La Lumière des profondeurs

La Lumière des profondeurs
Frances Hardinge
Traduit (anglais) par Philippe Giraudon
Gallimard jeunesse, 2022

Abyssal et lumineux 

Par Anne-Marie Mercier

Quel beau roman… Difficile à résumer tant il est riche et plein de suspense, original, poétique aussi dans une certaine forme d’horreur splendide. Il est aussi difficile à classer : il relèverait de la science-fiction ou de la fantasy dans la mesure où il présente un archipel inconnu à la technologie étrange. Il a été privé de ses dieux, et les derniers prêtres qui les ont servis et, pour certains, rencontrés, végètent dans le sanctuaire désaffecté, en attendant la fin. Les dieux sont morts, on ne sait comment (mais on le découvrira), et c’est sans doute une chance pour ces îles : ils étaient de gigantesques monstres marins dotés de mâchoires et de pinces énormes, cruels et stupides. On pense au calmar géant de Jules Verne, à Lovecraft et à ses dieux chitineux.
Le héros, Hark, est un orphelin qui vit dans les rues, lié par une longue amitié et des dettes de reconnaissance à un ami nommé Jelt, un peu plus âgé, violent et risque-tout. Jelt le pousse à oser ce qu’il ne ferait jamais seul et le met constamment en danger. Au début du roman, Hark est arrêté à cause de Jelt lors d’une tentative de vol, et est condamné à plusieurs années d’esclavage. Acheté par une scientifique qui mène des expériences sur les restes divins, les fragments des corps des dieux que l’on trouve encore dans les grands fonds, il est affecté aux soins des vieux prêtres du sanctuaire avec l’interdiction d’entrer en contact avec ses amis d’avant. Cette interdiction sera rompue, on le devine, avec plusieurs catastrophes en chaine qui risquent de conduire à la renaissance des dieux si le héros et ses nouveaux amis n’y veillaient.
Il forme une équipe improbable avec un très vieux prêtre et une jeune fille sourde et hydrophobe. Embarqués dans un mini sous-marin hurleur (il se propulse avec des vibrations sonores) et doté d’ailes, ils livrent un combat dans les profondeurs abyssales avec des forces terrifiantes, des monstres et des fanatiques comploteurs complotistes, et surtout avec le monde des Abysses, ses lumières, sa noirceur et ses dangers, vagues, tourbillons, etc. Cette plongée, les sensations des personnages, et surtout les bruits sont magnifiquement évoqués, à tel point qu’on en vient à entendre avec eux le silence après la séquence où ils sont au bord de l’évanouissement à cause de la violence des hurlements du petit sous-marin.
Hark, séducteur et menteur, assez insouciant et peu enclin à l’introspection au début du roman, est progressivement pris entre plusieurs conflits de loyauté. Il est aussi hésitant, entre la peur et le désir de changer. Il est en proie à des questions typiques de l’adolescence, notamment sur son identité (si je change, suis-je encore moi-même ? peut-on changer d’amis sans être un traître ? doit-on toujours suivre ceux à qui on doit de la reconnaissance ? qu’attendent de moi mes amis, que puis-je attendre d’eux ? un ami peut-il ne pas vous vouloir du bien ?…).
Les autres personnages sont eux aussi pris dans leurs contradictions : la savante qui hésite entre intérêt personnel et salut de l’humanité, l’ami Jelt, écorché vif entre amour et haine, Selphine, la fille de la cheffe impitoyable des contrebandiers des mers, en rupture avec son clan, sourde comme beaucoup de plongeurs de l’archipel, les «bénis par la mer». Enfin, tout cet univers de pêcheurs, commerçants, marins est décrit en détail et l’on voit surgir tout un monde avec ses sciences, ses techniques, ses superstitions, ses conflits politiques, et surtout ses peurs : détail fondamental, les dieux se nourrissent de la peur. Voila un ajout intéressant aux théories du XVIIIe siècle sur la naissance des Dieux.

