Camp Paradis

Camp Paradis
Jean-Paul Nozière
Gallimard, Scripto, 2013

 

Que les hommes sont cruels !

Par Maryse Vuillermet

camp paradisLe narrateur Boris, orphelin,  est amené au Camp Paradis par un complice de son père,  trafiquant d’armes. « Eclopé de la vie » comme quatre autres enfants qu’il va y rencontrer, il est aimé et sécurisé par Pa et Ma, les responsables du camp  qui se sont donné la mission de sauver ces enfants.  Chacun d’eux a un passé horrible qu’on découvre par bribes, enfant esclave, enfant soldat,  enfant handicapé  et martyrisé ou affamé.  Dans ce camp, les règles sont strictes, pas de religion,  pas de prières,  pas de race, on travaille et on s’entraide. Mais les guerres tribales de religion ou de pouvoir sévissent tout autour et se rapprochent.

Le lieu et le camp sont imaginaires  et le récit présente quelques invraisemblances, mais c’est un roman tendre et violent,  qui se lit avec  terreur. Il tient bien sa place dans la collection Scripto.

 

Dans la peau d’une autre

Dans la peau d’une autre
Johan Heliot
Rageot (thriller), 2013

Métamorphose diabolico-show bizique

Par Anne-Marie Mercier

danslapeauduneautreCe roman, publié dans la catégorie des thrillers, exploite une belle idée : une société qui assoit sa fortune dans l’industrie du spectacle se met en cheville avec un médecin génial et véreux pour créer des icônes médiatiques et les exploiter… à mort. L’héroïne du récit est une très jeune pop star (15 ans), blonde et mince, qui mène une vie à un rythme infernal, craque nerveusement et est placée dans une clinique suisse, non  pour s’y reposer comme elle le croit, mais pour subir une opération de chirurgie esthétique qui la rend méconnaissable afin de laisser le champ libre à une réplique d’elle-même fabriquée artificiellement.

En dehors de cette idée et de quelques personnages secondaires originaux, dont une animatrice de blog de fans, cet ouvrage est lui-même quelque peu formaté. Il est fait avec une certaine efficacité et propose des situations et des personnages plus qu’improbables. Mais l’idée est belle, qui consiste à s’interroger sur les « icônes » médiatiques, au point de poser la question de leur existence réelle – ou celle de leur appartenance à l’humanité –  et au lien entre apparence et identité.

Un Ecrivain à la maison

Un Ecrivain à la maison
Roland Fuentès
Syros (tempo), 2010, 2013

L’art d’écrire

Par Anne-Marie Mercier

Un Ecrivain à la maisonJournées du livre à Saint-Cloque, c’est un événement. La prof de français et la documentaliste s’affairent avec le petit groupe d’élèves qui participe à l’organisation : communication, budget, installation, logistique… On découvre dans ce petit livre les nombreuses facettes de ce type d’événements. Le coeur de l’intrigue, assez ténue à vrai dire, réside dans le fait que l’un des deux auteurs invités loge chez l’habitant, plus précisément chez le narrateur, un jeune garçon timide qui se verrait bien écrivain lui aussi.
Les situation sont assez caricaturales mais le récit fourmille de réflexions sur l’écriture, la publication, la littérature et propose une vision plutôt drôle mais assez juste de la situation des écrivains qui rencontrent des classes.

Il y a une suite : Un écrivain dans le jardin

Du bonheur à l’envers

Du bonheur à l’envers
Pascal Ruter
Didier, 2013

Quand le « petit Nicolas » s’invente une autre vie

Par Dominique Perrin

bonhComme sans doute en partie son auteur Pascal Ruter, Victor vit avec ses parents dans une campagne lotie de pavillons en bordure de Paris. C’est d’abord le quotidien d’un « petit Nicolas » qu’il narre avec une certaine verve et une certaine fraîcheur, en un peu plus sombre du fait de son âge un peu plus mûr. Des drames bien réels traversent son existence, sans que le jeune protagoniste soit ni armé ni outillé pour les arraisonner : celui de l’incompréhension croissante entre des géniteurs comme venus de planètes différentes, celui de la jeunesse confrontée à la maladie et à la mort, notamment dans quelques chapitres occasionnellement pris en charge par la voisine adolescente de Victor. Ce récit-tableau décolle, et se mue avec une force inattendue en aventure initiatique, avec l’arrivée en fanfare d’un oncle viscéralement marginal, porteur consciencieux et désinvolte d’une partie riche et lourde de la mémoire familiale, et d’un rapport fondamentalement différent au monde. 

