Graal Noir

Graal Noir
Christian de Montella

Flammarion, 2011

Graal Noir I : « la menace fantôme »

Par Christine Moulin

Tous les ingrédients médiévaux et bien connus sont là. La légende est, à quelques variantes près, intacte. Tout se met en place, mais rien n’a vraiment commencé. C’est ainsi qu’on assiste à la naissance de Merlin et à sa montée en puissance mais aussi à tous les stratagèmes et détours qui ont rendu possible la naissance d’Arthur. Les indispensables objets sont évoqués: l’épée dans la pierre, mais aussi le Graal. La maléfique Morgane est prête à nuire. Tout cela sur fond de lutte entre la nouvelle religion, chrétienne, et l’ancienne, celle des Druides. Sans qu’on sache exactement où se situe Merlin: il est le fils du Diable, certes, mais aussi d’une femme, qui lui a fait don de son humanité, part de lui-même qu’il a la liberté de développer, s’il en fait le choix. D’un autre côté, c’est d’une druidesse qu’il doit recevoir (au tome 2, si tout va bien?) la plénitude de ses pouvoirs.

Pour l’instant, il n’est encore qu’un beau jeune homme, très doué, très agaçant, plein de morgue et de charme, flanqué d’une espèce de Sancho Pança, prêtre rondelet et gourmand, comme dans les farces du Moyen Age, qui se damnerait pour un poulet mais qui, en tant que chroniqueur, représente l’auteur au sein même de la fiction, de façon distanciée et comique, tout en jouant le rôle de protecteur pour Merlin. C’est que celui-ci, quoique capable de lire dans le passé et dans l’avenir, de se métamorphoser en n’importe quoi, de réaliser d’extraordinaires tours de magie,  n’est pas encore tout à fait maître de lui-même. Il n’a que dix-huit ans (à peine) et il dépense sans compter son énergie en prodiges inutiles destinés à ébaudir qui veut bien l’admirer. Il s’amuse et même s’il a connu l’amertume d’un chagrin d’amour, il manque de profondeur, d’expérience, de sagesse. On  croirait Harry Potter dans ses pires années.

Ce côté adolescent et, en général, les analyses psychologiques, nombreuses, contribuent largement à la modernisation du mythe. Nous avons souvent accès à l’intériorité des personnages, qui ne sont plus des figures légendaires mais des hommes et des femmes proches de nous, des individus qui ont une vie plus qu’un destin, même si celui-ci frappe à la porte avec insistance. Un autre élément qui modernise, mais en même temps, il faut l’avouer, désacralise quelque peu l’histoire du Graal, c’est l’écriture elle-même, cinématographique, faite de montages alternés, de « scènes », de raccourcis qui confèrent à la lecture un rythme haletant de « blockbuster ».  Enfin, l’érotisme, assez torride et explicite (éloignez les très jeunes), les désirs clairement exposés des personnages (je ne me rappelais pas que Morgane ait eu une attirance incestueuse pour son père) marquent la différence avec les romans de Chrétien de Troyes! On est plus proche de l’univers de Marion Zimmer Bradley et de ses Dames du lac.

Néanmoins, si j’osais, je dirais que « ça dépote » et que ce roman peut très bien donner l’envie de se plonger dans la geste arthurienne, quitte à retourner vers son origine et y découvrir d’autres joies, moins immédiates, mais tout aussi intenses.

PS : l’avis de Ricochet

Beautiful Dead

Beautiful Dead, livre 1 Jonas
Eden Maguire
Flammarion-Père Castor, 2010

 Quand Twilight fait des petits… qu’il devrait renier !

par Sophie Genin

 9782081233539.gifLe roman débute au coeur de l’histoire, lorsque Darina, une héroïne rappelant étrangement la Bella de Twilight, se retrouve, non pas face à des vampires, mais à des revenants, nommés, de façon plus « vendeuse », « Beautiful Dead ». Dans la mesure où elle entretenait une passion amoureuse fusionnelle avec Phoenix, l’un des lycéens morts sans explication durant l’année scolaire, elle se retrouve, étrangement, en mission pour le compte de morts vivants cherchant la sérénité et le paradis, semble-t-il. Ce premier tome concerne l’enquête à propos de la mort inexpliquée de Jonas, le premier mort. Le deuxième tome, Arizona, vient de paraître. Devraient suivre deux autres, centrés chacun sur une nouvelle enquête, avec le meilleur pour la fin, puisque Phoenix est le dernier mort de la série !

