Enquête au collège, L’intégrale 1

Enquête au collège, L’intégrale 1
Jean-Philippe Arroud-Vignod
Gallimard jeunesse, 2012

Littérature au collège

Par Anne-Marie Mercier

Enquête au collègeLe professeur a disparu, Enquête au collège, P. P. Cul-Vert détective privé… ces grands succès de littérature devenue « scolaire » tant elle a été prescrite par les enseignants de français désireux de faire aimer la lecture à leurs ouailles sont ici « classicisés » sous la forme d’une intégrale, une consécration, donc. Les dessins de Serge Bloch suffiraient à les attirer.

Il y a un charme désuet à ces récits : le langage des adolescents est un peu démodé, les relations avec l’institution sont, malgré quelques accrocs, plutôt harmonieuses, les amours parfaitement innocentes, et les intrigues se cantonnent dans un genre policier de bon aloi. C’est une littérature qui ne se prend pas au sérieux. Il en faut. Mais il faut aussi proposer, avec ces ouvrages certes, d’autres types d’ouvrages aux  collégiens, si l’on veut les amener à la « Littérature ».

Cela dit, le grand mérite de cette série à la française aura été, bien avant le succès de Harry Potter de faire goûter le genre du « college novel » (le terme « roman scolaire » désignant autre chose, qu’on me pardonne l’anglicisme) aux jeunes lecteurs francophones.

Babyfaces

Babyfaces
Marie Desplechin
L’école des loisirs (neuf), 2010

Violences scolaires, enfants en non-lieux

par Anne-Marie Mercier

babyfaces.gifComme ses personnages, le livre au premier abord séduit peu : phrases brèves, notations sèches, vues en surface. Puis, petit à petit, les angles s’adoucissent, le narrateur, Freddy, se permet des phrases plus longues, des réflexions plus poussées. Et au bout du compte, se révèle un beau roman, tendre et violent, vrai et fantaisiste, plein de désespoir et d’humour.

Petit, solitaire et perdu, nommé de son vrai prénom Rajanikhant, Freddy est le fils d’une mère exubérante et chaleureuse ; il est le voisin de Nejma et son seul ami, amitié « de voisinage » plus que d’élection. Tout cela dans une banlieue grise et sinistre, dont les deux moitiés sont reliées par une passerelle, et dont la seule issue de secours est la route nationale.

C’est autant le quartier et ses conditions de vie que le personnage de Nejma qui retient l’attention. Nejma, anti-héroïne, anti-enfant et anti-fille même, est une enfant à l’abandon, enfermée dans sa solitude, avec une mère qui l’élève seule et travaille au loin, dans une autre banlieue (ce livre est publié au moment où le décret sur la suspension des allocations familiales est voté). Ses seuls contacts humains sont ceux qu’elle a avec Freddy (alias Raja) et sa famille, si on peut appeler cela des contacts.

« A l’école, personne ne l’aimait. Tout le monde avait ses raisons. Elle était moche, elle était mal habillée, elle était grosse, elle était violente, elle était méchante, elle était nulle. Et elle crachait par terre. Ça, c’était pour les élèves ». Pour les professeurs, les raisons sont les mêmes mais dans un ordre différent. Autant dire que Nejma est taillée pour être  accusée de tout lorsque des problèmes arrivent, problèmes très graves où des vies sont en danger.

Le livre est le récit de combats. Combats de Nejma qui ne sait pas s’exprimer autrement. Combats de groupes ou d’individus dans la cour du collège où la violence s’est installée avec de lourdes conséquences, combats de la société contre ses pauvres, de Freddy contre la passivité de Nejma, et d’autres encore (beaux personnages secondaires que ceux de la directrice et du vigile). La dédicace du livre montre certaines sources : les enfants de Bagneux et Cécile Rossard qui ont sans doute inspiré ce livre pour le côté français, Radhika Jha, romancière indienne et Pravina Nallatamby (pour la langue ?).

Le titre, « Babyfaces », dont il faut noter le pluriel, est une merveille de significations légères : à méditer, de même, l’espoir que Marie Desplechin offre en cadeau à Nejma, comme on offre un ticket pour un nouveau départ.

 

Le faire ou mourir: Variations sur les modes de la Terreur adolescente

Le faire ou mourir
Claire-Lise Marguier

Rouergue (doAdo), 2011

Variations sur les modes de la Terreur adolescente

par Anne-Marie Mercier

Claire-Lise Marguier,collège,violence,gothique,homosexualité,scarfications,solitude,amitié,  Rouergue (doAdo), Anne-Marie Mercier   Ce premier roman, malgré sa thématique très ancrée dans l’actualité sociale, surprend – en bien – à plus d’un titre. Écrit à la première personne de façon sobre, son ton peut parfois se révéler lyrique, parfois exacerbé. En phrases courtes, pressées par l’angoisse ou l’exaltation, il raconte plusieurs histoires.

Dans un premier temps c’est l’histoire d’un garçon fragile et sensible, souffre-douleur des cours de récréation, négligé par sa famille, moqué pour ses larmes et ses terreurs d’enfant. Maltraité par une bande, il est sauvé par une autre et s’y agrège avec l’impression d’avoir enfin trouvé un lieu où exister. Que les uns soient des skateurs et que les autres soient des gothiques est assez anecdotique sur le fond mais les réactions des autres aux apparences sont décrites de façon intéressante. On explore donc ici avec beaucoup de pertinence la question de l’appartenance à un groupe, une « bande ».

