Katy Carr

Katy Carr
Susan Coolidge
Traduit (anglais, USA) par Jacques Martine, ill. Myrtille Vardelle
Novel, 2025

Une fille contre-modèle, modèle pour  filles ?

Par Anne-Marie Mercier

Le titre original de ce roman, publié en 1872, par Sarah Chauncey Woolsey (Coolidge est son nom de plume) est « What Katy did ». Sous ce titre, c’est une référence connue dans le monde anglophone : chansons de Pete Doherty pour les groupes des Libertines et Babyshambles, titre de deux épisodes de la série Lost, allusions dans un film de J. Jarmusch, etc. En somme, c’est un personnage extrêmement populaire, mais un roman inédit en France jusqu’à cette édition. On peut encore une fois remercier les éditions Novel de nous faire découvrir et savourer de belles œuvres qui ont marqué l’histoire de la littérature pour la jeunesse, après celles de Lucy Maud Montgomery (Anne de Green Gables, Canada) et d’Edith Nesbit (Angleterre).
La raison en est à chercher sans doute dans le caractère hybride du personnage principal: au début du roman, Katy est une fillette de douze ans pleine d’énergie et prête à toutes les bêtises, bravant en compagnie de ses cinq frères et sœurs l’autorité de leur pauvre tante Izzie qui s’occupe d’eux depuis la mort de leur mère. Incapable de rester en place, toujours ébouriffée, ruinant ses vêtements, elle est un parfait diablotin. Elle a aussi des ambitions littéraires, elle écrit des histoires, et y embarque les autres enfants. Cette première partie est une succession de chapitres faisant alterner moments parfaits (invention de jeux, pique-nique, cabanes…) et catastrophes qui mettent en émoi la famille, le voisinage, l’école… Katie a de drôles d’idées et sait entrainer les autres dans ses délires.
Elle nourrit aussi de grands espoirs pour sa vie d’adulte, et rêve d’accomplir de grandes choses. Elle rêve aussi d’être un jour aussi parfaite que sa cousine Helen, une jeune fille belle, élégante, douce, joyeuse, qui a perdu l’usage de ses jambes à la suite d’un accident. Or, un autre accident, causé par une désobéissance et une imprudence, coupe les ailes de Katy : elle reste paralysée des membres inférieurs et doit garder le lit, avant de pouvoir utiliser bien plus tard une chaise roulante. Pendant quatre années, sa patience est mise à l’épreuve et elle prend alors modèle sur sa cousine et elle arrive peu à peu à suivre ses conseils pour pouvoir agir quand même, aider ses frères et sœurs et espérer faire quelque chose de sa vie.
Les bêtises de la première Katie sont spectaculaires et dangereuses, jusqu’à l’accident qui en clôt la série. Celles de la Sophie de la comtesse de Ségur (certes plus jeune) sont minuscules à côté. Katy offre ainsi un pendant féminin à la longue série de garnements romanesques initiée auparavant par Les Aventures de Jean-Paul Choppart de Louis Desnoyers. La suite, édifiante, est bien sûr moins distrayante, mais elle offre un ancrage sérieux et montre différentes façons de réagir à une pareille épreuve : révolte, dépression, premiers essais pour s’adapter, échecs, puis, pas à pas, installation dans une vie limitée qui est une vie malgré tout et reprise de projets d’avenir, avant même le happy end de la guérison.
C’est un personnage très attachant que cette Katy, de même que toute sa fratrie, pleine de fantaisie et d’énergie (le « journal intime du gourmand de la bande, Dorry, 6 ans, est charmant, et les poèmes et les spectacles créés par Katy et sa fratrie ou ses amies sont… un poème). Les personnages secondaires comme celui du père, médecin, attendri par l’inventivité de ses rejetons mais sachant rappeler les grands principes, de la tante Izzie, débordée et un peu ridicule parfois mais dont la mort offre de belles pages, des voisines, des amies… donnent aux courts chapitres, bien rythmés, de la variété et beaucoup d’humanité.
Bien sûr, tout cela est daté mais voir un personnage féminin traité de la sorte en littérature de jeunesse est réjouissant. La vie de son auteure, femme éduquée et indépendante explique sans doute ceci. Le succès de ce roman montre que les jeunes américaines ont bénéficié très tôt d’exemples de fillettes puissantes, avec les modèles comme Katy ou Jo March (Les Quatre filles du Dr March), dans des romans où ce sont les mères et non les pères qui sont absents.