Milo et le loup

Milo et le loup
Anne Pym, Francesco Pittau
L’école de loisirs (Pastel), 2021

Au loup !

Par Anne-Marie Mercier

On retrouve les trois amis (présents dans Milo et la neige) : Milo le petit cochon, Boris l’ourson et Théa qui ressemble à une belette. Tous trois sont très anthropomorphisés, vêtus, avec des motifs simples (carreaux bleus pour l’un, rayures rouges pour l’autre, pois jaunes pour la troisième – les pois sont réservés aux filles, ça se confirme).

Comme des enfants après la pluie ils vont se promener dans la forêt. Petite originalité : c’est Théa, la « fille » qui a décidé de partir à l’aventure et qui prend la tête de l’expédition. Milo a peur. Ils tombent sur une forme inquiétante : un loup ? La suite montre comment ils sont en panique, se rassurent, font les braves : on voit ici tous les degrés de la peur.
La fin est originale et surprenante ; le terrifiant devient familier, puis plus familier encore, pour un retour à l’abri avec un bon goûter. Le scénario est un peu mince mais efficace ; les dessins de Pittau lui donnent bien du charme à cette petite histoire d’une grosse peur.

Josette au bout de l’eau

Josette au bout de l’eau
Alec Cousseau – Illustration de Csil
A pas de loups 2022

Heureux qui comme Josette a fait un beau voyage…

Par Michel Driol

Petite fille curieuse, Josette voudrait bien savoir ce qu’il y a « au bout de l’eau ». Partant sur son bateau, elle en rencontre un plus gros, part explorer le fond de la mer, puis s’en va vers le nord, là où l’eau se transforme en glace. De retour chez elle, elle soulève une nouvelle question, « qu’y a-t-il au bout du ciel ? »

L’album évoque la curiosité enfantine, la nécessité de voir pour savoir, dans un récit merveilleux qui fait la part belle à l’imaginaire pour poser des questions sérieuses. Les questions sérieuses, ce sont celles des limites, des bornes, du passage d’un état à l’autre, de l’infini… toutes les questions que l’on se pose devant la ligne d’horizon. Ces questions sérieuses, métaphysiques, ou simplement humaines, sont traitées ici sans aucune austérité, mais avec poésie et légèreté. Évacuons-les tout de suite, et laissons à chaque lecteur le soin de se les poser pour nous concentrer sur l’originalité de cet album. D’abord son héroïne dont l’illustratrice montre les yeux grands ouverts et l’abondante chevelure rousse. C’est une aventurière ! Ensuite le recours à l’imaginaire et au merveilleux, qui conduisent l’héroïne à la rencontre de personnages fantastiques, comme la sirène, de guides hors du commun, comme l’étoile de mer, ou d’animaux parlant et pleins de sagesse, comme l’ours blanc. C’est aussi à une distorsion du temps et de l’espace que conduit cet album. Cet immense voyage… ne dure qu’une journée puisque Josette rentre le soir sur la plage où elle retrouve ses amis. Cet album ne manque pas d’humour, non plus. La découverte de Josette, c’est qu’il y a au bout de l’eau « un ours ronchon et de gros glaçons ».  Fallait-il entreprendre une telle odyssée pour en retirer cette connaissance-là, cette sagesse que M. Prudhomme ne renierait pas, qui dit, en filigrane, qu’on est bien là où on est ? Ce serait passer à coup sûr à côté de l’album, de sa loufoquerie apparente, et du contraste entre le texte, volontairement minimaliste, et l’illustration luxuriante. En effet, on a d’un côté un texte qui fait la part belle au dialogue, à des questions dans des formes souvent poétiques, et de l’autre des illustrations qui montrent la diversité du monde, des plantes, des animaux… Des illustrations qui ne cherchent pas à avoir un côté documentaire (la même double page fait se côtoyer un flamant rose et un ours polaire), mais invitent à ouvrir les yeux et à explorer la variété du monde avec le regard naïf de Josette. C’est drôle, bien sûr, rythmé, avec un accord parfait entre la mise en texte et les images, entre l’esprit de sérieux de la démarche d’exploration et la fantaisie de l’auteur et de ses personnages.

