Mes chaussons toutous

Mes chaussons toutous
Jorge Lujan, Isol
Syros, 2010

par Frédérique Mattès

Une collaboration réussie et fructueuse entre Jorge Lujan et des enfants latino-américains, douze petits poèmes drôles, attendrissants, poignants, malicieux sur les animaux. Une collaboration tout aussi harmonieuse entre texte et image. Le trait fluide et assuré d’Isol se laisse parfois aller à ce qui pourrait ressembler à des dessins maladroits d’enfants. La plume alerte de Jorge Lujan soutient le texte brut et plein de fraîcheur des enfants écrivains.

Amélie déménage ; On a volé mon sac

Amélie déménage ; On a volé mon sac
Dr Eric Englebert, Claude K. Dubois
Syros, 2010

par Frédérique Mattès

Un parti pris pour cette collection : aider les enfants et les parents à surmonter les difficultés de la vie grâce à de petits livres qui s’appuient sur le quotidien. Certains diront que ces « livres  médicaments » ne méritent pas de figurer dans la littérature. Il faut reconnaître ici que les textes sont simples mais qu’ils sonnent juste. La collaboration entre le texte et les illustrations délicates de Claude. K. Dubois est également réussie. Ces petits opus paraissent donc remplir leur mission : fournir un support à la discussion-réflexion pour aider les enfants à mieux grandir, ce qui paraît bien être une des missions de la littérature de jeunesse.

Tout autour de moi

Tout autour de moi
Claude Perrin
Rue du Monde, 2010

par Frédérique Mattès

Un grand imagier carré (27 x 27 cm) pour permettre aux plus petits de découvrir ce qui les entoure. De courts textes qui mettent l’enfant lecteur au centre du monde. Chaque phrase reprend la maxime : « autour de moi ».  « La ville tourne autour de moi et le lampadaire m’éclaire », « Autour de moi, c’est le pays du sable … et de mon petit arrosoir ». Les enfants se reconnaîtront dans les situations de la vie quotidienne, le bain, le repas, le jeu dans le jardin, l’heure du coucher … Les images colorées et foisonnantes peuvent se lire dans tous les sens. Un album à se faire lire mais aussi à explorer tout seul. Un voyage dans le quotidien mais aussi dans l’imaginaire, à lire et a relire, chaque nouvelle lecture permettant de découvrir de nouveaux détails.

Dans la cour de mon école

Dans la cour de mon école
Sylvain Victor
Thierry Magnier, 2009

par Frédérique Mattès

Un album qui aborde les relations entre les élèves dans une classe. Sa forme est particulière :  il se lit recto verso. Une partie narrée par Manu l’autre par Mona, lesquels présentent leurs copains. Au centre du livre, une farandole qui entoure les deux protagonistes qui se disent des mots doux …. Portraits d’enfants,  pleins d’humour qui s’appuient sur le vécu de l’école complété de commentaires personnels, qui résonnent juste : Il y a Gunnel elle est polyglotte. Ce n’est pas une maladie, ça veut dire qu’elle a plusieurs langues parce qu’elle a habité dans plusieurs pays. Des fois, quand elle parle avec sa langue suédoise, ça fait un peu peur aux autres mais moi j’aime bien… C’est un peu « brut » mais intéressant car  les enfants s’y reconnaîtront facilement. On retrouve l’illustration au crayon de couleur de personnages caricaturaux (ils ressemblent  un peu aux Simpson)  de Sac en papier sac en plastique (Ed. Drozophile). Sylvain Victor, un univers à découvrir.

Bouche cousue

Bouche cousue
François David, Henri Galeron
Motus, 2010

par Frédérique Mattès

Motus et bouche cousue… Un livre sur le murmure et les mots retenus. Et livre sur tous les autres livres de Motus. Ainsi est présenté par ses auteurs ce magnifique ouvrage sur la beauté du silence, la résonnance dans les espaces…. Que dire de plus pour ne pas le dénaturer ? L’objet livre est tout aussi précieux : papier gris, brut qui met en valeur (mais est-il besoin de le faire ?) les illustrations surréalistes d’Henri Galeron. Un écrin qui recueille des textes minimalistes sublimés par un trait exceptionnel. C’est tout simplement un incontournable à lire et relire.

