Boucles de pierre

Boucles de pierre
Clémentine Beauvais, Max Ducos
Sarbacane, 2021

Promenade au Parc

Par Anne-Marie Mercier

Max Ducos signe un nouvel album à la tonalité légèrement fantastique, cette fois en collaboration avec Clémentine Beauvais. Elle a imaginé une histoire originale qui donne à un parcours quotidien qui pourrait être répétitif l’allure d’une aventure : pendant plusieurs mois, une jeune fille va rendre visite tous les jours à son oncle en traversant un parc. Elle observe les détails, les gens, la végétation, elle note les changements, et  finit par découvrir que les cheveux des statues poussent. Elle en parle à son oncle, qui semble ne l’écouter que distraitement, pour finalement s’intéresser de plus près au phénomène. La résolution du problème fait découvrir le métier de l’oncle (tailleur de boucles) et le lien entre sa maladie et le dérèglement des statues. Cette idée originale est-elle un souvenir du premier confinement, quand plus personne ne pouvait aller se faire couper les cheveux chez un coiffeur ? Toujours est-il que ces statues hirsutes et velues sont aussi surprenantes que certains visages découverts (ou plutôt recouverts) à cette époque.
Les images de Max Ducos travaillent le sujet du parc de manière superbe, avec un très beau rendu des feuillages, des surfaces aquatiques et des ciels, et de multiple détails (comme la statue à frange qui ressemble à Clémentine Beauvais).
feuilleter sur le site de l’éditeur.

 

Ash House

Ash House
Angharad Walker
Traduit par Maud Ortalda
Casterman, 2021

Belle et inquiétante étrangeté

Par Anne-Marie Mercier

Souvent, les quatrièmes de couverture exagèrent. Celle-ci m’avait laissée dubitative : « Un roman exceptionnel à l’inquiétante étrangeté, « dans la lignée de Miss Peregrine et les enfants particuliers et Sa Majesté des mouches » (Goodreads) ». Eh bien, une fois le livre refermé, on se dit que ces propos sont justes, peut-être davantage du côté de Miss Peregrine que du roman de Golding plus ancré dans la réalité.
Ash House est étrange : la maison faite de cendres, les enfants, garçons et filles, dépenaillés qui y sont pensionnaires depuis des années, le directeur, absent depuis un certain temps, le docteur inquiétant, qui semble le remplacer temporairement, les animaux monstrueux gardés dans des cages et laissés libre la nuit, la frontière infranchissable entre le dehors et le dedans. Les efnants vivent dans une serre envahie par la végétation à certains endroits ; le manoir leur est interdit : c’est le domaine du directeur et du docteur.
Le héros de l’histoire, qui d’emblée a oublié son nom et à qui on a donné celui de Sol, pour Solitude, arrive de l’hôpital où il était soigné pour des douleurs récurrentes et incurables : il doit, lui a-t-on dit trouver le salut dans cette institution. Il découvre un univers étrange, sans adultes tout d’abord, dans lequel il peine à trouver sa place. Il est d’abord rejeté par cette communauté dont il ne respecte pas les codes (les « Obligeances) malgré l’aide de son ami, Dom (pour Freedom).
Les autres enfants se nomment Concord, Harmony, Verity, Merit, Justice, etc. Noms de vertus qui sont autant d’ « Obligeances ». Une fille, Clem, manque, morte sans doute, personne ne veut en parler. Elle apparait à Dom et lui souffle des avertissements, conseils pour rompre avec la malédiction qui semble les enchainer à l’attente d’un coup de téléphone du directeur qui ne vient pas. Tous ces personnages d’enfants fantomatiques sont à peine esquissés et pourtant ils prennent corps. Leurs gestes, intonations, réactions, souvent à peine indiqués, leur donnent vie.
Leurs «leçons» sont étranges, répétitions des Obligeances à n’en plus finir comme un mantra. Chacun est assigné en dehors des « cours » à une tâche : cuisine (des vivres leurs sont livrés, puis la livraison s’arrête), nettoyage, soins aux animaux… Sol fait équipe avec Dom pour la surveillance des drones qui filment le domaine.  Tout s’emballe quand le docteur fou commence à s’intéresser à Sol…
Histoire toute en nuances de gris de cendre ou de noir de cauchemar, parfois terrifiante, le roman est d’une étrange beauté, pour s’achever dans un suspens haletant et sur une étrangeté qui reste irrésolue.
Feuilleter et voir la bande-annonce (bien gothique, à l’image de la couverture, parfaite).

