Cot cot cot !

Cotcotcot !
Benoit Charlat
L’école des loisirs (« Loulou et Cie »), 2021

C’est moi ta maman

Par Anne-Marie Mercier

Au commencement il y a… un œuf, tout seul, bien blanc sur un fond vert. Une poule blanche survient, s’extasie et commence à le couver. Arrive une poule grise qui revendique l’œuf et chasse la première. Dans la bagarre, l’œuf se fend, un oisillon jaune en sort et la bataille recommence, mais cette fois sur le mode de la séduction déployée par chacune pour le petiot. Il finit par les mettre d’accord par un coin coin révélateur, et filera vers la mare où l’attend une maman canard.

Voilà donc un nouvel opus dans la série des albums qui traitent de la recherche de paternité ou maternité. Ici, la différence est que l’enfant est totalement indifférent et très sûr de son identité, chose plus rassurante. Le plaisir de l’histoire tient aussi au langage, fait essentiellement d’onomatopées et de variations en cot cot et à la simplicité de l’ensemble.

10 escargots font la course

10 escargots font la course
Isabelle Gil
L’école des loisirs (« Loulou et Cie »), 2021

Compétition suave

Par Anne-Marie Mercier

On retrouve avec plaisir l’art d’Isabelle Gil, qui photographie des petits objets dans des décors naturels (ou faisant semblant de l’être) en jouant sur des effets d’échelle : oursons en chocolat, peluches ou autres objets de l’enfance deviennent de vrais personnages, vivant des aventures, passant par diverses émotions. Les escargots en pâte à modeler pourvus de vraies coquilles, déjà présents dans Le Déjeuner sur l’herbe, Le Chapeau de maman et Les Vacances, sont ici, au nombre de 10, les acteurs d’une belle compétition car comme chacun sait, ils adorent faire la course.
De nombreux enfants ont joué à faire des courses d’escargots (des vrais) en peignant leurs carapaces afin de les distinguer. Isabelle Gil a collé des gommettes numérotées, c’est plus élégant.
Les escargots étant ici plus proches du lièvre que de la tortue de la fable de La Fontaine, chacun fait une pause pour une raison différente : le 1 pour déjeuner, le 2 pour dormir, le 3 pour lire… chaque scène est composée avec des objets tantôt en taille réelle (la salade du déjeuner), tantôt en miniatures fabriquées pour l’occasion (le livre, la chaise, le hamac, le lavage de voiture…), tout est charmant et drôle et les escargots affichent des expressions très parlantes.
Quant à la chute comique de ce petit album tout en carton, elle permet de revenir au point de départ pour recommencer le joli circuit, et, pourquoi pas, apprendre à compter de 1 à 10.

 

 

 

Des voix pour la Terre

Des voix pour la Terre
Collectif

Bruno Doucey, « Poés’idéal », 2021

 

Des slogans pour la Terre

Par Matthieu Freyheit

Si l’écologie contemporaine en appelle à l’urgence et à la crise, la nature, elle, enseigne le temps long, comme le fait le travail : « Il nous a fallu un an de travail pour rassembler les textes de ce livre et en préparer l’édition », précise l’éditeur en fin d’ouvrage. Nul doute qu’il fallut du temps, de la patience et de la volonté pour rassembler les plus de 40 textes et 40 auteurs de ce collectif présenté comme une anthologie poético-combattive au service du défi climatique et environnemental. Ce rassemblement n’est cependant guère inattendu, dans un contexte marqué par l’alignement de voix faisant front face à ce qui relèverait d’un déni écologique (l’éditeur ne s’empêche pas, à ce titre, de mentionner Donald Trump).
De fait, l’heure est aux vertes lectures et aux littératures « éco-éthiques » qui, conscientes d’être dans le camp du Bien, réinvestissent volontiers la portée édificatrice de la littérature de jeunesse – une portée facilement jugée ringarde en d’autres circonstances, et sur d’autres sujets. Le numéro 172 (décembre 2019) de la revue Lecture Jeune posait d’ailleurs très directement la question : « Peut-on prescrire l’indignation écologique ? »
Fidèle aux lignes d’une collection militante (la quatrième de couverture choisit plutôt de parler d’une « collection engagée), Des voix pour la Terre revendique un héritage poétique tourné vers l’ancrage à la fois dans le réel et dans le collectif : le « je » ne cesse d’y rencontrer le « nous », le « nous » ne cesse de s’y élargir au profit d’un réseau de voix animales, végétales, élémentales, humaines (« Je suis un paysage et je m’adresse à toi. / Moi, je veux croire encore / en l’amitié des hommes et des paysages », Carl Norac).
Ce réseau n’est cependant pas harmonique, et l’apparente communion initiale (« J’ai les poumons comme deux banquises ») produit inlassablement des effets d’étouffement, d’écrasement, d’urgence (« J’ouvre la bouche / Crache une bouée », Florentine Rey). La poésie interroge alors les possibilités d’un langage évidé de nature : « Il pleuvait comme vache qui pisse / mais il n’y avait plus de vaches. / Il faisait un temps de chien, un temps de cochon / mais il n’y avait plus de chien ni de cochon » (Jean L’Anselme). Y a-t-il une poésie après la nature ?
Il n’y en a en tout cas pas nécessairement lorsqu’il s’agit de prendre sa défense. Le collectif fait ainsi la part belle aux slogans : ceux qui, à plusieurs reprises, ouvrent les parties de ce recueil. Ceux qui, également, nourrissent les textes eux-mêmes : formules convenues, stéréotypées, parfois naïves. En bien des endroits, la langue ressemble à celle d’une super-production hollywoodienne (pensons à Avatar, de James Cameron).
Cette tendance est renforcée par un appareil didactique édificateur : engagement, humanisme, partage, fraternité et autres vertus sont repris à l’envi dans les notices biographiques des auteurs, produisant un effet pour le moins hagiographique.
L’ensemble comprend également de fort beaux passages (« J’ai construit cette maison un jour / parce que je voulais la / saison la plus froide, où tu puisses être / toute proportion gardée, un / substitut de soleil ») dont on regrette seulement qu’ils ne soient pas plus nombreux dans un collectif qui fait le choix du discours plutôt que de la poésie.
L’ouvrage n’en demeure pas moins une proposition ambitieuse et travaillée qui offre aux jeunes lecteurs de nombreuse pistes, qui n’hésite pas à ouvrir et croiser les imaginaires, et à affirmer une vue essentielle qui caractérise, depuis longtemps, le travail des éditions Bruno Doucey : la certitude que la poésie à tout à voir avec le réel et avec l’immédiat.

