Papoulpe

Papoulpe
Emile jadoul
L’école des loisirs (Pastel), 2021

Super papa

Par Anne-Marie Mercier

Le poulpe est à la mode : on apprend des choses merveilleuses sur le nombre de ses cerveaux (9, dit-on), en plus de ses tentacules, ou plutôt « bras » (8) et il fait des jaloux. Emile Jadoul a propulsé un papa dans cette condition et remplit ainsi le rêve de nombreuses personnes multitâches qui aimeraient avoir plus que deux bras (et qu’un cerveau sans doute).
À peine sorti du bureau, Papoulpe va chercher ses enfants (3) à l’école, il leur fait prendre un bain (« encore ! » disent-ils, grognons), il les fait diner et abandonner leur tablette, doudou, etc. pour cela. Il prend lui-même son bain, non sans être dérangé plusieurs fois, et les envoie au lit. Enfin, il accepte de raconter une histoire malgré son épuisement, et de répondre à une énième question (« tu nous aime aussi très fort ? »), tout cela avec amour.
C’est donc une soirée ordinaire de « parent isolé » qui est décrite : pas besoin d’être un poulpe, mais il faut de l’amour, de l’énergie et de la patience. Tout le monde le reconnaitra avec ses 8 bras et son sourire craquant : cadeau idéal à offrir pour la fête des pères ?
Tout cela est conté avec l’art d’Emile Jadoul, l’auteur de Calin expres (un papa pressé), un bisou tout là-haut (un gand papa), Les Mains de papa, etc (voir les présentations sur le site de l’éditeur) : dessin sobre, expressions vraies, belles histoires du quotidien.

L’Incroyable bibliothèque Almayer

L’Incroyable bibliothèque Almayer
Philippe Debongnie, Cyndia Izzarelli, et…
À pas de loups, 2020

 

Pension pour êtres de fiction

Par Anne-Marie Mercier

Cet album de format moyen est tiré du grand projet de la pension Almayer, autour des images du graphiste belge Philippe Debongnie. Il a collecté toute une série de portraits photographiques anciens, et a remplacé leurs têtes humaines par celles d’animaux. La rigidité du portrait ancien et l’allure digne de ces animaux en posture dressée et en costumes raides leur donne un air nostalgique particulier. Les vêtements ont été coloriés par des collages aux motifs colorés (papiers peints, impressions anciennes) ou repeints. L’ensemble est chatoyant et la mélancolie des ‘visages’ est compensée par le raffinement des couleurs.
Divers auteurs ont proposé de courtes histoires pour accompagner ces portraits dans une version pour adultes, mais aussi des musiques. Dans cette édition pour la jeunesse, on a fait appel à des auteurs bien connus dans ce secteur comme  Annie Agopian, Marie Chartres, Marie Colot, Anne Cortey, Alex Cousseau, Rapahële Frier, Anne Loyer, Carl Norac, Cécile Roumiguière, Marie Warnant et Cathy Ytac. Cyndia Izzarelli a elle aussi illustré de ses mots plusieurs portraits.
Les histoires racontées ici sont souvent étranges, parfois loufoques, ou un peu effrayantes, révélant comment le personnage est arrivé dans la pension, ce qu’il y a fait, comment il en est parti, ou non. Cela fait une belle galerie inclassable et poétique. Elles se recoupent, avec le retour de personnages, l’allusion à des pièces de la pension, à des chambres, créant  tout un univers organisé par des  thèmes : Amour, Courage, Passion, Rêve, Voyage…

 

Le Projet

Le Pays des Chintiens : Les Îles

Le Pays des Chintiens : Les Îles
Anne Brouillard
L’école des loisirs, Pastel, 2019

Du rififi sous les mers

Par Anne-Marie Mercier

Les plus beaux voyages sont sans doute ceux où l’on n’arrive pas à destination. C’est du moins le constat que pourraient faire Killiok et Véronika, les corbeaux Kwè et Kwé, le Chat Mystère, et Suzy le cheval : ils quittent le Pays Comici – on a une carte pour se situer, c’est au sud et ça ressemble à notre monde car les animaux ne parlent pas, ne sont pas admis à table, et marchent à quatre pattes – pour assister à un spectacle de Vari Tchésou, leur ami magicien à bord d’un bateau de croisière qui se rend au Pays des Iles en passant par le Pays Noyé. On n’arrivera pas aux Îles, arrêté et détourné à la fois par les farces des bébés mousses et par un complot ourdi par les nuisibles.
Autant dire, en résumé, qu’on retrouve tout l’univers étrange du pays des Chintiens, avec en plus une aventure maritime, l’exploration d’un bateau de croisière luxueux (avec une vue en coupe), l’essai d’un appareil amphibie créé par le chat mystère, la recherche à travers la ville de Javili d’un savant détenant le secret de produits dangereux convoités par les nuisibles.