Des Jumeaux à Versailles. Roi-Soleil, nous voilà !

Des Jumeaux à Versailles. Roi-Soleil, nous voilà !
Nathalie Somers
Didier jeunesse (Mon marque page +)

La Cour de Versailles version 2021

Par Anne-Marie Mercier

Deux jumeaux, fille et garçon, orphelins, appartenant à la noblesse de province désargentée, vivent heureux. Un maitre d’arme les entraine tous les deux, chose un peu curieuse. Un prêtre les instruit, une cuisinière les nourrit, les soigne, les câline. Un mystère dont ils ignorent même l’existence entoure la personnalité de leur père que le maitre d’armes a bien connu et dont il tient l’identité secrète : cette intrigue sera sans doute mise en réserve pour d’autres épisodes mais on devine déjà que la fameuse botte que le maitre d’armes doit leur transmettre la dénouera (comme la botte de Nevers dans le Bossu de Paul Féval).
Le garçon, Nicolas, est recruté comme chanteur à la Cour. Louise désespéré d’être séparée de lui se débrouille pour être embauchée comme joueuse de luth auprès d’une dame de sa province qui « monte » à Paris. À la Cour les attendent de multiples intrigues et dangers dont, on le devine, ils se sortiront avec humour, bonne humeur, solidarité et courage. Quant au Roi-Soleil, malgré le titre, il brille par son absence.
L’histoire tourne bien, avec un bon rythme. Mais ces jumeaux sentent à plein nez leur XXIe siècle, tant dans leur mentalité que dans leurs expressions. D’ailleurs, pour les dialogues comme pour la narration l’auteur semble n’avoir fait aucun travail sur le style ; c’est à peine écrit et souvent proche de l’oral. Est-ce pour aider les lecteurs ? À mon avis c’est excessif.
Louise est une héroïne charmante avec tous ses talents et Nicolas un frère très aimant. Sur la première de couverture, ils sont bien mignons, ces jumeaux aux joues rebondies et au petit nez retroussé. Ils ont une allure de personnages de manga avec leurs grands yeux ; ceux de la fille sont marqués par des cils épaissis au mascara, chose bizarre : il semblerait que les éditeurs aient souhaité que le marquage genré soit net sur la couverture, sans doute pour contrebalancer (ou mettre en valeur ?) le fait que le garçon porte un luth et la fille un fleuret ; cela se confirme avec la jolie robe portée par la fille, en contradiction totale avec le texte qui dit qu’elle pratique l’escrime avec des habits de garçon. De plus, cette jolie robe n’arrive que tard : comme dans tous les ouvrages qui évoquent le XVIIe siècle et se passent à la Cour, la question des vêtements et de la belle robe est un sujet qui semble inévitable, histoire de plaire aux jeunes lectrices, sans doute, mais c’est aussi une question cruciale à cette époque, encore plus qu’à la nôtre, que le marquage social par le vêtement.
Pour ceux qui aimeraient un style plus travaillé dans des romans historiques, rappelons l’existence de la belle série des aventures d’Eulalie de Potimarron de Anne-Sophie Silvestre.

