Lame de corsaire

Lame de corsaire
Nicolas Cluzeau

Gulf Stream (Courants Noirs), 2011

 La mer à boire

Par Matthieu Freyheit 

Pris en chasse par deux vaisseaux anglais, grevé par une série de meurtres à son bord, suivi par une mystérieuse malédiction, le Scylla, frégate française, fait sans conteste figure non seulement de personnage principal, mais également de point d’ancrage. Et le lecteur, qui navigue soudain entre Histoire, aventure et roman policier, en a bien besoin. Le Scylla, en pleine guerre d’indépendance américaine, transporte des armes et de l’or destinés à soutenir les insurgés, ce à quoi s’oppose bien évidemment l’Angleterre. Et ce n’est pas l’unique souci des hommes du bord. Une femme est assassinée dans chaque port où le navire fait escale, de quoi aiguiser la superstition des plus sages : la frégate est-elle vraiment maudite ? La série de meurtres perpétrés à bord ne fait malheureusement que renforcer cette hypothèse, tandis que les deux nouvelles passagères sèment encore un peu plus le trouble dans l’esprit de l’équipage…

On l’aura compris, Nicolas Cluzeau ne fait pas dans le minimalisme. Son site web nous invite même à plonger au cœur de son multivers. Oui, un dérivé d’univers, vous avez bien compris. Aventure, Histoire, récits maritimes, romans policiers, fantasy, Nicolas Cluzeau fait tout et refuse de choisir. Du coup, il faut suivre, et mener de front avec lui les intrigues et les genres. Eric Van Stabel est-il le fier capitaine que l’on croit ? Saura-t-il sauver son navire de la perte ? L’officier Christian de Saint Preux contiendra-t-il sa verve devant la belle Hélène de Montmagner ? Georges Verlanger, enseigne et poète, découvrira-t-il la vérité sur les meurtres perpétrés à bord ? Hélène de Montmagner est-elle aussi arrogante et suffisante qu’il y paraît ? Mais d’abord, qui est Hélène de Montmagner ?

Attention, n’allez pas croire que l’auteur ne fasse pas bien son travail. En dépit de la difficulté de l’entreprise, et malgré un début un peu long, l’ensemble est plutôt réussi. Le navire offre l’occasion d’un huis clos haletant, presque angoissant, la multiplicité des personnages donne une épaisseur certaine à l’intrigue policière, et l’écriture de Cluzeau, quoique trop ostensiblement riche en vocabulaire maritime, parvient à maintenir un suspens efficace. Presque jusqu’à la fin. Presque, seulement. Car si jusque là l’auteur a su se contenir, tout se termine dans un capharnaüm littéraire où s’effacent quelque peu la tension et le plaisir. Mais je n’en dis pas plus…

Henderson’s Boys, t. 4: Opération U-Boot

Henderson’s Boys, t. 4: Opération U-Boot
Robert Muchamore
Casterman, 2011

Plouf !

par Anne-Marie Mercier

Cette série raconte les aventures du fondateur de Cherub, l’école de jeunes espions qui a donné son nom à une série hélas désormais «culte».

Le cadre est celui de la deuxième guerre mondiale, dans la France occupée. Les jeunes gens sont très héroïques, l’ennemi très méchant. La possibilité d’être torturé est une obsession qui rappelle le goût des romans d’espionnage les plus douteux pour les scènes de ce genre. Seule originalité, le héros adulte est peu recommandable sur le plan moral, se saoulant et cherchant à séduire une de ses très jeunes coéquipières le jour même de la naissance de son premier enfant. Certes, Les adultes sont rarement des modèles en littérature pour adolescents, mais ici le problème est que ce personnage est Le modèle.

Ajoutons que les dialogues sont affligeants et que ce roman manque parfois de rythme et souvent d’intérêt.

 

 

 

 

 

Prisonniers du chaos

Prisonniers du chaos
Roland Godel
Thierry Magnier, 2010

Et si l’Apocalypse avait lieu en Corse ?

par Christine Moulin

prisonniers du chaos.jpgQuel étrange roman : cela commence comme Le Club des Cinq. Maxime, 15 ans, couvé par ses parents, est envoyé en vacances chez l’habitant dans une île (qui ressemble furieusement à la Corse), pour y apprendre l’autonomie. Sa famille d’accueil est composée d’une mère, d’une grand-mère et de deux enfants, Ange, adorable bambin, et Maria, la fille de la maison, à peu près de son âge. Comme on peut s’y attendre, les relations entre Maria et Maxime sont d’abord tendues, l’une étant persuadée, non sans raisons, que l’autre est un fils à papa (qui plus est, elle est obligée de lui céder sa chambre).