Un album dans lequel on prend plaisir à suivre une héroïne de conte, vive, enthousiaste, passionnée dans sa quête des frontières et des limites, dans sa soif de dépasser les limites de son savoir, dépeinte avec humour par un auteur et une illustratrice qui nous invitent à réfléchir sur les limites mêmes de ces quêtes illimitées.

Faire la paix

Faire la paix
Philippe Godard illustrations de Barroux
Saltimbanque 2022

La paix n’est pas une utopie…

Par Michel Driol

En ce jour, triste anniversaire de l’invasion par la Russie de l’Ukraine, n’hésitons pas à lire et faire lire cet ouvrage particulièrement documenté de Philippe Godard, paru il y a déjà un an, bien avant le début de ce conflit. Faire la paix, un texte engagé, superbement mis en image par Barroux fait la liste de tous les domaines où les efforts sont nécessaires pour la construire durablement. Parcourir le sommaire est éclairant pour mieux comprendre la démarche suivie par cet ouvrage, qui se veut une véritable encyclopédie. Faire la justice pour faire la paix, faire la paix  avec les différences, faire la paix entre les religions, faire la paix avec l’ennemi, faire la paix en refusant la violence, faire la paix avec sa conscience, faire la paix avec le vivant.

C’est un essai qui ne tombe pas dans le simplisme, ou les simplifications abusives ou idéologiques. Il ne cherche pas non plus à manipuler les lecteurs, mais leur ouvre des espaces de réflexion à partir de détails concrets, de faits historiques ou de leur vécu. Le livre est écrit dans une langue accessible à tous, autour de paragraphes relativement concis, consacrés à un sujet bien précis, et vise à permettre la construction d’un monde plus harmonieux où chacun pourrait vivre en paix avec lui-même, avec les autres, avec le vivant. Il ne cherche pas à éluder certains points (celui de la religion, celui des communautés, celui du nombre d’armes en circulation), mais il les explicite, les remet à leur juste place dans un ensemble bien ordonné. Quelques figures historiques sont convoquées, de Martin Luther King à Jean Giono ou Greta Thunberg, en passant par d’autres moins connues comme Sébastien Castellion, voire des anonymes de l’âge des lecteurs, dont on n’aura que les prénoms. Façon de dire que ces réflexions, ces actions, ces engagements sont à la portée de toutes et de tous, et que chacun peut concrètement apporter sa pierre à la construction de la paix.

On saluera l’originalité – et la nécessité – de l’ouvrage à l’heure où de nombreux textes de littérature jeunesse évoquent les conflits, les guerres : il s’agit de montrer aux adolescents qu’on peut se battre pour quelque chose et non contre, que la paix est l’affaire de toutes et de tous, et qu’elle est en relation avec de nombreuses valeurs à défendre.

Signalons enfin que cet ouvrage est parrainé par Amnesty International qui le qualifie de « puissant plaidoyer pour une monde de paix et de justice, un monde où les droits de chacune et de chacun soient respectés.« 

Ce jour-là

Ce jour-là
Pierre Emmanuel Lyet
Seuil Jeunesse 2022

Se souvenir des belles choses

Par Michel Driol

Beaucoup de gens à la maison, pour la plupart inconnus du narrateur, un petit garçon. Un grand père qui n’a pas l’air là. Une grand-mère absente. Tout est dit, en quelques mots, en quelques images, de cette atmosphère particulière du deuil. De son silence. Le petit garçon part alors dans la montagne, sous une fine neige. Et il se souvient des cheveux, des robes à fleur, des chevilles enflées… Survient alors le grand-père, qui vient le rechercher. C’est le retour, tous les trois, dit le texte, alors que l’image ne montre que deux personnages…

