Rosie court toujours

Rosie court toujours
Marika Maijala
Traduit (finnois) par Lauriane Renquet
Hélium, 2021

Cours plus vite, …elle a filé

Par Anne-Marie Mercier

Cet album surprenant au grand format allongé, nous vient de Finlande. C’est un petit bolide. Il marque, par une impression de vitesse et d’espace dévoré. Traitées en pastels gras appliqués à grands traits, saturées de couleurs, imitant un style enfantin, elles nous font suivre un lévrier de course, nommé Rosie.
On la voit d’abord dans ses compétitions, puis au repos dans sa cage, puis échappée et cherchant un endroit pour vivre : elle traverse une ville puis une autre, découvre la mer… Après plusieurs espoirs déçus (la maison et le jardin d’une vieille dame ? un cirque ? une petite fille dans une voiture ?), elle trouve la vraie liberté, celle de courir avec d’autres chiens, dans un jardin «public» c’est-à-dire qui n’appartient à personne, comme elle désormais.

C’est un album où l’air circule, où on sent l’odeur de l’herbe et de la mer: un bel espace de liberté et un plaidoyer pour elle.

Mon Père est un super-héros

Mon Père est un super-héros
Arnaud Cathrine, Charles Berberian
De La Martinière jeunesse, 2020

« Moi, mon père… »

Par Anne-Marie Mercier

Achevé en aout 2019, cet album semble avoir été écrit un an plus tard tant il fait l’éloge d’une figure de héros magnifiée en 2020 et 2021 : le médecin. Plus précisément, c’est un chirurgien qui est présenté, tout auréolé de gloire et de sacrifice.
Sous une allure enfantine, à travers un dialogue entre deux enfants qui sont en compétition sur le thème du « moi mon père… », c’est plus un témoignage sur la vie de l’enfant avec ce père (et le couple qu’il forme avec sa femme), sur l’admiration qu’il éprouve pour lui, son inquiétude devant sa fatigue et ses soucis, son désir de lui ressembler et la peur de ne pas être à la hauteur de ce modèle écrasant.
La fin de l’album est  intéressante par la réponse apportée à ce défi : l’enfant affirme qu’il choisira une voie autre : non pas être super-normal comme le lui conseille sa mère, mais créer, étonner et surtout être… super-soi.
Si le thème du prestige du chirurgien n’a rien de bien renversant, la présentation du regard enfantin porté sur la profession d’un parent est intéressante : fantasmes, incompréhensions, projections.
Le rouge (sanglant ? ) de la couverture est adouci à l’intérieur par des bleus doux ;  l’humour des dessins accompagne le ton de cette histoire grave et légère.

Memento Mori

Memento Mori
Conce Codina, Aurore Petit
Rouergue, 2021

Mourir, mais avant… vivre!

Par Anne-Marie Mercier

Il faut bien une formule latine pour faire passer le sujet, peu abordé de manière frontale en littérature de jeunesse. « Memento Mori » : Souviens-toi que tu vas mourir, quelle injonction pour un enfant, dira-t-on. Pourtant, et c’est ce que cet album met en scène, ils sont les premiers à se questionner sur la mort et à demander des réponses à des adultes qui bien souvent les éludent.

De la sortie de l’école à son coucher, un jeune enfant interroge : « qu’est-ce qui peut mourir ? », « est-ce que tout ce qui vit meurt ? », « qui meurt », « de quoi on meurt », « ils vont où les gens quand ils meurent ? ».

Certaines questions suscitent des réponses brèves et simples, d’autres plus détaillées (par exemple comment sont mortes des femmes célèbres : Blanche-Neige, Le Petit Chaperon rouge, Marie-Antoinette, la maman de Bambi… (que des femmes, tiens, sauf le dernier de la liste, Dracula !). Certaines, plus complexes, se déploient sur deux doubles pages : la question « c’est comment d’être mort ? » est répétée et les réponses possibles se succèdent, prudentes, intéressantes, imaginantes.
Loin d’être un album sombre, c’est un livre lumineux, saturé de couleurs, qui se termine en s’ouvrant sur la vie, «  Vivre ! » s’étalant en grandes majuscules, avec des taches colorées,  autour d’un enfant qui, au matin, ouvre ses volets sur le blanc de la page.

C’est un beau parcours, philosophique, naturaliste, littéraire et même historique (avec une mention des personnes qui « finissent » au Panthéon).

