La galette et le roi

La galette et le roi
Schéhérazade, Marianne Barcilon (ill.)
Kaléidoscope, 2020

Politique de la galette

Par Christine Moulin

Janvier voit revenir inlassablement Roule Galette ou assimilées. Voilà de quoi changer un peu: on assiste à la désignation pour un an du roi de la forêt, via la traditionnelle fève. Chacun pourra retrouver le délicieux frisson qui préside à la cérémonie et s’amuser des ruses des uns et des autres pour essayer de s’emparer du précieux objet: l’ours essaye l’argumentation (il aurait, selon lui, droit à deux parts parce qu’il est plus gros!), la belette feint d’avoir avalé la fève (un grand classique!), le faon dans son innocence la confond avec sa première dent de lait et le loup multiplie les tentatives malhonnêtes. Tout cela est mignon. Les aquarelles ajoutent beaucoup de charme à cet ouvrage car les animaux et leurs petits sont très bien croqués et leurs grands yeux attendrissants ne peuvent que séduire le lecteur. Tout est peut-être un peu trop mignon, d’ailleurs: la question du pouvoir n’est guère discutée, si ce n’est par le cerf qui essaye de se convaincre qu’il n’a pas le droit à un second mandat et, très furtivement, par le putois qui fait l’amère constatation que jamais on n’a vu un putois roi… Bref, les bons sentiments prennent vite le dessus. Mais admettons: un peu de douceur ne peut pas faire de mal.

Le Casting de loups

Le Casting de loups
Anne-Isabelle Le Touzé
Casterman – collection Casterminouche 2020

Recherche grand méchant loup pour rôle au cinéma

Par Michel Driol

Dans ce casting se succèdent une petite dizaine de personnages, des loups, bien sûr, mais aussi des petits cochons. Les loups sont tous très typés : fleur bleue, acteur maladroit, jumeaux, star, vrai grand méchant loup. Quant aux cochons, ils se sont trompés de porte pour le casting, mais tentent quand même leur chance… Après tout, un grand acteur peut tout jouer ! Pour laisser le plaisir de la découverte, on ne révélera pas la double chute, inattendue et pleine d’humour, qui parvient à impliquer le lecteur de l’album

Dans cet album à la structure répétitive, les différentes pages reproduisent toutes le même décor : page de gauche, une porte  à laquelle se présente l’aspirant. Page de droite, dans la lumière ronde d’un projecteur, on le voit obéir aux ordres de la directrice de casting, que l’on ne verra qu’à la dernière page. Enfin, en bas, une petite souris commente la prestation du loup et donne son impression.

Avec humour, l’album évoque des contes et situations connues : les sept chevreaux, les petits cochons… et participe de la démystification du loup : marchant sur pattes arrière, doté de caractéristiques psychologiques ou d’accessoires  humains. Pour une grande part, l’humour nait du décalage entre ce qui est recherché et la proposition faite par le loup.

Un album rythmé, très oral – à la façon d’une BD dont il reprend de nombreux codes -, qui sait être drôle à toutes les pages, et joue avec malice d’une intertextualité à la portée des enfants.

 

 

Louyétu ?

Louyétu ?
Geoffroy de Pennart
Ecole des loisirs – kaléidoscope- 2019

Thème et variations…

Par Michel Driol

Prenez une chanson connue – Promenons-nous dans les bois… et ajoutez lui l’univers de Geoffroy de Pennart : son loup, Igor, ses personnages fétiches, Monsieur Lapin, les trois petits cochons,  la chèvre et les 7 chevreaux, et, bien sûr Chapeau rond rouge… et opérez juste une inversion : au lieu de s’habiller, le loup se déshabille… et se met au lit, en caleçon et tricot de corps… pour le plus grand plaisir de tous ceux qui ont peur d’Igor et peuvent en profiter pour jouer à leur aise.

