Graines de liberté

Graines de liberté
Illustrations : Pascale Maupou Boutry –Texte : Régis Delpeuch
Utopique – Collection il était une voix

Ces artistes qu’on emprisonne

Par Michel Driol

graines-de-liberteDans un pays imaginaire, une conteuse va de village en village, munie de son seul bâton de marche, de sa flute en bambou et d’un carnet. De place en place, les gens se rassemblent, et elle les fait voyager par la magie de son instrument et de ses mots, en échange  de quelques pièces, du gite ou du couvert. Jusqu’au jour où tous les rassemblements sont interdits… A l’abri des regards indiscrets, accompagnée d’une fillette, elle continue de semer ses graines d’espoir, dans les maisons amies. Mais les soldats emprisonnent la conteuse, puis brisent sa flute, parce qu’elle faisait naitre l’espoir dans la prison. Elle confectionne alors, avec les pages de son carnet, un cerf-volant qui lui permet de s’évader, puis de retrouver la fillette, 20 ans plus tard, dans un pays « où les graines qu’elle avait semées ont germé pour que fleurisse la liberté ». On découvre alors que cette fillette est la narratrice de l’histoire, preuve vivante que les récits ne s’arrêtent pas et qu’elle est prête à reprendre le flambeau.

Avec des mots simples et des situations bien posées,  cet album dit le pouvoir des mots et de la musique non seulement pour divertir et faire voyager, mais aussi libérer chacun.  Il dit également l’importance du « spectacle vivant », autour de la conteuse, aussi bien la nécessité du public pour l’artiste (« Rester prisonnière sans plus partager ses histoires allait la tuer »), que la nécessité de l’artiste pour le public : plaisir du voyage immobile, fascination et rêve qui emportent ailleurs. Les illustrations, de qualité, sont autant de tableaux qui renforcent le texte : voyage au travers des quatre saisons pour la première double page, cadrages expressionnistes de la conteuse à l’abri d’une maison, et regards émerveillés du public, gros plan sur la botte du soldat écrasant la flute. Les illustrations portent aussi le message d’universalité de l’album : si les costumes évoquent plutôt l’orient, on y croise aussi un village aux toits de chaume et deux personnages coiffés de bérets.  Elles commencent sur des teintes lumineuses avant de s’assombrir de plus en plus, au fur et à mesure de la montée des périls, avant un final éclatant de couleurs.

Un CD accompagne l’ouvrage : le texte y est lu par Pascale Bouillon, avec un accompagnement musical de qualité.

Un bel album, malheureusement toujours d’actualité, qui  a reçu le soutien  d’Amnesty International. La liste des « modèles » serait longue, de Miguel Angel Estrella à Nazim Hikmet, d’Aléxandros Panagoúlis à Victor Jara… hélas.

J’ai planté un arbre dans la montagne

J’ai planté un arbre dans la montagne
Kanayo Sugiyama et Shigeatsu Hatakeyama
Editions l’Edune 2016

« La forêt est l’amante de la mer »

Par Michel Driol

jaiCet album documentaire prend appui sur une action entreprise au Japon il y a 20 ans pour revitaliser une mer très polluée. Des pêcheurs et ostréiculteurs ont eu l’idée de planter des arbres en montagne. Cet album explore et montre le lien et l’interdépendance entre les différents éco systèmes : la montagne et les animaux qui y vivent (mammifères, mais aussi insectes), les ruisseaux, chargés de l’humus de la forêt, qui font vivre les poissons et crustacés, jusqu’à la mer, et une autre forêt souterraine, celle des algues. Les poissons deviennent alors nos aliments.

Cet album est original à plus d’un titre : d’abord parce qu’il prend appui sur une action réelle, qui a permis de sensibiliser les habitants de cette région du Japon à l’écologie et donné naissance à une cérémonie festive annuelle tout en permettant à la biodiversité de revenir. Ensuite parce qu’il est le fruit de la collaboration entre un ostréiculteur, porte-parole de l’Association des Amis de la Forêt Huitrière et une auteur de littérature jeunesse. Enfin, parce qu’il prend le parti d’impliquer l’enfant du début à la fin. Tout commence par une sorte de jeu de l’oie – quizz sur la nature et les problématiques évoquées dans le livre.  Ensuite parce qu’on a un enfant, le « je » narratif, qui plante un arbre, et est représenté, armé de sa bêche. Si le « je » disparait tout au long de l’album, il revient dans la dernière page « Alors j’ai planté un nouvel arbre dans la forêt », mais il n’est plus seul, trois autres personnages font de même.

