Scarlett & Browne, livre 1: Récits de leurs incroyables exploits et crimes

Scarlett & Browne, livre 1: Récits de leurs incroyables exploits et crimes
Jonathan Stroud
Traduit (anglais) par Laetitia Devaux
Gallimard jeunesse, 2021

Bonnie and Clyde dans les sept royaumes

Par Anne-Marie Mercier

Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir d’abord travaillé chez Walker Books, un éditeur anglais de livres pour enfants, qui a donné à Jonathan Stroud toutes les ficelles du métier (c’est un peu ce qu’il dit d’ailleurs) et les recettes pour aligner les best-sellers, mais le fait est qu’il les accumule : après avoir écrit une trilogie de fantasy pour la jeunesse (Trilogie de Bartiméus), il a publié un vrai feuilleton avec Lockwood & Co (histoires de chasseurs de fantômes) aux titres évocateurs; le premier est attirant : « The screaming straircase » – l’escalier hurleur, il a dû bien s’amuser…). Cette série  va être reprise chez Netflix par Joe Cornish (Attack the Block, The Kid Who Would Be King, Adventures of Tintin: The Secret of the Unicorn).
Jusqu’ici publié en France chez Albin Michel (dans la collection Wiz, dédiée à l’étrange, qui republie en ce moment des œuvres de Stephen King), le voici passé chez Gallimard jeunesse, dans la collection grand format de romans pour ados, qui a accueilli bien des ouvrages devenus des classiques (curieusement, on voit que pour ses publications en Angleterre, il a publié d’abord chez Doubleday, puis chez Corgi avant que cette nouvelle série sorte chez Walker). La liste de ses récompenses est impressionnante (voir son site, qui fait bien sa publicité).
Mais les recettes ne font pas tout et il s’agit aussi d’être un écrivain, et Jonathan Stroud l’est effectivement. Je n’avais lu aucun des ses ouvrages jusqu’ici et j’ai été immédiatement convaincue par son talent pour créer un univers complet avec sa géographie, sa flore et sa faune (brrrr…), faire émerger ses personnages, lancer l’action, laisser de nombreux éléments dans l’ombre et parsemer son récit de petits éléments comme l’allure de la lune ce soir-là, la lumière sur un objet,… qui rendent vrais les récits les plus incroyables. J’ai aussi aimé le cadre étrange mi familier mi nouveau dans lequel son histoire se déroule.
L’Angleterre a été dévastée par une catastrophe, on ne sait pas exactement laquelle. L’île est divisée en sept royaumes (tiens, tiens…) et est en partie envahie par l’eau. La région de Londres est un lagon, Chelsea, Bayswater et Wandsworth sont des îles libres – Depuis (?) La Belle Sauvage de Philip Pullman (qu’on trouve aussi chez Gallimard jeunesse), une Angleterre aquatique semble s’imposer. Les autres villes sont organisées en citées plus ou moins policées, présentant différents niveaux de civilisation (donc plusieurs époques). Elles sont tantôt livrées à la barbarie, tantôt dirigées par un tyran, tantôt administrées par un conseil municipal, toutes peu accueillantes pour les étrangers ou les êtres différents, et elles ont bien raison, tant ce duo de héros sème la pagaille partout où il passe. .
Étrangère, Scarlett McKain l’est. Elle est aussi aventurière, rousse, écossaise, pilleuse de banques, meurtrière quand il faut (et même un peu plus), pourchassée. Différent, Albert Browne l’est malgré son nom conventionnel (et très anglais) : d’abord par sa fragilité et son air perdu au milieu des monstres qui peuplent les forêts, puis d’une tout autre façon. L’entraide est immédiate, montrant que Scarlett a tout de même un coeur malgré sa sauvagerie. l’attachement entre ces deux-là se fait très progressivement, attendrissement et agacement se mêlant chez la première, reconnaissance et perplexité chez le second.
Je n’en dirai pas plus, tant les événements s’enchainent de façon surprenante : c’est à savourer sans culpabilité.