Bref, on nagerait en plein Enid Blyton si la grand-mère ne proférait quelques prophéties dont tout le monde, il est vrai, se moque : « Le ciel est devenu fou, je vous dis ! C’est le CHATIMENT ! Je l’ai toujours su : l’heure du Jugement dernier approche ». Et si une tache noire immense ne planait au-dessus du village…

Rapidement, les deux adolescents s’entendent de mieux en mieux et ils partent avec Ange, malgré les appréhensions de la mère de Maria, pour une excursion à l’intérieur du pays. Un orage arrive, une tempête abominable se déchaîne et les oblige à se réfugier dans une grotte. Quand ils en sortent, ils assistent à un spectacle de désolation : on croirait qu’un ouragan a tout détruit. Commence alors une odyssée catastrophique à travers la forêt pour rentrer au village, dévasté lui aussi. Des étapes qui semblent autant de « stations » initiatiques marquent leur chemin : rencontre avec un ermite, séjour dans un couvent, etc. Ils connaissent l’amour, le drame, la peur, la mort…

Bien, et alors ? La parenthèse se referme, la fin du monde a eu lieu mais la vie continue. A la fin, la tache noire a disparu mais selon les prédictions de Maria, « elle reviendra un jour ou l’autre […] elle attend quelque part, elle guette le bon moment pour recommencer à faire mal… ». Le lecteur se demande, intrigué, quel était, au fond, le propos de ce roman (que symbolise cette tache ? Symbolise-t-elle quelque chose, d’ailleurs ?), sans pour autant pouvoir l’oublier.

On peut toujours aller voir le site de l’auteur.

Mesdemoiselles de la vengeance

Mesdemoiselles de la vengeance
Florence Thinard
Gallimard jeunesse (folio junior),
2009

De cape et de plumes

par Anne-Marie Mercier

Les Demoiselles de la vengeance.gifFlorence Thinard dit elle-même qu’elle écrit avec un chapeau à plume (mental, bien sûr), et ça se voit. Son récit situé au 17e siècle reprend les ressorts du roman populaire de cape et  d’épée, son modèle est la série des Pardaillan.
L’originalité de son roman est qu’elle a choisi des héroïnes et non des héros et qu’elle a exploré à travers elles une large gamme de possibles : jeune ou vieille, européenne ou orientale, amoureuse ou sauvage, riche ou pauvre, belle ou laide, chaque femme a une raison différente de haïr l’horrible et très caricatural et très méchant pirate.
Il y a beaucoup de suspens, une belle exploration de la côte charentaise (avec les falaises de Meschers), et force coups d’épée ou d’autres armes plus féminines.
Ce n’est pas cependant un roman absolument féministe car il faut l’intervention d’un amoureux puis d’un fiancé (noble de surcroît) pour tirer les belles du guêpier où elles se sont fourrées. La plume se laisse porter par le vent de la cape…

Airman

Airman
Eoin Colfer
Gallimard jeunesse (folio junior), 2011

Monte Cristo revu par Jules Verne

par Anne-Marie Mercier

Eoin Colfer, Anne-Marie Mercier,aviation,mine,Gallimard jeunesse (folio junior)Non, Eoin Colfer ne fait pas que du « Artemis Fowl », il écrit aussi de merveilleux romans d’aventures qui puisent à la fois à la source du roman populaire et à la veine de Jules Verne.
Dans des îles au large de l’Irlande, un petit royaume qui pourrait être d’opérette, s’il n’y avait un soupçon d’histoire (la distribution des terres d’Irlande par le roi Henri II à ses chevaliers) et d’utopie : le roi Nicolas qui règne sur ces cailloux ingrats arrive à en faire un royaume bien gouverné, sauf que…
Sauf que, ses mines de diamants sont exploitées de façon indigne par de malheureux bagnards et son ministre, issu d’une lignée de Templiers, lui cache cette vérité et complote contre lui. Le jeune héros est pris au milieu de cette histoire et se retrouve au bagne, ne subsistant qu’en changeant d’identité et de mentalité et ne vivant que pour sa vengeance (on songe au Comte de Monte Cristo), pour son amour (il aime la princesse Isabella son amie d’enfance) et pour sa passion (inventer une machine volante).
Beaucoup de suspens, de péripéties et d’humour font de ce roman qui manie avec brio les contrastes et les genres une très belle lecture. Il paraît en poche après avoir paru en grand format (2008).