D’or et d’oreillers

D’or et d’oreillers
Flore Vesco
L’école des loisirs (medium+), 2021

Littérature érotique pour la jeunesse? La Princesse au petit pois revisitée

Par Anne-Marie Mercier

Si vous faites partie de ceux (ou de celles) qui se sont demandé comment la Princesse au petit pois avait patienté pendant sa terrible insomnie (pour ceux qui ne connaissent pas ce conte d’Andersen, voir ici ), ce livre apporte une réponse, et même plusieurs car l’héroïne passe plusieurs nuits dans le château du prince où elle doit répondre à plusieurs défis.
Les liens avec le conte sont multiples. On les devine dès la couverture, magnifique, de Mayalen Goust – je la mets en grand format, pour que vous puissiez voir l’ombre noire au-dessus de la belle, et le motif inquiétant du papier peint. Comme dans le conte, la mère du prince joue un rôle, mais elle est morte depuis bien longtemps… Les meubles du château, mais aussi les murs, les objets, s’animent au fur et à mesure que l’héroïne commence à percer les mystères.
Je ne donne pas le nom de celle-ci, car ce serait divulgâcher l’histoire qui commence avec un premier suspens, très léger : laquelle des trois jeunes filles sera l’élue ? La belle et fière, la moins belle et bonne, la fragile et blonde ? ou une autre encore ? Les suspens suivants sont de plus en plus inquiétants et sombres, tandis que le lien qui unit la belle et son prince se fait de plus en plus fort et même torride. Flore Vesco parvient à revisiter ce conte en le chargeant de sensualité sans être trop explicite, tout en donnant une place importante à la jouissance, qu’elle soit fantasmée ou vécue ; les éditeurs l’ont classé prudemment dans la collection « medium + » (au-delà de 13 ans) et on ne peut que conseiller aux enseignants qui voudraient le faire lire à leurs élèves de le lire eux-mêmes auparavant (conseil qui vaut pour tout livre, bien sûr).
Le livre est envoutant, charmant, parfaitement bien écrit, et même avec une certaine recherche et des trouvailles d’expressions. Flore Vesco a reçu, pour L’Estrange aventure de Mirella, son roman précédent (l’école des loisirs, 2019), de nombreux prix (Vendredi, Imaginales, Sorcières, La voix des blogs) ; nul doute que celui-ci trouvera le même écho.

 

 

 

 

 

La Route du lait grenadine

La Route du lait grenadine
Alex Cousseau et Charles Dutertre
Rouergue, 2019

Vroum, vroum, boum !

Par Anne-Marie Mercier

La Route du lait grenadine est une compétition qui a lieu chaque année et voit s’affronter des concurrents de toutes sortes dans leurs véhicules bricolés. C’est une parodie de la Route du Rhum que les adultes suivent parfois avec passion. Les enfants pourront suivre avec peut-être autant d’angoisses les aventures de ces concurrents qui rencontrent toutes sortes d’avanies : pannes, erreurs d’itinéraires, carambolages, explosions…
Ils portent, comme leurs engins, des noms évocateurs, comme Rhubarbe noire et sa toupie foreuse, Heliogabalum avec son avion en pot de yaourt, Muriel Crapoussin sur le tracteur de son grand-père, etc. L’un ressemble à un coléoptère, d’autres à un escargot, une mouche, une taupe, une chenille, d’autres sont de petites choses plus ou moins humanoïdes. Certains engins sont tout petits, d’autres immenses comme le paquebot à hélice nommé la grande Baragagne (allusion aux Voyages en Grandes Garabagne d’Henri Michaux ?) pilotée par Jules d’Espinasse (descendant de Julie de l’Espinasse, la célèbre épistolière du XVIIIe siècle). La fantaisie règne partout.
Le trait de Charles Dutertre se fait minutieux, détaillant les engins, donnant toutes leurs bizarreries, les colorant aussi, comme il colorie les espaces divers dans lesquels les équipage se perdent : feuillages jaunes, nuit bleue… pour finir dans un grand désert blanc où l’horizon indique la ligne d’arrivée.
Voilà au moins une compétition où l’on ne s’ennuie pas, où les concurrents sont là pour s’amuser et parfois s’entraider, et où le gagnant probable ne sait même plus pourquoi il est là, un petit régal d’humour.