On peut regretter que, dans les pages consacrées à la forêt, les textes soient difficilement lisibles (marron sur marron, marron sur jaune). Mais cet album se révèle être une riche encyclopédie visuelle, puisqu’on y retrouvera de nombreux animaux peu connus – vivelle, aplysie, polygonia – comme une invitation à ouvrir les yeux sur le vivant qui nous entoure et à y prêter attention. De façon très pointue, on y insiste aussi sur l’origine et le rôle de l’acide fulvique, son association avec le fer (traitée de façon très graphique), son transport au fil de l’eau, puis sa fonction dans la croissance de la forêt d’algues. Les explications sont claires, exprimées dans une langue facilement accessible.

La mise en pages est aérée et inventive : page qui se déplie, pages de plus en plus grandes lorsqu’on passe du phytoplancton… au thon. Quatre pages finales, plus documentaires, apportent des compléments d’information sur les notions connexes à l’album.

Un album plein d’intérêt et d’optimisme pour sensibiliser sans mièvrerie à l’interdépendance de tous les organismes sur terre, et montrer que de petites actions locales peuvent avoir de grands effets sur l’ensemble de l’éco système.

 

 

Aladin ou la lampe merveilleuse

Kochka, Madeleine Brunelet
Aladin ou la lampe merveilleuse
Flammarion Père Castor, 2015

Aladin au pas de course

par Dominique Perrin

aladCet Aladin condensé en une douzaine de doubles pages perd hélas l’essentiel de son charme. Les textes sources de la tradition présentent un luxe de détails, que tout conteur ou éditeur est en droit d’élaguer ; mais la présente réduction constitue, davantage qu’un récit cohérent et organique, un sommaire de ses différents épisodes. La compréhension même en est compromise*. Quant à l’image, hormis dans quelques pages figurant le génie de la lampe, elle est standardisée dans l’esprit Disney qui s’impose aux livres comme aux boîtes de céréales des enfants – très loin des contes orientaux raffinés qui marquèrent les heureux lecteurs du Calife Cigogne et du Tapis volant.

La politique d’ouverture culturelle du Père Castor d’aujourd’hui se situe a priori dans la lignée du projet de Paul Faucher, esprit éclairé et novateur, hautement conscient des enjeux de sa production. La richesse du catalogue actuel de la maison en matière de contes du monde entier n’a d’égale que sa diversité. Une telle ambition ne peut cependant se soutenir que d’un certain niveau de moyens matériels et intellectuels, non compatible avec le système de rendement imposant non seulement l’édition au kilomètre de produits culturels réputés, mais le formatage des talents.

* (voir la mention « il vida le flacon dans les flammes ! » en troisième page de texte, où les référents de « il » et de « le flacon » sont tout à fait ambigus.)

Lili et l’ours

Lili et l’ours
Raymond Briggs
Grasset, (1994) 2015

Une digne cousine d’Anna

par Dominique Perrin

liliComment représenter l’imaginaire en tant que force de transformation du réel ? C’est au prisme de cette question que miroite ici l’impertinent talent de l’auteur de Sacré Père Noël. Lili passe très sagement la journée seule avec ses pensées tandis que son père travaille à ses côtés et sa mère au dehors. Du coup, lorsqu’elle annonce qu’un gigantesque ours polaire s’est introduit dans sa chambre et par là dans sa vie, personne ne lui conteste le droit de cultiver cette encombrante compagnie, sur le fameux mode qualifié de « playing » par Winnicott.

Seulement voilà, à l’image, et en l’absence du regard des adultes, cet ours est bien réel ! On ne saurait être plus attachant ni plus rassurant, mais il est de trop grand format, et décidément trop « animal » pour se tenir comme il faut : Lili est obligée de s’en faire l’éducatrice, ce qui n’est pas de tout repos, ni même assumable. La puissance graphique de ce récit (l’ours s’ébroue vraiment ici, excède vraiment le cadre ailleurs), conjuguée à l’efficacité du dispositif de double narration (dans l’édition originale, comme dans Anna et le gorille d’Anthony Browne (1983), le titre anglais se réduit au nom de l’animal, indiquant la primauté de l’imaginaire sur la réalité sociale), le classe dans les très grands albums. Il mérite son très grand format, sa qualité d’impression, et le prix qui s’ensuit.