Vango, t. 2 : Un prince sans royaume

Vango, t. 2 : Un prince sans royaume
Timothée de Fombelle
Gallimard jeunesse (grand format) Jeunesse, 2011

Au galop, en train, en dirigeable… sur un air de romarin

par Anne-Marie Mercier

vango2.jpgEn écrivant sur le premier tome de la série, j’avais exprimé une certaine déception (voir plus bas). Le deuxième tome (et le dernier) est superbe et lève tous les doutes. Il va à toute allure, en train, en avion, à cheval… et toujours en dirigeable, d’Amérique en Russie en s’arrêtant en France, en Italie et en Ecosse. Il multiplie les péripéties et les coups de théâtre, croise les genres et les styles. Les thèmes du roman populaire (enlèvements, sombres complots, prince caché, retrouvailles…) sont brassés de belle manière ; on trouve aussi un zeste de roman de guerre (ici, la montée du nazisme, l’occupation, la résistance), un peu de roman d’espionnage (gentiment antisoviétique comme dans l’ancien temps…on ne va pas trop creuser sur ce plan), et une pincée de roman sentimental. Tout cela est brassé avec talent et avec des moments d’humour (le commissaire et sa vieille mère sont joliment traités). Enfin, si le livre est fort bien écrit, les derniers chapitres sont superbes et évoquent avec poésie et acuité le désespoir, le désir et la nostalgie.

 On ne racontera pas, c’est impossible de toutes façons. Les héros ont de la présence  et de la prestance : Vango, l’orphelin traqué, Ethel et la Taupe, les solitaires, Andreï le violoniste, le père Zefiro, Mademoiselle, Basilio, etc. et l’horrible V. Victor. Tous les personnages du premier tome reviennent, y compris ceux que l’on croyait perdus. Tous les fils se nouent, on traverse l’Europe en guerre pour remettre une lettre, les destins se recroisent et les mystères liés origines de Vango se dévoilent. Le livre se clôt sur une odeur de romarin qui faisait l’un des charmes du premier tome.

Revolver

Revolver
Marcus Sedgwick

Traduit (anglais) par Valérie Dayre
Thierry Magnier, 2012

North-ern

Par Christine Moulin

revolver.jpgSi l’action ne se déroulait pas dans le Grand Nord, dans une atmosphère glaciale, pure et étouffante comme celle des tragédies, on pourrait dire qu’il s’agit d’un western: le héros de l’histoire principale (il y a une histoire-cadre que je vous laisse découvrir), Sig, est un jeune garçon dont le père Einar meurt dès les premières lignes (« Sig regardait fixement le corps immobile de son père, attendant qu’il parle, et le père se taisait, car il était mort »). Einar, on l’apprendra, a été impitoyablement poursuivi, pendant toute sa vie, par une brute, un homme-ours (du nom de Wolff…) qu’il a trompé, dans une affaire d’or et de trésor. Appât du gain, batailles, ressentiment, vengeance, errance, violence, tout est là.

Mais comme dans tous les grands westerns, il y a plus: d’abord le froid, qui remplace la chaleur accablante de l’Ouest, minutieusement décrit, mordant et obsédant, qui fatigue mais parfois galvanise, qui tue aussi; ensuite, l’arme qui a donné son nom au roman: omniprésente, à travers notamment des citations qui scandent les chapitres, objet de peur, de fascination, elle semble pouvoir précipiter le dénouement et pourtant… Et surtout, il y a les personnages. Dotés d’une psychologie, d’une personnalité, d’une voix, ils représentent en même temps des valeurs qui vont s’affronter au moment du dilemme auquel sera confronté le héros: d’un côté, celles de son père, la ténacité, le courage, la volonté farouche de défendre les siens; de l’autre, celles de sa mère, l’amour, la valeur du pardon, la Foi, l’Espérance, les deux univers se rejoignant dans un même précepte, difficile à interpréter et à incarner: « Apprends ce que tu pourras sur le monde ».

Le roman est servi par une chronologie complexe mais efficace et par une langue incisive: Valérie Dayre en traductrice, excusez du peu! On peut donc se délecter d’une écriture acérée, émaciée, parfaitement congruente à son objet, qui sait rendre haletantes les actions (« Elle était à mi-chemin du chenil quand elle entendit le coup de feu.
Un coup unique, qui retentit dans toute la vallée pétrifiée par le gel, de la cabane jusqu’au Giron.
L’écho revint en secouant un peu de neige au faîte des arbres, et les corbeaux prirent leur envol. ») mais qui sait aussi donner à ces actions un arrière-plan tragique, voire métaphysique (« Dieu détourne-t-il les yeux quand il arrive de vilaines choses? Ou reste-t-il à observer en s’interrogeant sur l’évolution de sa création? Secoue-t-il la tête tant sont grands son chagrin et sa déception? Ou sourit-il? »).