René.e aux bois dormants

René.e aux bois dormants
Elen Usdin
Sarbacane, 2021

Parcours initiatique

Par Anne-Marie Mercier

Ce superbe roman graphique aux couleurs sidérantes commence de manière presque enfantine (même si le dessin et les couleurs ne le sont pas) : à Toronto, un enfant, appelé René, dont on nous dit de manière très allusive qu’il a été adopté et qu’il est d’origine amérindienne, cherche sa place. Il part dans ses rêves pour éviter une réalité difficile, des moments d’humiliation. Dans l’un de ses rêves, il perd son doudou, un lapin.
La quête du doudou fait dériver l’album vers d’autres genres, à tous les sens du terme. René rencontre un être grand comme une statue de l’île de Pâques et rouge comme le feu qui se dit « Deux-esprits », homme et femme à la fois. Réfugié dans le monde des aoriens, des êtres primitifs et sans mémoire traqués par les humains et obligés de se cacher dans l’ombre, de l’autre côté du réel, il entraine René dans le monde des mythes, celui de l’ogre mangeur de lumière, de la fleur essentielle (où René devient Renée), et il lui fait rencontrer Isba, une sorcière au passé sanglant, qui doit lui permettre de retrouver son lapin… puis tout dérape: les générations et les sexes s’inversent, le monde de la ville se superpose au monde imaginaire, celui des morts avec celui des vivants.
On l’aura compris, ce n’est pas une « histoire de lapin » (au sens où l’entend Christophe Honoré dans Le Livre pour enfants), ni de doudou perdu, mais une plongée dans un imaginaire fondé sur les archétypes, une tentative pour neutraliser la dureté du monde des hommes et la cruauté de leur histoire, une quête d’identité vertigineuse. Ce n’est pas non plus une simple réécriture  du conte de la Belle au bois dormant : la thématique du passage de l’enfance à l’adolescence est entrelacée à de nombreux autres motifs, dont celui du masculin et du féminin, de la recherche des origines et enfin celui du sort tragique des Premières Nations du Canada.
Explorer, sur le site de l’éditeur.

 

 

Les Devinettes de la langue au chat

Les Devinettes de la langue au chat
David Dumortier
Rue du monde (« Une petite poignée de poèmes »), 2021

Belle poésie miniature

Par Anne-Marie Mercier

La nouvelle collection de Rue du monde, lancée au printemps 2021, porte bien son nom : c’est petit, c’est poétique, ça a un air modeste et en même temps c’est une belle récolte, qui tient bien dans la main avec son petit format et sa reliure cartonnée.
Même modestie dans la forme qui s’affiche comme une série de devinettes, forme simple et populaire : chaque poème est suivi de la réponse à la question qu’il pose dans son dernier vers (« C’est le, c’est le ?), placée à l’envers. Les peintures d’Aurelia Fronty éclatantes de couleurs, livrent d’emblée certaines réponses et d’ailleurs les devinettes ne sont pas difficiles. L’intérêt est dans la musicalité, le jeu, qui joue parfois sur les mots.
Éléments naturels  (le vent, la lune…), animaux et plantes (un chat, une asperge), sont accompagnés d’autres secrets à découvrir, plus subtils (un souvenir, un murmure, un chagrin d’amour…).