Père Castor, Les Contes de toujours, vol. 2


Père Castor, Les Contes de toujours, vol. 2
Collectif
Flammarion Père Castor, 2015

Vive le Père Castor…

par Dominique Perrin

contes 2De Roule galette de Natha Caputo et Pierre Belvès en 1950 au Cheval bleu de Nathan Hale en 1963, du Petit chat perdu chaleureusement illustré par Albertine Deletaille en 1971, à l’Histoire de la lettre que le Chat et le Chien écrivirent à leurs amies de Josef Capek et Micheline Chevallier en 1970, on retrouve dans ce second volume des Contes du Père Castor le grand et beau souffle éditorial de François Faucher, son inspiration résolument internationale, sous les auspices de talents et d’esprits pionniers souvent venus de l’est de l’Europe.

La nécessaire réduction de format imposée aux albums originaux modifie parfois la magie de la célèbre « tourne de page » de plus d’un de ces albums. Mais la qualité matérielle de cette anthologie lui confère une réelle capacité de durer comme un trésor de la culture européenne ; et ce second volume de chefs-d’œuvres destinés à l’enfance associe au plaisir immédiat de la lecture celui de l’intertextualité : Nathan Hale était l’auteur enfant de La Vache orange, Josef Capek et Micheline Chevallier avaient d’abord donné le merveilleux Un gâteau 100 fois bon ; Etienne Morel revient deux fois dans le volume même avec Un petit chacal très malin et La plus mignonne des petites souris.

Tous les genres et les talents de la maison n’étant certes pas représentés ici, on ne peut que renvoyer ici à la médiathèque éponyme (à Meuzac dans le Limousin) et au site des Amis du Père castor, ainsi qu’à la production toujours précieuse publiée sous son égide en matière de contes du monde entier.

C’est Papa qui découpe

C’est Papa qui découpe
Pierrick Bisinski
Ecole des loisirs 2015

Comme un air de tangram

Par Michel Driol

cpapaUn petit cochon voit son père découper des formes dans du papier noir : des triangles, des rectangles allongés, des cercles. Son père alors l’invite à assembler ces formes pour  s’inventer un nouvel ami.. et voici qu’il compose un loup, qui se précipite sur lui pour le manger, avant de se casser. Le petit cochon décide alors, avec les mêmes formes, de se fabriquer un grand chien. La 4ème de couv’ invite le lecteur à jouer en créant de nouveaux personnages.

Cet album cartonné s’adresse aux tout-petits, et propose, avec humour, un  dialogue simple entre un père et son fils. L’un propose, invite à inventer, à jouer, mais le jeu peut révéler les angoisses et les peurs.  Il suffit alors de peu de choses, changer quelques formes de place, pour que les ennemis inquiétants deviennent des amis rassurants. Le graphisme, coloré et très dépouillé, représente avec une fausse naïveté des personnages expressifs dont les émotions et sentiments seront facilement perçus par les plus jeunes.

Une invitation à jouer avec les formes !

 

Les regards des autres

 Les regards des autres
Ahmed Kalouaz
Rouergue  2016,

 

 Affronter le harcèlement au collège

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

les regards des auutres image A la différence du témoignage que je viens de chroniquer, Mauvaise connexion de Jo Witek, ce récit également  sur le même sujet et à la première personne,  d’une jeune fille Laure,  harcelée dans son collège de Lyon, me semble plus profond et plus touchant . Ahmed Kalouaz   décrit parfaitement le fonctionnement, une bande de filles qui s’attaque à une autre jugée plus faible, ou une bande de garçons qui s’attaque à un plus jeune parce qu‘il est gros ou à un Syrien parce qu’il est étranger, et ils le font pour se sentir forts.

 Et il démonte aussi  le mécanisme psychologique de la victime qui accepte  de se soumettre parce qu’elle a peur. Mais dès qu’elle relève la tête ou qu’elle en parle à des adultes, le mécanisme est cassé et le harcèlement cesse.

Mais ce qui rend ce texte fort, c’est le regard poétique, lumineux qui reste émerveillé   de la puissante sérénité de la montagne, du calme d’une promenade au pas des chevaux, et la beauté des images, par exemple,  quand Laure arrive enfin à parler à sa tante :

« J’ai parlé en retenant mes larmes, car elles venaient en même temps que les mots, finalement lâchés lentement entre ces rangées d’arbres qu’un vent léger courbait. Des mots parfois suspendus à la cime des sapins, entre ciel et terre. » p 70

« Il fallait que le flot intérieur se calme, retrouve son lit, comme après un gros orage qui charrie tout. J’avais brisé l’embâcle, repris le cours des choses un peu à ma façon. » p 74

Au début, les adultes, professeurs, CPE, parents,  sont perçus comme aveugles et indifférents, mais peu à peu, quand Laure relève la tête et trouve en elle la ressource de ne plus subir, ils deviennent attentifs et aidant, chacun à leur manière.

Un livre humaniste malgré le sujet.

