Le jour où je serai grande

Le jour où je serai grande
Timothée de Fombelle, Marie Liesse (photos)
Gallimard Jeunesse, 2020

Célébration

Par Christine Moulin

L’album Le jour où je serai grande est un magnifique poème qui adopte la forme ancestrale et mythique de la liste, pour célébrer les trésors que nous offre la vie mais que les enfants seuls savent regarder, à hauteur d’enfant. Comme la petite créature d’Andersen, Poucette parcourt le monde, mais elle part moins loin et limite ses découvertes, qui n’en sont pas moins merveilleuses, à ce qu’on peut voir dans une maison ou un jardin, grâce aux splendides photographies de Marie Liesse, la bien-nommée: c’est en cela qu’elle ressemble également un peu à Alice (une page évoque d’ailleurs « le goût des larmes salées »). Mais rien n’est vraiment effrayant ici (si ce n’est la rencontre avec une araignée qui, en fait, est là surtout pour « le plaisir d’avoir un peu peur… mais pas trop »). Au fil de la lecture, nous pouvons nous amuser à chercher Poucette qui tantôt se cache, tantôt nous fait face et semble nous inviter dans son univers. Ce qui est émouvant, enfin, c’est que le texte est une sorte de « Je me souviens » prospectif: Poucette, en effet, note tout ce dont elle veut se souvenir, quand elle aura grandi, à la différence des adultes indifférents. Loin de ce qui est censé nous remonter lourdement le moral, ce livre fait joie et s’achève sur un souffle, un « rien » qui dit tout.

On peut feuilleter le livre sur le site de l’éditeur.
Un entretien avec Marie Liesse

Où se cache ma fille ?

Où se cache ma fille ?
Iwona Chmielewska
traduit (polonais) par Lydia Waleryszak
Éditions Format, 2020

Broderies et handicap

 Par Anne-Marie Mercier

On cherche une petite fille dans toute la maison : chaque page présente un coussin, un meuble, une porte, un placard, un rideau, et toutes sortes de lieux enfin où elle pourrait se dissimuler. Ce n’est qu’à la fin qu’on la voit, cachée derrière une porte vitrée à mi-hauteur. La dernière page montre qu’elle est assise sur un fauteuil roulant.
Cet album propose une autre manière de voir le handicap : une enfant handicapée est d’abord une enfant. Le texte, à chaque double page, la décrit : parfois gaie, parfois triste, calme, ou vive, etc. en accompagnant ces adjectifs de comparaisons animales toutes charmantes et parlantes, parfois originales (triste comme un phoque, aussi maladroite d’un hippopotame), parfois non (forte comme un éléphant, lente comme une tortue).

Ces animaux sont représentés émergeant des lieux où l’on cherche l’enfant et la grande originalité de l’album consiste dans la nature des images : ce sont des photos de pièces de tissus cousues et brodées qui figurent l’ameublement de la maison. Les animaux évoqués par les comparaisons eux aussi sont de cette sorte, mais on les voit sur l’envers sur une page, et sur l’endroit à son envers, représentant alors un tout autre animal : la réversibilité du caractère de l’enfant est ici figurée par ces métamorphoses.

C’est beau, subtil, plein d’humanité. Toutes ces étoffes de récupération portent en elles de multiples présences. La broderie et la couture nous parlent d’un réel abimé à reconstruire. Le handicap de l’enfant n’en est qu’un des aspects, même si le regard porté par l’album sur ce point est essentiel. Voir la vidéo

sur l’auteur (site de l’éditeur):

« L’organza blanc et les chiffons qui ont servi à confectionner ce livre proviennent de diverses friperies polonaises important des vêtements d’Europe de l’Ouest. L’organza était sans doute le rideau d’une fenêtre. Les morceaux de caleçons, de taies d’oreiller, de rideaux, de mouchoirs, de pyjamas, de jupes longues ou de robes de fillettes, utilisés naguère quelque part par quelqu’un, ont été assemblés dans ce livre en un tout. J’ai la conviction que tous ces petits bouts de tissus renferment, d’une certaine manière, le vécu et l’énergie des personnes qui les ont portés autrefois. » (Iwona Chmielewska)
Iwona Chmielewska est une grande illustratrice polonaise, dont les images, tout en douceur, vont bien au-delà d’une simple interprétation du texte. Elle a remporté de nombreux prix, dont le Bologna Ragazzi Award en 2011, en 2013 et en 2020 (Prix Nouveaux Horizons), ainsi que La Pomme d’or de la Biennale de l’Illustration de Bratislava en 2007.
Ses livres sont publiés en Corée du Sud, en Pologne, en France, en Chine, au Japon, à Taïwan, en Italie, en Allemagne, au Portugal, au Mexique et au Brésil. Elle est connue en France pour ses albums : Les yeux, La Mésaventure, Dans ma poche chez Format.