Dans la cité électrique, tome 1 : Le Cercle des Veilleurs

Dans la cité électrique, tome 1 : Le Cercle des Veilleurs
Sarah Andrès
Gallimard jeunesse, 2022

Ombres du XIXe siècle

Par Anne-Marie Mercier

Londres, 1899: deux orphelins sont éduqués dans un pensionnat anglais assez chic. Qui paye leur pension ? comment sont morts leurs parents ? Pourquoi semblent-ils n’avoir aucune famille ? Voilà les questions que se pose sans cesse Oscar, 12 ans, premiers mystères. Puis s’ajoute le sens de l’invitation reçue par Oscar, qui lui demande de passer à travers un miroir, sans préciser lequel, à une date et une heure données de façon très précise. Puis les relations entre le Londres qu’ils connaissent et ce Londinium dans lequel ils débarquent, noirci par les cheminées d’une révolution industrielle agressive et marquées, encore plus que celle que l’on connait par l’injustice.
Les enquêtes se succèdent, les révélations aussi, à un rythme endiablé. Les bêtises de la petite sœur d’Oscar se succèdent aussi, de façon un peu lassante pour le lecteur adulte, de même que les réactions de la fillette qui les accompagne, tout aussi prévisibles que des formules toute faites. Mais les jeunes lecteurs, d’abord attirés par une très belle couverture noire et or, y trouveront sans doute matière à rêver car les scènes où l’électricité entre en jeux sont… éblouissantes.

Aliénor, fille de Merlin, 1ère partie

Aliénor, fille de Merlin, 1ère partie
Séverine Gauthier,
L’école des loisirs (neuf), 2021

L’enchanteur pourrissant ?

Par Anne-Marie Mercier

La légende de Merlin est ici bien revisitée, et mise à disposition de jeunes lecteurs à travers le personnage inédit de sa fille, Aliénor. C’est elle qui a le rôle principal, son enchanteur de père étant mis rapidement hors circuit, tué par un cri de mandragore, et ne subsistant que sous la forme d’un fantôme, fort envahissant au demeurant. Lorsque l’histoire commence, Aliénor parcourt la forêt et les champignonnières, lassée des leçons sempiternelles de Merlin sur cet écosystème et l’on peut se demander si cette omniprésence des champignons a un rôle autre que parodique.
Parallèlement, on suit l’histoire d’un ami d’Aliénor, le très jeune Lancelot, qui vit encore chez sa maman adoptive (Viviane, la dame du Lac) : le cadre arthurien est donc en partie mis en place, avec la forêt de Brocéliande et les fées rivales qui la hantent (Viviane et Morgane), toutes deux liées à Merlin par d’anciennes histoires.

Aliénor a pour mission de gagner la confiance de Morgane afin de trouver un sort de résurrection pour son père. Les descriptions éblouies de la maison de la fée et de ses pouvoirs ajoutent du merveilleux à une histoire qui met en scène de nombreux conflits de loyauté entre parents et enfants, tradition et modernité. Le récit est drôle, bien enlevé, et le suspense reste entier à la fin du premier volume : l’enchanteur vieillissant reviendra-t-il à la vie ou devra-t-il céder définitivement le pouvoir et sa fille aux femmes fées ?

La Clé des champs

La Clé des champs
Audrey Faulot
Gallimard jeunesse, 2021

La clef du succès

Par Anne-Marie Mercier

Le concours du premier roman, organisé par Gallimard jeunesse, RTL et Télérama, se révèle encore une fois une excellente idée : après avoir révélé pour sa première édition Christelle Dabos (La Passe-Miroir, 2013), puis Lucie Pierrat-Pajot (Les Mystères de Larispem, 2016) et Kamel Benaouda (Norman n’a pas de super pouvoir, 2018), il met en vedette Audrey Faulot, avec un roman original et sensible.