Si Javili du Pays Comici ressemble à une petite ville de Bretagne, le Pays Noyé ressemble à Venise : la ville a été submergée par la montée des eaux et ses habitants se sont adaptés, ils ont appris à vivre sous l’eau en calfeutrant l’intérieur de leurs maisons pour rester au sec et se déplaçant en scaphandre dans les rues, ravis d’être enfin débarrassés des touristes.
Nous sommes embarqués dans une invitation au voyage et à l’aventure. Anne Brouillard excelle dans la représentation des vagues et de scènes nocturnes ou sous-marines, mais aussi dans l’enchainement de vignettes découpant des scènes d’action sans parole.

Pombo courage

Pombo courage
Emile Cucherousset – Clémence Paldacci
MeMo Petite Polynie 2019

Une cabane dans les arbres

Par Michel Driol

Pombo est un ours qui aime le repos et la tranquillité, tandis que son ami Java est hyperactif. Mais, lorsque Java décide de construire une cabane dans les arbres, et, pour cela, a besoin de Pombo, les choses se gâtent. Comment convaincre Pombo  de monter sur l’arbre pour faire contrepoids afin de hisser le plancher au sommet ? Et que faire lorsque, la nuit venue, l’orage éclate, et que Java est en danger dans sa cabane ?

Pongo et Java sont deux ours bien sympathiques, de ceux qui sont plus de la race des nounours que de celle de grizzlys. Les illustrations nous les montrent menant une vie très humanisée, avec cabane confortable, rocking chair, poêle à bois et thé brulant… Ils symbolisent à la fois deux tentations des hommes, le gout du risque et l’amour de la tranquillité, mais aussi la force de l’amitié qui transcende les oppositions et les différences de caractère. Le récit est alerte, recourant souvent au dialogue et conduit du point de vue de Pombo, dont on suit les rêveries et les pensées, que l’on voit plus ou moins manipulé par Java, mais dont on apprécie finalement le courage. Les illustrations colorées, pleines de détails croustillants, situent l’action au cœur d’une profonde forêt, dans une civilisation qui évoque la Russie des contes (l’isba, les tapis).

Un récit pour parler de l’amitié, de l’adaptation à l’autre, dans un univers sympathique et attachant.

Mayday, Mayday !

Mayday, Mayday !
Cristina Spanó
Rouergue, 2021

À l’abordage, mille sabords !

Par Anne-Marie Mercier

Avec ce titre qui reprend la fameuse formule d’alerte tirée dit-on du français « m’aidez » et signifiant un appel au secours, on pourrait s’attendre à une histoire tragique ou inquiétante, mais du début à la fin on est en pleine loufoquerie et c’est la fantaisie qui domine.
Dans une galaxie très très lointaine, dans très très longtemps… il y a un gigantesque vaisseau spatial qui ressemble à une figurine à découper, ou à un bateau à aubes dessiné par un enfant, et une tour de contrôle qui évoque aussi bien un castelet qu’une boite à chaussure. Quant aux personnages, ils sont de formes et de couleurs diverses, souvent plus proches de barba papas ou d’animaux destructurés que d’humanoïdes.
La tour de contrôle voit arriver un ennemi possible et tente d’alerter le vaisseau en lançant de tonitruants « Mayday, Mayday ! » dans chaque pièce du vaisseau qu’elle observe par ses caméras de surveillance. Rien à faire ; les occupants sont trop occupés à danser dans la salle des fêtes, à lire dans la bibliothèque, à s’embrasser sur un banc, à pêcher dans l’espace, à papoter au bar, se baigner dans la piscine…
Lorsque les petits hommes armés du vaisseau ennemi débarquent, une expression de panique s’affiche sur les visages des danseurs, expression qui se modifie sur les pages successives qui semblent se répéter mais montrent des variations, notamment avec le fait que les visiteurs lâchent leurs armes pour se joindre à la fête.
C’est gai, coloré, inventif (on aimerait voyager dans ce grand vaisseau où tout semble organisé pour des plaisirs de toutes sortes), et cela met un peu d’humour dans les genre parfois trop sérieux des aventures intergalactiques, nouveaux westerns pour notre époque.