Tant il est vrai qu’au moment de choisir, il s’agit toujours au fond, de savoir qui on écoutera au fond de soi, car « même les morts racontent une histoire ».

PS : une belle analyse de ce roman sur le blog Les riches heures de Fantasia.

11 contes des îles

Thierry Delahaye
11 contes des îles

Flammarion jeunesse, 2011

D’île en île – comme de texte en texte

par Dominique Perrin

 

Des dieux « pêcheurs d’îles » de la mythologie japonaise à la fiction documentée de Dumas sur l’île d’If, de l’épopée des Argonautes aux embardées des quêteurs de trésor de Stevenson, des explorations irlandaises de saint Brendan au dernier coup d’éclat du gouvernement des Maldives – en passant, bien sûr, par le mythe des Atlantes, le roman de Robinson Crusoe, l’histoire nourrie de mythes de l’Ile de Pâques, les relations de voyages plus ou moins véridiques touchant à Tahiti, et de façon moins attendue, aux amazones habitantes « d’un grand fleuve du Brésil »… les « 11 contes des îles » présentés par Thierry Delahaye ont tout de passionnant, pour le collégien comme pour le lecteur le plus aguerri.
La diversité des personnages, des lieux et des temps n’a ici d’égale que la diversité de statut des récits rassemblés, d’abord présentés sur un mode encyclopédique puis rendus sur un mode plus ou moins littéraire, toujours avec une grande concision. C’est là que se loge, du moins au premier abord, une forme de déconvenue pour qui se fie au titre de l’ouvrage : la narration n’est en fait jamais celle du conte au sens propre du terme, et la condensation extrême appliquée en particulier à l’épopée des Argonautes apparaît fort dépoétisante. A l’usage pourtant, l’intérêt du recueil est précisément ailleurs : dans une approche quasi documentaire de l’ensemble des récits évoqués, dont la juxtaposition permet, parmi des perspectives historiques, géographiques, culturelles et anthropologiques extrêmement variées, une fort belle réflexion sur la diversité de leurs sources et de leur statut épistémologique – entre mythe, littérature, témoignage et archives.

Le Secret d’ Orbae (Le voyage de Cornelius, Le Voyage de Ziyara)

Le Secret d’ Orbae (Le voyage de Cornelius, Le Voyage de Ziyara)
François Place

Casterman, 2011

Coffre à trésors

par Anne-Marie Mercier

François Place,voyage,atlas  Casterman, Anne-Marie MercierLa nouvelle œuvre de François Place, Le Secret d’Orbae, n’est pas un livre, c’est  bien plus que cela : elle propose une nouvelle forme. C’est un coffret noir d’apparence mystérieuse dans lequel on trouve deux romans illustrés accompagnés par une carte de l’univers associé aux textes, et par des images illustrant certains de leurs épisodes, placées dans un portfolio cartonné et fermé par un lien. L’objet en lui-même est très beau.
Le contenu est lui aussi d’une grande qualité. L’ensemble renvoie à l’univers bien connu de l’Atlas imaginaire de François Place., auquel les deux héros des deux romans  appartiennent : Cornelius, l’homme du Nord, et Ziyara de Gandaa.

Le voyage de Cornelius imite les anciens récits de voyages ; le narrateur est un marchand et ses aventures sont reliées à sa quête d’un objet précieux – ici une étoffe, la « toile à nuage ». Plus que marchand, le protagoniste est un rêveur qui court après un idéal, recherche le défi et que l’amour même ne suffit pas à contenter.  La « toile à nuage » s’avère  proche de l’« étoffe dont sont faits les rêves » chère à William Shakespeare.
La quête de Cornelius lui fait sillonner le monde pour le plus grand bonheur du lecteur, qui retrouve les belles inventions de l’Atlas des géographes d’Orbae. De nombreuses rencontres, des dangers, des découvertes de civilisations étranges, tout cela rend le récit poétique et passionnant. Dans son périple il rencontre Ziyara ; il en tombe amoureux, mais la quitte cependant pour continuer sa quête.

