Les sorcières de Skelleftestad (t.2 les sœurs Swedenborg)

Les sorcières de Skelleftestad (t.2 les sœurs Swedenborg)
Jean-François Chabas
L’école des loisirs (medium), 2011

Jonglerie de stéréotypes

Par Anne-Marie Mercier

Les sorcièresdeSkelleftestadt.2.jpgOn retrouve la joyeuse et cruelle famille de sorcières (voir plus bas, pour le premier tome), la mère fantasque et ses trois filles qui dans ce volume ont atteint la maturité et peuvent commencer à exercer leurs talents. Chacune commence selon ses goûts ; l’une est branchée « chiffons » et l’autre pâtisserie (Chabas continue à s’amuser avec les stéréotypes).
L’aînée finit par accepter de s’y mettre un peu plus sérieusement et met ainsi une belle pagaille dans le village. Elle reçoit la visite du diable, impressionné par ses talents, un diable assez comique mais redoutable en réalité.
Il lui octroie la possibilité de faire un vœu et le récit obéit alors à la règle que les vœux inconsidérés tournent souvent mal : la jeune fille demande que son père, le très sot et très gentil Nils, devienne intelligent.
Cela déclenche une catastrophe. Un mâle intelligent ne peut que s’alarmer de l’indépendance des femelles de sa maisonnée (autre jeu de stéréotype…). Devant la catastrophe annoncée, elle fait tout pour l’annuler, las ! … on attend donc la suite !

Les Sorcières de Skelleftestad (t.1, l’étrange mariage de Nils Swedenborg) 2010

 Mariage dérangé, série masquée

Par Anne-Marie Mercier

Les Sorcières de Skelleftestad .gifLe brave Nils, beau charpentier trentenaire, est tellement sot qu’aucune fille ne veut de lui. Arrive au village une belle inconnue qui tombe sous le charme, ou plutôt fait semblant, et l’épouse. Dans le temple où se déroule le mariage, il se passe de drôles de choses, la mariée est au bord du malaise. Par la suite, elle évite tout le monde, met au monde des filles de trois mois en trois mois… Bref, seul Nils ne se rend compte de rien et c’est pour cela que la belle Ingrid l’a épousé.  Comme toutes les sorcières, elle peut « pondre » (c’est le mot, elles naissent dans des œufs) des filles et les élever sans que quiconque (hors les femmes du village, des vilaines jalouses) la soupçonne. Elle peut aussi les laisser à leur père pour voyager et faire ses diableries. On ne sait s’il faut y lire une condamnation du féminisme ou un jeu avec les stéréotypes (peut-être le premier car cette Ingrid est vraiment insupportable). Par ailleurs, ce n’est pas très respectueux d’avoir donné à ce charmant abruti de Nils le nom de Swedenborg, le « prophète du nord », grand savant spiritualiste  respecté de Balzac…L’histoire est racontée sur un ton désapprobateur par la fille ainée qui a appris récemment le fond de l’affaire. Lorsque le  livre s’achève, elle a seize ans et elle a déclaré à sa mère qu’elle ne serait jamais sorcière comme elle. On devine la suite… On ne peut d’ailleurs rien faire d’autre que deviner, car l’histoire s’arrête au moment où elle commence. On retrouve ici cette manie des séries dans laquelle est tombée lrécemment l’école des loisirs (« tu quoque »…) avec Sorcier! de Moka, et tout récemment chroniqué sur ce blog. Les Pozzis de Brigitte Smadja. Couper les histoires en épisodes sans nécessité (ce premier tome, pour un ouvrage de la collection « medium » est mince, une petite centaine de pages) est une formule commerciale qui ne sert pas toujours les oeuvres. Quoique… le sous titre dans l’encadré jaune (voir l’image ci-dessus) qui indique que c’est le premier volume d’une série est si illisible qu’on a l’impression d’une action honteuse… Alors, où en est-on à l’école des loisirs? Il reste que le ton est alerte et sarcastique et que le récit est cocasse et plaisant à lire. Chabas réussit vraiment dans tout ce qu’il touche car il est ici dans un genre assez nouveau. Pour l’instant ça fonctionne… A suivre !