La narratrice, Robine Larcin (nommée Robine en hommage à Robin des bois, le voleur généreux), appartient à une famille de voleurs célèbres. Le monde dans lequel se déroule son histoire n’est pas tout à fait le nôtre. On y découvre une société de voleurs, avec ses propres règles et ses traditions, qui vit cachée dans un monde semblable à celui que nous connaissons, un peu comme dans Harry Potter les Sorciers peuvent côtoyer les Moldus. Les jeunes gens y sont éduqués à leur manière et apprennent les techniques et l’histoire du vol sous toutes ses formes. Ils sont soumis avant d’entrer dans l’âge adulte à une épreuve d’initiation qui consiste à voler un objet sans aucune aide extérieure en un laps de temps court. Celui qui échoue est mis au ban de la société, relégué dans le monde des « Marchandeurs » (ceux qui obtiennent ce qu’ils désirent en payant), les Moldus en somme.
La malheureuse Robine est à l’image de tous ces enfants précédés par des frères ou sœurs brillants et parfaitement adaptés à leur monde et au désir de leurs parents alors qu’eux-mêmes ne se sentent pas à la hauteur et n’en ont aucun désir. Heureusement pour la morale du livre, Robine n’aime pas voler et elle préfère fabriquer de ses mains ce qu’elle ne peut acheter. C’est heureux aussi pour l’intrigue car son inadaptation et sa manie de poser des questions lancent l’histoire et la dynamisent.
Après une gaffe plus grave que les précédentes, elle est envoyée dans un pensionnat-école de jeunes voleurs, sa dernière chance pour se remettre dans le droit chemin selon ses parents. Elle y rencontre d’autres enfants placés là pour des raisons différentes, apprend peu à peu l’histoire de chacun, apprivoise difficilement ses ennemis – qui regroupent au début à peu près tout le groupe –, se fait non des amis mais des personnes avec lesquelles elle crée un lien. C’est un livre très juste sur les relations entre adolescents, les groupes, les rapports avec l’autorité, la délation et la solidarité.
C’est aussi une variation drôle sur le thème des « college novels » rendus populaires en France avec Harry Potter : toutes les disciplines (mathématique, culture, sport, chimie…) sont mises au service des différentes techniques de vol ; le directeur, les professeurs et surveillants, souvent un peu bizarres font une belle galerie de portraits, et les couloirs nocturnes permettent des rencontres inquiétantes.
Le college novel se fait rapidement roman policier quand la Clef des champs, relique précieuse conservée dans le bureau du directeur est dérobée. Pour sauver un camarade injustement accusé, Robine propose au terrible directeur de mener l’enquête et de lui amener le coupable. Pour cela, elle devra interroger de nombreuses personnes, suivre une multitude de fausses pistes, s’aventurer dans un village de marchandeurs, tout cela sans rien voler car elle en est incapable. Comble du paradoxe, sa seule escroquerie sera de passer son initiation avec succès en se voyant attribuer le larcin d’une autre qui de son côté sera bien contente de le lui faire endosser.

De nombreux rebondissements, des personnages originaux et attachants, un monde décalé avec humour, tout cela fait un cocktail parfait auquel s’ajoute la touche indispensable de l’animal totem aimé (une pie, bien sûr).

La Passe-miroir, 1 : Les fiancés de l’hiver

Les mystères de Larispem, t. 1 : Le sang jamais n’oublie

Le Roi et l’enfant

Le Roi et l’enfant
Fabrice Colin, Eloïse Scherrer
Sarbacane, 2021

Du conte au roman

Par Anne-Marie Mercier

Un vieux roi dont tous les soldats sont partis en guerre part pour une destination inconnue en n’emmenant avec lui qu’un palefrenier, un orphelin qui n’a que dix ans. Ils font de nombreuses rencontres, et l’enfant doit devenir chevalier pour défendre son roi…
Il y a du conte dans cette histoire d’enfant bizarre qui a pour amis des chevaux, une grenouille et une cigogne, il y a de l’épopée médiévale dans le portrait de ce vieux roi isolé, il y a du roman dans toute l’histoire, et notamment dans sa fin, un peu convenue.
La richesse confine parfois au trop et l’album souffre un peu de toutes ces directions, avec des ellipses qui pourront dérouter les plus jeunes lecteurs. Mais on y retrouve un petit air de fantasy bien dans l’air du temps. Si les illustrations d’Eloïse Scherrer sont  saisissantes dans les moments épiques et mettent bien en valeur de belles rencontres comme celle d’une ourse et de ses oursons, elles prennent un style étrangement désuet en fin de volume, comme pour souligner le décalage entre les différents univers.

 

Le Grand Tour

Le Grand Tour
Sandrine Bonini
Thierry Magnier, 2021

Grand voyage en terres imaginaires

Par Anne-Marie Mercier

C’est d’abord un très joli livre que le premier volume de cette saga de Sandrine Bonini, avec sa couverture d’un très beau bleu (bleu persan ?) sur laquelle se dessine en or les contours de la carte du pays où se déroulent les quêtes, un pays d’archipels et de continents, de bois et de montagnes. L’intérieur du livre poursuit cet enchantement avec de nombreux dessins imprimés en bleu, toujours de l’auteure, et avec des pages de texte imprimées en blanc sur fond bleu.

