Le vaillant soldat de plomb au pays des yõkai

Le vaillant soldat de plomb au pays des yõkai
Muriel Bloch – Photographies de Pierre-Jacques et Jules Ober
Seuil Jeunesse 2025

Andersen à Kyoto

Par Michel Driol

Chacun connait l’histoire du petit soldat de plomb unijambiste d’Andersen, amoureux d’une ballerine.  Cet album la transpose fidèlement au Japon, les adversaires du petit soldat étant les yõkai, dont la préface précise – heureusement – qu’il s’agit de créatures surnaturelles peuplant l’imaginaire japonais, à la frontière du bien et du mal. Une postface présente, à la façon d’une encyclopédie, ceux qu’on aura rencontrés dans le texte. Le lecteur familier d’Andersen reconnaitra toutes les péripéties, l’amour envers la ballerine, devenue ici petite demoiselle en kimono, le voyage en bateau de papier, le retour dans le ventre d’un poisson, et la mutation finale des deux protagonistes en un cœur… Le lecteur qui ne connaitrait pas le conte source éprouvera un autre plaisir, à découvrir à travers quels dangers passe le petit soldat unijambiste échappé d’une guerre napoléonienne, et la fin pleine de poésie.

Le texte de Muriel Bloch, dans une langue vivante, épouse au plus près le point de vue du petit soldat, donne à entendre ses pensées, son monologue intérieur, ses pensées, ses sentiments, ses peurs aussi, contribuant à faire de ce jouet un véritable personnage, doublement étranger, étranger au Japon, étranger dans un monde merveilleux où tout peut arriver. Le récit transpose l’enfant du conte source en un marchand d’antiquités japonais, faisant aussi de ce dernier un véritable personnage. Si c’est lui qui ouvre le récit en trouvant le soldat dans un marché aux puces, et c’est lui qui le clôt en vendant la bague sertie du cœur de plomb à un jeune couple, il reste comme étranger aux mésaventures du soldat, et à ce qui se passe chez lui la nuit.

Le texte est ici magnifiquement illustré par des photographies, comme cela se pratique encore trop rarement en littérature pour la jeunesse, plaçant le lecteur devant un objet hybride, entre album et roman photo. La mise en page propose parfois des photos pleine page, mais le plus souvent des strips faisant avancer l’action, juxtaposant ou confrontant les images de façon très expressive. Des photos dont les couleurs très saturées et les contrastes forts rendent bien compte de cet autre univers qui est celui du conte. Le Japon propose ici des décors de toute beauté, qu’il s’agisse du parc automnal dans lequel glisse le navire du soldat, des rues et des vieilles maisons. Mais le décor le plus fabuleux et le plus riche est sans doute celui du magasin d’antiquités et de jouets, magasin surchargé de bibelots de toutes les couleurs, véritable caverne d’Ali Baba propice aux rêves. Les objets photographiés en gros plan qui peuplent ce magasin ont diverses origines : soldat de plomb occidental, poupée japonaise, personnages sortis de mangas ou d’une culture populaire. La porcelaine raffinée côtoie le plomb et le plastique bon marché, à l’image d’une humanité bigarrée. Quant aux yõkai que l’on rencontre, ils sont des personnages hauts en couleur, inquiétants à souhait Le montage, le choix des cadrages, des lumières font de cet album une véritable réussite esthétique.

Un album qui ose utiliser la photo dans ce qu’elle a de plus artistique pour offrir au vaillant petit soldat et au lecteur un voyage dépaysant au Japon.

Le voyage sur la lune

Le voyage sur la lune
Isabelle Gil
L’Ecole des Loisirs, 2020

Quand on respecte les plus jeunes

Par Christine Moulin

L’album cartonné semble solide et prêt à supporter manipulations et morsures des tout-petits. Ce n’est pas pour autant qu’il cède à la facilité des imagiers sans originalité. Il propose une aventure, celle d’Ourson qui décolle pour un voyage dans l’espace. Le jeune lecteur a le droit à des péripéties et à … une chute, qui est aussi une célébration de l’amitié et des jeux partagés. Les illustrations, des photos très lisibles mais parfois joliment poétiques (quand, par exemple, il s’agit de représenter la lune), détournent des objets du quotidien pour en faire des engins spatiaux et célèbrent ainsi les pouvoirs de l’imagination. Le texte, tout simple, n’est pas plat: il comporte des dialogues, des onomatopées, des exclamations, voire, luxe suprême, des inversions du sujet (« Enfin arrive le jour du départ »). Autrement dit, on peut être exigeant tout en se mettant à la portée des bébés lecteurs et c’est une bonne chose!