King et Kong

King et Kong
Alex Cousseau
Rouergue (Dacodac), 2020

King et Kong se font livrer un cousin
Alex Cousseau
Rouergue (Dacodac), 2021

Loufoqueries en série

Par Anne-Marie Mercier

King et Kong sont des pandas, ils sont jumeaux mais très différents : King se prétend l’ainé et veut avoir toujours raison. Kong est un malin et le laisse dire… pour finir par manger tous les spaghettis pendant que King est occupé à pérorer. Ils jouent au… ping-pong. Ils s’enfuient devant les fourmis, dévorent des pizzas, commandent un frigo, se disputent. Une dispute plus forte est l’occasion de l’aventure de ce premier volume : Kong, lassé, s’en va, sans dire où il va.
Les tentatives pour communiquer (ils achètent certes chacun de leur côté un portable, mais comment faire quand on n’a pas le numéro de l’autre ?) sont très cocasses et ces pandas sont décidément très attachants.

On les retrouve dans un volume qui vient de paraitre : King et Kong se font livrer un cousin. Le cousin commandé sur internet aurait dû être un coussin, mais c’est un petit ours polaire qui  arrive chez eux par la poste : vous suivez ?
La question du sort de ce petit réfugié climatique, caractériel de surcroît (il est « bipolaire », nous dit-on), plonge les deux jumeaux et leurs amis dans de graves réflexions et de curieuses solutions où interviennent des loutres, des fourmis, la poste encore…
Inventivité verbale, cocasserie des situations, piquant des dialogues, jeux permanents entre le vraisemblable et le délirant, ces petits livres sont une fête. Alex Cousseau est décidément aussi talentueux dans la veine de l’absurde pour les petits lecteurs que dans celle du roman sérieux pour adolescents.

Rosie court toujours

Rosie court toujours
Marika Maijala
Traduit (finnois) par Lauriane Renquet
Hélium, 2021

Cours plus vite, …elle a filé

Par Anne-Marie Mercier

Cet album surprenant au grand format allongé, nous vient de Finlande. C’est un petit bolide. Il marque, par une impression de vitesse et d’espace dévoré. Traitées en pastels gras appliqués à grands traits, saturées de couleurs, imitant un style enfantin, elles nous font suivre un lévrier de course, nommé Rosie.
On la voit d’abord dans ses compétitions, puis au repos dans sa cage, puis échappée et cherchant un endroit pour vivre : elle traverse une ville puis une autre, découvre la mer… Après plusieurs espoirs déçus (la maison et le jardin d’une vieille dame ? un cirque ? une petite fille dans une voiture ?), elle trouve la vraie liberté, celle de courir avec d’autres chiens, dans un jardin «public» c’est-à-dire qui n’appartient à personne, comme elle désormais.

C’est un album où l’air circule, où on sent l’odeur de l’herbe et de la mer: un bel espace de liberté et un plaidoyer pour elle.

Dans la montagne, Irène Penazzi

Dans la montagne
Irène Penazzi
Maison Éliza, 2021

« S’éclater » dans la montagne

Par Maryse Vuillermet

Un album sans texte. D’une maison d’édition solidaire qui propose pour 5 albums vendus d’offrir un livre à un enfant qui a peu accès à la culture.

Trois enfants bien équipés et un chien dans la montagne, saisis dans de multiples situations.

Des situations de jeux : se pendre à une branche, faire le tour d’un tronc avec ses bras, se bagarrer comme les bouquetins, se baigner dans le ruisseau, grimper aux arbres, faire de la luge sur un névé…

Des activités : construire une cabane, ramasser du bois,  toutes sortes de feuilles, d’insectes et les trier, les dessiner, récolter des châtaignes, des baies, faire un feu…

Des moments forts de la randonnée, la tempête, la soirée  au coin du feu, la nuit dans la tente, une halte dans un très grand refuge, la traversée d’un torrent à l’aide d’un câble, boire à la fontaine, pique-niquer au bord d’un lac, faire un feu dans un four en pierre et cuire le repas…

De multiples situations d’observation : de traces d’animaux, d’oiseaux avec des jumelles, de vaches dans un pâturage, de marmottes, de  bouquetins, de grenouilles dans le ruisseau, des étoiles, du feu, des cascades, lecture de carte, repérage, orientation…

Le message est clair et convaincant, la montagne est un univers d’une richesse infinie, on ne peut pas s’y ennuyer.  En refermant cet album, on n’a qu’une envie, y aller, se lancer, s’y amuser, se livrer à cette infinie palette d’activités.

