Les mystères de Larispem, t. 1 : Le sang jamais n’oublie

Les Mystères de Larispem, t. 1 : Le sang jamais n’oublie
Lucie Pierrrat-Pajot
Gallimard Jeunesse, 2016

Mystères parisiens

Par Anne-Marie Mercier

Ce premier roman de Lucie Pierrat-Pajot a été sélectionné, comme l’an dernier La Passe-miroir de Christelle Dabos, par le jury du concours du premier roman organisé par Gallimard Jeunesse, RTL et Télérama. Comme le précédent, il est le premier volume d’une série et est très original.

Il se situe dans le cadre d’une uchronie : la Commune de Paris a eu raison des Versaillais en 1871 et est devenue une cité-état indépendante. Elle a chassé les prêtres et les aristocrates, la profession la plus respectée est celle des bouchers qui ont mené l’insurrection ; leur argot, le louchebem a donné son nouveau nom à la ville. Ainsi, derrière ce titre imité des Mystères de Paris, on devine l’influence d’Eugène Sue et de fait le roman est rempli de ressorts du roman populaire (coïncidences, vertu malheureuse, complots, reconnaissances…). Jules Verne est lui aussi bien présent, comme personnage mais aussi dans la description des technologies de ce monde parallèle au nôtre, souvent inventives et charmantes.

Les mystères s’accumulent, une malédiction plane, l’Allemagne complote, les rues de Larispem sont sombres et pleines de dangers et nos héroïnes, bientôt rejointes dans l’action par un orphelin étrange, sont en danger…

 

La Passe-Miroir, t. 3 : la mémoire de Babel

La Passe-Miroir, t. 3 : la mémoire de Babel
Christelle Dabos
Gallimard jeunesse, 2017

Le labyrinthe des livres

Par Anne-Marie Mercier

Après l’enthousiasme provoqué par la lecture des deux premiers tomes (voir le 1 ou le 2), voilà une petite déception avec ce troisième volet. Tout d’abord parce qu’il n’est pas le dernier et que l’on espérait que tous les mystères seraient levés, ce qui n’est pas le cas. On a tout de même un début de réponse à la question « qui est Dieu ? », ce qui est important…

On retrouve aussi le talent de Christelle Dabos pour créer des espaces originaux, beaux, poétiques. La bibliothèque de Babel vue par elle est une petite merveille, une image de l’infini et la ville dans laquelle elle se situe prend corps nettement avec ses quartiers, ses monuments, ses moyens de déplacements, sa météorologie… L’école-pensionnat où Ophélie tente de gagner le droit d’entrer dans ce Mémorial est un micro univers sinistre à souhait, la compétition y est rude et ses efforts pour apprendre tout ce qu’elle ignore sont chaotiques.

Ophélie se bat aussi avec énergie pour retrouver Thorn et est longtemps déçue dans son attente, même lorsqu’elle le retrouve (la difficulté de communication entre ces deux-là va générer des volumes supplémentaires). Mais elle fait de nombreuses rencontres intéressantes, nous permet de méditer sur une civilisation où l’on veut gommer tout ce qui a trait aux guerres passées (thème curieusement assez fréquent dans les dystopies pour la jeunesse, voir par exemple Le Passeur de Lowry).

On devine enfin qu’au centre de tous les mystères il y a un livre pour enfant et que le « créateur » du monde des Arches (qui n’est pas ce Dieu là…) s’en est inspiré… Mais on n’en dira pas plus pour maintenir le suspens en attendant le(s) tome(s) suivant(s).

Dans la peau de Sam

Dans la peau de Sam
Camille Brissot
Syros (soon), 2017

Fille/garçon : échanges de corps, de rôles, de lieux

Par Anne-Marie Mercier

Prenez deux adolescents que tout oppose : fille/ garçon, Bien dans sa peau/ Mal à l’aise, populaire/ sans amis… Le versant positif, ou du moins favorable, est occupé par Charlie, jeune fille ordinaire, le versant moins favorisé par Sam, un garçon de sa classe dont elle se moque avec ses amies.

Tous deux se trouvent en même temps dans une fête foraine et entrent au même moment dans une machine qui provoque l’échange de leurs corps : chacun doit endosser la vie de l’autre, avec les aspects tragiques et comiques que l’on devine. Ils retrouvent l’inventeur de la machine et doivent attendre qu’il intervienne avant la durée fatidique des soixante-douze heures au-delà de laquelle la métamorphose sera irréversible…

Les relations entre garçons et filles, et plus précisément entre adolescents, sont un peu caricaturales mais néanmoins assez bien vues, comme leur vie scolaire et familiale, et la morale du récit est claire : se mettre dans la peau de l’autre permet de mieux le comprendre, de l’accepter ; chacun des deux apprend et le versant « positif » de l’histoire est bien remis en question.