 

Le Doux Murmure du tueur

Le Doux Murmure du tueur
Nadine Monfils
Mijade (Zone J), 2021

Meurtres au ruban rouge

Par Anne-Marie Mercier

Mêlant les genres du roman miroir, du fantastique et du roman policier, ce texte court et efficace offre une belle lecture, pleine de surprises et de suspens. Le héros, Jack, collégien solitaire, aime la belle Nina qui l’ignore, ou pire. Un jour où il est particulièrement désespéré, une voisine âgée semble lire dans ses pensées et lui offre un livre qui a un effet surprenant : il a une vision associée au mot « anniversaire » inscrit dans ce livre : Nina, assassinée dans une forêt, étranglée avec le ruban rouge de sa robe.
A partir de là de multiples intrigues se nouent : La voisine disparait : son mari l’a-t-il assassinée ? le rat apprivoisé de celle-ci est sauvé par Jack qui le recueille : ce rat a-t-il des pouvoirs ? Qui est la jeune fille assassinée il y a des années avec un ruban rouge ? Quel est l’homme dont Nina est amoureuse en secret et qui l’appelle « mon ange » ? serait-ce leur beau prof de français, surnommé « Clooney » ? Qui est la femme qui a écrit à celui-ci il y a bien longtemps en signant « ton ange », dont il garde précieusement la lettre ?
Bien d’autres questions et personnages apparaissent au fil des pages, tant que l’on en prend le vertige.
Le dénouement apporte toutes les réponses à la fois, avec des accumulations de coïncidences qui mettent un peu à mal la vraisemblance, mais qu’importe, on aura passé un moment à frémir avec Jack pour les beaux yeux de Nina et à s’indigner devant le comportement de certains, parents, collégiens, voisins…

Demandez-leur la lune

Demandez-leur la lune
Isabelle Pandazopoulos
Scripto Gallimard 2020

Des mots et des rêves

Par Michel Driol

Ils sont quatre à se retrouver en seconde en lycée professionnel, trois décrocheurs et un immigré turc, deux filles et deux garçons, en cours de soutien avec une professeure de français poursuivie par des rumeurs, mais qui va les entrainer à prendre la parole, à s’exprimer, avec, en ligne de mire, leur participation à un concours d’éloquence.

C’est un livre rare, comme on aimerait en lire plus souvent, sur les relations complexes entre adolescents, sur les relations avec les enseignants, sur le rôle de l’école dans les milieux sociaux les plus défavorisés. C’est un livre sur les exclus, ceux des zones blanches, où rien ne passe, trop timides, trop marginaux, qui n’ont pas eu accès aux mots pour se dire, et qui vivent dans le silence, dépeints ici avec une rare empathie. C’est un livre sur la violence scolaire, non pas celle, physique, dont entend parler tous les jours, mais celle, plus sournoise, de l’orientation, des menaces de l’administration, du conformisme auquel il faudrait se résoudre. C’est un livre sur les relations familiales, dans différents milieux : il y a ceux que la disparition du fils a brisés, celle qui vit dans un mobil-home avec une mère bipolaire, cette famille de petits entrepreneurs dans laquelle le père violent rêve de voir son fils lui succéder, ou la famille absente du jeune immigré turc. C’est un livre sur toutes ces fêlures, ces blessures, ces maux qui attendent les mots pour les dire, et la confiance en soi  pour les prononcer. C’est un livre comme un hommage à tous ces enseignants qui pensent que le détour par la culture, le jeu dramatique, le non scolaire peut redonner espoir à de nombreux jeunes, espoir d’abord en eux-mêmes. C’est un livre pour apprendre à ne pas abandonner, et à tenir à réaliser ses rêves. C’est enfin un livre à la fois réaliste, et, dans une large mesure, optimiste. C’est un livre dont ne saurait que trop recommander la lecture à tous les enseignants en formation…

L’écriture, pleine de rage et d’urgence,  est belle et soignée. C’est d’abord un relai de narration, par lequel est présenté le point de vue de chacun des personnages, à la troisième personne le plus souvent (par souci de réalisme), mais aussi, parfois, en leur laissant la parole (écrit intime, enregistrement). Comme le théâtre joue un rôle important, parfois le texte se fait dialogues théâtralisés, avec didascalies, façon d’être au plus près des mots et des corps, des audaces et des pudeurs.

Un livre qui laissera une trace dans l’esprit et l’imaginaire de ses lecteurs, parce qu’il explore tout l’univers des mots, que ce soient ceux qui endoctrinent, ceux qui engagent, ceux dont a peur, ceux qu’on apprend à maitriser pas à pas, et un livre sur les deux silences, celui qui emprisonne et emmure, mais aussi celui qui porte en germe la parole qui va venir.