Album en randonnée, comme la chanson, qui permet de faire intervenir chacun des personnages effrayés par Igor à tour de rôle, répétant le refrain qui donne son titre à l’ouvrage, en alternance avec les doubles pages où Igor enlève des vêtements dont les noms riment en « on » jusqu’à ce qu’il se glisse sous l’édredon…

Album cartonné, aux images simples et lisibles, au texte répétitif facilement compréhensible, Louyétu ? constitue un bel exemple d’intertextualité pour les tout-petits. Jeu avec ses albums précédents, jeu avec une chanson enfantine connue, il illustre une certaine conception de l’enfance et de la littérature : la dimension ludique, le plaisir de la reconnaissance et de la transformation, et le plaisir de vaincre ses peurs dans un rire libérateur… Ou une invitation à profiter des moments de calme. Pendant que le chat n’est pas là, les souris dansent… Jouons tant que le loup n’est pas là !

J’ai peur du noir

J’ai peur du noir
Jean-François Dumont
Kaléidoscope, 2017

Une histoire sombre, très sombre mais juste ce qu’il faut

Par Christine Moulin

Voilà un album qui joue sur la peur ancestrale des enfants: celle du noir, qui peut cacher monstres, araignée, sorcière et … loups. Si l’expression n’était quelque peu familière, je dirais volontiers qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère ! Dans les premières pages, sur un fond noir agité de remous bistres (celui de la couverture), surgissent des crocs acérés, des yeux jaunes cruels qui pourraient provoquer les cauchemars les plus cauchemardesques : heureusement, une petite leçon de relativisme culturel pleine d’humour prend vite le relais. On apprend ainsi que les esquimaux craignent le blanc et on se rappelle que les éléphants ont peur du gris. Las! on replonge vite dans la description à la fois amusante et réaliste des terreurs nocturnes, qui s’apaisent en une chute à la fois drôle et tendre.

Cet album pourrait bien devenir un de ces livres que les petits vont inlassablement chercher tous les soirs pour qu’on les leur lise, pour le plaisir de frissonner et de se rassurer auprès de l’adulte qui partage avec eux de délicieux frissons.

Le Secret du loup

Le Secret du loup
Morgane de Cadier, Florent Pigé
Hong Fei, 2017

Amitié au fin fond du grand froid 

Par  Chantal Magne-Ville

Ce très grand album met en scène un jeune loup qui ne se satisfait pas de sa condition de loup, ainsi que le laisse supposer l’écharpe qu’il porte sur la page de couverture. Très « enfant », il aspire à jouer, à découvrir d’autres mondes, et surtout à trouver un ami. Sa quête sera vaine, car il se heurte aux idées préconçues que les autres animaux se font sur les loups, au point que des grenouilles, par exemple, n’hésiteraient pas à le laisser se noyer. Par bonheur, un enfant le repêche, ignorant que certains jugent les loups gourmands, effrayants et imprévisibles…(en italiques dans le texte). Si les scènes de découverte mutuelle frisent parfois un peu la naïveté, le récit de cette amitié naissante ne laisse pas insensible par la qualité des sentiments suggérés, l’écharpe donnée par l’enfant matérialisant le lien qu’ils ont commencé à établir.

On retrouve avec un plaisir non dissimulé l’’illustration de Florian Pigé, magnifiquement construite, la verticalité permettant de ressentir tour à tour l’isolement, le froid, mais aussi l’éblouissement de la lumière matinale. Le blanc de la neige  rehausse  les couleurs des arbres et des animaux stylisés, rendant sensibles les moindres nuances. Les effets de transparence laissent parfois deviner la vie humaine, mais, comme le dit l’enfant, tout se passe loin, là où la neige reste toujours pure, et où la promesse d’une future rencontre suffit à réchauffer le cœur. Une très belle histoire d’amitié.

 

Le Loup ne viendra pas

Le Loup ne viendra pas
Myriam Ouyessad – Ronan Badel
L’élan vert

Loup, y es-tu ?