Endgame, t.3 : les règles du jeu

Endgame, t.3 : les règles du jeu
James Frey et Nils Johnson-Shelton
Traduit (anglais, USA) par Jean Esch
Gallimard (Grand format), 2017

Jeux du cirque, le retour?

Par Anne-Marie Mercier

Une trilogie, le monde pour décor, un contexte pré-apocalyptique, un complot d’extra-terrestres cyniques contre l’humanité, des personnages jeunes, garçons et filles, de toutes les races, puissants et déterminés, engagés dans une compétition qui n’aura qu’un seul survivant, un rythme haletant, dû en grande partie à la technique des récits fragmentés et points de vue alternés… tous les ingrédients d’un Brest seller sont là.

On peut ajouter quelques ingrédients supplémentaires, comme une organisation proche d’un jeu de plate-forme, la liaison avec un vrai concours en ligne avec de l’argent à la clé qui devait s’achever en juillet 2017 si un lecteur avait trouvé la solution des énigmes…( je en sais pas si quelqu’un à gagné, le web étant discret sur ce point, peu importe).

Il n’est donc pas étonnant que la série ait eu du succès. Mais on se permettra quelques bémols. Tout d’abord, comme on vient de le dire, l’absence totale d’idée nouvelle, la nouveauté consistant à mixer des recettes existantes. Ensuite, le happy end facile, la morale sauve ( les joueurs tuent aveuglement des centaines de personnes mais se refusent à tuer une petite fille innocente  – ceux qui envisagent de le faire sont bien punis d’ailleurs) ; la terre est à moitié détruite mais la reconstruction est immédiate et l’amitié entre les peuples universelle (le lecteur dans ces dernières pages se demande : pour qui nous prend-on ?). Enfin, en lisant les aventures de ces jeunes gens rivés à leurs armes et trouvant une jouissance dans le sang et dans le combat, en s’interrogeant sur la nécessité qui pousse l’auteur à détailler la mort de chacune de leurs victimes et l’expression qu’elle a à son dernier souffle, on se dit que décidémment cette « littérature » rejoint un voyeurisme douteux et que, somme toute, entre ces héros proposés à l’identification et les sinistres assassins de masse dont les journaux nous parlent, la différence tient à peu de chose.

Chemins toxiques

Chemins toxiques
Louis Sachar
Traduit (anglais-Etat-Unis) par Diane Ménard
Gallimard jeunesse, 2016

 

Roman écolo-scolaire

Par Anne-Marie Mercier

Après avoir popularisé dans le fameux Le Passage un nouveau sous-genre romanesque, le roman scolaire en milieu de camp de travail, Louis Sachar propose ici un autre roman dont l’histoire est fortement ancrée dans un établissement scolaire et dont les protagonistes vivent des situations de danger dans un milieu sauvage. Ce collège prestigieux est situé au bord d’une forêt interdite d’accès – évidemment, des adolescents y cherchent paradoxalement refuge : on aura reconnu le thème fréquent de la forêt interdite, celle des contes, ou celle qui jouxte Poudlard, l’école des sorciers de Harry Potter.

Ici, le monstre est une mousse faite d’animalcules microscopiques créés par un savant à l’air très fou. L’intérêt du roman réside dans son suspens, ses récits, points de vue et temporalités alternés, mais aussi dans le portrait psychologique des trois adolescents et dans les profils scolaires que chacun incarne : la jeune fille effacée mais courageuse et altruiste, le garçon « normal » mais dans le fond assez lâche, et enfin le voyou qui terrorise et fascine tous ses camarades et cache une âme blessée.

Si ce roman n’est sans doute pas à la hauteur d’invention du Passage, il fonctionne bien et les passages qui se déroulent dans la forêt sont fascinants.

Scaraboy

Scaraboy
M. G Leonard
traduit (anglais) par Amélie Sarn
Seuil-jeunesse , 2016

Gros plan sur les coléoptères…

Par Marion Mas

Orphelin de mère, Darkus emménage chez son oncle Max après la mystérieuse disparition de son père, le directeur scientifique du Muséum d’Histoire naturelle de Londres. Il se fait rapidement trois amis : Bertold, Virginia et… un scarabée géant et étonnamment intelligent, qu’il baptise Baxter. Celui-ci semble adopter le garçon. En compagnie de ses nouveaux camarades, Darkus se met à la recherche de son père car, contrairement à la police, il est persuadé que celui-ci a été enlevé. La rencontre d’une femme étrange dans le département d’entomologie du muséum où son père faisait des recherches, la révélation que cette femme s’intéresse à la maison mitoyenne de celle de son oncle, la découverte, dans cette maison, d’une pièce remplie d’insectes mutants, achèvent de le convaincre.