Ce n’est certes pas le premier album à évoquer la question du deuil, de la mort d’un grand parent, mais c’est l’un des rares à savoir le faire avec douceur, simplicité, et, je crois, un vrai regard d’enfant. Un enfant un peu égaré dans cette réception feutrée comme le sont les veillées, les retrouvailles familiales autour d’un absent. Quelques mots suffisent, associés à la force des images qui montrent un enfant perdu, minuscule, au milieu des adultes, images qui soutiennent le texte (ces jambes comme une forêt enneigée) autant qu’elles s’en éloignent en proposant des couleurs primaires là où le texte parle de noir et blanc. Subtil décalage qui dit le mal être de l’enfant. Somptueuses compositions aussi qui évoquent la complicité et qui disent l’absence, comme cette double page où s’opposent l’enfant et le fauteuil vide de la grand-mère. Il y a une grande justesse et une grande force d’évocation dans ces premières pages, si touchantes pour suggérer plus que pour dire la mort. Puis c’est la promenade solitaire dans la montagne, où tout est là pour rappeler la grand-mère par de subtiles correspondances, entre la neige qui tombe et les cheveux blancs, entre la pomme de pin et le chignon, entre les feuilles mortes et les dessins sur la robe… Tout, dans la nature, est un écho à la grand-mère, à travers une série de « je me souviens » qui tiennent autant de Perec pour la forme que de l’expérience propre à chacun. Ce sont des petits faits, des sensations, des souvenirs ou des oublis qui culminent avec la main de l’enfant dans celle de la grand-mère, lors de la dernière rencontre, dans une position symbolique, la main de l’aïeule en haut, comme « au ciel », celle de l’enfant en bas, comme « sur terre ». Tout se termine sur une fin qui tient du rêve, avec cette dissonance déjà évoquée entre le texte et l’image, entre le vécu de l’enfant, ses désirs, sa perception des choses et la réalité, mais tout se termine dans la même atmosphère colorée que celle qui accompagne tout l’album qui réussit le tour de force d’être lumineux, vivant, et non pas lugubre. Pour autant, c’est une atmosphère douce-amère, entre gaité et nostalgie, qui s’en dégage pour célébrer le souvenir de ceux qu’on a aimés.

Gentillesse de la grand-mère, qualité de la relation avec son petit fils, sentiments confus de l’enfant, voilà un album touchant et subtil pour parler de la disparition des êtres chers, et de la façon dont tout ce qui nous entoure rappelle leur souvenir.

Note : on retrouvera les illustrations de Pierre-Emmanuel Lyet dans un autre ouvrage qui évoque la mort avec un angle très différent, Quand les escargots vont au ciel.

Hagrildur le valeureux et la brigade du renne

Hagrildur le valeureux et la brigade du renne
Sandrine Bonini
Grasset jeunesse, 2022

 

« toute notre vie n’est qu’une suite de quiproquos
plus ou moins héroïques »

Par Anne-Marie Mercier

Il manquait peut-être au roman héroïco médiéval pour la jeunesse une équipe de bras cassés dans le style des Poulets grillés de Sophie Hénaff, ou de la série Slow Horses. C’est une belle compagnie qui se constitue dans ce roman, sans doute pour faire également série, autour d’un balourd, amateur de bière, rêveur, passablement stupide et vaniteux, Hagrildur, qui un beau matin décide de s’appeler Hagrildur le valeureux. Il se fait passer pour un chevalier afin de rencontrer la confrérie des chevaliers et de sauver au passage la belle comtesse Hulda. Chemin faisant, il recrute deux jeunes gens assez benêts et entêtés de leur collection d’autographes, tombe sur la confrérie des voleurs, etc. et si les aventures progressent c’est rarement grâce à lui ; mais tout cela avance dans un bon train et l’ensemble est réjouissant.
C’est aussi un joli petit livre à couverture cartonnée. Les illustrations en orange et gris sur fond blanc pastichant légèrement la veine médiévalo-viking sont de l’auteure dont on avait admiré l’imagination et le trait de plume dans Le Grand Tour (Thierry Magnier)