 

 

https://shs.cairn.info/revue-de-litterature-comparee-2002-4-page-431?lang=fr

Une Toute Petite Seconde

Une Toute Petite Seconde
Rébecca Dautremer
Sarbacane, 2021

 

Des « Et si… » en écran géant

Par Anne-Marie Mercier

Après Les Riches Heures de Jacominus Gainsborough et Midi Pile, Rébecca Dautremer poursuit son exploration du temps. Ici, ce n’est pas le temps d’une vie comme dans le premier, ou le temps d’un événement, de sa préparation et de son attente, comme dans le second, mais, comme le dit le titre, la simultanéité de toute sorte d’évènements, de pensées, d’émotions, de paroles et d’actes, tous plus ou moins liés, qui se déroulent en « une toute petite seconde ». Ce moment a son poids de tragédie : c’est celui qui causera l’accident de Jacominus, son héros.
Le décor de cet accident (une chute dans un escalier) se déploie de l’escalier à la maison et à celles qui l’environnent, à la rue, à la campagne, au port, au ciel… Cet élargissement se fait dans l’image avec un très grand format (31 x 42 cm) qui abrite un leporello géant (2 mètres) et propose une fresque sur laquelle on voit en action de nombreux personnages, des animaux divers, humanisés et vêtus comme Jacominus dans un style charmant et démodé et évoluant dans un décor un peu kitch. Sur l’envers de cette fresque colorée, on retrouve les contours crayonnés du même paysage et des mêmes personnages, avec des chiffres qui renvoient à un livret intérieur donnant l’histoire de chacun des personnages. Il y en a cent…
C’est tout un monde, une centaine d’histoires, comiques ou tragiques, amoureuses, familiales, scolaires, farceuses, toute la vie donc. Mais le tour de force supplémentaire réside dans l’entrelacs de toutes ces histoires qui  conduisent de manière plus ou moins directe à l’accident de Jacominus : un effet domino mis en images, qui évoque toutes les pensées obsédantes que l’on connait après un accident, tous les « et si » qui auraient pu empêcher cet événement d’arriver (comme dans le récent livre de Brigitte Giraud, Vivre vite).
C’est magnifique, extrêmement riche, et plein d’humanité.

 

 

 

Keep me in mind
Jaime Reed
La Martinière 2017

Amour et amnésie

Par Michel Driol

Ellia a été victime d’un accident qui a effacé deux années de sa mémoire. Deux années pendant lesquelles elle était amoureuse de Liam, qu’elle ne reconnait pas. Comment aider Ellia à retrouver les souvenirs perdus ? Pour Liam, cela passe par l’écriture, et il se lance dans l’écriture de leur histoire commune, qu’il compte faire lire à Ellia. Mais peut-on nouer ou renouer les liens d’un amour ancien ? Et qui sont réellement ces adolescents qui vont découvrir ou redécouvrir leur personnalité petit à petit.

Voici un roman d’amour adolescent qui se construit au fil d’un double point de vue alterné. Ellia et Liam sont chapitre après chapitre les narrateurs. L’un tente, par l’écriture, de faire revivre les sentiments, sensations et ne souhaite que retrouver la vie d’avant avec Ellia. L’autre, de tâtonnements en tâtonnements, redécouvre ses amies, ses passions, et ce garçon. Se construit aussi, progressivement, l’arrière-plan sociologique : d’un côté la famille noire d’Ellia, protectrice, riche, voyant d’un mauvais œil sa relation avec Liam, blanc, plus pauvre, à la famille moins conforme à certains codes sociaux (il a un oncle plus jeune que lui…). Se dessinent aussi les arrière-plans scolaires (le lycée américain, et ses fêtes traditionnelles), l’hôpital et le suivi psychologique d’Ellia, qui lui permettra de rencontrer un autre garçon, Cody. Le roman use intelligemment du retour en arrière : après la scène d’ouverture – première page du récit de Liam – qui donne le contexte de l’accident d’Ellia, le roman révèle progressivement le cadre de cet accident, les tensions entre Ellia et ses parents, et le rôle exact de Liam ce jour-là. Mais l’intérêt profond du roman est surtout psychologique : comment les deux adolescents se redécouvrent à l’occasion de ce drame, et se reconstruisent une identité nouvelle en comprenant mieux le passé.

Un roman au cadre et aux codes très américains, mais qui explore avec finesse les amours et la psychologie des adolescents.

Les Neuf Vies de Philibert Salmeck

Les Neuf Vies de Philibert Salmeck
John Bemelmans Marciano, Sophie Blackall
(Les Grandes Personnes), 2014

8 façons de mourir extraordinaires + 1

Par Anne-Marie Mercier

les-neuf-vies-de-philibert-salmeckDans la lignée des enfants milliardaires insupportables, Philibert bat de loin Artémis Fowl. Il faut dire que, comme son nom l’indique, il est le descendant d’une horrible famille qui a été à l’origine de bien des malheurs pour l’humanité : le capitalisme c’est eux, la déforestation, les génocides, le changement climatique… tout leur sert à asseoir leur fortune mais – bien mal acquis ne devant pas profiter –, ils meurent tous jeunes.

