La Fille verte

La Fille verte
Vincent Cuvellier, Camilla Engman
Gallimard, 2012

Daphné adolescente

Par Dominique Perrin

Une collégienne arrive dans un nouvel appartement, dans une nouvelle ville. Ballotée entre les usages familiaux et ses propres aspirations, elle élit mentalement domicile dans le fond ensauvagé du jardin de son immeuble. La première lecture de ce récit amplement illustré peut laisser charmé et dubitatif à la fois. L’écriture ne manque ni de liberté ni d’élégance ; le texte et l’image forment une unité assurément singulière, au service d’une narration que la subjectivité radicale de la première personne permet de laisser flotter entre récit de vie réaliste, onirisme poétique et investigation fantastique.
Un tel flottement est indéniablement intéressant et périlleux. Le caractère à la fois référencé (il semble y avoir notamment là du Le Clézio) et bizarrement imprévisible de cette œuvre appelle, la chose n’est pas si fréquente, une relecture qui permette de saisir sa dynamique intime : celle d’une métaphore, assez audacieuse, assez réussie, de l’adolescence – peinte sous l’espèce d’une jeune fille hibernant plénièrement et dangereusement dans le monde végétal, le temps de se retrouver en phase avec son propre corps et avec ses semblables.

La nuit des Pantheras

La nuit des Pantheras
Nina Blazon
traduit de l’allemand par Nelly Lemaire
Seuil, 2011

Deviens qui tu es

Par Christine Moulin

9782021041521Voilà un roman qui traite le motif de la métamorphose en animal de façon à la fois complexe et originale.

Les pantheras sont des créatures proches des félins. Ils en ont la force, la grâce, les goûts (pour les déambulations nocturnes, pour la viande, pour le combat, par exemple), les sens aiguisés (l’odorat notamment), les mœurs (ils se délimitent un territoire et gare à ceux qui y pénètrent indûment!). Le problème, c’est que l’on ne naît pas panthera, on le devient. Certains acceptent cette métamorphose, d’autres, à l’image du narrateur, résistent, car les épisodes de transformation (les « black outs ») s’accompagnent d’une perte de conscience affolante et dangereuse. Certains basculent du côté obscur et traquent, semble-t-il, jusqu’à leurs semblables, d’autres, sans être des anges, essayent de préserver l’essentiel de leur humanité. Et ce n’est pas simple car la plupart des pantheras semblent avoir dégringolé l’échelle sociale…

Les divers personnages incarnent ces différentes options. Nous partageons les doutes du narrateur, Gil, tout en adoptant aussi le point de vue, dans des épisodes narrés à la troisième personne, d’une « novice », Zoé, affublée d’une mère irresponsable et d’un demi-frère craquant mais encombrant. Cela nous donne l’occasion de comprendre ce qui déclenche la métamorphose: le stress, la colère, les émotions fortes. Zoé est extraordinairement douée pour la course, et pour cause, et elle espère que ce don lui permettra de partir loin de chez elle. Gravitant autour du couple, il y a aussi Irvès, séduisant, insaisissable, dont le douloureux passé se révèle par petites touches, et Gizmo, un geek qui vit de la vente d’ordinateurs volés et dont on ne sait s’il faut ou non lui faire confiance.

Le récit se noue autour d’une épidémie de meurtres qui affolent la petite communauté des pantheras, d’autant que la loi, venue de la nuit des temps, est claire: « Nous ne tuons jamais ceux de notre espèce ». Le narrateur mène alors une sorte d’enquête, malgré puis grâce à un personnage mystérieux, au charisme de chef, Rubio, le maître Yoda du roman, qui le mène progressivement vers certaines révélations. Les pantheras semblent bien avoir toujours existé et il faudrait relire les mythologies sous cet angle…

La trame, quoique haletante, n’est, au fond, pas l’essentiel. Ce qui importe davantage, c’est de vivre dans la peau d’un panthera et c’est bien le questionnement éthique permanent qui donne à ce roman toute sa profondeur. Le héros est rongé par un immense sentiment de culpabilité (on comprendra pourquoi vers la fin), qui lui fait prendre des risques insensés pour protéger Zoé. La découverte qu’il fera nous indique bien l’enjeu du thème de la métamorphose : se transformer, c’est choisir, quelquefois, qui l’on veut devenir.