L’idée de départ, hésitant entre merveilleux renouvelé et enquête policière, n’était pas mauvaise, mais le traitement proposé brise tout espoir : les réponses aux questions de Darina, et donc à celles du lecteur arrivent bien trop vite ! De plus, rien n’est crédible, ni la relation amoureuse avec un nouvel arrivant dans la ville de Darina, ni cette liaison rapide de deux mois ni même les sentiments de l’héroïne qui ne sont pas montrés par l’auteur mais nommés, comme dans ce passage : « Mais je t’aime tellement, Phoenix, que j’aurais couru tous les risques pour te revoir ! ». Ne parlons pas de Phoenix montrant ses pouvoirs à sa chérie ou les têtes de morts qui s’imposent à ceux qui cherchent à comprendre ce qui se passe dans le repère forestier des morts-vivants : pacotille ! Rien ne prend finalement corps dans l’esprit du lecteur, alors même que tous les ingrédients « à la Twilight » étaient présents ! N’est pas Stephenie Meyer qui veut !

L’amour au-delà de la mort

L’amour au-delà de la mort 
Care Santos

Traduction (de l’espagnol) par  Nathalie Nédélec-Courtès
Seuil, 2010

 « L’éternité c’est long, surtout vers la fin » (Woody Allen, à moins que ce ne soit Kafka)

 par Christine Moulin

amour mort.jpgBel, l’héroïne, meurt dans un accident de montagnes russes. Mais elle ne se résigne pas à quitter le monde des vivants, pour des raisons que nous ne dévoilerons pas ici, et erre, invisible (sauf pour l’œil acéré d’une médium), principalement entre l’appartement de ses parents et l’hôpital, où gît l’amour de sa vie, victime du même accident.

Une fois admis ce détail, Bel est morte, on s’ennuie ferme, pendant toute la première partie du roman : elle ne peut pas faire grand-chose, ce qui rend ses pérégrinations assez répétitives. L’intrigue se devine facilement et même quand les choses prennent vie, si l’on peut dire, ce n’est qu’un roman policier vite éventé.

Quand on aborde les sphères de l’analyse psychologique, on échoue très vite sur l’écueil du lieu commun : « Les bons souvenirs qu’une personne laisse dans l’esprit d’une autre sont le plus beau cadeau qu’elle puisse lui faire ». On a parfois l’impression d’assister à une application malhabile de conseils d’ateliers d’écriture américains (« Pensez aux détails qui font vrai ! ») quand on lit des développements aussi palpitants que celui-ci : «Elle n’a rien de cassé, mais ses ligaments ont été malmenés par les barreaux de fer. C’est pourquoi le médecin a cru bon de lui plâtrer le pied pendant une semaine. Elle peut le poser, mais sans trop forcer. On lui a prêté une béquille qu’elle tient avec son bras valide. Heureusement que le pied blessé est le gauche. Si elle s’était blessée au droit, elle n’aurait pu utiliser la béquille » (et croyez-le, cela ne joue aucun rôle dans la suite).

Bien sûr, il y a quelques passages plus réussis, comme le montage alterné qui présente le réveil de tous les personnages. Mais deux pages dans un roman de 427, c’est peu !

Vampire City

Vampire City 
Rachel Caine

Traduction (anglais, USA) par Alice Delarbre
Hachette, 2010

Un épisode de « Friends » façon « bit-lit »

 par Christine Moulin

vampirecity.jpgLa « bit lit », n’est-ce pas ?, c’est cette littérature destinée principalement aux adolescentes, qui, dans le sillage plus ou moins commercial de Twilight, raconte les amours contrariées d’une jeune fille avec un vampire. Elle a même son site !

Dans Vampire city, nous avons les ingrédients du genre : une jeune fille, des vampires, un beau jeune homme, une maison victorienne et hantée. Mais cela fonctionne ! En effet, finalement, la description de la colocation est agréable (Claire, l’héroïne un peu « coincée » au départ s’émancipe rapidement), le rythme est enlevé, l’action ne faiblit guère. Bref, on se surprend à dévorer (c’est le mot…) une page, puis l’autre, et à attendre la suite, qui ne saurait tarder !!

Sens interdit

Sens interdit 
Alain Grousset et Danielle Martinigol

Flammarion, 2010

 Une version « ukronique » du Parfum

 par Christine Moulin

sens interdit.jpgNous sommes prévenus dès l’abord : ce roman est une « ukronie » et comme tel, fait partie d’une collection dirigée par Alain Grousset. L’Ukronie, qui est une branche féconde de la science-fiction, décrit « un temps imaginaire, une autre Histoire que celle que nous connaissons ».