L’intrigue, riche en rebondissements, se déploie sur fond de manipulations génétiques et de réflexion écologique. On peut regretter une écriture essentiellement composée de dialogues, qui, de surcroit, ne sonnent pas toujours juste. Mais l’originalité du récit tient au regard porté sur les insectes. Décrits avec une grande précision (un glossaire, en fin d’ouvrage, vient, le cas échéant, au secours du lecteur), dotés d’un rôle décisif dans l’intrigue, ils deviennent de véritables personnages, qui attirent la sympathie. Progressivement, en même temps que les jeunes héros, le lecteur apprend à se familiariser avec les coléoptères et à distinguer différentes espèces de scarabées. Et par-là, peut-être bien, qu’il apprend à regarder.

 

 

 

 

 

 

D’ici là. Un genre d’utopie

D’ici là. Un genre d’utopie
Christian Bruel, Katy Couprie

Thierry Magnier, 2016

O. L. N. I. (objet livresque non identifié)

Par Anne-Marie Mercier

Album ? récit illustré ? et si oui, de quel genre : science-fiction ? essai ? manifeste ? aventures… La réponse est : rien de tout ça ! Utopie !

Une utopie à laquelle on assiste comme des spectateurs au théâtre, plongés dans une action en cours, avec un décor juste esquissé, des images floues gagnées par la neige d’un écran futur qui nous rappelle d’abord les vieux écrans du passé, au temps où les télés dormaient la nuit, avant de se rapprocher, de manière plus juste, des films de caméra de vidéo-surveillance : cette aventure (car c’en est une) futuriste nous parle aussi de notre monde :

« Une ville tentaculaire du Vieux Monde, un peu avant midi.
Les quinze tonnes d’un fourgon aéroglisseur ordinaire stationnent discrètement aux abords de ce quartier classé sensible par la gouvernance. Resté seul dans la cabine de pilotage, un androïde semble désactivé. Pourtant son scanner balaye continûment le secteur pour détecter la possible approche d’une patrouille.I »

La petite barre après le point et avant mes guillemets n’est pas une faute de frappe, mais l’indication de la place de la souris en fin de double page : ce récit est en train de s’écrire sous nos yeux. Certains mots sont surlignés de vert fluo, comme pour suggérer des liens hypertextuels. Tandis que ce texte défile, inscrit dans des « pavés » de texte gris-bleu insérés dans les images, surgissent des notifications en carrés du même vert fluo, comme des bulles émergeant ça-et-là : définitions de mots (termes techniques, néologismes, mini bios de personnages, lois et traditions de ce monde). Tout cela s’inscrit sur les images de Katie Couprie, images originales pour un réel original, accompagnées d’autres images, images jamais vues et pourtant familières : icônes, tableaux ou photos célèbres. Toutes sont traitées par ordinateurs avec des effets de pixellisation forte qui nous dit bien que ces images viennent de loin, ont été prises en cachette, nous montrent ce que l’on n’aurait pas dû voir. Allez sur le site de l’éditeur pour voir en belle résolution ces images superbes et étonnantes

L’histoire, portée par de nombreux dialogues qui, comme au théâtre, nous font voir le monde par ce qu’en disent les acteurs, débute par une scène tournée en caméra cachée : une belle fille sert d’appât pour nourrir les « archives comportementales » qui montreront les manifestations de sexisme des derniers spécimens de machos avant leur extinction définitive – du moins c’est l’idée. L’héroïne, Sacha, est une jeune fille de 16 ans. Elle est indépendante mais proche de sa mère, une activiste comédienne qui la conseille parfois, ce qui donne une touche morale à l’apologie de toutes les libertés que propose le récit (seule règle : ne pas faire de mal à l’autre). Elle a beaucoup d’amis, les principaux étant un loup-cyborg, une femme-cyborg, un ex geek et une fille de son âge, Adriana, avec qui elle souhaite vivre,

La rencontre entre Sacha et Devil, un motard du groupe ennemi, les machos de « la Horde », est l’un des épisodes principaux de ce récit qui en propose plusieurs, chacun révélant un aspect de ce monde (hommes et femmes, amour, société…) : Devil, humain augmenté, devenu androgyne à son grand dam de motard appartenant à un groupe cultivant la virilité, est la pièce maitresse d’un complot contre la mémoire et l’imagination de l’humanité : en les inhibant, on consoliderait « le besoin de croyance, au détriment de la pensée créative. Ainsi se perpétueront la domination masculine, les religions, l’exploitation et le profit. » Si cet épisode manque un peu de vraisemblance (on ne voit pas bien comment un humain aussi « augmenté », retors et savant que Devil peut être berné si facilement par une toute jeune fille – certes, aidée de ses amis), la tension entre les deux personnages, l’attirance et la répulsion qui se mêlent et le pacte qui les lie en font un moment fort.