Philibert décide de vaincre la fatalité en se faisant greffer huit vies supplémentaires à partir de son chat (oui, les chats ont neuf vies et un dessin nous le prouve en montrant l’organe qui est à l’origine de cette particularité).

Le récit montre un enfant déchainé prêt à se lancer dans toutes sortes de sports ou de conduites à risque, jouant avec la mort de manière assez bouffonne et très vite rattrapé par le réel : lorsqu’il arrive (rapidement) à la fin de son capital, la peur s’installe –  leçon de La Peau de chagrin de Balzac pour les plus jeunes?.

Entre humour grinçant et fable philosophique, ce petit récit est illustré de manière très expressive et caricaturale en noir et blanc ; il pose la question de la vie et de la mort, du prix que l’on oublie d’accorder à l’une et des différentes façons d’arriver à l’autre, tantôt en négligeant les conseils avisés de l’entourage tantôt en les prenant trop à la lettre. Surprotection et exposition au danger sont les deux chemins qui mènent le personnage à sa perte.

Entre deux rafales: Entre deux monologues

Entre deux rafales
Arnaud Tiercelin

Rouergue (DoAdo),  2010

Entre deux monologues 

                                                                                                         par Maryse Vuillermet

 Deux monologues alternent, celui d’Emma sur son lit d’hôpital qui a perdu la mémoire et celui d’Arthur qui erre aux alentours, parce qu’il est responsable de l’accident de scooter qui a blessé Emma.Les deux voix sont celles d’adolescents déchirés, l’une dans sa chair et sa mémoire, l’autre,  depuis toujours, par la maltraitance, l’abandon de ses parents, de ses familles d’accueil, la violence des foyers, et du regard des autres.

Emma, ayant tout oublié,  sent pourtant que quelqu’un l’aime, lui,  croit qu’elle va le rejeter, le haïr mais il ne cesse d’espérer pare qu’il n’a plus que ça, il est seul,recherché par la police et le foyer.Ce roman d’Arnaud Tiercelin, parle d’adolescents blessés, de parents muets, de mère alcoolique, de préjugés de classe, de colère autodestructrice, mails il parle aussi d’espoir, d’entraide entre jeunes, et d’humanité.

Le style et le dispositif d’écriture permettent bien des surprises, des rencontres et des rebondissements.  C’est un roman touchant qu’on n’oublie pas.

Premier chagrin

Premier chagrin
Eva Kavian

Mijade (zone J), 2001

leçon de mort, leçon de vie

par Anne-Marie Mercier

Eva Kavian  Mijade (zone J), grand-mère, accident,cancer, famille,mort,grandir,collègeAnne-Marie MercierLes concepteurs de la couverture ont choisi d’expliciter le titre, qui sans cela évoquerait les laborieuses « compositions françaises » comme celle sur le « premier chagrin » évoquée par Nathalie Sarraute dans Enfance. Sur cette couverture dont la couleur vive semble contredire le titre, l’image d’une annonce demandant une  « jeune fille pour baby-sitting » indique bien le début de l’intrigue. Le début seulement, car ce roman ne cesse de bifurquer et, de mystère en mystère, de nous surprendre.

Il y a trois ou quatre histoires entrelacées, et pourtant une seule. La jeune Sophie, 14 ans, vivant seule avec sa mère, bonne élève mais mécontente de sa vie en général et du collège en particulier, cherche à se faire un peu d’argent, à grandir. Elle est embauchée par une vieille dame, surnommée Mouche. Gravement malade, Mouche lui dit que ses petits-enfants vont venir pour être avec elle dans les derniers mois qui lui restent à vivre.

Les petits-enfants ne viennent pas. À leur place, des amis, nombreux, affectueux, touchants. Sophie aide Mouche à ranger sa maison, puis à préparer sa mort. Rien de morbide, tant Mouche à de goût pour la vie dans tous ses aspects. Sophie apprend avec elle la gaieté, l’insouciance, le pardon, la gravité. Elle découvre que la gaieté de Mouche masque une blessure terrible et explique pourquoi les petits-enfants ne viendront peut-être jamais.

Sophie grandit. Ses relations s’approfondissent, elle prend des initiatives, pose les questions qu’elle n’a jamais osé poser. D’adolescente morose, elle devient vivante et crée de la vie autour d’elle. Qu’on ne se méprenne pas : pas de miracle, mais la mort de Mouche est une belle leçon de vie et un moment presque heureux. Malgré une écriture assez plate, qui se présente comme la voix de Sophie racontant son histoire, c’est un beau livre, plein de petites trouvailles, de moments drôles, vrai, touchant et surprenant.