Ici, l’idée de départ est qu’un virus a privé les hommes, parfois totalement, mais le plus souvent partiellement, de leur odorat. Des religieux, les Flagellants, en ont profité pour imposer leur domination sur le monde, en classant, grâce à une machine appelée électro-olfactogramme, les humains en castes, selon les odeurs qu’ils parviennent encore à sentir. Ainsi peut-on être , par exemple, « odorant végétal boisé » ou « odorant végétal chimique » ! Et cela influe, bien évidemment, sur le métier que l’on exerce et sur la place à laquelle on peut prétendre dans la société. Ceux qui sont totalement anosmiques en sont le rebut. Oui, mais voilà : certains humains sont des Odorants absolus : ils sont alors pourchassés par les Flagellants qui voient en eux une menace contre leur pouvoir. On l’a déjà deviné : Mathis, le héros, est un Odorant absolu. Le roman raconte pourquoi, et c’est la partie la plus intéressante, et relate ses déboires, lorsqu’il essaye d’échapper à ses poursuivants et de rendre l’odorat à l’humanité. C’est alors un (très) honnête roman d’aventures. Poursuites, combats, méchants, traîtres, histoire d’amour, tout y est.

Le roman se lit d’une traite, même s’il n’est pas le feu d’artifices d’odeurs auquel on aurait pu s’attendre. Mais on lui pardonne car il se termine par un si bel aphorisme : « L’amour, c’est d’abord aimer follement l’odeur de l’autre »…

Nightshade, « Lune de sang »

Nightshade 1, « La lune de sang »
Andrea Cremer
traduction (américain) par Julie Lopez
Gallimard, 2011

 Twilight like

par Christine Moulin

 On pouvait craindre le pire : la couverture, aux couleurs glaciales, comporte juste la petite tache de sang qui convient. La question censée attirer le lecteur a comme un air de déjà vu : « L’amour interdit vaut-il tous les sacrifices ? ».

Et par certains côtés, ce premier roman ne s’écarte que très peu du modèle Twilight. Nous assistons à la vie quotidienne d’adolescents, dans un lycée : cours, devoirs à faire, fêtes longtemps attendues (« qui invitera-t-il ? »), rivalités amoureuses, arrivée d’un nouveau, phénomène des « bandes », sexualité encore marquée du sceau de l’interdit, relations difficiles avec les parents, tout est là. Comme dans Twilight, il y a un « hic » : c’est que les héros sont des vamp… non, des loups-garous. Comme dans Twilight, l’héroïne hésite entre deux beaux mâles et l’érotisme est torride (parfois de façon un peu insistante…)

Mais certains éléments surprennent. En bien. Tout d’abord, le point de départ est inversé : au lieu qu’on attende la révélation de la nature surnaturelle des personnages, c’est une donnée de départ. Les renseignements sur l’organisation et l’histoire de l’espèce « loups garous » ne sont pas assénés d’un coup : ils se devinent à travers de nombreux indices, qu’il faut patiemment rassembler et croiser entre eux, pour aboutir à un tableau assez complexe. Le fait que l’héroïne soit en partie un animal transparaît à travers l’écriture, très riche en notations olfactives. Et l’auteur ne recule pas devant certaines références, sans qu’elles soient pour autant gratuites : Locke et Hobbes sont convoqués.

C’est que ce roman « twilightesque » ne se limite pas aux questions psychologiques : il pose la question du secret et de ses conséquences, des obligations des puissants, de la servitude dorée, du Devoir, de la loyauté, du destin, du nécessaire libre arbitre qui préside à l’accomplissement de soi. Si bien qu’à la fin du premier volume, ce n’est pas le seul suspens  qui fait attendre la suite.

Dark Divine

Dark Divine
Bree Despain
traduction (américain) par Sabine Boulongne
De La Martinière Jeunesse, 2010

 Mystère : rien de nouveau mais ça marche !

 par Sophie Genin

9782732441863.gifC’est l’histoire d’une fille de pasteur, sage élève modèle, qui est amoureuse depuis l’enfance d’un apprenti artiste, accessoirement loup-garou à ses heures perdues (on le découvre dès la page 43 alors qu’il y en a plus de 400 !). Bon. On peut dire que ça partait mal ! Mais, contrairement à mes attentes peu enthousiastes, j’ai été prise par cette histoire.