Le cas Jack Spark, saison 1 : l’été mutant

Le cas Jack Spark, saison 1 : l’été mutant
Victor Dixen
Gallimard (pôle fiction/fantastique), 2011

Vacances au ranch du cauchemer

par Anne-Marie Mercier

Victor Dixen Gallimard (pôle fiction/fantastique),Anne-Marie Mercier,conte,ogre,fées,métamorphose,adolescent,MermerIl y avait la veine Enfant Océan, réécriture de conte, la veine Harry Potter, mixage de mythes et de « collège novel », Twilight qui faisait se rencontrer « collège novel » et vampires… Victor Dixen arrive à faire mieux encore, en mélangeant tous ces ingrédients dans un roman étonnant, haletant et poétique.

Le narrateur est envoyé dans un pensionnat au fin fond du Colorado qui se rapproche davantage du bagne que du ranch que l’on a vendu aux parents (on songe alors au Passage de Sachar). Il tombe raide amoureux d’une belle kleptomane et fascine un étrange adolescent habillé en Hamlet, citant Shakespeare par coeur, et la Bible. Sa bande d’amis (tous assez frappés, comme le reste des élèves) se heurte à un autre groupe, dirigé par un garçon très méchant. Rivalités, jalousies, intrigues se développent en parallèle avec la préparation d’une représentation de Roméo et Juliette. Les animateurs jouent des personnages de western ; une étrange religieuse soumet les personnages à l’épreuve du baquet de Mesmer qu’elle a réinventé pour pomper leur énergie à mort…

Jusque là, on pense à un récit réaliste qui cherche l’excès et frôle le genre frénétique, mais très vite le récit bascule dans le fantastique avec la découverte de la nature monstrueuse du directeur de l’établissement et des êtres qui peuplent la forêt avoisinante. Les allusions aux contes se multiplient (Le Petit poucet, Barbe Bleue, La Belle au bois dormant…). La métamorphose progressive du héros le plonge dans des affres identitaires (il est de la race des « méchants », des Fés) et les super pouvoirs qu’il expérimente tour à tour évoquent les jeux vidéos, où chaque situation demande des capacités différentes. Le thème de la difficile maîtrise de soi face aux désirs et aux colères, classique de la littérature pour adolescents, est au centre de son évolution.

Le roman tout entier est un brassage systématique de thèmes et de jeux, d’échanges de rôles, de renversements. L’ensemble est bien écrit et très ingénieux.

La série a déjà été publiée en grand format (3 volumes parus, 2009-2011, le 4e à paraitre) chez Jean-Claude Gawsewitch, a obtenu le « Grand prix de l’imaginaire – Étonnants voyageurs 2010 et connaît un grand succès.

C’est une belle lecture en poche pour l’été, en attendant la suite à l’automne, pour ceux qui n’auront pas lu la série. Le terme de  « saison » qui désigne les volumes ne fait pas allusion aux séries télévisées mais aux couleurs des récits. Ici l’été est étouffant et torride, la saison suivante, l’automne, sera celle de la chasse…

Imago

Imago
Nathalie Le Gendre
Syros (soon), 2011

Mélange de genres et guerre des sexes

par Anne-Marie Mercier

Imago.gifLe projet de Nathalie Le Gendre est intéressant sans être tout à fait neuf : écrire un roman proche de la SF tout en décrivant une société primitive ; présenter une société matriarcale dans laquelle les filles ont à faire des choix douloureux : être chef de Clan ou guérisseuse, se marier ou non selon ce choix… tandis que les hommes vivent dans une médiocrité soumise et respectueuse. C’est évidemment un roman féministe. Le mâle qui cherche à briser cet ordre qu’il trouve injuste est un vil traître, soit. On peut dire que c’est un retournement radical, assez manichéen mais la littérature militante aime cela.

Plus gênant : l’héroïne est très belle, très intelligente, très forte, et elle cumulera toutes les fonctions. Son amoureux est très beau et très gentil et très amoureux ; il meurt à la fin (forcément). Les poncifs du genre tuent l’originalité de l’ensemble et enfin, l’écriture manque d’allant et de cohérence de style. C’est dommage car le regard anthropologique sur les coutumes de ce peuple est précis, notamment sur les rites d’initiation, et il y a de belles inventions.