Mais plus forte encore est la peinture du monde en train de naître, c’est-à-dire la partie proprement utopique de l’ouvrage, qui est parfaitement cohérente, détaillée, séduisante : rapports entre hommes et femmes, ressources, communications, place des animaux, transports, architecture, tout est installé par petits détails.  La « Compagnie », la société dans laquelle vit Sacha, est une communauté de 78 personnes, âgées « de deux à cent quatre ans » – chacun y a sa place –, qui vit en quasi autarcie, se préoccupe de droit animal et est membre de l’une des fédérations qui composent un « réseau coopératif horizontal ». Sacha est belle son monde est beau : on a hâte, « d’ici-là », de voir se combler tous les fossés, tomber toutes les barrières, et en attendant on se délectera des belles images et des belles idées portées par ce livre « gonflé », exigeant, dont on aura compris qu’il n’est pas pour les enfants, ni pour les lecteurs paresseux, mais bien pour ceux qui veulent explorer de nouvelles manières de penser, de conduire un récit, de construire des mondes et des images.

S’il fallait rapprocher ce livre d’un autre de Christian Bruel, on choisirait Venise n’est pas trop loin, pour l’aspect puzzle, la complicité entre les personnages, le trouble des situations, la tension, et l’âge du lecteur ou de la lectrice. Et pourtant, cela n’a rien à voir, on est en dehors de tous les cadres. Les auteurs, qui ont travaillé longtemps sur ce projet ont créé un livre venu du futur, qui nous promet des lendemains heureux, quand le Vieux Monde sera définitivement entravé et nous donne une lecture présente heureuse, « d’ici là »…

 

 

Les Fugitifs du futur

Les Fugitifs du futur
Valérie Dayre et Pierre Leterrier
La Joie de Lire (« Encrage »), 2015

Enfants-cobayes

Par Clara Adrados

Des savants « fous », des adolescents charismatiques, des hackers, des squatteurs … une course poursuite entre les personnages. Tout est là pour faire haleter le lecteur, le plonger dans cette histoire. Et on y plonge la tête la première !

Achille et Yak sont deux neurochirurgiens de renom et semblent avoir utilisé leurs enfants, respectivement Mila et Ilam (des jumeaux) et Liam, pour mettre au point leur expérience. Malheureusement, les découvertes scientifiques sont toujours convoitées, et pas que par des gentils. Voilà donc l’intrigue dans laquelle nous plongeons, nous lecteurs.

Plongeons, parce que nous sommes directement happés dans le récit : un narrateur, dont nous ne savons que peu de choses, hormis qu’il connaît Mila et que c’est un agent-dormant, nous transporte dans cette histoire. Le lecteur doit reconstruire la chronologie des événements, replacer le narrateur dans l’histoire… et essayer de comprendre à qui ce dernier s’adresse. En effet, le lecteur est placé dans la position de témoin. Il est pris à partie par le narrateur qui s’adresse soit à lui soit à une instance légitimatrice. Le lecteur devient alors juge de l’histoire qui lui est contée. Le narrateur semble vouloir justifier ces actes et montrer leur nécessité.

On nous invite ainsi à réfléchir sur la nature des découvertes scientifiques et leurs bienfaits, sur la question éthique des expériences médicales, et l’utilisation que certains peuvent ensuite faire d’une découverte scientifique, née au départ d’une volonté de faire avancer le monde.

Un roman donc à dévorer, qui est édité dans la collection « Encrage » de La Joie de Lire. Les lecteurs imprégnés de culture cinématographique et adeptes de SF seront heureux de retrouver des références à ces mondes parallèles ou futuristes.

La Grande Forêt. Le pays des Chintiens

La Grande Forêt. Le pays des Chintiens
Anne Brouillard

L’école des loisirs (Pastel), 2016

Un Pays à vivre

Par Anne-Marie Mercier

Anne Brouillard construit ici tout un univers que l’on espère pouvoir explorer davantage très vite : la Grande Forêt n’est qu’une partie du Pays du Lac tranquille, à l’intérieur de Chintia qui comporte bien d’autres provinces : le Pays Lointain, le Pays Disparu, le Pays des Châteaux… mais aussi le Pays Comici, sans parler du Pays Noyé ou des îles qui l’environnent… Des cartes, soit générales, soit détaillées, nourrissent les « amateurs de cartes et d’estampes » et travaillent avec finesse la veine des pays imaginaires.