Par Michel Driol

Dès la couverture, tout semble dit : un petit lapin terrifié dans son lit et l’ombre du loup. L’expressionnisme allemand relooké aux couleurs pastel. Dans son lit, le petit lapin questionne : « Tu es sure que le loup ne viendra pas ? ». Maman lapin rassure : les chasseurs les ont chassés, ils se cachent dans les bois, très loin,  il se ferait écraser par les voitures en ville, ne pourrait pas prendre l’ascenseur…  A chaque fin de page, le petit lapin relance « Comment tu peux en être sure ? ». Jusqu’au moment où on frappe à la porte, et que le petit lapin se précipite pour ouvrir « C’est surement le loup ! ». Changement de décor : on quitte la chambre à coucher pour découvrir un séjour, avec les restes d’une fête d’anniversaire : gâteau, ballons, cadeaux ouverts.  Et c’est le loup qui arrive, pour fêter l’anniversaire.  La chute est inattendue et désopilante : le loup dégustant sa part de gâteau entre les parents quelque peu interloqués.

L’album prend le contrepied des situations traditionnelles de peur du loup. Le loup est attendu, désiré par le petit lapin, et se montre plus fort que toutes les embuches tendues pour l’empêcher de rejoindre le lapin, le jour de son anniversaire. Le dispositif narratif est simple et efficace : page de gauche, le texte sous forme de dialogue, et la chambre du lapin, où l’on voit la maman ranger les vêtements, couvrir l’enfant, dans une atmosphère de grande quiétude. Page de droite l’extérieur, avec la forêt et les chasseurs, le bois, la ville la rue, l’immeuble, l’ascenseur. Les couleurs pastels, avec leurs dominantes de bleu (comme la robe de la maman) et d’ocre (comme le pelage du loup), unissent les deux univers, l’intérieur et l’extérieur, alors que les dernières pages font appel à plus de rose (le pyjama, le cadeau). L’un des intérêts de l’album est qu’il piège le lecteur qui se méprend, comme la maman, sur les sentiments du petit lapin : là où on voit de la peur et l’inquiétude irrationnelle du soir, on est en fait dans le désir et la confiance dans la force tranquille du loup qui se révèle pacifique. Si les ennemis traditionnels sont réconciliés, sans qu’on sache où et comment le loup et le lapin sont entrés en contact, l’album joue surtout sur les réponses stéréotypées, et montre combien il est parfois difficile pour les parents de comprendre ce que souhaitent réellement leurs enfants.

Un album malin, tendre et drôle qui montre que la compréhension n’est qu’un cas particulier de malentendu.

Au secours sortez-moi de là !

Au secours sortez-moi de là !
Ramadier et Bourgeau
L’école des loisirs, 2016

Loup y es-tu ?

Par Anne-Marie Mercier

Il y a de nombreuses histoires dans lesquelles un loup est coincé dans un puits, restes du Roman de Renart, parodies telles que le Plouf ! de Corentin… mais ici c’es avec la même trame, tout neuf.

Donc, un loup est dans un trou : on le contemple, vu d’en haut (grosse contre-plongée, donc), inscrit dans le carré brun de la page qui montre en perspective ce trou de section carrée, ses bords et son fond, avec le loup noir dedans qui nous regarde. Immédiatement, le dialogue s’engage entre le loup et celui dont on devine vite qu’il représente le lecteur :

  • – Mais que fais-tu là-dedans ?
    – Je suis coincé !
    – comment ça ?

Le loup raconte qu’il a vu un trou dans lequel il y avait un enfant… Pas d’enfant en vue : l’a-t-il mangé ? il prétend que l’enfant est sorti par un tunnel, et que lui n’a pas pu l’imiter car ce tunnel est trop petit pour lui… Le croira-t-on ? La conversation continue, et le lecteur feint d’accepter la proposition du loup qui lui demande de pencher un peu le livre pour qu’il puisse sortir. Mais au lieu de cela le lecteur agite violemment le livre : on voit le loup passer d’un angle à l’autre, Bang, Bing ! Puis il feint encore de vouloir aider le loup, mais retourne le livre brusquement, faisant apparaître la quatrième de couverture qui constate : « Ouf ! le loup n’est plus là ! – On recommence ? »

On l’aura donc compris, ce livre est un étonnant livre-jeu, qui propose à un jeune pré-lecteur de jouer avec ses peurs et de manipuler le livre comme un objet piège.

Mais qui est celui qui dit à la fin « on recommence ? » Cette dernière phrase imite la typographie utilisée pour les propos du loup : le lecteur est-il invité à endosser la peau de ses peurs ? Le loup est-il complice du jeu ?

