Petite Tache

Petite Tache
Lionel Le Néouanic
(Les Grandes Personnes), 2011

Petit bleu, petit rouge, petit jaune.. et l’Autre

Par Anne-Marie Mercier

petite tacheQuand Lionel Le Néouanic cite, c’est toujours intéressant, et c’est toujours dans la plus grande clarté : des remerciements sont adressés dès la page de titre, décalée en page paire, contrairement à l’usage courant : la petite tache s’est glissée en face et tout au long de l’album elle mordra sur le coin en bas à droite, comme pour passer plus vite à la page suivante. Ils sont adressés tout d’abord à Matisse, auquel est empruntée une esthétique de papiers découpés et d’aplats en couleurs franches, à Miro, pour un portrait « à la manière de » dans lequel l’expression « coucou ! » est à double sens, et enfin à Leo Lionni dont il a repris l’idée d’un récit autour de personnages formes abstraites.

Comme Leo Lionni, il livre une histoire bien concrète et pleine de sens. Une petite tache noire aux bords irréguliers, mais toute en rondeurs enfantines, cherche des amis. Elle trouve des petits rectangles, carrés, triangles, tous de couleurs différentes, qui se disputent, mais font front pour la chasser.

Mais petite tache a le pouvoir de se transformer et peut donc offrir aux autres une multitude de situations et de jeux ; il l’acceptent alors. La morale est claire : ne pas entrer dans une catégorie permet de s‘adapter et d’offrir aux autres une ouverture vers des plaisirs nouveaux. Tolérance, éloge de la fantaisie et de l’ébouriffage sont donc la clé de ce petit récit dynamique et coloré.

 

 

 

Emile range ses livres

Emile range ses livres
Vincent Cuvellier et Ronan Badel
Gallimard jeunesse (Giboulées), 2016

Emile, c’’est comme ça

Par Anne-Marie Mercier

Emile range ses livres

Quand Emile veut quelque chose, « c’est comme ça et pas autrement », mais il se heurte au manque de compréhension des adultes : s’il veut avoir une chauve-souris comme animal de compagnie, avoir un plâtre pour faire joli, se déguiser en Monsieur Ferber, lire au lieu de jouer avec les autres, avoir une vieille dame comme copine, s’habiller en hiver quand il faut chaud, fêter son anniversaire en avance… la réponse est toujours « non » ; ou « oui, mais tu es ridicule ».

Cet album compile les dix premiers titres de la série et on voit se développer les petits détails récurrents avec plaisir. Emile, presque toujours seul à l’image, provoque le rire : il nous fixe avec son air ébouriffé et peu réveillé, impassible face à toutes ces tracasseries.

 

Le Prince qui voulait voir le monde

Le Prince qui voulait voir le monde
Elisabeth Motsch
Illustrations de Philippe Dumas
L’école des loisirs (mouche), 2015

Les voyages vieillissent-ils les enfants ?

Par Yann Leblanc

Les (petits) princes voleprincequivoulaitvoiryageurs ne sont pas tous perdus dans le désert : certains partent pour voir le monde et découvrir s’il y a mieux ailleurs, comme le jeune homme de cette histoire. Terres paradisiaques, beaux sourires, tout cela est gâché par divers maux : expériences atomiques, dictatures, discriminations diverses (contre les femmes, les pauvres, les laids…), le monde est décevant.

On ne sait pas bien quoi faire de cette morale, mais le ton est léger, l’histoire est bien racontée et les dessins (de Philippe Dumas) sont heureusement plus gais que le propos.

Deux qui s’aiment

Deux qui s’aiment
Jürg Schubiger, Wolf Erbruch
Traduit (allemand) par Marion Graf
La Joie de lire, 2013

Un premier Art d’aimer

Par Anne-Marie Mercier

 

deuxquisaimentMon cœur saute,
hop, car tu es là.
Mon cœur saute,
hop, car tu es loin,
et que je pense
comment c’était
quand tu étais là.
Mon cœur saute,
hop, l’amour a le hoquet […]

Ils sont deux.

Dans l’image ce sont soit des couples assortis (deux lapins de même taille, fille et garçon, bien normaux, deux oies…), soit dépareillés (chien et poisson rouge, chouette et élan, renard et oie). Le texte est moins précis et plus sage; ces images un peu loufoques ajoutent un grain de sel à sa simplicité apparente.