Femmes au fil du temps

Femmes au fil du temps
Katarzyna Radziwill, Joanna Czaplewska (ill.)
Helvetiq, 2021

Une histoire du progrès ?

Par Anne-Marie Mercier

Grand album, petite encyclopédie, long parcours, il y a tout dans cet album où les femmes sont représentées en petites figures colorées (selon les modes) dans leurs activités : broyage des céréales, cuisine, couture, puis des activités plus diversifiées (dentiste, ministre, pilote…). Les Égyptiens apparaissent comme les plus avancés de l’Antiquité, les romains comme des super patriarcaux, quant aux Grecs, en lisant en détail, on voit que cela dépend des villes…
C’est un peu sommaire et général, certes (la bibliographie date un peu d’ailleurs) mais tout à fait adapté pour un parcours comparé de l’histoire de l’humanité, qui apparait sous toutes ses couleurs (du moins jusqu’au Moyen age, période après laquelle l’Europe seule est prise en compte, puis l’Amérique du nord, mais le titre insiste sur le temps et non sur l’espace – il a fallu sans doute faire des choix).
On trouve des détails sur le mariage, la maison, l’éducation, la mode, la mention de la première manifestation pour les droits de femmes (à Rome), celle de la première femme premier ministre (en Russie, en 1817), de la dernière emprisonnée pour sorcellerie (en 1944). On a des résumés sur le droit de vote, qui montrent le retard de la France, et sur les actions en cours contre les inégalités et les stéréotypes, toutes sortes de détails actuels intéressants.
Une préface de Micheline Calmy-Rey, présidente de la confédération helvétique entre 2007 et 2011, ouvre à propos l’ouvrage.

 

Un petit geste

Un petit geste
Jacqueline Woodson – E.B. Lewis
D’eux 2021

Le temps perdu ne se rattrape plus…

Par Michel Driol

Une nouvelle élève, Maya, arrive en plein hiver. Elle est mal habillée, et doit s’asseoir à côté de Chloé, la narratrice, qui ne lui rend pas son sourire, et refuse de jouer avec elle, comme toutes ses amies. Rejetée par tous, malgré ses efforts pour s’intégrer, Maya, en butte aux moqueries, ne vient plus à l’école. Alors l’enseignante donne une leçon sur les petits gestes qui peuvent tout changer.  Chloé comprend, mais trop tard…

Voilà un album qui tranche sur les publications habituelles sur le sujet, qui finissent en général dans l’optimisme un peu béat d’une amitié naissante. Rien de tel dans ce superbe album. On signalera d’abord la qualité des illustrations de Earl Bradley Lewis. Ses aquarelles donnent à la fois à voir l’hiver au Canada dans des décors très précis et réalistes, mais aussi de magnifiques portraits d’enfants, saisis en mouvements, dans leurs jeux et leurs activités, tantôt en groupe, tantôt isolés, mettant en évidence la solitude et la tristesse de Maya. Ce que montre l’album, c’est la difficulté, même pour des enfants, de s’ouvrir à l’autre qui est différent (Maya ne porte pas des habits d’hiver, vient visiblement d’un milieu pauvre dont on ne saura rien). C’est la force du groupe capable d’exclure qui n’est pas semblable, de faire bloc pour ne pas accepter l’étranger. Cela passe par les paroles, le refus de jouer, de répondre aux avances, la peur de perdre ses amis et ses repères. La force de l’album est de rendre sensibles et visibles tous ces phénomènes, ces attitudes pour mieux les dénoncer. On pourrait s’interroger sur l’attitude des adultes dans cet album. D’une part, il y a la directrice, qui accompagne Maya dans la classe. L’illustration en contreplongée montre le contraste entre le visage baissé de Maya et la tête droite, mais impénétrable, de l’adulte. Quant à la maitresse, elle n’intervient jamais pour permettre l’intégration de Maya. Tout se passe plutôt dans la cour, façon de montrer que c’est une affaire d’enfants avant tout. Sa leçon finale, très imagée, permet à Chloé de prendre conscience de sa cruauté et de son absence de gentillesse. L’album – à l’image de la maitresse –  ne veut pas moralisateur, ou donneur de leçons. Le constat final est amer pour Chloé, mais invite du coup le lecteur – qui s’est identifié à la « méchante », à la narratrice, à être sensible aux menues attentions que l’on peut avoir à l’égard des autres, quels qu’ils soient.