A la recherche du Petit Chaperon Rouge

A la recherche du Petit Chaperon Rouge
Nadine Brun-Cosme, Maurèen Poignonec
Little Urban, 2020

Où est Ch… où est le loup?

Par Christine Moulin

Que voilà un format généreux! On imagine le plaisir de poser cet immense album d’un beau rouge, franc et massif, sur quatre genoux, deux appartenant à un enfant et deux à un adulte. Et chacun pourra avec gourmandise chercher pour les montrer à l’autre, le loup que le texte nous engage à guetter, le Petit Chaperon Rouge que le titre et l’exergue nous encouragent à chercher et tous les autres personnages de contes ou d’ailleurs qui envahissent les pages. Quel bonheur de se dire qu’il faudra forcément relire, scruter à nouveau ce livre puisqu’il est manifestement impossible de tout voir en une seule fois. Et puis une fois le vertige passé, on pourra aussi se concentrer mieux sur le texte de Nadine Brun-Cosme, qui accompagne la quête du Petit Chaperon Rouge et guide le lecteur en lui donnant des indices, tels de petits cailloux, qui lui permettent de reconnaître tel ou tel texte célèbre (ou moins célèbre). Heureusement, à la fin, un index illustré vient à la rescousse des mémoires défaillantes et relance la recherche! Le dénouement est celui de bien des histoires: un grand goûter, qui offre des friandises à profusion et permet au loup et à la petite fille de savourer leurs retrouvailles, assis entre Blanche-Neige et Peau d’Ane. Trop bien…

L’éditeur offre des fonds d’écran pour ordinateur ou téléphone, afin de continuer à rêver un peu.

La cachette

La cachette
Andrée Prigent
Didier Jeunesse, 2019

Coucou caché félin

Par Christine Moulin

La scénographie, minimale, se révèle diablement efficace. La double page présente une boîte, tel un castelet, dans laquelle on voit, jamais en entier, Yvette qui, comme son nom ne l’indique pas, est un chat, enfin, une chatte. Le décor autour de cette boîte évoque, de façon très épurée, un salon décoré de quelques plantes vertes et d’un coussin rouge à pois blancs. Tout l’intérêt réside dans le mouvement qui nous fait pénétrer dans la pièce grâce à un savant travelling: sur la poignée de la porte se pose une main. On aperçoit alors un chemisier rouge à pois blancs qui, en faisant écho au coussin, aspire le lecteur vers la boîte mystérieuse. Progressivement, l’espace va être envahi par cette présence humaine. Parallèlement, Yvette se cache, se montre, bref, fait le chat, sans jamais quitter son refuge. Le texte rythme le jeu (« Yvette, je vois tes oreilles », « Yvette, je vois ton dos »), jusqu’au silence, qui inquiète délicieusement: « Yvette, je n’entends plus rien. Tu dors? » Le carton disparaît pour laisser place à la belle révélation finale qui explique la réticence d’Yvette à sortir de sa cachette. Tout est doux, serein, naturel : la complicité entre l’homme et l’animal (qu’on devine dès la couverture), la joie de la naissance. Les illustrations rappellent, par leur lisibilité et leur charme, celles de Nathalie Parain (dont le premier ouvrage s’intitulait d’ailleurs Mon chat): la filiation est flatteuse!

PS: il est possible de feuilleter (en partie) le livre sur le site de l’éditeur

 

La Nuit est pleine de promesses

La Nuit est pleine de promesses
Jérémie Decalf
Amaterra 2020

Voyageur il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant (Machado)

 

Par Michel Driol

Quand la métaphysique, la poésie et la science se rejoignent, on a un superbe album comme celui-ci. C’est la sonde Voyager 2 qui parle, et qui raconte sa construction, son départ, son voyage à travers le cosmos, à la recherche d’autres vies possibles. Le soleil, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et ensuite ? Voyager 2, lancée par la NASA en 1977, tout comme Voyager 1, est une sonde destinée à explorer l’univers, en envoyant des données, mais elle porte aussi un message à destination d’autres formes de vie : des informations sur la terre, mais aussi de la musique.