Qu’est-ce qu’il veut ?
Qu’est-ce qu’il vend ?
Où va-t-il ?
Il va et il vient
Comme un vendeur de rien.
C’est le ? C’est le ?

 

Pourquoi les lapins ne fêtent pas leur anniversaire ?

Pourquoi les lapins ne fêtent pas leur anniversaire ?
Antonin Louchard
Seuil jeunesse, 2021

Métaphysique des terriers

Par Anne-Marie Mercier

Revoilà Zou, le petit lapin qui avait permis à Antonin Louchard de répondre à la question Pourquoi les lapins ne portent pas de culotte ? (Seuil, 2016); il est présenté ici pour répondre à une autre question plus cruciale, et même existentielle
Un beau jour d’automne, notre héros quitte sa famille et le village de Cucuron, dans les environs de Lourmarin, pour découvrir le monde et vivre des aventures. Sauvé de la noyade par des castors, mis en quarantaine par une tribu de lapins traumatisés par la mémoire d’une épidémie, soumis à un interrogatoire devant le grand Bagadou et l’ordre des Carottes bleues qui dirigent cette secte, il parvient à s’échapper et à repartir vers le vaste monde pour remplir de belles découvertes et d’aventures les quelques mois qui lui restent : un lapin sauvage ne vit guère plus qu’un ou deux ans, nous dit l’auteur, d’où le titre.
Ainsi, Antonin Louchard met à portée des jeunes lecteurs le dilemme d’Achille : vaut-il mieux vivre longtemps, obscur, une vie un peu plate ou bien mourir jeune après une vie bien remplie ? Zou, comme Achille ont choisi la vie brève.
On trouve aussi dans cet album des échos de Watership Down de Richard Adams (Monsieur Toussaint, 2020) qui met en scène des lapins dans une histoire qui tient de l’épopée, plus proche d’ailleurs  de l’Énéide que de l’Iliade : on y voit également une secte de lapins coupés du monde qui choisissent la servitude pour obtenir une illusion de sécurité et s’engourdissent eux aussi dans une religion hypnotique.
Mais Antonin Louchard est aussi un artiste illustrateur et ses dessins inimitables sont des merveilles d’humour et de vivacité et la tristesse induite par la réponse à la question qu’il pose s’évanouit devant la beauté du monde et de l’aventure.

Alma, T. 2 : L’enchanteuse

Alma, T. 2 : L’enchanteuse
Timothée de Fombelle
Gallimard jeunesse, 2021

Enchantements

Par Anne-Marie Mercier

On avait laissé à la fin du premier tome Alma, son petit frère, sa mère, et même son père en suspens : séparés et promis à un destin cruel aux mains d’esclavagistes ou d’aventuriers douteux. Bien d’autres personnages auxquels on s’était attachés dans le premier tome reprennent leur route aventureuse : corsaire, matelot, menuisier, armateur, héritière ruinée, escroc, jeunes et vieux, riches et pauvres, blancs et noirs… toute la société qui  gravite autour des colonies en cette fin du XVIIIe siècle semble avoir repris vie dans ce deuxième tomme qui fait une part plus grande encore à la dimension historique.
Le récit est foisonnant et se déroule en plusieurs lieux ; il noue toutes sortes d’intrigues, les dénoue pour en renouer d’autres encore en une toile complexe. Les dialogues sont vifs et subtils, et happent le lecteur dans le temps de l’action. On passe d’un bateau à l’autre, des eaux du bayoux à un champ de canne à sucre, de Paris à l’Amérique…
Enfin, c’est magnifiquement écrit, comme d’habitude lorsqu’il s’agit de cet auteur : c’est à la  fois une langue riche et claire, ce sont des rythmes et des pauses, des descriptions saisissantes. Ce sont aussi des notes fugaces, comme celle d’une torche brandie dans la nuit, « qui fait par instants le bruit d’une voile qui se tend » (p. 65).

Oh le beau voyage… quasi un enchantement.

