Le Papillon Voyageur

Le Papillon Voyageur
Susumu Shingu
Gallimard jeunesse, 2012

Quand le documentaire s’épure

Par Dominique Perrin

Un jour, pendant le bref été du Nord…

Œuvre d’un grand sculpteur, peintre à ses commencements, Le papillon voyageur évoque les six mois que dure la vie des papillons monarques. Parfaite épure documentaire, l’album réalise un équilibre rarement atteint, mais aussi rarement visé entre la transmission d’informations puissamment signifiantes sur le monde qui nous entoure et le pouvoir d’évocation dynamique de la double page illustrative à l’italienne. Si le thème visuel de la métamorphose et l’immense sobriété du texte rappellent les œuvres pionnières de Iela et Enzo Mari, l’intensité propre à l’enquête documentaire nue, dédiée sans médiation fictionnelle ni jeux de langage au mystère du vivant, apparaît ici indépassable. Ce livre, comme la pensée qui l’irrigue, est de toute beauté.

 

Les mythes grecs

Les mythes grecs
Anna Milbourne et Louie Stowell (trad. Nathalie Chaput)
Usborne,  2010

Que sont les dieux devenus?

Par Christine Moulin

mythes grecsCe livre est un « beau livre », rappelant par son format, par son poids et par sa couverture les livres d’étrennes du XIXème siècle, ceux-là mêmes qui descendaient rarement des étagères, parce qu’il ne fallait pas les abîmer. Est-ce le sort qui attend cet ouvrage?

On hésite. Les illustrations, nombreuses, sont belles sans être toutefois très « novatrices »: ne risquent-elles pas de paraître désuètes aux yeux de nos « djeuns »? . L’intention didactique n’est jamais bien loin, même si au fond, le dossier « Les mythes grecs en détail », à la fin, s’avère pratique. On y trouve de nombreuses listes récapitulatives (par exemple, « Les douze Olympiens », « La progéniture divine de Zeus », « Les héros et les monstres », etc.), une carte de la Grèce antique, un glossaire et une table de correspondance entre les noms grecs et latins des diverses divinités.

Les histoires, il faut l’admettre, peuvent paraître intéressantes car elles sont courtes et écrites dans un langage très accessible (la traduction aurait quand même dû appeler Ulysse… Ulysse et non Odysseus!). Cela dit, il est difficile de rendre les récits mythologiques ennuyeux!

En fait, le principal reproche que l’on peut faire à cet ouvrage, c’est de n’avoir pas su trancher: on n’est pas dans la parodie mais les dieux sont tristement démythifiés (dès la première page, on a plus l’impression d’assister à un épisode de quelque soap américain qu’à la genèse du monde: « Le Ciel tomba éperdument amoureux de la Terre, si bien qu’il s’enroula autour d’elle et jura de ne jamais s’en séparer. Au début, elle avait les mêmes sentiments »). La mythologie perd toute sa force et tout son potentiel d’émerveillement. Pour aller à la rencontre de ce qui constitue le fondement de la culture occidentale, les enfants méritent mieux.

 

D’où viens-tu?

D’où viens-tu?
Pronto
Seuil jeunesse (secrets de fabrication), 2012

Qui de la poule ou de l’oeuf?

Par Caroline Scandale

Ce documentaire jeunesse propose d’expliquer simplement l’origine des choses à la façon d’un imagier à rabats. Il se décline en six chapitres dont quatre concernent l’alimentation.

Si certaines origines paraissent évidentes, d’autres le sont beaucoup moins. Par exemple, la confection de la polaire à partir de bouteilles en plastique est propice à discuter du recyclage.  Quant à la provenance du fil de soie, elle permet d’évoquer son originale fabrication animale. D’autres encore familiarisent avec la biodiversité alimentaire,  les principaux matériaux et les différents milieux de vie…

En point d’orgue, le livre se referme sur la question existentielle « et toi d’où viens-tu? ». Pour tenter de répondre à ce questionnement déterminant, le rabat, quatre fois plus grand que les autres, est recouvert d’un papier miroir (de bonne qualité!) Le jeune lecteur se regarde… À qui ressemble-t-il? Mais surtout d’où vient-il? En soulevant son reflet, il découvre le ventre d’une femme enceinte… Les nouveaux modèles familiaux, les prouesses techniques de procréation médicalement assistée et l’adoption ouvrent le champs des possibles… Aux adultes de répondre… Bon courage!