Les Faits et gestes de la famille Papillon, t. 1

Les Faits et gestes de la famille Papillon, t. 1, Les Exploits de grand-papa Robert
Florence Hinckel
Casterman, 2019

 

Par Anne-Marie Mercier

Difficile (impossible ?) de classer ou de résumer ce nouveau roman de Florence Hinckel.
Essayons : il y a la famille Papillon, qui a le talent d’arranger les choses et a permis d’éviter de nombreuses catastrophes. Et puis, il y a la famille Avalanche, qui a le pouvoir inverse. L’histoire de l’humanité, avec ses progrès, ses découvertes, ses désastres et ses tragédies est revisitée par l’histoire de ces familles et l’on devine que l’héroïne va bouleverser la donne. Comme dans bien des familles, tout n’est pas aussi simple : les uns peuvent s’avérer être les autres, ça se croise, se mêle… On ne va pas vous faire un dessin.

C’est d’autant plus inutile que Florence Hinckel truffe son récit d’images, issues de la collection de Jean-Marie Donat, collection de photos anonymes, souvent anciennes, sur lesquelles l’auteure s’appuie pour donner corps à ses fantaisies, ajouter un brin de loufoquerie (les images sont souvent dans ce ton), brouiller les pistes comme un récit d’aïeul qui perd parfois le fil ou cherche à taire des secrets. Le regard sur la littérature de jeunesse qui aime imaginer les « pouvoirs » de ses héros depuis Harry Potter est gentiment brocardée à travers le livre de madame Feuillette ((Histoire des pouvoirs familiaux de l’Antiquité à nos jours).

L’ensemble est surprenant et souvent drôle, par exemple ce portrait d’écrivain :
« J’ai rencontré de nombreux écrivains et de nombreuses écrivaines dans ma vie et je n’ai jamais rencontré d’êtres plus tourmentés. L’air traqué et le sommeil perturbé, ils sont tour à tour hantés ou en transe. Quand on leur demande pourquoi ils ne font pas quelque chose de plus paisible, comme veilleur de nuit, fleuriste, professeur d’université ou ambassadrice de l’archipel des Tuvalu, leurs eux lancent des éclairs et ils rétorquent, pleins de fougue, qu’ils n’ont pas choisi, que c’est comme ça, que l’écriture c’est la vie et que leur ôter l’écriture ce serait leur ôter la vie. Eric Blair était un spécimen tout à fait ordinaire d’écrivain…

Goélands et salicornes

Goélands et salicornes
Nicolette Humbert

La Joie de lire (tout-petits photos), 2014

 Sur la plage abandonnée…

Par Anne-Marie Mercier

goelands_salicorne_RVB_c_500Il y a de plus en plus d’ « imagiers » cartonnés sous la forme de recueils de photos, et c’est heureux. Ici, l’exploration proposée est celle d’une plage et de ses alentours, des plans larges aux plans rapprochés : plage, falaise, phare… puis phoque, crabe, galets… en passant par les balanes, patelles et salicornes : autant dire que les adultes eux-mêmes apprendront quelque chose.

Ils apprendront également, avec les tout petits, à regarder de près les animaux aquatiques (l’œil vif et méfiant du crabe), les plantes (la flottaison paresseuse de l’algue), et à s’émerveiller devant la qualité de ces photos et de leur reproduction : comme pour les grands !

Et dans deux jours, un autre imagier, encore meilleur…

J’aime J’aime pas

J’aime J’aime pas
Séverine Thevenet
Rouergue, 2013

Tout est aimable

Par Anne-Marie Mercier

jaimejaimepasL’exercice des petits riens (façon Ph. Delerm) ou des j’aime/déteste (E. Brami) est bien connu et a suscité de nombreux titres (sinon des œuvres) en littérature de jeunesse. L’exercice est bellement renouvelé ici par Séverine Thevenet. Tout d’abord grâce à la technique photographique qui met face à face l’objet du désamour à gauche, sur fond blanc, et celui du plaisir en pleine page à droite, tous deux traités de façon à la fois réaliste (détails, précision, ombres) et poétique.

Chaque chose désagréable pour les petits (ranger, se laver les cheveux, manger ceci ou cela…) est associée à son pendant, afin de montrer que rien n’est désagréable en soi et que tout peut avoir un bon côté, à condition d’y penser : exercice beau et utile.

 

1. 2. 3… images

1. 2. 3… images
Catherine Chaine, Marc Riboud
Les trois ourses, Gallimard jeunesse, 2011

 

Photo-Abécédaire des chiffres

Par Anne-Marie Mercier

Les belles photos de Marc Riboud, en noir et blanc superbes, bien reproduites, sont classées de façon inhabituelle : non pas selon le lieu (Amérique, Europe, Russie, Chine, Ghana…), ni le sujet (beaucoup de photos de groupes, mais aussi d’objets, d’activités, de moments d’histoire ou de société), ni la date (des années 50 aux années 2000), mais le nombre – et le chiffre qui lui correspond : un promeneur, deux danseurs, quatre téléphones, onze couvercles de poubelle…

On n’apprendra peut-être pas à compter (à mon avis les images sont trop petites et difficiles à lire pour convenir à de très jeunes enfants), mais on aiguisera son sens esthétique, on s’amusera à chercher ce qui fonde la série et on sera curieux d’imaginer les histoires qui peuvent sous-tendre ces scènes ou bien l’on inventera une trame qui en réunisse quelques unes.