Les situations sont diverses, mais toujours ils sont deux et ils s’aiment : rencontre, désir, premier baiser, déclaration… lassitude et malentendu ne sont que passagers ; du bonheur et de la surprise heureuse surtout. Sur ces situations simples, le texte est tout de fantaisie, s’émerveillant de petites choses, relevant le cocasse et le surprenant, la douceur des sensations nouvelles et des mots doux. C’est charmant, drôle, et jamais mièvre.

J’en ai assez !

J’en ai assez !
Michel Boucher
Motus (mouchoir de poche), 2012

Rêveries matinales

Par Anne-Marie Mercier

J’en ai assezUn enfant devant son petit déjeuner, un rêve qui se poursuit ? en tous cas une occasion de faire trainer les choses avant de partir à l’école ; évoquer une vache fait surgir un train, qui entraine un pont, qui rêve d’aile, qui se veut nuage, etc., jusqu’au lit qui en a assez d’être vide et réclame un enfant.

Les objets, vignettes échappées de gravures anciennes, se succèdent sur le décor crayonné, toujours semblable : un enfant devant son bol de lait, … de vache… puis un train…

Sin le veilleur

Sin le veilleur
Françoise de Guibert (texte) – Audrey Calleja (illustrations)
Seuil jeunesse 2016

La métamorphose d’une tache d’encre

Par Michel Driol

sinPetite tache sur un cahier oublié au grenier, Sin, un beau jour, se libère, et, sous la forme d’un personnage sombre et inquiétant, parcourt la ville, à la recherche d’enfants endormis, qu’il réveille et effraye. D’abord satisfait de son pouvoir, Sin a finalement la tête transpercée des hurlements des enfants, jusqu’à sa rencontre avec Alice, endormie dans son lit. Sin prend alors conscience du vide de son existence, mais il ne connait pas les mots qui rassurent. Dans son cahier il trouve des exercices, mais aussi une histoire qu’il vient raconter à Alice, avec sa voix caverneuse. Alice s’endort, et Sin veille.

Cet album dessine un parcours subtil entre des thèmes et des situations qui parleront aux enfants : entre inquiétude et quiétude, entre mal et bien, entre cauchemars et rêves apaisants, Sin se cherche, apprend sur le monde et sur lui-même, découvre le pouvoir du langage.  La dimension étrange – ou merveilleuse – est renforcée par la poésie du texte, confortée par les illustrations qui échappent au réalisme, faisant de Sin un personnage d’abord pathétique dans sa lutte pour s’extraire à sa condition de tache, puis inquiétant dans la jubilation de sa toute puissance, avant de donner à voir un personnage maladroit, émouvant et plein de tendresse.

Le lecteur lettré reconnaitra les clins d’œil à Lewis Carroll – le lapin doudou d’Alice – et à Andersen – le texte se terminant sur l’apothéose de lumière de la petite fille aux allumettes. Mais la méconnaissance de cet intertexte ne sera pas un obstacle au lecteur plus jeune qui pourra à la fois s’identifier à Sin et à Alice, tout en retrouvant, mise en abyme, la situation de lecture du soir, avant de s’endormir.

Je pense, j’aimerais

Je pense,
Portraits de Ingrid Godon, avec les textes de Toon Tellegen,
La joie de lire,

J’aimerais
Portraits de Ingrid Godon, avec les textes de Toon Tellegen,
La joie de lire,

Par Claire Damon

Puissants Je pense _sont les textes poétiques et philosophiques de Toon Tellegen parce qu’ils parlent vrai. Ils mettent en mots simples des pensées non formulées, des sentiments profonds.

«  Je pense parfois que tout le monde sait quelque chose que je suis la seule à ne pas savoir.

C’est pourquoi on me regarde d’une façon si bizarre.

Je suppose J’aimerais_que ça se lit sur mon visage.

Peut-être me l’expliquera-t-on juste avant ma mort.

Pour ne pas que je meure idiote. »

Dans ce magnifique recueil, l’auteur néerlandais connu et reconnu explore la pensée. Le dialogue s’engage entre les textes et les images qui semblent des esquisses, des suggestions. Sous l’apparence d’un carnet de croquis, cet ouvrage abouti dévoile une galerie de portraits qui nous regardent, nous scrutent, nous parlent.

L’infinie exploration graphique d’Ingrid Godon encourage en écho l’exploration par le lecteur de sa sensibilité. Il faut oser plonger dans cet exceptionnel album.

Dans J’aimerais, publié en 2013, Toon Tellegen se penchait sur les mystérieux visages peints par Ingrid Godon leur attribuant des pensées intimes, des questionnements.