Dans un  deuxième temps, c’est l’histoire de l’amitié entre Damien et Samy, une amitié dans laquelle la dimension physique devient de plus en plus importante. Comme cela est dit explicitement dans le roman, ce n’est pas la question de l’homosexualité qui est traitée ici, mais c’est le portrait d’un amour. L’auteur nous raconte une belle histoire, avec pudeur et beaucoup de sensibilité. Damien le Solitaire et le muet découvre en Samy un « gothique » solaire, à la fois libre et rattaché, à l’aise avec ses parents, à l’aise avec son corps, à l’aise avec les mots, tout ce qu’il n’est pas.

Dans un troisième temps, le lecteur découvre le profond malaise de Damien qui se scarifie, pour éviter d’exploser, par plaisir, pour se sentir exister, tout cela à la fois et d’autres choses encore. Les violences qu’il s’inflige ou qu’il subit, physiques ou psychologique, au collège ou en famille, l’incompréhension de son père, la distance de sa mère, son incapacité à dire, tout cela fait un mélange explosif qu’il ne désamorce, provisoirement, qu’en faisant couler son propre sang.

L’auteur nous propose deux fins possibles. L’une, saisissante, est terrifiante, catastrophique. La deuxième, qui imagine un futur possible à Damien, est réconfortante. Certains voient cette double proposition comme une facilité. J’ai apprécié ce non-choix: il montre que ce n’est que de la fiction. Il montre aussi ce que cette fiction dit du réel: on ne peut fermer le livre sans un sentiment de terreur devant l’idée qui sous-tend ces deux propositions, qu’il suffit de si peu pour faire basculer tant de vie vers tant de mort.

Il est rare que des questions comme celles de la violence scolaire et familiale,  de la mode du « gothique » et de la pratique des scarifications soient abordées dans une fiction qui les éclaire de l’intérieur avec autant de cohérence et de compréhension. Il est rare également qu’un roman soulève autant de questions sociales sans jamais cesser d’être… un roman : ici, le parcours de personnages auxquels ont croit et auxquels on s’attache.

J’ai tué mon prof !

J’ai tué mon prof !
Patrick Mosconi
Syros (mini syros), 2010

Cervelle tueuse

par Caroline Scandale

Patrick Mosconi, Syros (mini syros,Caroline Scandale,professeur,collège,)Qui n’a jamais rêvé de tuer un professeur exécré? La force de l’esprit peut-elle aider en pareilles circonstances à bouleverser le destin? Visiblement, oui… Puisque la seule volonté de Julien parvient à dégommer Lambert, dit Moustache, son prof de dessin. Oui mais voilà, le jeune garçonnet vit très mal son nouveau statut d’assassin. Il se sent infiniment coupable et part donc à la rencontre de la famille du mort pour s’excuser. Quand soudain il fait une terrifiante découverte… Et si Lambert n’était pas vraiment mort?

Magnus Million et le dortoir des cauchemars:gros collège novel fantastico-archaïque

Magnus Million et le dortoir des cauchemars
Jean-Philippe Arrou-Vignod

Gallimard jeunesse (grand format), 2011

Gros collège novel fantastico-archaïque

par Anne-Marie Mercier

Magnus Million et le dortoir des cauchemars.gifJean-Philippe Arrou-Vignod propose ici une version un peu désuète du « college novel » et croise ce genre avec le roman social, le roman fantastique et le roman policier. Dans un Grand-Duché d’opérette, il se trame des choses louches au lycée de la ville où le jeune héros, 14 ans, est pensionnaire. Il arrivera bien sûr à sauver le monde et ses amis, ceux qui l’ont d’abord tourmenté dans le « dortoir des punitions » et à surmonter sa lâcheté ; il retrouvera une partie de sa famille, découvrira son histoire, se fera accepter par son père… Le résultat est une oeuvre qui recycle de nombreuses situations bien connues ; elle a des qualités mais est loin d’être parfaite.
Le roman peine à trouver son rythme dans son premier tiers ; il le trouve par la suite et enchaîne événements et découvertes. Mais il y a une dimension caricaturale un peu gênante – même si on peut la mettre sur le compte de l’humour, très présent dans le texte : le héros incarne les classes privilégiées, les classes inférieures sont représentées par des brutes souvent stupides et parlant mal. Poussé trop loin sur ces questions, le pastiche de la littérature du dix-neuvième siècle présente un certain danger.

Enfin, les fameux cauchemars ne sont guère convaincants, tant ils sont livresques et cohérents (Cerbère, un personnage des Trois mousquetaires,…). Il semble que l’auteur ait cherché à placer une dimension culturelle au coeur du fantastique. Celle-ci s’avère moins intéressante et surtout moins complexe que ce que proposait  une géographie du monde des rêves : « il y a 3 portes pour y entrer : la porte de la peur, celle du désir et celle du souvenir ».

La véritable originalité du roman est l’hypersomnie du héros, qui le place de façon inattendue dans des situations cocasses puis dramatiques.La fin du livre, qui montre le héros lisant une histoire aux jeunes orphelins fascinés, évoque d’une manière intéressante les enfants perdus de Peter Pan; et le cadre choisi, une bibliothèque de livres de jeunesse abandonnée a un certain charme.