L’album est de ceux qui ne laisseront pas indifférents ses lecteurs par la beauté des pages et des illustrations. De grandes pages noires, constellées de points lumineux, les étoiles, à l’image exacte de ce que nous avons quand nous regardons le ciel par une nuit étoilée : voici l’espace, dans son immensité qui donne le vertige. Et, comme un fil d’Ariane ténu, une minuscule sonde qui progresse, frôle des géants (Saturne, Neptune) avant de se retrouver dans le vide intersidéral. Portant toujours cette même interrogation : qu’y a-t-il plus loin ?

Si les images sont envoutantes, le texte, d’une grande sobriété poétique, – phrases courtes, groupes nominaux – fait alterner les interrogations et les constats de la beauté et de l’immensité du monde. L’une de ses forces vient de ce qu’il donne la parole à cet étrange objet qu’est la sonde. Invisible désormais, elle ne peut demander au terrien que de l’imaginer, perdue dans l’un des infinis pascaliens, preuve à la fois de la grandeur de l’homme dans son pouvoir technologique et de sa petitesse. La question initiale traverse tout l’album : qu’y a-t-il là haut ?

Un album qui parle à la sensibilité pour évoquer la façon dont la science tente de répondre aux questions fondamentales et sans réponses que se posent, au-delà des écrivains et des philosophes, tous les hommes.

N’hésitez pas à aller feuilleter le livre sur le site de l’éditeur : https://www.amaterra.fr/catalogue/la-nuit-est-pleine-de-promesses/

 

 

Quel est ce légume ?

Quel est ce légume ?
Anne Crausaz
MeMo, 2019

Des légumes ? Miam !

Par Anne-Marie Mercier

Quel est cet album?
un jeu,
un documentaire,
une aventure,
une encyclopédie,
un livre d’art ?
Tout cela à la fois!

Les légumes ne sont plus ces mets abhorrés de certains enfants (et notamment du fameux Zigomar de Corentin), mais des objets à contempler de près… et sans doute à manger, comme nous y invite la dernière page, tant leurs couleurs, matières, formes sont appétissantes sous le pinceau d’ Anne Crausaz dont on avait admiré les oiseaux .

Elle invite le lecteur à s’en aapprocher de très près, et à participer à un jeu de devinettes en suivant deux fourmis. L’une fait découvrir et l’autre, plus petite, qui joue le rôle d’un enfant, découvre ce monde. La plus grande donne quelques caractéristiques du légume, la jeune doit deviner ce que c’est avant que l’on tourne la page perforée d’un petit trou par lequel passent les deux fourmis.

Elles observent de l’extérieur et de l’intérieur le petit monde qu’elles découvrent : le dégradé du radis, la délicatesse de la tomate, mais aussi le navet, la betterave, les petits pois le poivron… tous forment une palette de couleurs superbes, sur beau papier avec une impression impeccable. Même chose pour les fruits, publié dans la même collection (encore bravo MeMo ! Et il faut aller voir leur site, beau et intéressant).

 

Le Ballon d’Achille

Le Ballon d’Achille
Marie Dorléans
Sarbacane, 2020

Souffler, jouer, voler

Par Anne-Marie Mercier

Sur un jeu de mot qui évoque le personnage d’Achille Talon, nous voilà loin du héros grec, avec un tout jeune garçon qui essaie en vain de gonfler un ballon dans une fête d’anniversaire.
Entre deux souffles, il se passe quelque chose de magique : Achille s’envole avec son ballon, rejoint les avions et les montgolfières, survole un château, retombe, remonte en regonflant son ballon, puis repart vers le nord, au pays des ours blancs, puis vers le sud, au pays des jonques, et ensuite dans la forêt des lions, et enfin rejoint la fête d’anniversaire. Il s’y retrouve, toujours avec son ballon vide à la main, exactement au point où il était au milieu d’amies narquoises qui ignorent tout de son « voyage ».

