Nox, t. 1 : Ici-bas et Aerkaos, le retour

Nox, t. 1 : Ici-bas
Yves Grevet
Syros, 2012

Cadeau d’ados : SF en série

Par Anne-Marie Mercier

noxC’est une très bonne nouvelle que le retour d’Yves Grevet dans le genre de la science-fiction – plus précisément de la dystopie. Il renoue avec le talent qu’il avait montré dans la trilogie de Méto. Comme dans cette œuvre, il allie inventivité et simplicité, chocs de mondes et d’êtres peu fait pour se rencontrer, réflexion sur la société et l’exploitation des faibles par les puissants.

Le monde de Nox est peu attrayant et ressemble au monde que l’on nous promet si nos habitudes de consommation ne changent pas. Autant dire qu’il est un manifeste écologique « catastrophiste », tentant de convaincre, à la manière du « prophétisme catastrophiste » (voir les analyses de J-C. Dupuis) une humanité sceptique. Les pauvres vivent dans le monde de la « nox », perpétuel brouillard de pollution ; il s’y éclairent à la dynamo et l’on voit des patineurs acharnés, ou des cyclistes faisant du sur-place afin d’alimenter un éclairage, une machine… ils se dirigent aussi à l’odorat et survivent avec différents métiers comme policier, récupérateur, bricoleur, éleveur de rats, recycleur de cafards… Dans ce monde on meurt très jeune.

La société est organisée de telle manière que les enfants fassent le métier de leur père et épousent en général une fille qu’ils n’ont pas choisie mais qui a été déclarée leur « compatible », censée leur donner à partir de 17 ans de nombreux enfants. La société décrite est assez proche dans son organisation sociale et politique (en dehors de la misère et de l’inégalité) de celle des romans d’Ally Condie portés par une héroïne féminine, Promise et Insoumise. Le sort des femmes stérile est également « réglé » d’une façon qui fait frémir… En haut, vivent les puissants ; au dessus de la crasse, des nuages, ils connaissent la lumière, le soleil, le confort. Ils vivent cette aisance grâce aux efforts des êtres qui rampent en dessous ou qui pédalent dans les caves – ils les ignorent ou les méprisent.

L’intrigue se noue par une suite de rencontres et d’incursions du haut vers le bas et du bas vers le haut, avec tous les dangers que cela entraine ; on y trouve aussi des amours contrariées, des amitiés en péril dans un groupe de garçons tiraillés entre résistance, terrorisme ou participation à une milice de répression, et des conflits de loyauté : amis ou famille, justice ou vérité…

La seule ombre au tableau est le choix fait par Yves Grevet de chapitres proposant des points de vues alternés ; si ce dispositif fonctionne très bien au début et permet de découvrir le monde d’en haut vu par une jeune héroïne riche et le monde d’en bas vu par un fils de « récupérateur », amoureux d’une fille qui refuse d’être mère, et par d’autres jeunes gens de son âge, le récit s’essouffle un peu dans le milieu du roman : les personnages vivant les mêmes événements, la différence dans leur manière de les vivre n’est pas assez constante pour que l’on sente une vraie nouveauté. En revanche, les derniers chapitres, dans lesquels on voit exploser les couples, le groupe et les familles, et se fissurer la société, reprend une belle allure et laisse impatient de connaître la suite !

aerkaosEnfin, une autre bonne nouvelle pour les amateurs de science fiction : la réédition de la trilogie Aerkaos de Jean-Michel Payet, publiée chez Panama en 2006 et quasi introuvable depuis la fin de cette belle maison d’édition, est réédité chez la très belle maison d’édition qui a repris le flambeau (et plus encore), Les Grandes personnes.

Le Bal d’anniversaire

Le Bal d’anniversaire
Lois Lowry
Traduit (anglais) par Agnès Desharte
L’école des loisirs (Neuf), 2011

Vive l’école, à bas les bals !

Par Anne-Marie Mercier

On a connu Lois Lowry plus inspirée, plus percutante (avec le célèbre Le Passeur, en science fiction, avec Les Willoughby, pastiche de roman réaliste, ou encore avec L’Elue, beau récit initiatique proche de la fantasy). Ici, elle s’essaie au conte et accumule les stéréotypes, tout en modifiant quelques traits sans pour autant être très originale.