 

 

 

Le Chat de Vallotton

Le Chat de Vallotton ; le peintre Félix Valloton et le groupe des Nabis
Jean Binder
Dossier documentaire de Christina Buley-Uribe
L’école des loisirs (Archimède), 2012

Nabi pour les petits

Par Yann Leblanc

Selon la formule de la collection, la fiction est un tremplin pour aller vers le savoir. Une histoire dont les images imitent l’esthétique des bois gravés montre une toute petite fille ramenant leur chat perdu aux Vallotton ; un dossier présente la vie du peintre et le groupe des Nabis. Tout cela est très bien fait, avec beaucoup de délicatesse.

Reste cependant une interrogation : l’âge de lecture du documentaire suppose un lectorat qui trouvera la fiction un peu enfantine.

Oh ! L’antiquité

Oh ! L’antiquité
Joe Fullman

Gallimard jeunesse (les yeux de la découverte), 2012

Ah! que d’images

par Anne-Marie Mercier

Toute l’antiquité.. enfin, celle qui s’enseigne en 6e, et c’est déjà beaucoup : de 8000 avant JC à 1550, Moyen-Orient, Afrique, Europe, Asie, Amérique et Espace du Pacifique.., une chronologie, un index, de belles photos en couleur, une maquette qui fait la part belle aux images, fidèle à l’esthétique des collections « découvertes » de Gallimard.

Mais c’est aussi une ouverture sur la modernité : on peut compléter la lecture et naviguer grâce aux liens internet proposés sur le site des éditions, télécharger des images, etc.

Espions

Espions
Meredith Costain
Traduit (anglais-Australie) par Valentine Palfrey
Gallimard jeunesse (discovery), 2011

 Une collection, des thèmes classiques et d’autres moins

Par Anne-Marie Mercier

Qu’est-ce qu’un espion ? les espions à travers l’histoire, les Rosenberg, Mata Hari… codes et messages chiffrés, KGB, M15, CIA… Mythes et réalités sont présentés avec une maquette efficace proche de la collection Gallimard – découvertes, de belles photos et de courts textes.

On peut s’interroger sur cette vogue du thème des espions (en fiction comme en documentaire), publié ici dans cette collection au même rang que les château forts, dinosaures et autres classiques du documentaire pour la jeunesse. L’homme de l’ombre serait-il le héros moderne, reléguant aux oubliettes les anciennes valeurs héroïques ?

Un Monde en couleurs

Un Monde en couleurs
Philippe Nessmann
Gallimard jeunesse, 2011

 Couleurs du monde et du temps

par Anne-Marie Mercier

 Bleu, rouge, jaune, vert… d’où viennent les couleurs, à quelle époque certaines ont-elles été employées et pour quoi ? quelles sont leurs tonalités, leurs effets (le bleu est pensif , le rouge vivant…).

On retrouve dans ce documentaire la veine des écrits de Michel Pastoureau : les couleurs sont prises aussi bien dans la nature que dans l’art, les objets quotidiens, les vêtements et les symboles comme les drapeaux et sont vues dans leur contexte historique et géographique. C’est un bel ouvrage, précis, facile à parcourir (maquette bien faite), qui parle à travers les images plus que par les textes, et beau, enfin par la grande qualité des reproductions.

Une Nuit, loin d’ici

Une Nuit, loin d’ici
Julia Wauters

Helium, 2011

 Nuit et jours

par Anne-Marie Mercier

Le bestiaire est l’objet de variations infinies. Ici, la forme est originale : les animaux sont classés par régions, chacune se dévoilant sur trois doubles pages organisées de façon similaire : la nuit ( les chauves-souris côtoient le Papilio Rex et la néphile du Kenya), le petit jour, le matin. Le texte énumère les animaux présents sur l’image et le jeu consiste à les identifier, avant de les retrouver tous présents sur les pages finales.