Le deuxième roman, Le Voyage de Ziyara,  présente donc l’histoire de cette dernière, de sa naissance à sa nomination comme Grand Amiral, de sa gloire à son bannissement, de la rencontre avec Cornelius à sa recherche, au terme de sa disparition. Si les aventures de Cornelius sont essentiellement terrestres, celles de Ziyara sont essentiellement maritimes.
Ce roman est sans doute un peu moins réussi que celui de Cornelius et son intrigue plus décousue, pour deux raisons : le personnage principal en est moins complexe, et son moteur est la fuite, davantage que la quête. Néanmoins,  lire la même histoire racontée selon deux points de vue est très appréciable : l’un est masculin et l’autre féminin, l’un est terrestre et commercial, l’autre maritime et guerrier. Je conseille fortement de commencer par le voyage de Cornelius, cette première approche donnant à la seconde une ossature qui lui manque sans cela.

Les illustrations sont dans le style bien connu de François Place, tel qu’il s’est révélé dans l’Atlas : souvent proches de la miniature, d’une extrême précision avec des tonalités de coloris variées et toujours significatives, que ce soit sur un mode réaliste ou symbolique. Voir ces dessins en grand format dans les planches proposées par le portfolio est un plaisir nouveau. S’ils illustrent les épisodes des deux romans, ils donnent bien plus à voir encore. La lecture procède par va-et-vient entre les romans et les images, cartes ou illustrations : nouveau mode de parcours pour un nouvel objet, libre et foisonnant.

Vango

Vango
Timothée de Fombelle
Gallimard Jeunesse, 2010

Aventures solitaires

par Anne-Marie Mercier

On attendait avec impatience la nouvelle œuvre de Timothée de Fombelle, se demandant comment, après les deux très beaux volumes de Tobie Lollness, il allait pouvoir s’égaler et se renouveler.

Avec Vango, Timothée de Fombelle se renouvelle : plus de monde miniature (les humains de Tobie Lolness vivaient dans les arbres, pas plus gros que de minuscules insectes, terrifiés par tout : goutte d’eau, scarabée, etc.). Plus de fable politique. Plus de fable écologique. Nous sommes dans le monde réel, avec juste un décalage temporel : les années 30, et un arrière plan de vieilles révolutions, de vieilles guerres et d’une autre guerre qui se prépare en Allemagne. Ce ne sont plus les humains qui sont tout petits, c’est le monde : on voyage sans cesse entre la Sicile, l’Allemagne, l’Amérique et Paris. En bateau, chemin de fer, avion, dirigeable… Ces déplacements qui devraient être lents sont très rapides par une succession d’ellipses : on va vite, et on piétine en même temps.

Le héros, Vango (pour Evangelisto), est un enfant perdu, ou trouvé, mystérieux pour les autres comme pour lui-même. Le mystère de sa naissance ne sera que progressivement et partiellement levé à la fin du volume et introduira des éléments dignes des romans populaires les plus débridés : des îles, des pirates, des espions russes, des moines, un trésor, un château en Ecosse habité par de riches et jeunes châtelains, orphelins eux aussi… On ne sait pourquoi l’innocent et candide Vango est pourchassé, mais il l’est partout où il va. Le début du roman est emblématique. Il montre Vango, tout de blanc vêtu, couché à plat ventre sur le parvis de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, parmi d’autres futurs prêtres attendant leur ordination. En quelques secondes il est pris en tenaille entre des policiers l’accusant d’avoir tué son père spirituel et des assassins cherchant à l’éliminer. L’histoire ne s’embarrasse pas de vraisemblance : à chaque carrefour, les ennemis sont là, où qu’il aille, quoi qu’il fasse. C’est sans doute cette dimension paranoïaque qui fait le charme de cette histoire. Sans doute aussi l’étrangeté de ses personnages et leur extrême solitude.

Malgré ce charme, le roman agace et déçoit un peu. Il donne l’impression de partager avec ses modèles populaires le souci de « tirer à la ligne » et de multiplier les rebondissements pour faire attendre plus longtemps les suites à ses lecteurs (et vendre davantage de ces gros volumes). On y retrouve tous les ingrédients pour cette accumulation de pages pour peu de matière : enchaînements des dialogues, changements fréquents d’alinéas, etc. On est loin de la densité de Tobie.

Mais on est dans un autre genre, qui cultive la liberté et la complexité de l’intrigue. Les comparaisons sont sans doute mal venues. Bref, il séduira ceux qui n’ont pas lu Timothée, décevra peut-être les autres, à moins qu’ils ne cherchent autre chose, à moins que la suite ne soit plus dense et renoue tous ces fils un peu lâches. (A suivre…)