Nous voilà conditionnés à « embarquer », au propre comme au figuré : le lecteur suit trois personnages partis pour un périple maritime, l’un voulu, l’autre imposé et le troisième improvisé. Le jeune prince Arto est parti pour le « Grand tour » traditionnel qu’accomplissent les fils de famille haut placées pour voir le monde (comme les jeunes anglais le faisaient en Europe, au XVIIIe siècle) et faire briller le prestige du Duc et de leur propre famille. Mais en chemin, il opte pour un itinéraire plus aventureux et entraine dans les tempêtes tout l’équipage, dans un parcours qui l’amène vers les terres ennemies des Sinistres (c’est le nom donné au peuple de la rive opposée qui se tient prêt à en découdre avec les troupes du Duc). Siebel, la jeune fille qu’il aime, a été promise à son frère ainé et vogue avec celui-ci et son père, le Régent, dans un voyage d’ambassade, jusqu’au moment où tout bascule et où elle est envoyée seule vers le pays ennemi, sans bien savoir si elle joue un rôle d’otage, d’ambassadrice ou d’espionne. Aglaé, rompue aux exercices militaires, dirige un détachement de soldats, tous des garçons, qui acceptent mal son autorité. Ils sont envoyés enquêter sur une révolte dans l’une des mines du Duc. Elle découvrira l’envers de ce régime qu’elle soutenait et croyait jusque-là dévoué au bien de ses sujets ; enfin, elle partagera l’errance de révoltés, en trouvant refuge au pays des Sinistres.

De nombreuses aventures, des personnages aux parcours et aux caractères très différents (Arto n’a rien du prince idéal, il incarne un personnage imprévisible et « destructeur », Siebel est un peu naïve et « altruiste », Aglaé très volontaire, issue d’une famille déclassée, est une « idéaliste »), le cocktail est parfait pour tenir en haleine le lecteur Mais l’intérêt se double d’une présentation détaillée de coutumes des deux peuples qui vont, on le devine, s’affronter, dans leurs manœuvres politiques, diplomatiques et militaires, dans la volonté (ou non) d’accaparer les ressources naturelles du voisin et dans la réflexion sur ce que produit l’exploitation de ces ressources sur le plan humain, écologique et politique. Que les grandes familles, comme les intermédiaires, se voient signifier leur pouvoir par la possession d’un « bourgeon », pierre taillée qui indique leur rang, montre bien l’intrication de tous ces domaines.

C’est un premier volume parfaitement réussi qui met en place aussi bien le décor que les enjeux et lance les trois personnages dans des trajectoires convergentes… la suite au prochain volume (déjà paru) !

 

Un Palais d’épines et de roses

Un Palais d’épines et de roses
Sarah J. Maas
traduit (USA) par Anne-Judith Descombey

De la Martinière jeunesse, 2017

Épines nombreuses, roses en sucre

Par Anne-Marie Mercier

A priori, il y avait une belle idée – que l’on ne découvre qu’en lisant les premiers chapitres (plagiat inavoué, ou bien les futurs lectrices sont elles censés être incultes ?) : réécrire La Belle et la Bête en version fantasy pour jeunes adultes.
La famille est ruinée. La mère est morte. La plus jeune des trois filles se bat pour faire vivre la famille qui se trouve dans une misère noire, affamée et privée de tout. Elle chasse pendant que les deux autres se prélassent et que le père rêvasse. Pas très crédible, le conte l’était davantage. En chassant pour les nourrir, elle tue un énorme loup, qui s’avère être un « immortel » (?) métamorphosé. Elle doit en payer le prix et se livrer aux ennemis des humains, les Grands Fae. L’un d’eux, un très grand seigneur qui a pris l’allure d’une horrible bête, l’enlève et l’accueille dans son palais.
On devine très vite le jeu d’attraction – répulsion auquel l’auteure se livre. Des mystères, des monstres qui rôdent… Mais rien de tout cela n’est bien original et rien ne permet d’éviter les écueils d’une écriture lâche, bavarde et souvent niaise – et l’infortunée traductrice qui a fait ce qu’elle peut n’y est pour rien – : certes, c’est un roman écrit à la première personne, mais on aimerait  accorder davantage de crédit au personnage, qui ne cesse de préciser quelle expression elle prend, quel soupir elle pousse, quel ton elle adopte : c’est au mieux un scénario pour un film qui se permettra bien des longueurs.
C’est le premier tome d’une trilogie. L’auteure a publié auparavant Keleana, série en 5 volumes, traduite en 23 langues).