Martine ne sait rien faire

Martine ne sait rien faire
Dominique Périchon
Rouergue, 2021

L’amitié donne des ailes

Par Anne-Marie Mercier

Dominique Périchon donne vie à cette petite Martine, élève effacée de primaire qui n’excelle en rien : ses dessins sont ratés, la musique n’en parlons pas, le sport pareil, quant au reste, autant l‘oublier. Elle n’est pas non plus la vedette de la classe, la cancre… Elle est plutôt solitaire et ne demande qu’une chose : qu’on la laisse en paix. Tout cela n’est pas dit sur un ton doloriste pour une énième histoire d’enfant malheureux à l’école : la petite fille s’accepte comme elle est, et trouve que rien de tout cela n’est grave.
Le ton est donné, celui de la légèreté et de l’humour, et cette petite Martine est très attachante ; on passerait volontiers du temps à ne rien faire avec elle pendant ces vacances d’été.
Mais il faut bien un peu d’événements dans un roman et c’est l’arrivée d’une « nouvelle » dans sa classe qui déclenchera toutes les aventures des deux fillettes. La mystérieuse Isadora Santos-Dupont, qui vient d’un pays lointain a décidé de faire voler sa bicyclette (on aura reconnu la parenté de nom avec Santos-Dumont, le pionnier de l’aviation).
Isadora l’équipe d’ailes, mais la première tentative est un échec, malgré l’aide bienveillante de Martine. Les fillettes ajouteront une hélice, un moteur… Toutes les astuces seront bonnes pour récupérer ce dont elles ont besoin chez les uns et les autres… Tout cela est joyeusement drôle et le bonheur de Martine d’avoir une amie et de compter pour quelque choses est merveilleusement bien décrit.
La suite est plus grave, dévoilant le secret d’Isadora, mais toujours lumineuse.

La Ruelle d’hiver

La Ruelle d’hiver
Céline Comtois – Illustrations de Geneviève Després
D’eux 2022

Et ces hivers enneigés / À construire des igloos / Et rentrer les pieds g’lés / Juste à temps pour Passe-Partout

Par Michel Driol

C’est l’hiver. Elodie attend sagement la permission d’aller jouer dehors, dans la neige. Elle escalade une montagne de neige, est rejointe par une amie, puis d’autres, et ensemble ils renforcent les murs de leur fort de neige, le décorent de fanions… Et au moment où le soleil va se coucher commence la grande bataille contre leurs adversaires, une multitude de bonhommes de neige, coincés « entre les murs des hangars et les maisons tricotées serrées »…

Un seul regret en lisant cet album, c’est de ne pas avoir à l’oreille l’accent du Québec… On retrouve Élodie, celle de l’album précédent, La Ruelle, dans un hiver montréalais propice à faire naitre la chaleur des amitiés dans les jeux et les rires des enfants. Dans la neige blanche se détachent les frimousses roses ou bronzées des enfants du quartier, prompts à se lancer des boules de neige sans aucune agressivité. Ce n’est qu’un jeu. Au-delà de cette histoire d’amitié, on voit des enfants envahir sans peur un espace public, celui de la rue, une rue où l’on se sent en sécurité puisqu’on connait tous les voisins. C’est cet espace de liberté qui parait sans prix dans cet album, comme une ode à une certaine façon de vive son enfance, entre soi, à partager le même imaginaire et les mêmes plaisirs… On songe à ces « copains de perrons aujourd’hui dispersés aux quatre vents » de la chanson Frédéric, de Claude Léveillé… Pour le lecteur français, c’est un réel dépaysement de trouver des enfants jouant librement, en plein hiver, dans un espace urbanisé, jouant comme Don Quichotte à se battre contre une armée immense – non pas de géants – mais de bonhommes de neige… Quoi de plus pacifique ? C’est Elodie la narratrice, qui, dans une langue simple, se montre sensible à l’opposition entre le calme du paysage endormi par l’hiver et l’agitation des enfants et qui chronique cet après-midi d’hiver, à la fois si ordinaire et si extraordinaire. L’album est magnifiquement illustré par Geneviève Després, dans un format à l’italienne qui élargit l’espace, et qui demande parfois de retourner le livre pour deux illustrations verticales qui  ouvrent l’espace vers le ciel ou le resserrent entre les deux côtés de la ruelle. On prend plaisir à voir, au milieu des boules de neige qui volent, les bouilles des enfants, et cette joyeuse complicité si bien mise en image.