Graal, t.1, Le Chevalier sans nom

Graal, t.1, Le Chevalier sans nom
Christian de Montella
Flammarion (2003), 2010

Lancelot, héros moderne ?

par Anne-Marie Mercier

Graal, t.1, Le Chevalier sans nom.gifLes aventures de Lancelot sont ici racontées en langue moderne, de façon très explicite, un peu trop pour ceux qui ont en mémoire le texte original. Certes, il est plein de suspens, d’aventures et d’amour (l’histoire racontée l’est en elle-même) mais la modernisation gomme l’étrangeté du récit et ce qui est magie devient fantastique, ce qui est poésie est ramené à une certaine rationalité, la religiosité est gommée.

Un exemple, dès les premières pages. La mort de son père, le roi Ban de Bénoïc est présentée comme l’effet d’une crise cardiaque ; dans la version de Boulenger, on lit : « un si grand chagrin le poignit et l’oppressa, que ne pouvant verser des larmes, son cœur l’étouffa et qu’il se pâma »; tombé de son cheval , il prie Dieu, puis, « son âme se serra si fort en songeant à sa femme et à son fils, que ses yeux se troublèrent, ses veines rompirent et son cœur creva sans sa poitrine ». Ce n’est peut-être pas scientifiquement exact, mais cela nous introduit dans l’étrangeté de ce monde.

Delirium

Delirium
Lauren Oliver
Hachette Jeunesse (Black Moon), 2011

 Un Monde sans amour est-il possible ?…

 par Sophie Geni

9782012021266.gif… C’est la question que pose ce roman de social fiction étonnant. Lena vit depuis 17 ans à Portland, dans un futur indistinct caractérisé par une vie aux normes basées sur l’éradication d’un terrible fléau qui a ravagé le monde, « l’Amor Deliria Nervosa ». Pour que la terrible fin de Roméo et Juliette (lu en cours de santé pour l’édification des élèves !) n’incombe pas aux citoyens américains, chacun subit le Protocole à 18 ans, opération consistant à éradiquer définitivement les sentiments du cerveau. Ainsi, les jeunes adultes accèdent au statut d’Invulnérable. Lors de l’Evaluation, chacun est « soupesé » afin de se voir proposer un appariement, pour se marier, trouver un travail et avoir des enfant, le tout dans sa classe sociale.

Lena est à l’aube de son Protocole, essentiel pour cette Vulnérable dont la mère est morte en se suicidant, par amour, enfin le croit-elle… Car elle va rencontrer Alex, beau et courageux Invalide (ainsi nomme-t-on ceux qui survivent dans la Nature sans avoir été opérés) engagé dans la Résistance. Cette rencontre-coup de foudre va la rendre « malade » d’amour mais va surtout lui ouvrir les yeux : le monde dans lequel elle vit repose sur un mensonge qui protège les hommes et les femmes de Portland de la peur et les Régulateurs qui doivent les protéger ne sont que des sadiques au pouvoir incontrôlable ! 

Ce roman devrait être mis entre toutes les mains adolescentes car il permet de comprendre de l’intérieur l’effet de l’embrigadement des masses. Grâce à la lecture de cette oeuvre littéraire (les images sont souvent étonnantes et la traduction de très bonne qualité), le lecteur, emporté par les aventures d’une héroïne très attachante, meurtrie, qui accède à la liberté de conscience, de pensée, d’expression mais aussi à la liberté d’aimer, ce lecteur, donc, va pouvoir réfléchir à toutes les formes de tyrannie. En refermant Delirium, après avoir assisté à une fin en apothéose digne d’une tragédie Shakespearienne, il ne pourra s’empêcher d’être soulagé. Gageons qu’il ait même envie de défendre un certain nombre de ses droits pour éviter de subir la loi de la terrible société proposée par ce roman édifiant et envoûtant !