Paris

Paris
Francesca Bazzurro, Orith Kolodny
La Joie de Lire, 2010

par Frédérique Mattès

Un petit dernier dans la collection « De ville en ville ». Après Tel Aviv, Berlin, Genève, nous partons pour une balade dans Paris. Une flânerie instructive et fort agréable à travers différents lieux «  incontournables » d’hier  : Notre Dame, la fontaine Wallace, le Louvre… ou « d’aujourd’hui » : la tour Eiffel, La Villette, L’institut du monde Arabe…. La mise en page est particulièrement soignée. Se mélangent audacieusement phrases de grands auteurs (Hugo, Verlaine, Rimbaud …), photos, détails de monuments ou croquis bruts de lieux importants. Une très belle composition, riche et inventive, des pages qui transforment le lecteur en un touriste avide de connaissances. A lire et à relire avec toujours autant de plaisir.

Les tartines au ketcheupe

Les tartines au ketcheupe
Marie-Sabine Roger
Thierry Magnier (réédition, première édition : 2000)

D’un Nicolas l’autre

par Christine Moulin

Le héros-narrateur du petit roman de Marie-Sabine Roger raconte sa vie quotidienne à la maternelle et à la maison. Et ce n’est pas toujours drôle même si cela fait beaucoup rire. Certes, et c’est une limite du genre, il paraît bien lucide pour son âge (il est vrai qu’il lui arrive de dire qu’il ne répond rien parce qu’il n’a pas « tous les mots pour »). N’empêche : le début, surtout, est hilarant. Extrait : « En tout cas, c’est l’heure des mamans du midi […] Les mamans sont garées dans le couloir. La maîtresse se met à la porte. Elle appelle, bien fort, d’une voix minidouce, même pour ceux qui ont été vilains … »Le propos est grave pourtant : le père de Nicolas le regarde plus souvent qu’à son tour « avec des yeux remplis de baffes ». Le petit garçon se crée alors un double, Petitoiseau, qui subit ce qu’il subit ou bien il met en scène sa propre vie au pays des fourmis : « Pif, clac  C’est la fête au fourmisseau ». Mais rien n’est pesant ni larmoyant, on peut faire confiance à Marie-Sabine Roger, qui a su rendre la mort elle-même moins terrible (A la vie à la). Il faut dire qu’elle a une arme redoutable : son humour et son écriture, faite de mots et de tournures inventés, mais si justes qu’on se demande pourquoi ils n’existent pas depuis longtemps : « Ma voix-dedans me réfléchit des choses. L’espliquologue est venu me chercher dans la classe, après la cantine. » C’est que, comme le dit l’auteur elle-même, dans un entretien avec les responsables du site « Citrouille : « Les mots sont des raccourcis pour aller directement à l’émotion, pour être en prise directe. Mais paradoxalement, ils servent également de protection contre des émotions fortes. Ce sont des petits coussins entre le lecteur et le chagrin ou la violence. Si on s’y assied c’est moins dur, si on rebondit c’est drôle. Rire n’empêche pas l’émotion, et l’émotion n’empêche pas le rire. On pleure de rire, on “ pleurigole “ comme dans À la vie, à la… »Les quiproquos aussi sont légion : c’est ainsi que Nicolas se demande longtemps à cause de quelle bêtise le petit oiseau « a pris sa volée » ; écoute avec attention l’histoire du « petit poussé » qui se passe chez des pauvres moucherons… Les non-dits sont poignants : quand Nicolas doit remettre en ordre des images représentant les actions de la journée (un grand classique !), il trouve tout de suite qu’il y a une image-intrus, celle sur laquelle le « petit garçon joue avec son papa »…Si bien que les événements en eux-mêmes n’ont guère d’importance : ils sont à hauteur de petit de maternelle (préparer un repas pour la famille fourmis, par exemple, ou un voyage scolaire au zoo), extrêmement importants, donc. Et terriblement émouvants.
Une interview de Marie-Sabine Roger sur le site « Citrouille » :