Signalons au passage que l’autrice, Jacqueline Woodson, a reçu le prix Astrid Lindgren en 2018, puis le prix Hans-Christian Andersen en 2020, soit les deux plus prestigieux prix littéraires pour la littérature jeunesse.

Un album qui questionne avec subtilité nos valeurs, le « vivre-ensemble », le communautarisme et l’exclusion, avec le souci de toucher les lecteurs et de les faire réfléchir, c’est-à-dire grandir en dépassant leurs préjugés.

TerreS

TerreS
Carina Rosenfeld
Syros, 2021

Sauts sans gambades (ou presque)

Par Anne-Marie Mercier

Nous voyageons avec Clara, et quels voyages ! Elle saute dans le temps et dans l’espace comme d’autres prennent l’ascenseur, mais avec tout de même davantage de difficultés : elle ignore chaque fois sur quel monde elle va atterrir, habité ou non, respirable ou non, hostile ou non, même si c’est chaque fois la planète Terre.
Le roman explore le thème des univers parallèles en imaginant les terriens de Terre 0 en quête d’une autre planète Terre où fuir pour échapper à des envahisseurs particulièrement cruels qui ont mis la leur en coupe réglée. Clara est chargée de trouver la dimension où se trouvera la solution : une Terre inhabitée mais vivable.
Elle a certes des atouts. Elle a été créée pour cette mission : née en laboratoire, génétiquement modifiée, augmentée et dotée de capacités cognitives et physiques inégalables, c’est une super héroïne. Elle a la tenue adéquate : une combinaison-armure qui se transforme en petit gilet élégant lorsqu’elle veut passer inaperçue.
Si le début du roman a des aspects un peu répétitifs, chaque saut sur une nouvelle dimension se révélant un échec et les manières pour une terre d’être inhabitable variant assez peu, la suite se corse un peu avec l’apparition d’un homme mystérieux à chacune de ses explorations, qui tantôt la connait tantôt l’ignore et dont on n’apprend qu’assez tard la nature étrange et le rôle. Un peu d’amour pimente l’aventure et l’héroïne connait  les affres de la passion tout en recevant moult coups sur la tête et sur sa super combinaison. Mais que de longueurs, de clichés et de redites ! L’écriture de SF a certes des difficultés spécifiques (introduction de notions techniques, descriptions d’univers et de mode de pensées autres, etc.), mais  l’auteure semble ne pas faire confiance à son lecteur. Elle est partie d’une idée, intéressante et ouvrant de nombreux possibles (dont une jolie robinsonnade), et semble avoir peiné à l’exploiter comme à donner de l’épaisseur à cette fille qui devient de plus en plus ordinaire au fur et à mesure que sa mission avance. C’est un curieux mélange de choses intéressantes et de platitudes.

La grande Boussole

La grande Boussole
Isabelle Renaud illustré par Laura Fanelli
Neuf – Ecole des Loisirs – 2021

Trouver la voie…

Par Michel Driol

Tout va mal pour Léo. Son père est au chômage, sa mère semble perdue, ses parents divorcent, et son meilleur ami a l’air de devenir fou… Pour remettre de l’ordre dans tout cela, et trouver la bonne voie, Léo a un objet magique : la boussole qui a servi à son aïeul républicain espagnol à traverser les Pyrénées.