Le Voleur de Magie, vol. 1 et 2

Le voleur de magie. 1 et 2
Sarah Prineas
Traduit (anglais) par Jean Esch
Gallimard Jeunesse, 2010

 

Dickens façon Harry Potter

Par Anne-Marie Mercier

Anne-Marie Mercier,Sarah Prineas,magie,voleur, apprentissage Gallimard JeunesseAnne-Marie Mercier,Sarah Prineas,magie,voleur, apprentissage Gallimard JeunessePremiers romans de Sarah Prineas, qui vit dans l’Iowa et pense qu’elle a écrit pour des adolescents et jeunes adultes, cette nouvelle série est si prudente qu’elle peut être donnée à lire à de plus jeunes encore. La maison Gallimard ne s’y est pas trompée et a choisi d’illustrer abondamment le texte (dessins de Antonio Javier Caparo).

Encore un apprenti magicien, certes, mais ce roman a plusieurs originalités qu’il faut signaler. Il réussi à faire entendre la voix d’un jeune narrateur à laquelle on croit, sans tomber le langage « jeune » ni dans l’affectation. Le texte est relativement bien écrit, souvent métaphorique, sans chercher l’originalité et adopte les obsessions du jeune narrateur : manger d’abord (et toujours !), puis se tirer des pétrins dans lesquels il se met. Il y a des personnages attachants : un vieux magicien bougon qui évoque un peu le Vitalis de Sans famille de Malot, brutal d’abord, tendre ensuite, un colosse au grand cœur qui tricote, une jeune princesse épéiste…

Le titre est ambigu : plus qu’un « voleur de magie », le héros est un voleur, tout simplement, un peu dans la lignée de héros de romans du 19e siècle (Dickens); d’ailleurs, les illustrations de cette histoire l’inscrivent dans cette époque en y ajoutant un peu de fantaisie et de technologie magique. Mais il l’est sans remords, car il doit sa survie à son habileté. C’est aussi grâce à elle qu’il va pouvoir se rendre utile. Le véritable « voleur de magie » reste mystérieux jusqu’au tome 2 : on ne sait pour qui travaillent ceux qui pompent l’énergie magique de la ville, on l’apprend au tome 2 lorsque le héros est banni et sans pouvoirs, mais le problème est loin d’être réglé, le sera-t-il au tome 3 ?

Le volume 1 vient de paraître en poche.

A comme association (4 et 5)

A comme association,
t. 4, Le subtil parfum du souffre

Pierre Bottero

t. 5, Là où les mots n’existent pas

Eric Lhomme

Gallimard jeunesse/Rageot, 2011

 Par Anne-Marie Mercier

acommeassociation4.jpgLes deux derniers volumes de la série sont portés par l’ombre de la disparition de Pierre Bottero, mort dans un accident de moto en 2009. De façon assez sidérante, le volume 4 se clôt sur le départ d’Ombe et de Jasper pour une virée en moto, eux qui se définissent mutuellement « sans casque » et sans  prudence. Le livre s’achève sur ces mot : « la vie mérite d’être vécue. Toujours. »

acommeassociation5.jpgDans le 5e volume, Eric Lhomme prend acte de la disparition de son coéquipier et ami : Ombe est morte, ne reste que Jasper, décidé à la venger. Ce roman, hanté par la disparition, peine à prendre son rythme. Il est parasité par les interventions continuelles d’Ombe dans la tête de Jasper et parfois par une contamination du style oral d’Ombe. Il est aussi un peu trop répétitif (trop de passages d’invocations magiques), très morbide ; enfin, il a des allures de roman de deuil, de ressassement. Ce n’est que vers la fin qu’il parvient à prendre une véritable consistance en introduisant de la complexité et en suggérant un nouveau départ, comme si le deuil avait fait son travail. A suivre, donc ?

Oui : Le sixième volume paraitra en octobre prochain.

On souhaite à Eric Lhomme bonne route sur ce chemin désormais solitaire.