Les créatures qu’on y rencontre n’ont rien de trop extravagant ou terrifiant : un chien, Killiok, installé confortablement dans une petite maison où il prend le thé, son ami, un humain, Vari Tchésou (« magicien rouge », on ne nous en dit pas plus), qui devrait être revenu comme tous les étés et qui n’arrive pas, Véronica, une fille qui habite une grande maison, deux corbeaux qui parlent, des bébés-mousse, Monsieur Hysope, Suzy le cheval blanc, des jumeaux volants, le chat Miroir, le chat Mystère…

Il y a un peu de l’univers d’Alice dans la fantaisie des personnages et des situations, un peu du Vent dans les saules avec ces petites maisons de formes diverses très meublées et ces gouters répétés, une pointe de roman d’aventures avec les préparatifs de l’expédition, les sacs à dos, les pique-nique, les dangers, le suspense… et beaucoup d’Anne Brouillard avec le mélange de familier et d’étrange, l’atmosphère nocturne des images, une ombre générale qui fait que la moindre déchirure de ciel bleu est un éblouissement. On se régale.

L’intrigue se déroule pas à pas et se complexifie progressivement ; on découvre par bribes ce monde, tout d’abord à travers Killiok qui, inquiet de ne pas voir arriver son ami, part demander à Véronica si elle a des nouvelles, puis repart avec Veronica et les corbeaux. De rencontres en rencontres, la petite troupe s’agrandit, va de mystère en mystère… et sauve les bébés-mousse. Mais on sait qu’un danger demeure…

Génération K

Génération K
Marine Carteron
Rouergue (Epik), 2016

Pot-pourri scientifico-fantastico-apocalyptique

Par Anne-Marie Mercier

Marine Carteron s’était fait connaître par les Autodafeurs, une trilogie publiée au Rouergue entre 2014 et 2015. Son ancrage dans la SF noire se confirme ici avec un roman haletant, faisant alterner les points de vue de différents personnages qui ne se retrouvent qu’en fin de roman (technique que l’on retrouve dans Game of Thrones, etc., aussi bien à l’écrit qu’à l’écran). L’arrière-plan du roman, fait d’annonce d’épidémies et de réveils de volcans, le rattache à une pensée de l’apocalypse que l’on retrouve dans beaucoup de romans récents (voir la série U4). On l’aura compris, ce roman efficace est dans l’air du temps, et plus encore.

Supers-pouvoirs d’une « race » qui remonte aux temps du déluge (tiens, on dirait le dernier Salman Rushdie, Two Years Eight Months and Twenty-Eight Nights…) , enlèvements, poursuites, retrouvailles inattendues, monstres sadiques, savants sans scrupules, manipulations génétiques, Mafia napolitaine, voitures puissantes, réveil d’un ancêtre mystérieux (on pense à un certain comte Dracula)… On retrouve ainsi des ingrédients connus d’une certaine littérature frénétique (donc post-gothique comme l’était le Romantisme frénétique). A cela s’ajoute un ancrage dans la tradition légendaire, celle du Livre d’Hénoch, apocryphe biblique qui a inspiré John Dee, des courants maçonniques et mystiques, et jusqu’à certains jeux vidéo. Le roman garde une certaine distance grâce à l’un de ses héros, Georges (ou plutôt Georg !) qui ne se laisse impressionner par rien : « Enoch, un descendant de Noé, […] une histoire d’anges qui se seraient accouplés avec des humains et auraient transmis certains de leurs dons à leurs enfants. Bref, un gros ramassis de bêtises », dit-il, préférant s’attarder sur la partie scientifique, théories de Mendel et étude de paires chromosomiques.

Si le livre a été primé (Prix Lire Meilleur roman jeunesse 2016), c’est sans doute grâce à ses héros, un garçon, délinquant violent au grand cœur et très très fort, une adolescente riche et rebelle (avec piercings et tatouages donc), accrochée à son portable et à sa musique « metal », et son amie de cœur (et peut-être plus), jeune fille sage de milieu modeste, en quête de son père.  Tous découvrent leurs origines ou la vraie personnalité de leurs parents (les mères s’en sortent mieux que les pères…), c’est sans doute grâce à ce mélange détonnant (mais pas très étonnant) que la sauce a pris.