 

La cité : la lumière blanche

La cité : la lumière blanche
Karim Ressouni-Dumigneux
Rue du Monde, 2011

Dans la Cité, vous allez vous rencontrer

par Christine Moulin

« Rien ne vaut la recherche  lorsqu’on veut trouver  quelque chose », Bilbo    le Hobbit, J. R. R. Tolkien, cité  p. 221

citéLes romans pour adolescents qui font pénétrer dans l’univers des jeux video sont maintenant légion. Ceux dont le récit repose sur l’immersion dans un jeu grandeur nature aussi : il n’est que de penser au célèbre Hunger games. Le roman de Karim Ressouni-Dumigneux relève de ces deux genres : avec quel talent!

Thomas, le narrateur, vit seul avec son père: sa mère est morte à sa naissance et son père ne s’est jamais vraiment remis de la mort de son épouse. Pour autant, il n’est pas un adolescent triste et solitaire : il a deux amis très proches, Jonathan, son double, en quelque sorte (comme le prouve le choix du même prénom pour leur avatar respectif, « Harry ») et Nadia, un peu « intello », féministe engagée. Il adore la magie, passion qu’il partage avec son oncle Louis, jumeau de sa mère, qui l’emmène voir tout ce qui concerne cet art.

La vie de Thomas va basculer quand pour son anniversaire, son grand-père lui offre une inscription au jeu en ligne la Cité, dont l’un des slogans publicitaires est : « Dans la Cité, vous allez vous rencontrer ». Ce jeu est révolutionnaire : on y est immergé comme dans la vie réelle mais, selon les concepteurs, c’est mieux que Second Life ou World of Warcraft. Autant dire que c’est du lourd! Les règles en sont très strictes : on n’a pas le droit de faire communiquer vie extérieure et vie dans la Cité, sous peine de subir une légère douleur, semblable à celle d’une décharge électrique, celle provoquée par la Lumière Blanche qui donne son nom au premier tome (« De fait, nous entrions dans la Cité en passant par cette lumière blanche, elle nous  bloquait et nous heurtait si nous transgressions les règles ») mais qui est aussi le pendant inversé de la lumière noire utilisée dans les tours de magie. Surtout, on ne sait pas quel est le but du jeu si bien que le  but du jeu, c’est de trouver le but du jeu (oui, on vous l’avait dit, cela ressemble étrangement à la vie). Cette quête va, bien sûr, se révéler bien plus dangereuse qu’il n’y paraît, même, si pour l’instant, au terme du tome 1, la mort dans la Cité ne paraît pas « déborder » sur la vie réelle. Mais il y a danger et danger, Thomas va l’apprendre à ses dépens: la fin de cette première partie est terrible, apportant à la fois révélations et suspens. C’est que, comme dans les bons romans, dans la Cité, « tout est possible, mais tout a des conséquences ».

Ce qui est fascinant, c’est le jeu de miroirs dans lequel ce roman nous entraîne, rendant plus manifeste le pouvoir de la littérature, sans l’analyser de façon désincarnée ni intellectuelle. Il y a d’ailleurs beaucoup de miroirs dans ce livre : ceux qu’utilise Little King, un magicien que Thomas et son grand-père sont allés voir en Bretagne, mais aussi ceux que l’on trouve dans la Cité et dans lesquels Thomas et son ami Arthur peuvent découvrir les agissements passés de leurs amis, à l’instar de Frodon découvrant, dans le Seigneur des anneaux, le passé de Galadriel. Ce sont les miroirs qui sont le thème de la thèse de la mère de Thomas: « Les jeux de miroir dans A la recherche du temps perdu ».
On ne compte plus les mises en abyme: les évènements, dans la Cité, sont souvent modelés par d’autres univers de fiction,  concrétisant ainsi ce que d’aucuns ont appelé l’intertextualité. Ainsi, si Harry-Thomas rencontre Arthur et Lisa, c’est grâce à une passion commune pour Tolkien. Harry et Lisa peuvent se métamorphoser, ou plus exactement, rajeunir ou vieillir à volonté : ces changements se font par l’intermédiaire de poèmes écrits au passé (Verlaine), au présent (Nerval) ou au futur (Victor Hugo).
Mais il faudrait aussi citer les commentaires que les joueurs écrivent sur la Toile dans la vie réelle: ils servent à faire monter le suspens mais rappellent aussi ceux que nous produisons sur nos lectures (à commencer par cette présente chronique!!). Il faudrait citer les allusions à de nombreux films (Psychose, Edward aux mains d’argent, Batman, Black Swan), sans oublier ces ordinateurs qui enregistrent la mémoire de la Cité et qu’une bande de joueurs malfaisants a détruits: à jamais ? Que deviendra, dans ce cas, la « recherche du temps perdu »? Nombreux, en effet, sont les jeux sur le temps car pendant que les joueurs vivent dans la vie réelle, ils sont exposés et continuent à agir dans la Cité.
Enfin, last but not least, si vous tapez l’adresse indiquée dans le roman comme étant celle du module « La Cité » (« search the lost time » !) eh bien, … essayez !