 Dans les premières pages des livres comme sur le site consacré à cette série (http://www.acommeassociation-leslivres.fr), on peut lire le récit de la rencontre entre Pierre Bottero et Eric Lhomme, l’immédiate complicité, et le projet en trois points qui a donné cette série :

« – l’association (deux auteurs et deux éditeurs, main dans la main),
– la nouveauté (cet univers commun ne renvoie à aucun de nos univers particuliers, sinon pour des clins d’œil ponctuels),
– le plaisir (plaisir d’écrire, d’imaginer et de délirer ensemble). »

Si le projet est original, les clins d’œil aux deux œuvres ne sont pas si ponctuels que cela. La série joue beaucoup sur l’humour : de nombreux clichés, stéréotypes ou contre-stéréotypes, des allusions aux autres auteurs de fantasy (notamment à travers les noms de rues). Les volumes sont courts, l’intrigue et la psychologie peu fouillées, le style très oral (notamment pour les textes de Bottero qui n’ont pas pu être relus par lui).

L’univers, c’est celui de « l’association » dirigée par Walter, mademoiselle Rose et le Sphinx, qui semblent sortis d’une série d’espionnage (imités de ‘M’, le patron de James Bond, sa secrétaire Miss Moneypenny et de Boothroyd (ou ‘Q’) génial inventeur de gadgets). Cet univers est mixé avec des personnages d’histoires fantastiques ou de fantasy, plus familières aux deux auteurs : vampires (pas très charmants), trolls, etc.

L’Association est chargée de maintenir la paix entre les humains (les ‘normaux’) et les ‘anormaux’ et recrute ses agents parmi des créatures hybrides (les ‘paranormaux’), humains aux pouvoirs spéciaux. La jeune Ombe est indestructible et très virile dans ses actions comme dans ses propos. Le jeune Jasper est plus délicat, presque efféminé, et est très fort en incantations magiques. Quant aux vampires, trolls, etc, ils semblent sortis de films de série B ou de BD parodiques.

Promise

Promise
Allie Condie

Gallimard jeunesse (grand format), 2011

La dystopie, un genre réactionnaire ?

Par Anne-Marie Mercier

Allie Condie,mariage,amour,révolte,  Gallimard jeunesse,dystopie,  Anne-Marie Mercier   Dans un premier temps, on se dit qu’il est irritant de trouver autant de clichés linguistiques ou situationnels dès les premières pages d’un roman. Puis, on se dit que c’est curieux qu’il y en ait autant et que c’est sans doute un reflet de la situation de la jeune narratrice, une adolescente sans problèmes. Elle n’a aucun recul critique face à la société parfaite dans laquelle elle vit, heureuse ; elle semble ne rien savoir de ce qui se passe autour d’elle. Comme le beau montage photographique de la couverture le suggère, elle est prise dans une bulle, un lieu, un moment et rien ne vient suggérer qu’il puisse y avoir autre chose que la continuation de cet état. Et de fait, au cours de la lecture, les clichés disparaissent, laissant la place à une écriture qui cherche à dire les progrès de l’intelligence et à éclaircir autant que possible la confusion des sentiments.

Cette histoire commence le jour où l’ordinateur de la Société annonce à la narratrice lors de la cérémonie de « couplage » avec quel garçon elle va vivre et fonder une famille. Il se trouve que c’est d’abord son ami d’enfance qui apparaît sur l’écran ; il est beau, gentil, amoureux, que vouloir d’autre ? Peu après, un événement qui lui est présenté comme une erreur informatique lui suggère qu’elle pourrait vouloir autre chose et même vivre autrement que selon ce que lui dicte la Société. Peu à peu, elle se met à aimer celui avec qui tout espoir est impossible, sans bien savoir si c’est de lui qu’elle est amoureuse, ou de son histoire, ou si tout cela lui a été soufflé. Du même coup, elle découvre l’envers de son monde, en partie en découvrant des poèmes interdits (Dylan Thomas, Tennyson) ; elle apprend à former des lettres (situation un peu artificielle, mais assez intéressante) et comprend le rôle de l’histoire et de la mémoire pour vivre libre.