Magic Charly, t. 2 

Magic Charly, t. 2 : bienvenue à Saint-Fouettard
Audrey Alwett

Gallimard jeunesse, 2021

Feux d’artifice de magie

Par Anne-Marie Mercier

En abordant ce deuxième tome de la série, on comprend qu’il s’est passé beaucoup de choses dans le précédent ; il s’en passe encore beaucoup dans celui-ci : Audrey Alwett déborde d’imagination et accumule les trouvailles en tous genres : objets animés (j’ai bien aimé tout ce qui concerne les chaises, fauteuils – et cuvette de WC– très drôle), êtres fantastiques comme ces personnages qui se transforment en Allégories, géographies incertaines… Les allégories ne sont que l’un des clins d’œil aux études littéraires qui fourmillent dans ce roman, lisible sans doute par les adultes mais peut être par des collégiens, qui pourront chercher dans le dictionnaire ce que signifie « peccante », attribué je crois à une poire ici (!), anamnèse, ou bien voir où se trouvent les champs de mal d’aurore.
On retrouve aussi des thèmes plus convenus, typiques de ces histoires d’apprentis sorciers maladroits : l’école, ses administrateurs et ses professeurs (mais ici la tâche des enseignants est de ne surtout rien apprendre aux élèves en fait de magie), les compétions, les punitions, les infractions aux règlements menées par une bande de petits malins qui deviennent les amis du héros. Comme dans bien d’autres œuvres de ce genre, la supériorité morale du héros sur tous les autres, y compris ses amis, est aussi convenue que la malignité des enfants riches issus des classes supérieures, et le fait que les héros, certes pauvres, sont eux-mêmes issus de ces classes.

À défaut de films à grand spectacle, les jeunes lecteurs avides d’histoires d’apprentis magiciens et de merveilles trouveront ici une belle distraction et en prendront plein la vue.

Amour amour après quoi chacun court

Amour amour après quoi chacun court
Mélusine Thiry, Julie Guillem
HongFei, 2021

Il court, il court (le furet?)…

Par Anne-Marie Mercier

Le soleil se lève dans une chambre d’enfant, une petite fille accueille le jour tandis qu’un ours en peluche est sagement assis. De page en page, le jour grandit, jusqu’à la nuit, montrant différents animaux qui se précipitent (de la gauche vers la droite) vers l’être aimé, tandis que le texte, conçu de page en page sur le même modèle (lieu ou temps + nom de l’animal + verbe de mouvement + « vers qui le » + verbe) évoque successivement un décor (par-dessus les collines, de branche en branche, entre les buis, le soir venu), le nom de l’animal (oiseau, sanglier, licorne –eh oui, elles sont partout–, belette…) et le geste d’amour vers lequel ils volent : être caliné, cajolé, dorloté, embrassé, apaisé, chéri, enchanté.
Voilà de bien belles déclinaisons de l’amour, jusqu’au geste de bercer qu’attend l’ourson de la première page, que l’on retrouve ici à la fin, dans un dispositif en miroir, sur la dernière page où un père lit cette histoire à une petite fille.
Les illustrations sont délicates et douces, allant des tons pastel du ciel aux couleurs franches des végétaux. Le caractère répétitif de l’histoire est contrebalancé par la variété des dispositifs sur la double page : le texte, placé dans une bulle, est tantôt seul sur la page de gauche, tantôt inscrit ici ou là dans la double page, la bulle de la licorne est transparente… il y a de multiples détails aussi bien dans le texte que dans les images pour accompagner une histoire tendre pour le soir.

Feuilleter sur le site de HongFei (You tube).
Mélusine Thiry est vidéaste (voir son atelier). Julie Guilhem a un style très reconnaissable, raffiné, alliant tradition de l’illustration et innovation, sobriété et art de la couleur.

Une Pincée de magie

Une Pincée de magie
Michelle Harrison
Traduit (anglais) par Elsa White
Seuil, 2019

Littérature d’évasion

Par Anne-Marie Mercier

On pourrait prolonger le titre de ce roman : « Une Pincée de magie pour beaucoup d’aventures », par exemple, tant la magie, très en vogue dans la littérature de jeunesse est ici un détail qui déclenche l’aventure et permet résoudre (heureusement) la situation inextricable dans laquelle finit par se retrouver l’héroïne, et ses sœurs avec elle.
Betty vit avec ses deux sœurs (l’ainée, très jolie, et la cadette, très espiègle) et sa grand-mère qui tient une taverne dans un lieu désolé : les îles où elles vivent hébergent une prison (leur père y est enfermé pour escroquerie, leur mère est morte) et des bannis, libres mais malheureux. La plupart des habitants rêvent d’être ailleurs. Chacun rêve de d’évader. C’est aussi le cas pour Betty, prête à tout pour chercher l’aventure et voir du pays.
Ce qui commence comme une mini fugue d’enfants un soir de Halloween se poursuit en quête désespérée pour sauver les vies des jeunes filles, menacées par une malédiction, puis par la police des lieux, puis par un dangereux prisonnier évadé… Fantômes, souterrains, grottes marines, marais où volent des feux follets, mer dangereuse, tout est là pour effrayer (un peu) le lecteur dans un récit au suspens croissant. Mais l’ensemble est égayé par l’amour des trois sœurs, les facéties de la cadette, le lien qui les unit à leur pittoresque grand-mère et de nombreux personnages secondaires hauts en couleurs et très variés.