Bref, Karim Ressouni-Dumigneux a utilisé tous les poncifs du genre (la confusion vie réelle/vie jouée, les avatars, les métamorphoses, les superpouvoirs, etc.) pour leur donner une portée symbolique nouvelle, sans pour autant leur faire perdre leur pouvoir narratif. Le roman est haletant mais on se rend compte aussi qu’il faudrait le relire pour savoir vers quelle découverte nous mènent ses savants méandres. D’ailleurs, Lisa ne nous a-t-elle pas montré le chemin quand elle dit de Bilbo le Hobbit : « Je le connaissais déjà, mais, oui, du coup, je le relis, je me dis que cela doit signifier quelque chose » ou Thomas, quand il essaye de reconstituer un puzzle d’un tableau peint à la manière de Matisse? Tout se fait écho (on aurait pu parler du thème de la gémellité, autre piste intéressante à suivre, du jeu sur les prénoms car Thomas s’appelle Tom, Harry mais aussi Mandrake ou Man, du rôle de la lettre « H », etc.), rien ne semble gratuit: un épisode apparemment tout simple en appelle un autre, nous entraînant dans un passionnant labyrinthe (celui-là même dans lequel un des joueurs est enfermé) et dans une recherche de sens longtemps renouvelée (la Boucle Infinie de la dernière scène…). Cela s’appelle la Littérature, je crois.

La page Facebook du livre : http://www.facebook.com/pages/LA-CIT%C3%89-le-livre/291350254226162

 

Blood song

Blood song
Cat Adams
traduction de l’Américain, Pierre Varrod
La Martinière,  2012

Cosmopolitan chez les vampires

Par Christine Moulin

 

blood-singer,-tome-1---blood-song-118347-250-400La couverture ressemble à celles qui pullulent désormais dans les rayons « Adolescents » ou « Jeunes adultes » : les couleurs promettent des sensations fortes, les yeux hypnotiques se détachent, brillants, sur le fond mat. On pourrait craindre une énième réécriture d’un succès calibré. Et le titre n’arrange pas les choses!

Mais, en fait, l’histoire est assez originale: Célia Grave (« tombe », en anglais, n’est-il pas? l’ambiance est indiquée!) est une sorte de garde du corps, bardée de gadgets high-tech. Comme beaucoup d’autres personnages, depuis qu’elle a été transformée partiellement en vampire (accident de service), elle est devenue une « abomination »: en tant que telle, elle est dotée de super-pouvoirs qui sont présentés, et c’est là ce qui change de la routine, comme allant de soi. Ce qui est cocasse, c’est ce que cette métamorphose inachevée lui cause des soucis « de fille » assez croquignolets : elle doit, par exemple, porter une ombrelle ou se tartiner de crème solaire. Situation d’autant plus savoureuse que, pour une femme d’action, elle semble très soucieuse de son apparence: « Pour couronner le tout, j’étais habillée comme l’as de pique, avec, notamment, un short de basket en polyester noir trop grand qui me donnait l’air d’une parfaite idiote ». Cette description, à faire dresser les cheveux de n’importe quelle féministe, contraste, on nous l’accordera, avec les pages qui suivent: « Le monstre leva la tête, hurlant à la mort. J’en profitai pour lancer mon couteau sur elle. […] Je fis mouche; la lame bénite s’enfonça jusqu’au manche dans la chair molle du ventre de Lilith ». Tout le roman est là: les créatures fantastiques ont envahi le quotidien, sans que cela ne choque personne et l’héroïne, perdue dans ses peines de coeur et ses soucis vestimentaires, ressemble à une Bridget Jones égarée dans une faille du continuum spatio-temporel.