Une princesse s’ennuie ; comme elle va avoir seize ans, un bal est annoncé où elle choisira un époux. Pour voir un peu le monde avant cet événement bien ennuyeux lui aussi, elle échange ses vêtements avec sa femme de chambre (histoire type « Le Prince et le pauvre » de Mark Twain (1882) reprise par Disney, Fleischer, Foster, etc.) et va à l’école sous un faux nom. Elle y découvre les charmes de l’apprentissage et du jeune maître. Quant aux fiancés, ils sont tous aussi laids et ridicules que possible, on devine la suite. Certains passages de caricature outrée feront rire les très jeunes lecteurs, le côté romantique et sage plaira peut-être à quelques très jeunes lectrices : le classement en collection « neuf » malgré la longueur de l’ouvrage est judicieux.

Le site et le blog de l’auteure sont intéressants : j’y ai appris que les Mystères de Harris Burdick de Chris Van Allsburg (publié en 1984) venait d’être enrichi de nouvelles écrites par différents auteurs (Jon Scieszka, M. T. Anderson, Walter Dean Myers, Jules Feiffer, Louis Sachar , Stephen King , Sherman Alexie ) sous le titre de The Chronicles of Harris Burdick (voir l’article du Sunday book review) : je n’ai pas trouvé de traduction française : à quand ?

 

 

 

Mademoiselle météo

Mademoiselle météo
Susie Morgenstern
L’Ecole des loisirs (neuf), 2011

 L’école, contre vents et marées

par Anne-Marie Mercier

Trop mince, trop jolie, trop fantaisiste, Alizée Tramontane est seule. Elle a deux passions dans sa vie, la météo et ses élèves de CM1; elle a également deux ennemies, une collègue méchante et jalouse et une inspectrice qui n’aime pas son inventivité pédagogique.

Deux intrigues se déroulent en parallèle, la tentative de ses proches pour la marier (le candidat s’avère être un jeune businessman incapable d’exprimer une émotion), et une expérimentation pédagogique qui l’amènera à faire réaliser des bulletins météo théatralisés par ses élèves, en costumes et en actions, puis à une classe de mer « météo », chaque volet se terminant en catastrophe, du moins provisoirement. La vision du monde enseignant est assez noire, celle de la vie des hommes d’affaires n’est guère meilleure, mais le roman est constamment porté par l’humour et le style de Suzie Morgenstern, autant dire qu’on se régale.

À noter particulièrement : le récit de la visite d’un auteur dans l’école avec deux types de préparation, l’une scolaire et ennuyeuse, menée par la méchante institutrice, l’autre inventive et intelligente, menée par la jeune, jolie, gentille et parfaite héroïne… Du vécu, Susie?

Promise

Promise
Allie Condie

Gallimard jeunesse (grand format), 2011

La dystopie, un genre réactionnaire ?

Par Anne-Marie Mercier

Allie Condie,mariage,amour,révolte,  Gallimard jeunesse,dystopie,  Anne-Marie Mercier   Dans un premier temps, on se dit qu’il est irritant de trouver autant de clichés linguistiques ou situationnels dès les premières pages d’un roman. Puis, on se dit que c’est curieux qu’il y en ait autant et que c’est sans doute un reflet de la situation de la jeune narratrice, une adolescente sans problèmes. Elle n’a aucun recul critique face à la société parfaite dans laquelle elle vit, heureuse ; elle semble ne rien savoir de ce qui se passe autour d’elle. Comme le beau montage photographique de la couverture le suggère, elle est prise dans une bulle, un lieu, un moment et rien ne vient suggérer qu’il puisse y avoir autre chose que la continuation de cet état. Et de fait, au cours de la lecture, les clichés disparaissent, laissant la place à une écriture qui cherche à dire les progrès de l’intelligence et à éclaircir autant que possible la confusion des sentiments.

Cette histoire commence le jour où l’ordinateur de la Société annonce à la narratrice lors de la cérémonie de « couplage » avec quel garçon elle va vivre et fonder une famille. Il se trouve que c’est d’abord son ami d’enfance qui apparaît sur l’écran ; il est beau, gentil, amoureux, que vouloir d’autre ? Peu après, un événement qui lui est présenté comme une erreur informatique lui suggère qu’elle pourrait vouloir autre chose et même vivre autrement que selon ce que lui dicte la Société. Peu à peu, elle se met à aimer celui avec qui tout espoir est impossible, sans bien savoir si c’est de lui qu’elle est amoureuse, ou de son histoire, ou si tout cela lui a été soufflé. Du même coup, elle découvre l’envers de son monde, en partie en découvrant des poèmes interdits (Dylan Thomas, Tennyson) ; elle apprend à former des lettres (situation un peu artificielle, mais assez intéressante) et comprend le rôle de l’histoire et de la mémoire pour vivre libre.