Pascal, d’un infini à l’autre

Pascal, d’un infini à l’autre
Orietta Ombrosi, Géraldine Alibeu
Seuil, 2009

Un singulier divertissement

par Christine Moulin

Voici un documentaire sur la vie de Pascal (oui, Pascal, celui des Pensées), paru dans la collection « Coup de Génie », qui a pour mission de faire découvrir aux enfants des scientifiques et savants célèbres (ils peuvent ainsi faire la connaissance également de Gutenberg, Pasteur, Darwin et Galilée). De fait, l’album est rendu particulièrement attrayant grâce aux magnifiques illustrations de Géraldine Alibeu (cf. On n’aime pas les chats ou Le petit chaperon rouge a des soucis), qui mêlent fantastique (personnages morcelés, aux postures improbables) et précision nostalgique (papier millimétré, fragments d’anciennes gravures).

Dès le début, le texte, par l’emploi du présent, nous fait découvrir l’enfance des Pascal, sans pour autant en gommer l’étrangeté : « […] les maths et la géométrie leur sont strictement interdites. D’après M. Pascal, ces matières ne sont pas pour les enfants »… Les éléments marquants et célèbres de la vie et de la pensée de Blaise défilent : la création de la machine à calculer, la « pascaline » ; l’expérience de la Tour Saint-Jacques, destinée à montrer que le vide n’est pas « rien » ; le « roseau pensant » ; l’intérêt pour les jeux de hasard ; le pari ; le divertissement ; les Pensées ; la nuit où il a « une étrange vision » qui lui fait découvrir le « Dieu de Jésus-Christ » ; l’invention des « transports en commun ».

Le propos est plaisant, même si certains passages peuvent sûrement décontenancer les plus jeunes : « Voilà une première découverte : le sans fin des nombres ou l’infini en nombre. Mais pour Pascal il n’y a qu’un seul infini ! ». Toutefois, on reste un peu à l’extérieur, on s’ennuie parfois : les explications sont maigres pour un documentaire, les émotions rares pour un récit. Si bien que renaît l’interrogation qui est au cœur de la réception de la littérature pour la jeunesse : doit-elle servir à instruire ou à divertir ?