Certes, je ne pense pas que je me jetterai sur la suite des aventures de Grace Divine (!) mais la narration est bien ficelée. Deux choix peuvent l’expliquer. Premièrement, l’auteur donne la parole à l’héroïne sur un ton très juste. Deuxièmement, le lecteur en sait autant que la fille de pasteur, c’est-à-dire rien, sur la nuit qui a curieusement vu disparaître son frère Daniel de la vie de la famille Divine ! De ce fait, nous suivons la jeune fille de découvertes en rebondissements, d’hésitations en crises de loyauté (son frère ou sa passion amoureuse interdite ?) dans un rythme haletant et nous sommes même parfois surpris ! De plus, la qualité de la traduction, et donc de l’écriture initiale, est notable. Telle une J.K. Rowling en son temps, Bree Despain a su remotiver un certain nombre de motifs dans l’air du temps (lutte entre le bien et le mal, tiraillement entre la famille et les sentiments amoureux adolescents contradictoires, religion, anges, loups-garous…).  

Dans le deuxième tome, The Lost Saint (qui sortira en France en avril), tout comme Bella dans Twilight, l’adolescente se transforme, mais ici en loup-garou. Ce dernier point pourrait bien me donner envie de voir ce que la louve en elle fera évoluer dans ses comportements! 

Malédiction du sang

Malédiction du sang
Celia Rees

Seuil, 2011

La Marie Curie de la « bit-lit »

par Christine Moulin

vampire,fantastique,celia rees,bit litCe roman se remarque d’abord par sa couverture, non pas par l’illustration, banale, mais par sa texture : lisse, douce au toucher, veloutée. Du noir tactile…

Mais comme un livre n’est pas fait uniquement pour être caressé, parlons du reste. L’auteur le fait assez bien elle-même, dans un passage « méta » plutôt ironique : « En 1878, on ne pondait pas encore à la chaîne romans et films d’épouvante ». En effet, nous avons affaire à un roman de vampires on ne peut plus classique, qui ressemble a priori aux « produits » qui s’empilent sur les tables des libraires. Cela se passe dans une vieille maison victorienne, sise à côté d’un cimetière plein de tombes délabrées. Tous les éléments de la légende sont là : peur de l’ail, du crucifix, absence de reflet, pieu, étrange beauté des hommes vampires, etc.

Mais ce qui fait l’originalité du roman, c’est que l’héroïne, Ellen, qui souffre d’une maladie de sang mystérieuse, monte au grenier de la maison de sa grand-mère, où elle trouve un vieux coffre, rempli de manuscrits : le journal d’une de ses ancêtres, qui s’appelait également Ellen. Bien sûr, au début du premier cahier, figure cet avertissement : « Ce livre appartient à Ellen Laidlaw, 1878. […] Malheur à celui qui y jettera les yeux ». Grâce à cette mise en abyme, l’on est sans cesse pris dans un jeu de miroirs (ce qui est un comble quand il s’agit de vampires !) entre l’histoire qui s’est déroulée au XIXe siècle, dont on sait très vite qu’elle a eu une issue heureuse (si bien que le suspens tient plutôt à la question : « Comment a-t-elle fait pour s’en sortir? ») et l’histoire qui se déroule de nos jours. Reflets, ressemblances sont alors intéressants à traquer. L’auteur1 a assez astucieusement résolu le problème de l’alternance entre narration en « je » (celle du journal) et narration en « elle » (celle de l’histoire cadre), ce qui anime le récit et le rend plus inquiétant.

Autre originalité : on sait aussi très vite que l’ancêtre en question a été médecin et qu’elle a contribué à la découverte du facteur rhésus.

Voilà donc un roman qui se lit d’une traite (on pourrait, si on était pointilleux, relever quelques invraisemblances mais basta !) et qui renouvelle, malgré les craintes que l’on peut nourrir au départ, le genre très encombré des histoires de vampire.

(1) à qui l’on doit Le Journal d’une sorcière. 

Le Chaos en marche (livre 3 : La Guerre du bruit)

Le Chaos en marche (livre 3 : La Guerre du bruit)
Patrick Ness
Traduit (anglais) par Bruno Krebs
Gallimard jeunesse (hors série), 2011

« Eh bien… La guerre ! » : la fin de l’innocence

Par Anne-Marie Mercier

La guerre, toute la guerre, rien que la guerre : le troisième et dernier volume de la trilogie de Patrick Ness (voir les chroniques consacrées aux deux premiers sur li&je) tient les promesses faites au personnage comme au lecteur à la fin du précédent volume. Bombardements, armes secrètes, empoisonnements, siège, guerre de positions, stratégies, trêves, envoi d’émissaires… mais aussi trahisons, double jeu, fausses alertes, ruses. La guerre est aussi bien affaires de forces que de stratégie et tous les coups y sont permis.