Célia a une amie, Vicky, « extra-lucide de niveau 9 », qui se protège des conséquences de ses capacités dans un hôpital psychiatrique. Elle fréquente des sortes d’agents secrets tous plus étranges les uns que les autres et se bat avec un naturel digne de Lara Croft elle-même avec toutes sortes de vampires et de monstres qui semblent avoir toujours habité la Californie. L’enjeu de la lutte? ce n’est pas forcément ce qui apparait le plus clairement, d’autant que beaucoup de personnages apparaissent, disparaissent, sans avoir un grand rôle dans l’intrigue (quelqu’un peut-il me dire ce qui est arrivé à Jones?): disons qu’il s’agit de protéger un Prince improbable, sorti tout droit de Tintin et du Rusland. Mais peu importe : ça se bat, ça bouge, ça saigne et on se retrouve à la fin du livre en ayant passé un assez bon moment, sans avoir pour autant l’impression d’avoir fait une lecture majeure!

 

A comme association, t. 7 : Car nos cœurs sont hantés

A comme association, t. 7 : Car nos cœurs sont hantés
Erik L’Homme
Gallimard / Rageot,  2012

Une série hantée

Par Anne-Marie Mercier

On avait laissé dans le tome précédent Jasper en mauvaise posture. Qu’on se rassure : c’est de pire en pire ! Si ce tome a les faiblesses (enfin, à mon goût) des précédents (langage faussement ado, jeu convenu avec les stéréotypes, pastiche un peu trop systématique donc lassant des lieux de la fantasy…), en revanche il développe davantage leurs qualités : les moment de réflexion et de souvenir de Jasper sont beaux et touchants, l’intrigue surprend par ses rebondissements, la métamorphose qu’il subie bien mystérieuse, le mélange roman d’espionnage / roman de fantasy / roman d’initiation très réussi…

La série, qui avait connu un infléchissement à la mort de Pierre Bottero, co-auteur, semble ici trouver une nouvelle dynamique, un ton plus juste. On lui souhaite bonne chance sur cette voie… et on attend la suite avec curiosité, ce qui est bon signe pour une série !

Lire mes chroniques sur les vol 3 et 4.

Le cas Jack Spark, saison 1 : l’été mutant

Le cas Jack Spark, saison 1 : l’été mutant
Victor Dixen
Gallimard (pôle fiction/fantastique), 2011

Vacances au ranch du cauchemer

par Anne-Marie Mercier

Victor Dixen Gallimard (pôle fiction/fantastique),Anne-Marie Mercier,conte,ogre,fées,métamorphose,adolescent,MermerIl y avait la veine Enfant Océan, réécriture de conte, la veine Harry Potter, mixage de mythes et de « collège novel », Twilight qui faisait se rencontrer « collège novel » et vampires… Victor Dixen arrive à faire mieux encore, en mélangeant tous ces ingrédients dans un roman étonnant, haletant et poétique.

Le narrateur est envoyé dans un pensionnat au fin fond du Colorado qui se rapproche davantage du bagne que du ranch que l’on a vendu aux parents (on songe alors au Passage de Sachar). Il tombe raide amoureux d’une belle kleptomane et fascine un étrange adolescent habillé en Hamlet, citant Shakespeare par coeur, et la Bible. Sa bande d’amis (tous assez frappés, comme le reste des élèves) se heurte à un autre groupe, dirigé par un garçon très méchant. Rivalités, jalousies, intrigues se développent en parallèle avec la préparation d’une représentation de Roméo et Juliette. Les animateurs jouent des personnages de western ; une étrange religieuse soumet les personnages à l’épreuve du baquet de Mesmer qu’elle a réinventé pour pomper leur énergie à mort…

Jusque là, on pense à un récit réaliste qui cherche l’excès et frôle le genre frénétique, mais très vite le récit bascule dans le fantastique avec la découverte de la nature monstrueuse du directeur de l’établissement et des êtres qui peuplent la forêt avoisinante. Les allusions aux contes se multiplient (Le Petit poucet, Barbe Bleue, La Belle au bois dormant…). La métamorphose progressive du héros le plonge dans des affres identitaires (il est de la race des « méchants », des Fés) et les super pouvoirs qu’il expérimente tour à tour évoquent les jeux vidéos, où chaque situation demande des capacités différentes. Le thème de la difficile maîtrise de soi face aux désirs et aux colères, classique de la littérature pour adolescents, est au centre de son évolution.

Le roman tout entier est un brassage systématique de thèmes et de jeux, d’échanges de rôles, de renversements. L’ensemble est bien écrit et très ingénieux.

La série a déjà été publiée en grand format (3 volumes parus, 2009-2011, le 4e à paraitre) chez Jean-Claude Gawsewitch, a obtenu le « Grand prix de l’imaginaire – Étonnants voyageurs 2010 et connaît un grand succès.