Mon Père est un super-héros

Mon Père est un super-héros
Arnaud Cathrine, Charles Berberian
De La Martinière jeunesse, 2020

« Moi, mon père… »

Par Anne-Marie Mercier

Achevé en aout 2019, cet album semble avoir été écrit un an plus tard tant il fait l’éloge d’une figure de héros magnifiée en 2020 et 2021 : le médecin. Plus précisément, c’est un chirurgien qui est présenté, tout auréolé de gloire et de sacrifice.
Sous une allure enfantine, à travers un dialogue entre deux enfants qui sont en compétition sur le thème du « moi mon père… », c’est plus un témoignage sur la vie de l’enfant avec ce père (et le couple qu’il forme avec sa femme), sur l’admiration qu’il éprouve pour lui, son inquiétude devant sa fatigue et ses soucis, son désir de lui ressembler et la peur de ne pas être à la hauteur de ce modèle écrasant.
La fin de l’album est  intéressante par la réponse apportée à ce défi : l’enfant affirme qu’il choisira une voie autre : non pas être super-normal comme le lui conseille sa mère, mais créer, étonner et surtout être… super-soi.
Si le thème du prestige du chirurgien n’a rien de bien renversant, la présentation du regard enfantin porté sur la profession d’un parent est intéressante : fantasmes, incompréhensions, projections.
Le rouge (sanglant ? ) de la couverture est adouci à l’intérieur par des bleus doux ;  l’humour des dessins accompagne le ton de cette histoire grave et légère.

Louise du temps des cerises

Louise du temps des cerises
Didier Daeninckx – illustré par Mako
Rue du monde (Histoire d’Histoire) 2012

Ah laissez-moi chanter Clément…

Par Michel Driol

En ce cent cinquantième anniversaire de la Commune de Paris, force est de constater que peu d’ouvrages de littérature jeunesse évoquent cet épisode de notre histoire. C’est l’occasion d’évoquer celui de Rue du Monde, signé Didier Daeninck et Mako, même s’il remonte à 2012.

Comme toujours, dans cette collection, une fiction historique est accompagnée, en bas de page, de petites notices documentaires. L’héroïne, et narratrice, est fille d’un facteur parisien. Elle traverse le printemps de la Commune, du 12 avril 1871 à la semaine sanglante, accompagnant son père dans ses tournées, suivant les façons d’expédier le courrier par la Seine, puis par ballons. Elle se retrouve à bord d’un des ballons jusqu’en province avant de revenir à Paris. Le récit se clôt sur le retour de déportation du père, en 1880, la découverte de son petit-fils, et l’emblématique Temps des cerises.

L’album constitue un bel hommage à la Commune de Paris à travers les yeux d’une fillette de 11 ans, prénommée Louise comme Louise Michel, et dont le prénom du fils, Jean-Baptise, évoque bien sûr Jean-Baptiste Clément. Si le récit n’évoque que peu les décisions prises par la Commune en termes d’avancées sociales, il met surtout l’accent sur le blocus et la dureté de la répression, récit porteur d’espoir qui se clôt sur une naissance. Daeninck met surtout l’accent sur l’amour, amour revendiqué par la fillette comme argument contre les provinciaux qui ne voient dans les communards que des sauvages sanguinaires, amour pour le fils du maçon rencontré par hasard, amour et naissance à la fin, façon pour lui de dire que sans amour il n’est pas de fraternité ou de progrès social possible, ce qui constitue un beau message pour les enfants.

Ce sont les documentaires qui mettent l’accent sur la résistance du peuple de Paris et sur les idées neuves qui jaillissent à cette époque. Les illustrations évoquent avec beaucoup de réalisme le Paris de 1871.

Un album pour parler aux enfants d’un pan bien occulté de notre histoire.