Pour revisiter le conte de La Belle et la Bête version ado ou même jeunes adultes, mieux vaut revenir à la très belle trilogie de La Passe-Miroir de Christelle Dabos.

Azul

Azul
Antonio Da Silva
Le Rouergue (épik), 2021

Vertiges peints

Par Anne-Marie Mercier

La littérature de jeunesse se montre souvent en recherche de légitimité, et on ne saurait lui reprocher de vouloir transmettre aux jeunes lecteurs, en plus du plaisir de la lecture et de l’accès à des textes bien construits et bien écrits, de la culture.
Azul semble vouloir remplir ce contrat par son sujet même : Miguel, un jeune lisboète, a le pouvoir d’entrer dans les œuvres des peintres, et même de les corriger, un peu à la manière de Pierre Bayard qui proposait d’améliorer certains chefs d’œuvres littéraires. Il s’agit de retoucher les faiblesses que l’on peut trouver dans de grands tableaux : une cheminée mal orientée chez Van Gogh, la joue d’une infante couverte d’une tache chez Velasquez…
Il s’y promène, glisse sur la neige de Brueghel, se fait des amis. Régulièrement il rencontre dans les toiles une jeune fille mystérieuse, April, qui vit à Londres et qui semble avoir le même pouvoir que lui ; une histoire d’amour s’élabore mais est vite concurrencée par des mystères inquiétants et le roman éducatif puis sentimental laisse la place au thriller, relayé parfois par une enquête policière. April est en danger et des personnages de peintures célèbres, comme La Joconde, sont maltraités. Pendant ce temps il se passe des choses inquiétantes dans la pension où vivent Miguel, Amalia qui l’aime, et Maria qui les a recueillis avec d’autres enfants. Lisbonne est frappée par un tremblement de terre, un ouragan, un incendie… Enfin, le monstre sanguinaire débarque dans la réalité de Miguel, et April et Amalia se rencontrent, que de rebondissements !
La parole est donnée, dans un même chapitre, tantôt à Miguel, tantôt à un narrateur extérieur  premier vertige. Certains chapitres intercalés présentent la vie d’un artiste de rue de Lisbonne, Franck Rio, en révolte avec les institutions, génie devenu faussaire et voleur de tableaux (le vol de la fondation Gulbenkian, c’est lui) et l’on ne comprend que tard le lien entre toutes ces histoires. La brièveté des chapitres, les sauts permanents d’une œuvre à une autre, le mélange des deux niveaux de réalité dans la vie de Miguel et sa rencontre avec la vie de Frank Rio, tout cela fait beaucoup et l’on est un peu étourdi par ces accumulations.
Ainsi, la culture ici n’a rien de facile. Pour le lecteur comme pour Miguel, entrer dans l’art demande un effort, et si pour le héros on n’en sort qu’au prix d’une souffrance, on ne peut dire ce qu’il en sera pour les différents lecteurs.

Atlas des lieux littéraires

Atlas des lieux littéraires
Cris F. Oliver, J Fuentes (ill.)
Traduit (espagnol) par Françoise Bonnet
Éditions Format, 2021