Je suis sa fille

Je suis sa fille
Benoît Minville

Sarbacane, 2013

Fuck la crise ?

Par Matthieu Freyheit

Je suis sa filleSuite à la perte de son emploi, le père de Joan braque une banque, armé d’un faux revolver. La manœuvre tourne mal : un policier lui tire dessus, le laissant entre la vie et la mort. Pour Joan, c’est la débâcle sentimentale. Celle de la colère. De la rage. Ce qui pourrait s’apparenter à une descente vers le fond se transforme en poussée vers l’avant : Joan prend la route avec son meilleur ami, Hugo. Leur but ? Tuer. Qui ? Un représentant de ce système écrasant qui a brisé l’existence du paternel. S’engage un road-trip sur les routes de France, direction Nice. Un road-trip textuel également, où se répondent des voix intérieures et les voix extérieures, les joies du voyage et le refus du monde, et les angoisses de savoir l’arme toujours cachée dans la boîte à gants : d’une manière ou d’une autre, tout est dit, tout est exprimé, sauf l’essentiel, qui reste douloureusement coincé dans les tripes de Joan. Tout cela sur fond de hard rock, comme pour libérer et accompagner ce cri refoulé, et cette décision difficile à assumer.

Un livre anti crise ? Peut-être, si ce n’est que ce livre anti crise ne parle que de la crise : économique, sociale, mais surtout sentimentale. Le parti-pris narratif de l’auteur restitue la complexité du ressentiment : les italiques répondent aux majuscules, comme pour manifester dans le texte l’insurrection de l’héroïne, qui n’en est pas tout-à-fait une. Submergée, Joan se laisse guider par Hugo et par ce mot d’ordre : Fuck ! Vraiment original ? On frôlerait la caricature adolescente dans cette répétition insolente, ou dans les mauvaises farces d’Hugo, personnage qui peut agacer plus qu’émouvoir. Mais cette caricature est elle-même un jeu pour détourner le torrent des émotions, pour éviter la confrontation de soi à soi. D’où un malaise devant le comportement des adolescents, qui n’est que le résultat d’un malaise situationnel : l’aventure sera-t-elle en mesure de canaliser les rages de Joan ? Les détours imposés par Hugo freineront-ils la détermination de la jeune fille ? sèmeront-ils en chemin son besoin de destruction, de vengeance ? Le flux de ses paroles, volontairement vaines, parviendront-elles à briser les voix qui hurlent en Joan et cisaillent la narration ?

Tout cela semble parfois passer au second plan, et la présence de l’égocentrique Hugo peut par endroits gâcher ce que le livre contient de sensibilité. D’autant que l’aventure parallèle de son frère, franchement cocasse, suffit pour le lecteur à apporter le degré d’humour nécessaire au désamorçage du drame. Le discours social, quant à lui, n’est pas totalement dénué d’une certaine stéréotypie populiste qui veut que le malheur vienne d’en haut. Mais enfin, qu’importe : le genre du road-trip adolescent méritait d’être investi, et le rapport à la musique et à la culture parentale fonctionne bien. Blanche, rencontrée en chemin, parvient à changer la violence en douceur, et s’attache l’affection des personnages comme du lecteur. Joan (un hommage à Baez ?), quant à elle, prise entre crises de larmes et crises de rires, va peu à peu traverser la France et se traverser elle-même de part en part, vers ce qui devait arriver, inéluctablement. Mais cela, je vous laisse le découvrir.

On peut ne pas être convaincu. Soit. Il reste que Benoît Minville essaie d’être une force de proposition avec un roman comme il n’en a pas encore été écrit, et qui comporte une vraie prise de risque.

 

Vous trouverez, aux liens suivants, quelques critiques enthousiastes :

http://culturez-vous.over-blog.com/article-benoit-minville-je-suis-sa-fille-roman-a-partir-de-15-ans-250-pages-sarbacane-xprim-septembre-119869504.html

http://luciebook.blogspot.fr/2013/08/je-suis-sa-fille-de-benoit-minville.html

http://lebruitdeslivres.blogspot.fr/2014/02/je-suis-sa-fille.html

demanderl’impossible.com

demanderl’impossible.com
Irène Cohen-Janca

Rouergue, 2012

Révolutions muettes

Par Matthieu Freyheit

demanderl’impossible.comMuettes, comme les nombreux silences qui tissent ce roman nourri de non-dits et de dialogues en creux. Voilà un livre plutôt subtil qui mérite de s’y arrêter et de passer un premier malaise : car c’est bien un malaise, et non de l’ennui. Mais cela, il faut le découvrir, comme on découvre peu à peu tout ce qui, dans la vie d’Antonin, va de travers.