Le lecteur fait un beau voyage lui aussi, dans ces vastes pages au format haut, dans lesquelles le blanc domine et où les décors au crayon esquissent des idées de paysages plus que des paysages. Les couleurs, limitées à trois dans le voyage (gris-bleu et rouge ou brun et vert) ajoutent à l’aspect épuré et mettent en valeur le jaune éclatant du ballon et la multiplication des couleurs de la jungle et des oiseaux exotiques, anticipant le retour dans la scène d’anniversaire.
Achille a-t-il rêvé ? il semblerait que non, vu le cadeau qu’il apporte.

Drôle d’oiseau

Drôle d’oiseau
Philippe Ug
(Les grandes personnes), 2011

Envol

Par Anne-Marie Mercier

Quand de nombreux albums Pop-up sont de purs exercices de virtuosité, ceux de Philippe Ug ont quelque chose en plus :  une. Histoire, une progression, un rythme. Ici, c’est une histoire simple, proche des intérêts de l’enfant : la naissance dans un nid, dans trois œufs, de petits oiseaux, et leur découverte du monde avec leur maman jusqu’au moment où l’un deux, déjà différent s’avère être vraiment un « drôle d’oiseau ».

C’est au regardeur de noter la différence de couleur et de taille des œufs, et de comprendre que le singulier du titre et de la dernière page désigne le poussin violet au milieu des jaunes. Rien n’est dit, chacun peut se faire son histoire. Et le tout dans une explosion de couleurs toniques et de formes aériennes, superbes.
Et c’est encore plus beau « en vrai » que sur le site de l’éditeur où vous pouvez en voir quelques pages.
Pour les amateurs de soucoupes volantes et de petits hommes verts, Philippe Ug a publié en 2020 De l’autre côté des étoiles.

 

L’Inventaire des jours

L’Inventaire des jours
Luca Tortolini, Daniela Tieni
PassePartout,  2019

Humeurs de jours

Par Anne-Marie Mercier

En temps de confinement, on a tendance (pas vous ?) à trouver que les jours se ressemblent, en somme on ne voit pas le temps passer et pourtant il semble parfois long.

L’Inventaire des jours est un livre parfait pour la circonstance : il égrène toutes les petites différences d’un jour à l’autre, avec ou  sans grands événements, la densité des jours.
Merci à PassePartout de nous rappeler la  belle phrase de James Joyce: « Chaque vie, c’est beaucoup de jours, jours après jours. »

Les jours où l’on attend quelque chose, une nouvelle par exemple, les jours où l’on a froid, les jours perdus, les jours où l’on se réveille le matin après avoir rêvé très fort, les jours «tout emmêlés», les jours où l’on n’est pas vraiment là, les jours où l’on se quitte, les jours où l’on se retrouve, et les jours si beaux qu’on n’a pas besoin de mots pour les dire.
Tous les autres jours sont beaux si on peut les dire avec des mots et des images.
Tout cela avec de magnifiques images aux couleurs denses, aux harmonies subtiles et aux détails mystérieux. Les éditions PassePartout se sont fait une spécialité de ces albums délicats : nuage, l’arbre bleu…

 

Kiki en promenade

Kiki en promenade
Marie Mirgaine
Les fourmis rouges, 2019

Le failles du quotidien : à quoi expose le fait de promène son chien?

Par Anne-Marie Mercier

Un homme promène son chien. Il se déplace de la gauche vers la droite, avec constance, sur le fond blanc de la page, son chien derrière lui, sans un regard en arrière. S’il s’était retourné, il aurait vu son chien enlevé par un aigle, l’aigle chassé par un tigre. Après le tigre, au bout de la laisse, ce sont une chauve-souris, un renard, une pieuvre, une mouche, un serpent… jusqu’au moment où le chien tombe du ciel (lâché enfin par l’aigle ?) pour reprendre sa place au bout de la laisse juste avant le retour à la maison.

Fantaisie d’un imaginaire de Chien ou conte en randonnée qui transforme le banal en merveille ? il demeure que c’est une superbe variation graphique alliant diverses techniques  pour des effets de couleurs et de matières très subtils. (voir sur le site de l’artiste)

Les promeneurs d’animaux de ces temps confinés se rendent-ils compte de ce qu’ils mènent derrière eux ?