Il y a beaucoup de trouvailles, originales davantage par leur détail que par leur nature ; l’univers du conte y est recyclé avec finesse et la légende irrigue le présent au point d’être à son tour transformée par lui. C‘est aussi une belle métaphore de la lecture et de ses pouvoirs, de ce que la connaissance d’histoires et de légendes anciennes donne comme prise sur le temps et sur son destin. Les trois sœurs ont-elles simplement inventé toute cette histoire ? Chaque lecteur s’en fera une idée.

Collection Mon petit livre sonore

Collection Mon petit livre sonore
Didier jeunesse

Jouer, écouter, feuilleter

Par Anne-Marie Mercier

Berceuses pour mon petit amour
Berceuses pour mon petit chat
Lucia Calfapietra (ill.)
Didier jeunesse, 2020

Je découvre les Comédies musicales
Je découvre le Jazz
Liuna Virardi (ill.)
Didier jeunesse, 2019

 

La collection « Mon petit livre sonore » de Didier jeunesse compte déjà près de trente titres, ouvrant les enfants à des univers sonores variés. Berceuses en différentes langues, comptines, bruitages, œuvres de musique classique (Chopin, Mozart, Beeethoven, des extraits de Casse-Noisette…), sont donnés sous formes de mini anthologies cartonnées, chaque double page proposant un bref échantillon sonore.
Toutes ces « vignettes » musicales sont déclenchées en appuyant sur une pastille argentée placée dans l’illustration, facilement repérable et ne demandant pas de dextérité ou de force particulière, donc dans un dispositif tout à fait adapté aux enfants.
On trouve sur le site de l’éditeur des échantillons de musiques et images : Berceuses pour mon petit amour et Berceuses pour mon petit chat proposent des titres bien connus (Dodo m’amour, Schlaf Kinden Schlaf, Frère Jacques, Anicouni, Go to sleep my baby, Dodo, Do l’enfant do, la minèt, C’est la cocotte blanche, Toutouig, Arroro mi nene…) et sont illustrés avec beaucoup de douceur et des motifs animaliers par Lucia  Calfapietra.

Quand ce n’est pas le moment d’aller dormir et d’écouter des berceuses dans toutes les langues, on trouve dans cette collection des livres sonores autour de styles musicaux plus toniques et a priori destinés aux adultes. Le volume consacré au Jazz permet d’entendre les voix d’Ella Fitzgerald, de Frank Sinatra, de Fats Waller, et les ensembles des Delta Rythm Boys et de Slim et Slam ; beaucoup de voix d’hommes, des airs aux rythmes rapides (le « cheek to cheek » de Sinatra faisant un peu exception). On a davantage de voix féminines dans les airs des Comédies musicales, la seule exception étant celle de Gene Kelly dans Chantons sous la pluie. Celle de Julie Andrews illustre des airs célèbres, le « Do ré mi » de La Mélodie du bonheur, « I could have danced all Night » de My Fair Lady, et on entend celle de Julie Garland dans « Over the Rainbow » du Magicien d’Oz. Les couleurs sont éclatantes et les illustrations bien reliées aux thèmes des chansons et à leur esprit. Les airs sont tous chantés en anglais; c’est aussi le cas dans le volume sur le Jazz.
Tout cela pétille et donne envie de réentendre ces airs fameux et de les entonner soi-même : chacun peut ainsi participer à sa manière, en contemplant et écoutant, feuilletant, déclenchant les airs, chantant….

 

 

 

La Bibliothèque de la forêt

La Bibliothèque de la forêt
Seoha Lim
Maison Eliza, 2020

Promenons-nous dans les bois : des livres à la place des loups ?

Par Anne-Marie Mercier

Le jour se lève et nous sommes invités à suivre de petits animaux (lapins, écureuils, et d’autres aussi, pas plus gros qu’eux) qui suivent un chemin dans les bois, pour se rendre à la bibliothèque : disposés dans des troncs d’arbres creux, pendus aux branches, ou simplement posés à terre, les livres les attendent et chacun en profite à sa façon, au sol, dans un hamac, en écoutant une histoire, en faisant des cabanes, tandis que d’autres encore regardent un spectacle de marionnettes ou participent à un atelier de dessin.
Et le soir tout le monde rentre chez soi.. avec un livre.
Les illustrations, aux crayons de couleur, proposent des teintes douces, des formes simples. Tout cela est joli et paisible.