Antonin a quelque chose du loser : c’est en ces termes en tout cas qu’il se présente au lecteur. Loser, il n’a cependant que le sentiment de l’être. En réalité, c’est un adolescent comme les autres, et c’est peut-être ce qui pose problème. Car Antonin se réfère parfois malgré lui aux idées de son oncle Max, celles de mai 68. Là, ça y est, vous avez compris le titre. Mai 68 ? Il était temps, c’est vrai, qu’on roman intelligent y revienne. Car mai 68, il y a ceux qui l’ont vécu, et il y a les autres. Entre les deux, un fossé, un on-ne-sait-quoi d’inexplicable. Et pourtant, c’est bien mai 68 qui, de ses relents libertaires, gangrène l’existence d’Antonin et celle de sa famille. Ce qui ne va pas ? Mai 68, qui fait penser à Antonin qu’il n’est peut-être pas à la hauteur. Et la grande révolution étudiante de donner naissance à de muettes révolutions familiales, et personnelles.

Au départ, rien que de très normal. Antonin va au lycée. Il sort avec Léa. Se sépare de Léa. Sa sœur, parfaite (ou presque), est la première à introduire le bouleversement dans la famille. Sa mère, parfaite (ou presque, bis), nie le réel jusqu’à ce qu’il s’impose violemment à elle. Son père… RAS. Et sur le trottoir en face de la maison, ce sans abri qui s’est installé et qui intrigue tant Antonin. Antonin qui, dans une belle sensibilité, comprend et nous fait comprendre les maux et les silences, et qui devant l’écran de son ordinateur jouit d’autres formes de révolutions : sur le web, l’existence fait jour, le rêve se poursuit, et le réel des sentiments s’impose bien plus que dans un quotidien désespérément tacite. Il faut en passer par là pour que les mots surgissent, et que la vie reprenne ses droits. Pour que l’anorexie de sa sœur soit enfin chose dite, et que la tristesse de sa mère soit chose du passé. Pour balayer l’ombre de mai 68, et bâtir des rêves nouveaux.

Manquer la joie, c’est manquer tout, écrit Stevenson. C’est le fond du discours délicatement mené par Irène Cohen-Janca, qui derrière quelques lieux communs parvient à tisser une trame d’une belle finesse. Et de rappeler que si l’on nous parle sans cesse de révolutions technologiques, notre temps connaît aussi des révolutions de sensibilité, plus discrètes mais peut-être plus profondes.

Fugueuses

Fugueuses    
Sylvie Deshors
Rouergue, Doado, 2013

 Très politiquement incorrect!

Par Maryse Vuillermet

fugueuses imageCe roman est un éloge de la fugue,  de la résistance passive  ou active contre le pouvoir et ses représentants, les CRS. Deux jeunes filles,  mal dans leur vie et leur famille,  décident de fuguer en début d’hiver. Elles rejoignent le camp des opposants à un aéroport,  quelque part en Vendée. Là,  elles apprennent la débrouille, la solidarité, le travail collectif, l’écologie, la construction de cabanes, donc,  d’après elles,  beaucoup plus et mieux qu’au lycée. Elles sont amies mais très différentes, Lisa est forte, elle aime le combat  et les travaux physiques, Jeanne est douce, timide et réfléchie. Elles s’épanouissent dans ce milieu,  malgré la boue, le froid et le danger des charges de CRS.

A la fin, leur chemin se sépare, mais cette parenthèse les aura rendues plus fortes.

Beaucoup de parents n’apprécieront pas cet éloge de la fugue, mais beaucoup de jeunes vont rêver de cette vie libre, qui a un sens,  parce  qu’elle obéit à des choix de vie assumés.

Frangine

Frangine
Marion Brunet
Sarbacane, Coll. Exprim’, 2013 

Un beau roman de formation sur un sujet ô combien délicat et d’actualité

Par Maryse Vuillermet

 

frangineJoachim, lycéen de terminale,  n’a pas eu trop de problèmes jusque-là,  pour vivre sa différence. En effet, il est né d’une PMA ( procréation médicalement assistée) et il a deux mères, maman et Maline. Ceci pour plusieurs raisons, il est beau et costaud et il est magnifiquement aimé par ses deux mères et sa petite sœur, il vit dans un cocon de tendresse  et de confort. Il n’en va pas de même pour sa petite sœur, Pauline,  quand elle arrive au lycée.