 

Mauvaise connexion

 Mauvaise connexion
Jo Witeck
Talents hauts  2014,

 

 Un récit utile

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

mauvaise connexion imageMauvaise connexion est le récit d’un harcèlement moral et d’une agression sexuelle,  par écran interposé,  mais bien réelle et dévastatrice. En effet, ce texte est le témoignage de Julie Nottin. Elle raconte qu’à l’âge de quatorze ans, passionnée par le monde de la mode et rêvant de devenir mannequin, elle a posté  sur le web des photos d’elle, sous le pseudo de Marilou.

Elle est alors contactée par un producteur  qui lui promet de l’introduire dans le milieu  et de la faire travailler. Sous ce prétexte,  il lui demande de prendre des pauses, puis de le faire en sous-vêtements puis nue,  et enfin, il demande de simuler des actes sexuels,  peu à peu, elle devint sa chose, sa victime consentante. Elle s’isole,  fuit ses amies et tait son secret.

Le récit montre bien l’emprise progressive établie par le prédateur, son habileté, il n’est autre qu’un pervers pédophile, et il n’en est pas à sa première jeune fille abusée. Nous comprenons que cette aventure peut arriver  à toutes, même à des filles intelligentes et équilibrées,  tant ces hommes sont habiles. Le récit narre ensuite la reconstruction psychique longue et douloureuse,  grâce à la famille, aux amies.

Ce récit simple,  qui se veut un avertissement,  est efficace et certainement très utile.

Les Quiquoi et l’étrange sorcière tombée du ciel

Les Quiquoi et l’étrange sorcière tombée du ciel
Laurent Rivelaygue, Olivier Tallec

Actes sud junior,

Le nouvel épisode des drôlissimes Quiquoi est sorti !

Par Claire Damon

Les Quiquoi et l’étrange sorcière tombée du cielCette petite bande dessinée d’apparence simple et légère n’est pas destinée aux plus petits… et pas uniquement aux 6 ans et un peu plus. Il faut en effet suffisamment de recul pour apprécier l’humour nonchalant et efficace du texte et des dessins. Lorsqu’on possède ce recul, cette maturité et cette intelligence de lecture (comme c’est notre cas à tous), qu’est-ce qu’on savoure !

voir aussi ici

Les mondes de l’alliance

Les mondes de l’alliance
David Moitet
Didier jeunesse, 2014-2015

Les mondes de l'allianceC’est toujours un événement lorsque paraît une trilogie de science fiction française : on attend de bonnes surprises, de l’originalité, tant ce domaine est dominé par les grandes machines éditoriales  » anglo-saxonnes « . Meto, par exemple, avait été une bonne surprise. Mais on ne peut s’empêcher d’être un peu déçu face à cette nouvelle série, même si elle reste dans une bonne moyenne.

David Moitet a un réel talent pour inventer des histoires, il a créé un monde cohérent, original et intéressant, il manie les allusions à Star Wars avec discrétion et humour. Mais, mais… l’écriture pose vraiment problème. Il aurait fallu supprimer  les clichés, les adjectifs ou adverbes inutiles, les dialogues insipides et faux.

Les mondes de l'alliance2Il est vrai que beaucoup de romans ados sont écrits ainsi, comme si imiter le style d’un narrateur débutant, puisque la plupart de ces romans sont écrits à la première personne, devait rendre l’histoire plus crédible. Ici, le narrateur étant extérieur à l’histoire, il n’avait pas cette justification et cela gâche en grande partie le plaisir.

C’est d’autant plus regrettable que tous les ingrédients d’une bonne historie de science fiction étaient réunis. Un monde post apocalyptique a réuni dans une Alliance apparemment démocratique les trois espèces pensantes de l’univers, humains, tauriens (énormes, proches du Minotaure) et régaliens (insectes géants sans émotions et très forts en informatique…). Les deux héros, orphelins comme il se doit, un garçon et une fille, jumeaux, sont élèves à l’académie militaire et y font des tâches ménagère pour payer leurs études, méprisés par certains de leurs camarades. Pendant la nuit, ils s’entraînent : mystérieusement, le placard de leur chambre donne accès aux salles de simulatiLes mondes de l'alliance3on – et deviennent ainsi l’un un combattant redoutable, notamment avec le sabre que lui a laissé son père, l’autre une pilote d’avion de chasse experte. Très vite, ils seront embarqués dans de multiples aventures dans lesquelles ils se trouveront dans des conflits de loyauté terribles : l’ennemi n’est pas celui qu’ils ont cru d’abord.

D’un volume à l’autre, la lecture se fait plus fluide, les situations se complexifient.. finalement, ce n’est pas mal du tout !