On se trouve ici dans le cadre très en vogue en ce moment de la dystopie : le monde est parfait en apparence, et est une prison dès qu’on y regarde de plus près. Le sort de chacun est réglé selon ses goûts ou ses capacités ; chacun reçoit ce qu’il lui faut, tous vivent en paix et en bonne santé jusqu’au jour de leurs 80 ans, où ils meurent. L’égalité est aussi parfaite que possible… mais tout est étriqué ; la culture est limitée à cent poèmes, cent chansons, les autres ont été supprimés. Les films sont toujours les mêmes, les divertissements sont d’éternelles répétitions. Tout le monde surveille tout le monde, aucune vraie conversation n’est possible. Les citoyens portent en permanence une boite avec trois pilules de couleur différentes ; ils sont incités à avoir recours à la pilule verte en cas de stress (ce détail comme beaucoup d’autres fait penser au Meilleur des mondes d’Huxley), à la bleue en cas de faim ou de soif. Quant à la pilule rouge, elle est réservée à des circonstances exceptionnelles et le bruit court qu’elle est un poison mortel, la suite montrera que c’est autre chose.

Avec un peu de recul, on peut se dire que la liberté proposée par ce roman laisse perplexe : elle apparaît comme le droit à la consommation, à la possession. Elle ressemble fort au libéralisme opposé au communisme. Et comme on le sait (et comme certains le savaient depuis longtemps), il serait un peu simplet aujourd’hui d’y voir une lutte du bien contre le mal.

La part la plus réussie du roman est dans l’évolution lente du personnage et dans ses interrogations pour savoir d’où viennent ses sentiments et idées et pour faire la part de ce qui lui est propre et de ce qui est suggéré par d’autres ou par les circonstances.

Les personnages secondaires sont variés et ont tous une certaine épaisseur, une part de mystère. Le cadre du quartier, celui du lycée et des activités extérieures sont esquissés, assez rapidement mais de façons efficace pour l’intrigue. Le récit progresse parfaitement ; l’évolution de Cassia est lente ; elle passe de l’adhésion naïve à un début de révolte, pas à pas, de même que son amour ou son estime (on pense à la carte du tendre…) pour l’un ou l’autre des deux garçons, l’ami d’enfance ou l’étranger, évolue. Le lecteur comprend bien avant elle à quel point elle est manipulée, même quand elle se révolte. En revanche, il ne sait pas de façon sûre par qui et pour quoi : le suspens augmente au fil des pages et on attend donc la suite (prévue pour 2012).

Encore des loups garous adolescents!

Instinct 1 et 2
Vincent Villeminot

Nathan 2011, Collection Blast

Des loups garous adolescents d’un nouveau genre!                                                                                       

Par  Maryse Vuillermet

 Au début du tome 1, Tim Blackills se réveille dans une voiture accidentée, ses deux parents et son frère sont morts, lui ne souvient pas de l’accident mais quand il a repris conscience,  il était un grizzly. Personne ne le croit, il est accusé d’avoir massacré sa famille sous l’emprise d’une drogue puissante qui circule aux USA. Mais il est sauvé des griffes de la justice américaine par un étrange psychiatre qui l’emmène en Europe dans un Institut encore plus étrange. Là vivent en paix, étudient et se laissent étudier par des scientifiques, de jeunes métamorphes. Tous connaissent des épisodes de métamorphose, tous ont été recueillis par les professeur McIntyre, lui-même métamorphe. Tim habite avec Flora qui se transforme en chat et Shariff en homard.

Cet institut est attaqué par des chasseurs hyper violents. Au cours de l’attaque, Tim,  en grizzly, tue une dizaine de gardes mais sauve Flora et tous ses amis. Pris de remords, il pense à mourir, il fuit Flora qui l’aime pourtant.

Puis un institut Suisse  intéressé par les potentialités des métamorphes, pour en faire des mercenaires surpuissants enlève d’autres jeunes et les torture en vue de leurs expériences. Bref, beaucoup d’aventures, de sang, mais aussi de philosophie et de nouvelles technologies. En effet, Flora est une redoutable pirate informatique et Shariff un adepte des philosophies orientales.