Un album plein de petits détails qui laissent entrevoir la magie de l’hiver dans les villes du Québec… Rafraichissant et chaleureux en ces temps de dérèglement climatique !

Le Lion aux yeux d’or

Le Lion aux yeux d’or
Géraldine Elschner, Anaïs Brunet
avec la voix de Michel Vuillermoz et la musique de Beethoven
L’élan vert, 2022

Bonheur, musique et peinture

Par Anne-Marie Mercier

L’album nous invite chez la marraine de Léonie, Rosa. Elle vit dans un château avec de nombreux animaux, et parmi eux un lion : est-on dans une aventure du type de Narnia ? Pas du tout, c’est presque un album documentaire. Cette marraine un peu fée est Rosa Bonheur, peintre peu connue jusqu’à la grande exposition qui lui a été consacrée à Paris, au musée d’Orsay, en 2022. À la fin de l’album, quelques paragraphes donnent des informations sur sa vie et expliquent la part de vérité (forte) de ce qu’on peut voir dans l’album.
Un orage met un peu de mouvement dans cette découverte un peu tranquille. C’est aussi l’occasion de placer la Pastorale de Beethoven : en effet l’album est un livre musical : un QR code donne accès au son, avec le texte lu d’une belle voix claire par Michel Vuillermoz et des extraits de compositions de Beethoven.

Les images d’Anaïs Brunet, des gouaches à fond perdu, sont belles et nous font effectivement visiter le parc et le château. Le portrait du lion (qui se trouve au Prado) ouvre la partie documentaire et donne une bonne idée de l’art du peintre dont les compositions figurent de façon stylisée dans le décor. Voilà une très jolie façon de faire du documentaire.

Les Chiffres font leur numéro

Les Chiffres font leur numéro
Sylvie Misslin – Steffi Brocoli
Amaterra 2022

Quel cirque !

Par Michel Driol

L’album nous emmène dans l’univers du cirque, où les circassiens sont des chiffres. L’un est dompteur, l’autre écuyère, ou encore cracheur de feu, différentes disciplines sont évoquées dans des doubles pages colorées, et pleines de détails à observer.

 Ces détails sont l’objet de questions, posées sur des rabats à soulever pour y trouver un indice, et qui conduisent à diverses observations. Il peut s’agir de simplement identifier les chiffres par leur forme. Il peut s’agit aussi de dénombrer. Il peut s’agir de comparer des grandeurs, des tailles. Ce sont donc les premiers apprentissages mathématiques qui sont en jeu ici. En jeu, justement, car tout est ludique dans ce cirque en folie, plein de fantaisie sympathique et bienveillante, où même les nuages ont des yeux et un sourire… De quoi réconcilier les jeunes enfants avec les mathématiques ! Et, en prime, comme dans Où est Charlie ?, une petite souris s’est cachée dans chacune des pages…

Un livre jeu, un livre pour compter, dans lequel l’expression faire son numéro est prise au pied de la lettre !