C’est une belle lecture en poche pour l’été, en attendant la suite à l’automne, pour ceux qui n’auront pas lu la série. Le terme de  « saison » qui désigne les volumes ne fait pas allusion aux séries télévisées mais aux couleurs des récits. Ici l’été est étouffant et torride, la saison suivante, l’automne, sera celle de la chasse…

Encore des loups garous adolescents!

Instinct 1 et 2
Vincent Villeminot

Nathan 2011, Collection Blast

Des loups garous adolescents d’un nouveau genre!                                                                                       

Par  Maryse Vuillermet

 Au début du tome 1, Tim Blackills se réveille dans une voiture accidentée, ses deux parents et son frère sont morts, lui ne souvient pas de l’accident mais quand il a repris conscience,  il était un grizzly. Personne ne le croit, il est accusé d’avoir massacré sa famille sous l’emprise d’une drogue puissante qui circule aux USA. Mais il est sauvé des griffes de la justice américaine par un étrange psychiatre qui l’emmène en Europe dans un Institut encore plus étrange. Là vivent en paix, étudient et se laissent étudier par des scientifiques, de jeunes métamorphes. Tous connaissent des épisodes de métamorphose, tous ont été recueillis par les professeur McIntyre, lui-même métamorphe. Tim habite avec Flora qui se transforme en chat et Shariff en homard.

Cet institut est attaqué par des chasseurs hyper violents. Au cours de l’attaque, Tim,  en grizzly, tue une dizaine de gardes mais sauve Flora et tous ses amis. Pris de remords, il pense à mourir, il fuit Flora qui l’aime pourtant.

Puis un institut Suisse  intéressé par les potentialités des métamorphes, pour en faire des mercenaires surpuissants enlève d’autres jeunes et les torture en vue de leurs expériences. Bref, beaucoup d’aventures, de sang, mais aussi de philosophie et de nouvelles technologies. En effet, Flora est une redoutable pirate informatique et Shariff un adepte des philosophies orientales.

On pourrait se dire, encore un roman avec des loups garous ! Mais en fait, Instinct 1 et 2 sont pour moi, une réussite. Cette variante du mythe du loup-garou fonctionne très bien.Ses composantes, don de métamorphose, jouissance de sa force physique, ambivalence des émotions et sentiments, cruauté et remords, violence et essai de contrôle, conflits avec le groupe, impossibilité d’aimer librement, questionnement sur la folie, solitude  au sein des humains, au sein de leur propre groupe d’amis parfois,  rapprochent évidemment les loups garous adolescents des jeunes lecteurs.

Le mythe de la métamorphose, grâce à ses différentes facettes, est particulièrement apte à décrire les angoisses humaines, les angoisses de passage, de transformations de l’enfance à l’âge adulte, de la raison à la folie parfois.

Les procédés d’identification jouent à plein chez les jeunes lecteurs, identification narcissique à des adolescents beaux et forts, identification psychologique avec leurs tourments, leurs dédoublements de personnalité, leurs changements douloureux,empathie pour leur solitude et leur vulnérabilité.

 

Sabotage

Sabotage
Isabelle De Catalogne et Marion Pradier
La joie de Lire, 2010

Régal en sabots

Par François Quet

 L’intrigue de Sabotage est au fond assez banale : une famille recomposée,  les habitudes alimentaires des uns ne sont pas celles des autres, les enfants ne s’entendent pas, le couple finit par se disputer et pendant ce temps, les enfants réconciliés trouvent un modus vivendi.

Sauf que dans Sabotage, les personnages, dont le haut du corps n’a rien pour surprendre le lecteur habitué à ces fictions du quotidien, ont tous des pattes animales : sabots caprins ou ovins pour les uns, pattes griffues pour les autres. Ce qui n’empêche pas de croiser au hasard des pages quelques pattes aviaires palmées ou anisodactyles. Jean-Loup, le fils de la nouvelle femme du papa de Caroline a de sales manières de petit carnivore,  alors que Caroline se régale d’herbe fraiche. Les auteurs de cet album plein d’humour déclinent à travers ces petits personnages toute une gamme de distinctions qui conduisent fréquemment à des dissensions. Le papa de Caroline est frisé comme un africain, Suzanne sa nouvelle épouse est blonde comme les blés. Les jeux des garçons ne ressemblent pas plus à ceux des filles que l’assiette d’un végétarien à celle d’un carnivore et l’herbe congelée n’a vraiment pas la saveur de l’herbe fraiche.