Le roman brosse, avec humour, le portrait en actes d’un enfant qui perd ses repères familiaux et amicaux dans une famille qui se disloque. Il insiste sur sa façon de tenter de permettre à ses parents de se réunir autour de la musique, de leur propre passé. Tout est vu à sa hauteur : sa méconnaissance du rock, sa façon de mal comprendre et interpréter les mots  qu’il ne connait pas introduisent de la légèreté dans ce roman qui ne bascule vers le merveilleux de la boussole que dans sa tête.  Si le chômage, le burnout, le divorce sont bien présents, rien de lourd dans ce roman : les adultes sont présents, bienveillants, avec leurs rituels et leurs manies. Léo fait partie de ces personnages attachants des romans pour l’enfance, dans lequel nombre de lecteurs se reconnaitront par les jeux et la vision du monde. Quant à la boussole, elle est un bel objet transitionnel, symbole de toute une histoire familiale. Pleines de vie et très colorées, les illustrations mettent l’accent sur des personnages dans tous leurs états.

Un feel-good movie aux personnages sympathiques.

Par-delà les vagues

Par-delà les vagues
Catherine Grive Illustratrices Anouk Alliot et Seunhee Choi
Editions du pourquoi pas ? 2021

Sur la plage, abandonné

Par Michel Driol

Le personnage héros du récit est un enfant qui passe une journée à la plage avec sa famille. Quoi de plus banal, direz-vous… Sauf que le personnage est atteint de troubles bipolaires, et que le récit tente de faire éprouver par le lecteur ce qu’il ressent. Il passe ainsi par une période de peur panique devant la mer, ses dangers puis par une autre période d’exaltation incontrôlable.

La bipolarité est une maladie psychique qui se manifeste par des variations extrêmes de l’humeur : tristesse, profonde mélancolie (phase dépressive), agitation et exaltation (phase maniaque), avec répercussions graves sur la vie familiale et professionnelle, et qui peut résulter de facteurs génétiques, d’une hypersensibilité psychologique ou des évènements de la vie.

Bien qu’œuvre de commande, le texte a son autonomie littéraire propre, qui permet de le lire sans forcément être concerné a priori par le sujet traité. Le texte lui-même oscille entre deux pôles, un pôle poétique – la poésie étant une façon de faire percevoir le monde autrement – et un pôle clinique dans sa description précise du vécu, des pensées, des émotions du personnage. Ainsi, le personnage, anonyme, est-il toujours désigné par un « il » qui à la fois l’éloigne du lecteur, en fait un étrange étranger,  et renvoie au mystère de sa personnalité diffractée et anonymée. Ce texte est entrecoupé, à la façon d’un refrain, par des groupes nominaux qui associent le mot « vagues » d’une part  à un adjectif et d’autre part à un autre mot, de l’ordre de l’attitude ou du physique de personnage, comme une façon d’impulser un rythme en indiquant les états que traverse le personnage. Le lieu, la plage, et surtout  l’image récurrente des vagues renvoient, bien sûr, aux hauts et aux bas qu’il traverse. Trois phénomènes récurrents traversent l’écriture. D’un côté, on est frappé par l’importance et le nombre des négations (il n’entre pas, il ne sait pas) comme autant de façons de marquer l’empêchement, l’impossibilité d’agir ou de se comprendre. D’un autre côté, reviennent régulièrement les notations psychologiques liées à la conscience de la souffrance et du tourment causés aux autres. Enfin, ce sont les conditionnels présents (il aimerait, il voudrait…) qui marquent le désir d’une autre vie. On le voit, toutes les ressources de la langue sont mobilisées et maitrisées pour rendre sensibles les états et les émotions qui envahissent le personnage, jusqu’à la dernière partie du texte, qui évoque, comme un espoir de sortie de crise, l’aide médicale possible, ou celle des autres, avec la nécessité de l’acquiescement du personnage.

Les deux illustratrices proposent un travail tout en finesse et en douceur, dans des couleurs froides (bleu) qui se réchauffent à la fin, pour culminer dans un arc en ciel porteur d’espoir.

Un ouvrage qui donnera envie d’en savoir plus sur les troubles bipolaires, et qui répond bien à l’une des fonctions majeures de la littérature, qu’elle soit de jeunesse ou pas, qui est de permettre, par l’imaginaire, à chacun de faire un pas vers l’Autre et de mieux le comprendre avec empathie dans sa diversité, comme une façon de faire connaitre des mondes différents.