Rouge

Rouge
Pascale Nolot
Gulf Stream (électrogène), 2021

Petit Chaperon rouge gore

Par Anne-Marie Mercier

Quelle belle idée que de refaire le Petit Chaperon rouge en le situant dans le genre de la fantaisie et à destination des ados ! Et il est rouge et bien rouge : la fille qui est l’héroïne du roman porte ce nom : Rouge, c’est elle. On lui a donné ce nom à cause de la tache de naissance qui lui mange la moitié du visage.
Il y a des loups, du sang, des viols, c’est même assez glauque et l’auteure fait tout ce qu’elle peut pour mettre son lecteur mal à l’aise en lui mettant sous les yeux des chairs, des blessures, des choses qui inspirent le dégout. La grand-mère à qui chaque jeune fille du village doit apporter un panier de provisions est aussi une belle trouvaille. Être mystérieux, fée ou sorcière, monstre immortel ? Que fait-elle de toutes ces jeunes filles qu’on lui envoie et qui ne reviennent jamais ?
Ce roman regorge de belles idées. Mais il est un peu encombré par ce désir d’ajouter dégoût sur dégoût.
Le problème principal tient à l’écriture : celle-ci est si ampoulée, tiraillée par différentes directions, tantôt surécrite tantôt familière, les dialogues sont si faux que l’on a du mal à y croire et encore plus à tenir la distance et ce livre qui se voulait captivant m’est tombé des mains malgré mes efforts. Dommage.

La Très Grande Aventure

La Très Grande Aventure
Anne Cortey, Olivier Latyk
Grasset jeunesse, 2021

Légumes en folie

Par Anne-Marie Mercier

Des héros peu ordinaires (ou au contraire si ordinaires que le statut de héros pose question) partent à l’aventure : un petit pois et un haricot, une fourmi.  Ils ont des noms qui évoquent l’Italie (Marcello, Nanni, et ils se font une amie, Monica la fourmi), c’est donc tout naturellement qu’ils trouvent une Vespa dans le ventre du coq qui les a avalés.
Arrivant à sortir de leur prison où ils n’étaient pas si mal, occupés à jouer au foot, comme Jonas ou Pinocchio sont sortis de leur baleine,  les voilà partis en vespa vers l’aventure, et elle sera très grande : échappant aux menaces des végétariens, aux voitures, aux vélos… et encore au coq qui les a rejoints, ils s’envolent grâce à l’aide de Monica, à sa carte routière et à son deltaplane pliant et arrivent sur le lieu de toutes les belles aventures, une île.

Tout cela est totalement et joyeusement farfelu et les images sont à l’avenant, ne reculant devant aucun défi (comme mettre des lunettes à un haricot, représenter l’intérieur d’un coq où l’on peut jour au foot, et donner une expression joyeuse à un petit pois…) : tout est possible !

 

Fake

Fake
Claudine Galea
Éditions espaces 34, 2019

En chatant: Du sitcom à la tragédie

Par Anne-Marie Mercier

Dans cette pièce qui commence avec une situation banale, on a la parfaite illustration de ce que peut-être un coup de théâtre sans action, sans changement de décor (ou si peu), sans introduction d’un nouveau personnage, uniquement avec un retournement de situation.
Tout semble minimal avec deux personnages sur scène et deux chambres d’adolescentes pour seul décor. On est tantôt dans la chambre de LAM (pour l’amoureuse) tantôt dans celle de M.A. (sa meilleure amie). Le drame se noue sur les murs, avec le texte projeté qui reflète ce que LAM écrit via son ordinateur à son amoureux ou à son amie, ce que l’amoureux lui écrit (jusqu’au moment où il cesse d’écrire), et ce que son amie répond à LAM.
La passion exaltée de LAM, ses espoirs, ses projets pour rencontrer enfin ce garçon idéal, qu’elle ne connait que par écran interposé, toujours flou ou par conversations au téléphone, toujours brèves, grandit, explose, se transforme en souffrance atroce lorsqu’elle se devine abandonnée. L’amie se sent délaissée, se rappelle à quel point elles étaient proches malgré leurs différences (rendues très visibles par les deux décors). Son amitié souffrante révèle une autre passion, celle qu’elle éprouve pour son amie, qui l’ignore.
Petit à petit le spectateur commence à soupçonner quelque chose : ce garçon existe-t-il ? Si non, qui l’a inventé et pourquoi ?
La tension croit, le mystère s’épaissit, puis se dévoile pour révéler d’autres profondeurs, au sein des amitiés et des amours adolescentes et les dangers tapis dans les usages d’internet. Tantôt sobre, tantôt lyrique, le texte suit les émotions des deux amies et embarque le lecteur avec elles, passant du sitcom à la tragédie. C’est beau, c’est vrai, c’est passionnant.

Sur le site Artcena : « Claudine Galea écrit du théâtre, des romans, des textes pour la radio, des livres pour enfants. Lauréate du prix Radio SACD pour l’ensemble de son œuvre radiophonique, du Grand Prix de littérature dramatique pour Au Bord, du Prix Collidram pour Au Bois et du Prix des lycéens Ile de France pour son roman Le corps plein d’un rêve.
Elle est auteure associée au Théâtre national de Strasbourg dirigé par Stanislas Nordey. Il mettra en scène Au Bord, au TNS et au théâtre de la Colline, Paris, printemps 2021″.