 

 

 

1000 était une fois

1000 était une fois
Max Ducos
Sarbacane,

Par Claire Damon

1000 était une fois Max Ducos _Chacune des dix pages est découpée en trois bandes horizontales et voilà 1000 combinaisons possibles, 1000 histoires passionnantes, 1000 tableaux incroyables.

Le texte sur la page de gauche et le dessin coloré et détaillé sur la page de droite sont précis, réalistes. C’est cette efficacité du texte et de l’image qui permet aux histoires de toujours faire sens. Les situations provoquées par les bandes liées par le hasard sont quant à elles rocambolesques. Mais toujours elles convoquent la poésie. Max Ducos donne un pouvoir jubilatoire au lecteur : celui de co-construire, par la magie de la tourne, quantité de récits.

Ce type de livre allume le cerveau, fait carburer l’imagination.

Et on avait bien aimé sur li&je d’autres titres de Max Ducos !

 

A l’école de Louisette. Trois histories pour les jeunes lecteurs

A l’école de Louisette. Trois histories pour les jeunes lecteurs
Bruno Heitz
Casterman, 2015

Petits lapins studieux

Par Anne-Marie Mercier

Vous aviezalecoledelouisette déjà lu Mouton Circus, Et un raton laveur ! et l’Heure du Grimm ? Si non, voilà le moment de vous rattraper et si oui, pourquoi pas, de l’offrir autour de vous, pour de multiples raisons. Tout d’abord Louisette la taupe et ses amis les jeunes lapins sont très sympathiques, et plein de fantaisie, ils vivent des situations cocasses. L’art de Bruno Heitz pour croquer des scènes, son jeu avec les différents plans, les vues des terreirs en coupe, le rythme de leur enchainement, tout cela en fait une belle BD.

Enfin, c’est très pédagogique sans se prendre au sérieux  : on y aborde la poésie (à travers l’Inventaire de Prévert, ou les fables de La Fontaine : Louisette a vécu dans un terrier situé sous une école), l’Odyssée, les contes… et le comportement des enfants à l’école et notamment avec les animaux est vu de manière savoureuse : tous rêveront d’avoir un hamster sous le plancher de l’école (Et un raton laveur ! ) qui leur souffle les tables de multiplication.

L’Histoire perdue

L’Histoire perdue
Meritxell Marti (texte) – Xavier Salomo (illustrations)
Seuil Jeunesse 2016

Fictions…

Par Michel Driol

histoireÉva, pour son anniversaire, est invitée par son cousin à… une surprise. Éva se prépare, mais le dessinateur de l’histoire n’en fait qu’à sa tête. Au lieu de suivre le texte de l’auteure, il dessine autre chose : des vêtements d’exploratrice au lieu d’une robe, un paysage de campagne au lieu de la ville. Page de droite, dans une bulle, l’auteure proteste, en s’adressant au dessinateur. Mais trop, c’est trop, et au bout de quelques pages, l’auteure abandonne, et laisse l’illustrateur  dessiner tout seul, ce qu’il fait, dans un strip sans paroles, façon Bd, jusqu’à laisser l’héroïne démunie et perplexe. Alors l’auteure vient au secours du dessinateur, qui va alors suivre scrupuleusement son texte et conduire Éva, avec un peu de retard, chez son cousin. La surprise était un concert des  Bêtles… Mais la surprise sur la dernière page, c’est le mot d’excuse des Bêtles qui ont fait changer l’histoire à l’aide de l’illustrateur, car ils ne pouvaient pas arriver à l’heure !

Voici un album original et décalé qui met l’accent sur la complicité et la complémentarité entre l’auteur et l’illustrateur, montrant au lecteur à la fois le texte, premier, et les réactions de l’auteure face aux libertés que prend l’illustrateur, au point de détourner complètement l’histoire, dont on s’aperçoit, finalement, que les véritables maitres sont les personnages, les Bêtles, qui ont en fait conduit l’auteure à changer le fil de son histoire avec la complicité de l’illustrateur. Conduisant le lecteur de surprise en surprise, cet album plein d’humour s’avère être un véritable jeu sur la création qui évoque Borgès dans le côté labyrinthique – on se perd entre fiction et réalité – et le jeu avec les codes du récit.  En opposition avec la complexité de l’ensemble, les illustrations de Xavier Salomo et le texte de l’auteure ont un côté sage et lisse qui évoque les albums populaires sans recherche esthétique ou littéraire que cet album subvertit pour le plus grand plaisir des lecteurs.

Un album qui séduira aussi bien les plus petits, qui y verront un jeu – que les plus grands qui pourront commencer une réflexion sur la littérature comme détournement des codes.