La fin du deuxième volume était, juste avant la surprise de l’attaque, tout entière tournée vers l’attente d’un vaisseau chargé de milliers de nouveaux colons terriens qui devaient tout régler. Or, ce ne sont que trois personnes qui débarquent, en attendant le réveil des autres. Ces dormeurs qui figurent un avenir possible seront l’un des grands enjeux de l’histoire : quel monde leur laisser ?

En ce sens, ce roman est aussi une leçon d’éducation citoyenne. On y voit la difficulté d’intervenir dans un conflit qui oppose une partie d’un peuple à l’autre (l’actualité n’est pas loin). Les nouveaux débarqués incarnent différentes positions, du pacifisme à l’interventionnisme, du désir de négocier à celui d’exterminer. On voit aussi les différentes positions face à ce qui est une guerre coloniale. En effet, les colons aussi bien que les deux partis qui s’affrontaient dans les premiers tomes, celui du maire-tyran qui conduit les hommes et celui de la guérisseuse-autocrate qui conduit les femmes sont cette fois face à une armée des peuples autochtones, moins bien équipés mais plus nombreux, connaissant bien le terrain, ayant toute une histoire derrière eux – et peut-être devant eux.

La culture des autochtones est décrite de façon beaucoup plus développée que dans les volumes précédents. Le roman se fait anthropologie imaginaire : traditions, système de  gouvernement, mode de communication, et surtout langue imagée : la parole d’un « spackle » plein de haine porte le récit, comme celle des jeunes héros, Todd et Viola. Le texte est fait de la succession rapide de ces voix/points de vue entrecroisés qui se succèdent à un rythme soutenu, ce qui donne une dynamique constante à une narration dense et rapide portée par une traduction impeccable, tantôt brute, tantôt poétique.

Enfin, l’histoire d’amour de Todd et Viola reste belle et forte, leurs rapports aux autres personnages sont complexes et changeants. Ce qui les attache à leurs chevaux plaira aux lecteurs les plus jeunes. Cela adoucira sans doute la peinture du cauchemar vécu par Todd. La relation qui le lie au tyran est constamment au cœur des problèmes. A travers ce thème, ce roman qui est un roman d’éducation à de nombreux titres l’est dans un domaine moins attendu : c’est une belle mise en garde contre la naïveté et les dangers et les plaisirs de la manipulation.

La fin de l’innocence ici n’est pas dans la découverte de l’amour, de la mort, de la cruauté ou de la trahison mais bien dans une invitation à se méfier de tout et surtout de soi-même. La démonstration comme l’invention sont magistrales.

Le signe de K1 (le temps des Tasahdiks)

Le temps des Tsahdiks (Le signe de K1, tome 2)
Claire Gratias

Syros, 2011

Le passé a-t-il un avenir ? ou inversement…

par Christine Moulin

science-fiction, violence, paradoxe temporelVoici donc la suite du premier volet. Le suspens reste haletant et revient à la question si souvent posée : comment sauver l’humanité ? La réponse ne peut, bien évidemment, être donnée ici mais disons que la lutte entre l’ombre et la lumière continue, à l’échelle collective aussi bien qu’individuelle : le comportement de Pauline, l’héroïne, en est le signe. On retrouve les allusions à notre propre société, toujours percutantes : la violence augmente de jour en jour, telle une épidémie ; la police est dépassée ; le système d’enseignement est gangrené par la sélection et l’élitisme ; notre Terre est menacée par une catastrophe climatique.

On retrouve les clins d’œil culturels bien venus (K1 = Caïn1 ; le père du héros s’appelle Adamsohn, fils de l’homme, autrement dit). Toutefois, l’intrigue, plus dispersée entre les personnages, n’arrive pas à recréer l’atmosphère mystérieuse du premier volet : on a davantage affaire à un roman d’aventure, fort bien écrit, très nerveux, grâce une forme de « montage » alterné très efficace. Mais l’histoire d’amour, moins centrale, perd de son charme. L’aspect philosophique s’estompe, le personnage du sage chinois étant moins présent. Même l’initiation d’Angelo (le « cas » du tome I, qui est devenu, comme le titre l’indique, Tsahdik) manque un peu de profondeur et d’originalité.

Cela dit, ne boudons pas notre plaisir : l’ensemble est cohérent (ce qui n’est pas toujours facile dans ces histoires de paradoxe temporel), le rythme soutenu et le « message », si «message» il y a, à la fois réaliste et optimiste. Voilà ce que c’est d’avoir trop réussi le premier volet !!

 (1) Je sais… cette allusion-là aurait pu être relevée dès le premier tome ! Disons qu’elle est plus nette et plus motivée dans le deuxième!…