Ainsi l’intrigue initiale se trouve transfigurée par la morphologie hybride des personnages. Leur hétérogénéité interroge aussi bien les relations interethniques et les relations entre sexes que la cohabitation intrafamiliale.  Loups et agneaux, noirs et blancs, bouclés ou non, garçons et filles, frères et sœurs doivent/peuvent vivre ensemble et coopérer. C’est ce que font finalement le frère et la sœur à la fin de l’histoire : double ration de légumes pour l’une et double ration de viande pour l’autre. Mais cette réflexion sur les « communautés » est aussi une réflexion sur l’identité : la fillette qui voit sa mère s’épiler et son père se faire « défriser » est quant à elle persuadée que celui qui l’aimera devra aussi aimer ses « poils au pattes ».

Le charme de cet album tient sans doute au ton tout à fait naturel du récit qui aligne les incongruités avec beaucoup de malice : la mère de Caroline est partie en Australie « avec un kangourou qui fait des claquettes », Jean-Loup qui n’aime pas « les bonbons au gazon », dévore son steak tartare « comme si c’était ma cuisse », et puisque l’herbe s’achète désormais au supermarché, depuis le départ de la mère de Caro, on a le choix entre « herbe à la provençale » ou « herbe aux champignons sautés ». Les illustrations elles-mêmes, étonnamment sages, très scrupuleusement représentatives, dans un style de bande dessinée traditionnelle, présentent de façon très naturaliste cette histoire franchement bizarre. Le décalage entre la tonalité du récit à la première personne (c’est Caroline qui raconte), le foisonnement des valeurs en jeu et le caractère très ludique de la fiction engagée est véritablement jubilatoire.

Sabotage est un régal.

Petit poisson veut voler

Petit poisson veut voler
Wang Yi
HongFei Cultures, 2011

Quand Plouploufski s’envole…

Par Dominique Perrin

Les éditions HongFei et l’illustratrice Wang Yi proposent ici de revisiter une fable que la littérature de jeunesse nous a rendue familière – de Grain d’Aile de Paul Eluard et Jacqueline Duhême à Remue-ménage chez Madame K de Wolf Erlbruch : celle de celui-ou-celle-qui-veut-voler, et chez qui la fidélité au désir, moyennant folies mais aussi travail sur soi, évolution et apprentissages, permet finalement l’envol. Envol physique, envol symbolique, la question n’est pas là et chacun peut défendre son interprétation, dans la réécriture de Wang Yi comme dans les autres versions qu’on peut avoir aimées. On peut ici rêver à juste titre sur les avatars mondiaux, asiatiques en l’occurrence, de cet éternel rêve d’envol, qui ont pu animer la création de ce Petit poisson veut voler entre Chine et France.
Plein de traits originaux aux plans thématique – onomastique – et syntaxique, cet ouvrage appelle à être présenté, par-dessus tout, comme une œuvre visuelle, qui suit avec justesse les appels d’un imaginaire plastique qui s’empare sobrement de la typographie même.

Sur la bouche

Sur la bouche
Antonin Louchard
Thierry Magnier (tête de lard), 2011

Cap ou pas cap d’embrasser cet album ?

par Sophie Genin

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Antonin Louchard l’avait déjà commis en 2003 chez un autre éditeur. Il se fait plaisir (et à nous par la même occasion !) en rééditant ce petit album cartonné, « à embrasser », comme nous l’apprend la couverture, dans la collection dont il est responsable chez Thierry Magnier.

« Livre à embrasser », en effet, car le pauvre prince transformé en crapaud par un « sorcier très méchant » demande à une princesse qui lirait cette histoire de le délivrer de sa malédiction en l’embrassant, tour à tour sur le front, les yeux, les pieds, les mains… jusqu’au baiser salvateur. Mais la fin, surprenante, c’est peu de le dire, nous fera, comme très souvent chez cet auteur illustrateur de talent, nous esclaffer et crier « beurk » en même temps !

De plus, outre les références aux contes de fées traditionnels et l’humour décapant de son auteur, le texte, écrit en jaune sur fond rouge, rime. Citation à l’appui, comme mise en bouche (!), pour finir :

« Mais il me faut
une vraie princesse
pas une grenouille
avec des tresses
pour que le charme soit brisé
Embrasse-moi sur les pieds. »