Mais le charme particulier de cet album tient à la présence de feuilles transparentes qui voilent certaines parties de l’image, les découvrent progressivement et font vibrer les couleurs. Voir les images.

Sequoyah

Sequoyah 
Frédéric Marais
Thierry Magnier, 2011

 Sequoyah   (1770-1843) : ceci n’est pas un arbre

Par Anne-Marie Mercier

Ceci n’est pas un arbre, ce n’est pas non plus un « pied de porc », bien que ce soit le sens littéral de ce mot en langue cherokee. C’est un enfant de cette culture, confronté au handicap, puis c’est un adulte qui invente, après un long travail, le syllabaire cherokee. Les deux histoires se succèdent, mettant chacune en valeur la solitude et l’obstination de ce héros très particulier.

Toutes deux se déroulent dans un décor de western sombre et stylisé (noir et bleu, noir et vert, gris…) où le personnage ocre se détache fortement. Les images empruntent aux scènes de western par leur cadrage, par les angles de vue et l’utilisation de la profondeur de champ. L’album est superbe; c’est une belle réalisation de Frédéric Marais (qui vient d’illustrer chez Sarbacane un album de Dedieu, La Guerre des mots).

Les lecteurs français découvriront ainsi ce héros de la culture cherokee (il semble qu’on ait donné son nom à l’arbre et il est avéré que de nombreux lieux en Amérique portent son nom) et de la culture tout court. Il verront aussi ce beau syllabaire de 85 articulations, reproduit en entier dans les dernières pages. Autant dire que c’est un album qui devrait être entre les mains de tous les écoliers.

Sur Wikipedia, un article bien documenté.

 

Professeur Gamberge. C’est quoi, le piratage sur Internet ?

Professeur Gamberge. C’est quoi, le piratage sur Internet ?
Jean Schalit, Karim Friha
Gallimard Jeunesse (Giboulées), 2011

Le piratage, c’est mal ; et autres raccourcis

Par Matthieu Freyheit

« Gambergez avec le professeur Gamberge »… Autant vous prévenir tout de suite, le contenu est aussi recherché que l’accroche. Le professeur Gamberge, c’est un savant. Cheveux blancs, cravate et blouse blanche. Il sévit à la télévision depuis maintenant quelques années, et se décline désormais en une série de livres petit format d’une vingtaine de pages. Et tenez-vous le pour dit, le professeur Gamberge vous explique tout. De  « A quoi ça sert de voter ? » à « Pourquoi, quand et comment paye-t-on des impôts ? » en passant par « Les Canadair, comment ça marche ? » (??? j’avoue que ce dernier volume me laisse perplexe), les lecteurs, à partir de 7 ans selon l’indication donnée par Gallimard Jeunesse, ont droit à tous les poncifs bien-pensants habituels.

Celui qui nous intéresse, « C’est quoi, le piratage sur Internet ? », n’est pas en reste. Passons sur le style graphique déplorable. Passons également sur le scénario protozoaire – peut-être aurait-il mieux valu l’effacer complètement. Le livre conserve le mérite de vouloir aborder la question du piratage dans les multiples sphères qu’il concerne : économique, personnelle, politique, etc. Tout cela à l’aide de la classique métaphore selon laquelle Internet est un immense océan peuplé de navires en tous genres. Arrive la question du piratage. Pour le professeur, la chose est simple : les pirates informatiques, méchants et fourbes, sont prêts à tout pour s’en mettre plein les poches. D’où la question de fond posée par l’une de ses interlocutrices, symbole supposé du lecteur moyen : « Mais alors, c’est dangereux Internet ? ». Il fallait bien un livre pour en arriver là. Non, la rassure tout de même le professeur. Et celui-ci d’embrayer, index levé, sur l’injustice des téléchargements illégaux.

Vous l’aurez compris, je ne suis pas convaincu. Mais alors pas du tout. D’un manichéisme agaçant, le livre ne revient à aucun moment sur les origines sociales et historiques du piratage ou du hack, pas plus que sur ses divers enjeux et les différents acteurs qui en forment le complexe panorama. Bref, trop de morale tue la morale. Et à l’heure tardive où je referme ce livre, il me vient comme une soudaine envie de télécharger un film…