Bien des questions et une délectation certaine avec ce petit ouvrage cartonné.

Cédric Ramadier s’est fait une spécialité des livres « objets », avec Au secours voilà le loup, Le livre en colère, etc.

 

Histoire du loup qui dévorait des histoires

Histoire du loup qui dévorait des histoires
Anne Jonas, Brunella Baldi
Éditions de l’édune, 2015

 

L’origine de la violence et Le Chaperon rouge

« Dévorer » un livre, la formule est prise au pied de la lettre par Anne Jonas et Brunella Baldi : un loup, comme beaucoup de loups modernes, n’aime pas manger les bêtes et les gens, c’est donc un loup-gentil, ce qui est devenu assez banal. Première originalité, il se nourrit des histoires qu’il entend en guettant sous les fenêtres. Deuxième originalité : les auteurs poussent la logique jusqu’au bout : qu’arrive-t-il lorsque ce loup entend l’histoire du Chaperon rouge ? Le processus identificatoire jouera-t-il ? L’indignation devant l’injustice qui lui est faite le poussera-t-elle à changer d’attitude ?

On trouve de,multiples clins d’œil, aussi bien dans le texte que dans les images, à de nombreux contes. Mais on peut voir aussi dans cet album un conte étiologique qui imagine l’origine de toutes les histoires de loup, un « commencement » aux fictions qui font peur, à travers l’histoire de celui qui était  » peut-être le premier loup ».

Fable philosophique, vertigineuse comme la question de savoir qui est premier, de l’œuf ou de la poule. La violence existe-t-elle pour le petit d’homme avant qu’on la lui raconte ? Les images, très expressives, offrent une vision biaisée par les émotions, entre réalisme et schématisme, accentuant les effets de peur et le mystère.

Mais qui cela peut-il être?

Mais qui cela peut-il être?
Shawn Mahoney, Thomas Baas
Seuil jeunesse, 2016

mais-qui-cela-peut-il-e%cc%82treDans cet album, construit sur le modèle du célèbre Toc, toc, qui est là d’Anthony Browne, un enfant dans son lit détaille, page après page, les bruits qu’il entend comme autant d’indices indiquant qui peut bien gravir l’escalier menant à sa chambre : pas feutrés, pattes griffues, dents pointues… Ce n’est pas l’un de ses jouets, ni son hamster, mais ce peut être chacun des êtres qui font peur… Et surtout un loup.

Quand l’enfant est un petit loup, la chute imaginée antérieurement par Browne prend un ton doublement humoristique.

Sur fond noir, les hypothèses vues tantôt de manière fragmentaire tantôt en plan large, défilent, gravissant chacune l’escalier rouge. Le texte, simple, proche d’une comptine, joue entre questions et réponses, jouant une peur légère.

La Chasse au loup

La Chasse au loup
Sally Grindley, Peter Utton
Traduit (anglais par Maurice Lomré
L’école des loisirs (Pastel), 2015

Au loup (encore) !

Par Anne-Marie Mercier

la-chasse-au-loupAprès la fameuse Chasse à l’ours de Michael Rosen et Helen Oxenbury, voici une chasse au loup. Celle-ci ne joue pas comme la précédente sur les sons mais sur les images. Tout d’abord les lieux : une troupe de cochons (absolument pas vêtus, mais marchant sur leurs pattes arrières et portant qui des armes, qui des paniers à provisions) part en groupe serré et passe successivement devant une maison de paille (détruite), une maison de bois (détruite) et une maison en pierre (intacte), où l’on trouve le loup caché sous le lit. Rien de très original.

Par ailleurs, c’est un livre à rabats qui invite le lecteur à ouvrir des portes, soulever des couvercles, regarder à travers un trou… Le loup apparaît à plusieurs reprises sans être repéré car il est déguisé, il s’agit donc de revenir en arrière pour trouver les indices. Enfin, les pages fourmillent de détails cocasses et ces cochons sont attendrissants de maladresse, et inquiétants par leur nombre. Quant au  loup, il joue fort bien son rôle et les jeunes enfants pourront jouer à se faire peur page après page et recommencer.