On pourrait se dire, encore un roman avec des loups garous ! Mais en fait, Instinct 1 et 2 sont pour moi, une réussite. Cette variante du mythe du loup-garou fonctionne très bien.Ses composantes, don de métamorphose, jouissance de sa force physique, ambivalence des émotions et sentiments, cruauté et remords, violence et essai de contrôle, conflits avec le groupe, impossibilité d’aimer librement, questionnement sur la folie, solitude  au sein des humains, au sein de leur propre groupe d’amis parfois,  rapprochent évidemment les loups garous adolescents des jeunes lecteurs.

Le mythe de la métamorphose, grâce à ses différentes facettes, est particulièrement apte à décrire les angoisses humaines, les angoisses de passage, de transformations de l’enfance à l’âge adulte, de la raison à la folie parfois.

Les procédés d’identification jouent à plein chez les jeunes lecteurs, identification narcissique à des adolescents beaux et forts, identification psychologique avec leurs tourments, leurs dédoublements de personnalité, leurs changements douloureux,empathie pour leur solitude et leur vulnérabilité.

 

Six jours pour (sur)vivre

Six jours pour (sur)vivre
Philip Webb
La Martinière, 2011

 6 = « 24 heures chrono »

par Christine Moulin

philip webb,la martinière,apocalypse,science fiction,adolescence,christine moulinLa première moitié du livre est très bonne, le premier quart excellent. L’action se situe dans un Londres du futur dévasté par la guerre et par les recherches que les Vlads (avatars des Soviétiques ?) imposent à la population : il s’agit, ni plus ni moins, de démolir la ville, pierre par pierre, pour retrouver un mystérieux artefact, censé détenir des pouvoirs immenses et bénéfiques. A la manœuvre, les « excaves », dont font partie les héros : Cass, nouvelle Gavroche, et son frère Wilbur qui, à huit ans, fait preuve d’une intelligence hors norme. Il est persuadé qu’il peut deviner où est l’artefact et se fonde, pour le chercher, sur des indices qu’il puise dans d’anciennes bandes dessinées enfouies dans les ruines des maisons qu’il aide à abattre. C’est ainsi qu’un jour, il se retrouve suspendu à une des aiguilles de Big Ben : sa sœur le sauvera avec l’aide d’un être mystérieux qu’elle surnomme d’abord Pyjama Boy, à cause de sa tenue, et qui s’avérera être Peyto, venu d’une autre planète. Bien sûr, Peyto a un lien étroit avec l’artefact.

Jusque là, ça va. Mais après, les choses se compliquent : la quête perd de sa lisibilité au fur et à mesure du roman. Les péripéties se multiplient, ce qui, en soi, n’est pas un mal, les personnages aussi mais surtout, les explications, dont on a parfois l’impression qu’elles sont données au fur et à mesure, pour prévenir les objections des lecteurs vigilants. A la fin, tout est confus et cela finit un peu en queue de farfaleur (« private joke » pour ceux qui liront le livre).

Il manque aussi un arrière-fond : où va cette histoire ? Elle nous redit encore une fois que l’amour, c’est mieux que la guerre. Les méchants ressemblent aux méchants des magazines que dévore Wilbur : moitié nazis, moitié soviétiques. Quand ils ne sont pas tout à fait méchants, l’auteur insiste : « Clouée sur place, je m’aperçois que toute ma haine pour Serov [la méchante n°1] n’est plus aussi simple ».

Et pourtant, on ne lâche pas le bouquin ! Parce qu’il y a des mystères qui demandent à être éclaircis, des périls qui menacent les héros à chaque page, les ingrédients obligatoires d’un tel récit (la fin du monde qui n’est qu’une question d’heures – six ‑, le traitre, les robots improbables, le vaisseau spatial qui se rebelle, à la manière de Hal dans 2001, odyssée de l’espace…). Et surtout, il y a le personnage de Cass, au verbe savoureux (à la fin, malheureusement, l’auteur s’essouffle : les dialogues sont moins drôles), au courage gouailleur, à la tendresse bourrue.

En fait, on a l’impression d’être devant la mise en mots de « comics » (on a même le droit à une excursion dans la Préhistoire, avec belle dame pulpeuse vêtue de peau de bête !). Dans cette mesure, on peut dire que ce roman est une réussite.

On peut voir une vidéo sur le site de l’auteur (dont c’est le premier roman).