la marâtre, l’ange de la mort, le grand-père génial, les parents défaillants, et récurrents chez l’auteur, mais après tout, ces stéréotypes sont peut-être les personnages de notre société !

Mon P’tit Vieux

Mon P’tit Vieux
Jo Hoestland
Syros (Mini) , 2010 

Chute de vieux

Par Anne-Marie Mercier

Mon P’tit Vieux.jpgJo Hoestland fait parler le jeune Tim, en un langage populaire, imagé et gouailleur, une imitation d’oral un peu datée. Elle passe également par ses impressions pour évoquer sans trop de misérabilisme ni trop de condescendance une histoire bien misérable, celle d’un vieil homme, le voisin d’en face de Tim, solitaire, sale, méchant, radin et mystérieux.

Le regard de l’enfant est très juste : un mélange de crainte, de dégoût et de pitié, et quelque chose de plus, qui s’affirme à la fin : comme un remord. Le texte est très court mais efficace et traite avec pudeur un sujet sensible, celui de la solitude et de la misère de certains et de l’indifférence ou de l’ignorance des autres.