Embarquement immédiat

Par Anne-Marie Mercier

Plutôt qu’un Atlas, il s’agit d’un guide touristique : il propose différentes destinations pour lesquelles on indique comment d’y rendre, quoi mettre dans ses bagages, quels lieux visiter, où dormir, où manger, le moyen de communiquer avec les habitants, une géographie sommaire (de belles cartes stylisées, réalisées par J. Fuentes aident à se repérer), des renseignements sur l’économie, la religion ou le régime politique… Des conseils sur ce qu’on peut acheter et ramener chez soi comme souvenirs de voyages.
Il donne aussi divers conseils, et parfois insiste sur le fait qu’il vaudrait mieux ne pas se rendre dans cet horrible pays (ceux de 1984, ou de Hunger games, par exemple) ; si l’on passe outre, on bénéficie de quelques conseils de survie, tirés de l’expérience des héros des romans.
Tous ces éléments, courants dans les guides de voyage, sont bien plus complexes ici puisqu’il s’agit de pays imaginaires. En effet, même si on y trouve le Londres de Sherlock Holmes et les villes du sud de l’Angleterre fréquentées par les héroïnes de Raison et sentiments de Jane Austen, la plupart des lieux sont purement fictifs et souvent improbables : la majorité des romans sont des ouvrages de fantasy ou de science-fiction et souvent défient les lois d ela logique et de la géographie : Le Pays des merveilles de Carroll, La terre du milieu de Tolkien, le pays d’Oz, Le Château de Hurle, le Pays imaginaire de Barrie, Westeros, Poudlard, les Royaumes du Nord… A ces romans très connus s’en ajoutent d’autres qui le sont moins et que l’on découvre avec la grande envie de s’y plonger. L’ouvrage ne fonctionne pas comme une suite de résumés permettant de connaitre sans lire, mais comme une invitation à entrer dans ces livres.
L’auteure réussit un tour de force en résumant les conditions d’accès à ces pays en quelques lignes de manière précise et drôle : comment en effet se rendre au pays imaginaire d’Alice, dans celui de Peter Pan, ou bien à Lilliput et Blefuscu? Même chose pour le retour : par exemple, si vous décidez de faire un Voyage au centre de la terre, il vous suffira d’attendre qu’une explosion volcanique vous expulse.
Chaque univers est traité en quatre pages, dont une d’image, avec des rubriques qui varient d’un pays à l’autre : comment s’orienter, comment survivre, comment voyager, la flore et la faune… On voit que l’auteure connait parfaitement les univers qu’elle décrit et sait choisir les traits saillants, les incohérences, les merveilles. C’est souvent extrêmement drôle (notamment sur  Peter Pan). La dernière rubrique intitulée « le saviez-vous » donne des renseignements précis sur l’auteur, la conception de l’œuvre, la place de l’intertextualité ; tout cela est très intéressant.
À savourer de 7 à 107 ans.

Feuilleter sur le site de l’éditeur

 

L’Anti-magicien, t. 6 : Hors la loi

L’Anti-magicien, t. 6 : Hors la loi
Sébastien de Castel
Gallimard jeunesse, 2021

Le Bateleur et le mage

Par Anne-Marie Mercier

Voilà le dernier épisode de l’aventure au long cours qui voit un jeune homme, fils ainé d’une longue lignée de mages puissants, se détourner de la magie pour utiliser des armes tout aussi puissantes contre toute attente : l’art de la persuasion, l’observation, le bluff, la dissimulation, et quelques prouesses de rapidité et de précision. Ses armes sont des cartes et des pièces, parfois des dés, attributs de bateleur. Mais l’arme majeure de Kelen c’est son humanité et sa capacité à se faire des amis qui seront autant d’alliés, notamment dans la bataille générale qui clôt la saga, magnifique final qui réunit des personnages vus dans les tomes précédents, jusqu’à la grand-mère responsable de la malédiction qui le touche, morte depuis bien longtemps.
Au passage, on aura découvert des civilisations qui luttent les unes contre les autres, un empire théocratique fanatique qui s’interroge sur la nature de Dieu avant de fondre sur les impies, des vagabonds, des marchands, une reine enfant…
Cette fin met un point final à l’aventure principale, mais pas au destin du héros, qui reste ouvert. Elle révèle les manœuvres qui ont abouti au conflit général qui menaçait le continent et désigne le coupable (dont on taira le nom).
Kelen, enfant désespéré de ne pas être à la hauteur malgré son application, adolescent en révolte contre toute sa famille et même contre tout son peuple, s’affirme ici (enfin !) comme un adulte qui refuse d’être manipulé plus longtemps.
Très belle fin pour une belle série pleine de rebondissements, drôle (souvent grâce à l’ami de Kelen, le chacureuil, qui jusqu’au bout  tient bien son rôle de voyou sympathique et efficace), intelligente, et invitant les lecteurs à choisir autant que possible « la voie de l’eau » plutôt que « la voie de l’orage » et la belle philosophie de Furia Perfax, personnage magnifique, qui aura initié Kelen à son chemin fait de subtilité et d’intelligence, de courage, d’adresse et de force.