On se trouve ici dans le cadre très en vogue en ce moment de la dystopie : le monde est parfait en apparence, et est une prison dès qu’on y regarde de plus près. Le sort de chacun est réglé selon ses goûts ou ses capacités ; chacun reçoit ce qu’il lui faut, tous vivent en paix et en bonne santé jusqu’au jour de leurs 80 ans, où ils meurent. L’égalité est aussi parfaite que possible… mais tout est étriqué ; la culture est limitée à cent poèmes, cent chansons, les autres ont été supprimés. Les films sont toujours les mêmes, les divertissements sont d’éternelles répétitions. Tout le monde surveille tout le monde, aucune vraie conversation n’est possible. Les citoyens portent en permanence une boite avec trois pilules de couleur différentes ; ils sont incités à avoir recours à la pilule verte en cas de stress (ce détail comme beaucoup d’autres fait penser au Meilleur des mondes d’Huxley), à la bleue en cas de faim ou de soif. Quant à la pilule rouge, elle est réservée à des circonstances exceptionnelles et le bruit court qu’elle est un poison mortel, la suite montrera que c’est autre chose.

Avec un peu de recul, on peut se dire que la liberté proposée par ce roman laisse perplexe : elle apparaît comme le droit à la consommation, à la possession. Elle ressemble fort au libéralisme opposé au communisme. Et comme on le sait (et comme certains le savaient depuis longtemps), il serait un peu simplet aujourd’hui d’y voir une lutte du bien contre le mal.

La part la plus réussie du roman est dans l’évolution lente du personnage et dans ses interrogations pour savoir d’où viennent ses sentiments et idées et pour faire la part de ce qui lui est propre et de ce qui est suggéré par d’autres ou par les circonstances.

Les personnages secondaires sont variés et ont tous une certaine épaisseur, une part de mystère. Le cadre du quartier, celui du lycée et des activités extérieures sont esquissés, assez rapidement mais de façons efficace pour l’intrigue. Le récit progresse parfaitement ; l’évolution de Cassia est lente ; elle passe de l’adhésion naïve à un début de révolte, pas à pas, de même que son amour ou son estime (on pense à la carte du tendre…) pour l’un ou l’autre des deux garçons, l’ami d’enfance ou l’étranger, évolue. Le lecteur comprend bien avant elle à quel point elle est manipulée, même quand elle se révolte. En revanche, il ne sait pas de façon sûre par qui et pour quoi : le suspens augmente au fil des pages et on attend donc la suite (prévue pour 2012).

Le Mariage de Simon

Le Mariage de Simon
Agnès Desarthe, Anaïs Vaugelade

Ecole des Loisirs, 2011

Simon, un cousin de la famille Quichon ?

par Sophie Genin

cochons,anaïs vaugelade,agnès desartheLe texte d’Agnès Desarthe avait déjà été édité en 1992 dans la collection « Renardeau » de l’Ecole des loisirs, mais il était illustré, à l’époque, par Louis Bachelot. Pour cette réédition, une habituée des cochons en propose sa version. En effet, après avoir donné vie à de multiples aventures de la famille très très nombreuse des Quichon, Anaïs Vaugelade présente ici celles de Simon.
Ce jeune cochon fait songer à Porculus, de Arnold Lobel (classique de l’Ecole des Loisirs réédité en 2003), quand on le découvre sur la première page, tranquille, dans sa marre de boue grise. Seulement voilà, Simon a la malchance d’avoir une mère ! Et cette mère ne cesse de le harceler pour qu’il se marie ! Il évite la question, prétextant qu’il est trop jeune, jusqu’au jour où Bouliba, la marieuse, est réquisitionnée et lui présente trois jeunes cochonnes qui ne plaisent pas du tout au futur marié. Ce dernier, sur le point de fuguer le lendemain, s’écrie, sur un ton mélodramatique : « Adieu ma mare, adieu ma mère ! ». Mais il finira par trouver l’amour : une jeune cochonne qui, comme lui, n’a aucune intention de se marier ! Et si vous voulez comprendre l’illustration de la quatrième de couverture (un couple de mariés juchés sur un oeuf au plat, le tout dans une poêle !), lisez cet album drôle qui fait forcément songer, surtout aux célibataires forcenés, à la pression familiale concernant le mariage !