Caulfield, sortie interdite

Caulfield, sortie interdite
Harald Rosenloweeg
Thierry Magnier, 2009

Un malaise qui nous vient du froid

par Christine Moulin

En Norvège, un adolescent, Klaus, arrive dans un nouveau collège, où sa mère vient d’être affectée comme conseillère d’éducation. Dès son arrivée, il entend une conversation qu’il ne devrait pas entendre et il rencontre Sturla, qui va très vite mourir, écrasé par un métro. Accident qui va l’obséder et le lancer dans une quête de la vérité mortifère (meurtre ou suicide ?).L’histoire débute par une chute dans le vide, celle-là même que l’on redoute tout au long de l’œuvre qui sert de référence structurante au roman, L’attrape-cœurs de J.-D. Salinger (1953), déjà présente dans le titre qui évoque le nom du héros (Holden Caulfield) de ce roman culte. Mais la référence ne s’arrête pas là.Les similitudes sont nombreuses : la narration, à la première personne, ne livre que le point de vue du narrateur, isolé, et entraîne le lecteur dans un cauchemar qui va crescendo. A la suite du héros, on a l’impression de perdre pied et de vivre une véritable descente aux Enfers (on pense aussi, parfois, à Rome l’Enfer, de Malika Ferdjoukh), pris dans l’enchaînement des rencontres et des évènements.La vision du monde rappelle également celle de Salinger : une ville-labyrinthe sert de cadre aux déambulations du héros ; les adultes et les adolescents sont tous aussi perdus et menacés les uns que les autres ; personne n’est en sécurité ; personne n’aide personne ; aucune valeur n’est assez solide pour assurer la survie des individus. Les relations sont dominées par l’hypocrisie et la machination (« phoniness », fausseté, selon le mot de Salinger). La figure maternelle elle-même n’est pas épargnée, même si les héros des deux romans essayent, maladroitement, de protéger leur mère, de ne pas l’inquiéter, ce qui les précipite plus sûrement dans l’errance et les dangers. L’amour, qui pourrait être synonyme de pureté salvatrice, de repos, (l’amour pour Live, dans Caulfield, pour Jane dans L’attrape-cœurs) semble à la fois décevant et inaccessible : « Tu souhaiterais certainement croire que l’amour est si authentique, si beau et tout et tout… Mais ce n’est qu’un jeu. Et une dose de biologie ». Même l’affection pour une petite sœur (Vilje dans Caulfield, Phoebé dans L’attrape-cœurs) ne peut pas grand-chose… Si bien qu’on en arrive à la tentation du suicide (menée à son terme par un personnage secondaire dans L’attrape-cœurs, point central de l’ « enquête » entreprise par Klaus).Mais l’hommage le plus subtil à Salinger réside dans la construction de la narration : même enchâssement entre un prologue et un épilogue qui donnent toute leur signification aux péripéties intermédiaires ; même accélération du rythme : on commence par un quotidien relativement banal. Certes, les deux héros subissent l’un et l’autre une situation de rupture (renvoi de l’école pour Holden Caulfield, inscription dans un nouveau lycée pour Klaus) pour arriver à être pris dans une suite d’événements de plus en plus perturbants, curieux, dérangeants, présentés pourtant d’une façon linéaire, qui amènent le lecteur à douter de tout, même de la fiabilité du narrateur.Les différences, toutefois, marquent l’originalité de l’écriture de Harold Rosenlow Eeg et peut-être aussi l’écart temporel entre les deux œuvres (plus de cinquante ans). Dans le choix du genre, tout d’abord : d’un roman initiatique, il a fait un thriller, plus désespéré (« sortie interdite », dit le titre) ; c’est d’ailleurs ce que constate Klaus, qui lit le roman préféré de Sturla : « Je commence par la fin, histoire de savoir qui est le meurtrier. Mais l’histoire ne semble pas contenir de meurtre quelconque ». Différences dans les caractéristiques du héros : Klaus est rendu fou, sa fragilité vient de ce qu’il affronte, de la société, de sa situation familiale, du phénomène d’identification avec Sturla, tandis que les failles de Holden Caulfield sont plus intérieures (L’attrape-cœurs débute dans un hôpital psychiatrique). Dans les thèmes : l’homosexualité est plus centrale, l’alcool est remplacé par la drogue, les scènes de sexe plus explicites. Dans le ton : pas trace d’argot. Cette fausse similitude est d’ailleurs annoncée dès l’incipit : les enfants que Holden Caulfield voudrait sauver dans le roman américain sont devenus des flocons de neige dans le roman norvégien (« J’ai soudain l’impression d’apercevoir, tout là-haut, un flocon de neige. Un ticket gagnant. Qui tout en lenteur virevolte vers le bas. Je me figure que je dois absolument le sauver avant qu’il n’atteigne le sol »). La lecture de ce livre obsède, bien après qu’on l’a refermé, à cause du désespoir qui le fonde. Pour la jeunesse, vraiment ?

Comédie de la lune

Comédie de la lune
Etienne Delessert,
traduction (anglais) par Jean François Ménard
Gallimard, 2010

Delessert le magnifique,

par Christine Moulin

Le dernier Delessert… Respect ! C’est bien l’attitude que suggère d’ailleurs la notice au début de l’album, rappelant la carrière de l’immense illustrateur. Et comme si cela ne suffisait pas, la traduction de l’anglais a été faite par Jean-François Ménard, le traducteur de Harry Potter et Artemis Fowle. Que du lourd !Et c’est magnifique : de superbes illustrations en double page, qui s’éclaircissent progressivement, à mesure que le petit bonhomme qui habite à l’intérieur de la lune fait son travail, « arroser les étoiles, peindre les fleurs, habiller les oiseaux de longs manteaux noirs »… Poésie, fantaisie, prolongement métaphysique (« Tout a commencé il y a très longtemps et tout recommence chaque nuit ») … Cet album est un chef d’œuvre.