Elle subit de plein fouet la bêtise, la haine et la violence de quelques gros bras de la classe de première. Ils la harcèlent, la couvrent d’insultes, la menacent des pires sévices sexuels, lui font un chantage ignoble. Elle souffre en silence. Pendant ce temps,  son frère vit sa première aventure amoureuse avec Pauline.

 Cependant,  par hasard, il  apprend l’horreur, fou de haine et honteux de son aveuglement,  il veut régler leur compte aux idiots,  mais sa petite sœur   ne veut pas qu’il le fasse à sa place.  Après avoir repris des forces pendant les vacances de Toussaint à la campagne auprès de ses grands-parents, elle décide de ne plus subir. Il fallait juste qu’elle arrête d’avoir peur. Le récit du retournement de situation est très jouissif  pour le lecteur.

C’est une belle histoire, un beau roman de formation original, sur un sujet peu traité,  mais d’actualité ; les enfants de couples homosexuels.

Joachim découvre en même temps l’amour et la sexualité, les différences sociales, la haine et toutes ses découvertes ne le font vaciller qu’un instant,  car, grâce à ses mères et à leur amour inconditionnel, à leur courage de vivre en accord avec elles-mêmes, il a des bases solides. C’est la leçon du roman:  ce qui compte, c’est surtout l’amour  entre frères et sœurs, entre grands-parents et petits enfants,  et dans le couple, l’amitié et  c’est ce qui donne le courage de  ne pas passer à côté de sa vie.

Les sauvageons

Les sauvageons     
Ahmed Kalouaz
Rouergue  Doado  2013

 Bagnes pour enfants

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

les sauvageons imageAhmed Kalouaz nous raconte l’histoire des enfants bagnards à la fin du siècle dernier en France. Pour trois fois rien, un chapardage, un vol, un vagabondage, on enfermait les enfants dans des colonies pénitentiaires. C’est le cas d’Hippolyte, orphelin de père et maltraité par son oncle,  qui a suivi un colporteur  beau parleur et sulfureux et qui, arrêté en sa compagnie,  se retrouvera  à Boussaroque, une ferme-prison  en pleine forêt. Là,  les enfants travaillent du matin au soir, mangent à peine, ont froid, faim et parfois meurent d’épuisement.

Le héros ne rêve que de s’enfuir,  comme son ami Giuseppe, déjà aguerri, qui fugue chaque été et qui finira mort au pied d’une falaise. Mais il hésite car il protège Julien, un enfant rencontré au dépôt et il a la confiance d’Albert,  le palefrenier, un des rares adultes à avoir conservé un peu d’humanité,   qui lui apprend son métier. Il voudrait retrouver sa mère,  voir la mer, vivre enfin.

Nous le suivons dan pendant deux ans de captivité et  deux fugues, une avec Giuseppe et Julien, une  autre, seul.  Les fermiers des environs sont leurs ennemis, car,  s’ils  les attrapent et les ramènent à la colonie , ils touchent une prime.

Kalouaz raconte assez sobrement  mais avec justesse et énergie, cet enfer, le rêve de ces jeunes, les quelques instants d’enfance qu’ils volent, leurs amitiés,  leurs espoirs.

Marie Rouanet avait raconté cette histoire vraie dans Les enfants du bagne en 94 chez Payot, mais ici, nous la vivons du point de vue d’un enfant,  et c’est très émouvant.

ça déménage

Ça déménage
Cécile Chartre

Rouergue (Zig Zag), 2012

Trop rapide mais drôle !

par Sophie Genin

cademenageLe point de vue du garçon de 8 ans et demi de ce roman est grinçant juste ce qu’il faut et il sonne comme il faut aux oreilles du lecteur mais la rapidité de l’histoire, depuis le départ précipité de la maison de rêve à la campagne pour un petit appartement en ville jusqu’à la fin idyllique (papa vit avec sa nouvelle compagne et ses enfants dans une maison pas loin de l’ancienne et maman se fait faire des bouclettes et tout est parfait dans le meilleur des mondes !) empêche de réellement entrer dans ce récit.

Néanmoins, la collection « Zig Zag » qui s’adresse aux lecteurs à partir de 7 ans est adaptée au public visé et des créations originales se font jour dans ce roman : notamment le nom étonnant du chat (Jean-Claude Chipolatas !) et sa relation fusionnelle avec le narrateur, son maître ainsi que l’humour décalé de ce dernier.