Pour grandir, il faut

Pour grandir, il faut
Catherine Grive, Jean-François Spricigo
Rouergue, 2010, coll. Yapasphoto

Comment présenter un livre tout neuf, qui semble là très au-delà des conditions de son apparition – à l’image des êtres auxquels il s’adresse, et de ceux qu’il montre ? 

Par Dominique Perrin

PourGrandir.gif Pour grandir, il faut est de ces entreprises qui prétendent – et démontrent – que la photographie noir et blanc a une vocation sans égale à rendre compte de la situation de l’humain entre le commun et le particulier, le collectif et l’individuel. Les images s’y insèrent dans une lignée artistique associable au nom de Doisneau. Mais (car il y a sans doute un « mais » concernant cette référence très partagée et sa fraîcheur parfois perdue) leur association avec un  texte aussi choisi que laconique donne à l’ensemble un statut comme réinventé de poème et de récit.

Ce récit met en image, comme l’indique la présentation finale, des « étapes de l’enfance » (perspective un peu solennelle), mais délicieusement improvisées, fugaces, graves et  pas sérieuses. Les mots portés ici sous le regard, la langue et les oreilles sont les immenses vocables qui, pour référer à la substance réelle de « tous les jours », sont loin d’être prononcés journellement. « Manger », « se laver », « jouer », « courir » sont certes le quotidien verbal des jeunes lecteurs ; mais « naître », « s’éveiller », « contempler » ? et, en construction absolue, « manger » (être un être mangeant), « rester », « hésiter », « attendre » (être un être en suspens), « aimer » (être un être aimant) ?
La dernière page ouvre sur une photo un peu floue et le verbe : « S’imaginer ».

Effets secondaires

Effets secondaires
Maurizio A. C. Quarello

Rouergue, 2010

Tant qu’on a la santé…

Par Chantal Magne-Ville

effetssecondaires.pngUn petit album au format carré pour aborder un sujet très sérieux voire didactique, sur les risques liés aux médicaments pris avec excès. Dès le premier regard, le ton est à l’humour. Monsieur X, un rocker guetté par la calvitie, est prêt à recourir à tous les médicaments pour enrayer la chute de ses cheveux, sous l’œil railleur de son chien qui porte la voix des émotions. Chaque médicament au nom savoureux entraîne des effets secondaires ; le malheureux est pris dans une spirale infernale qui le conduit à aller chez tous les spécialistes sans succès pour revenir à son point de départ, mais en ayant accepté sa nouvelle apparence. Le dessin joue avec la ligne claire : le trait est précis frisant parfois le grotesque, ce qui confère à cet album un ton très BD, renforcé par un rythme enlevé, qu’illustre l’alternance du texte et des belles pages. Un livre moins simple qu’il n’y paraît, qui saura séduire aussi bien les petits que les plus grands.

Jim pop, l’incroyable histoire de l’homme canon

Jim pop, l’incroyable histoire de l’homme canon
Tom Henni
Rouergue, 2011

Cirque de papier

par Anne-Marie Mercier

Tom Henni ,Rouergue,Anne-Marie Mercier,cirque,illustration (histoire de l')Grand album au format plus haut que d’ordinaire, au papier mat et épais, Jim Pop imite l’esthétique des illustrés des années 50 (quadrichromie qui bave un peu, couleurs franches). Ces couleurs imitent aussi celles du cirque : rouge, bleu, jaune, un peu de vert de temps en temps. Les formes schématiques se rapprochent du dessin d’enfant.
Tom Henni réussit le tour de force de faire exister un numéro de cirque rien qu’avec du papier, des mots et des couleurs. On y entre par une double page de garde, on en sort de même à la fin. Et pendant ce temps, le numéro de Jim Pop, l’homme canon, se déploie tout autour de la terre, emporté par son élan. On le voit en faire le tour dans la partie inférieure de l’image tandis que la partie supérieure montre les paysages qu’il parcourt, illustrant le rêve des enfants qui veulent croire à la merveille commentée par un M. Loyal enthousiaste.http://tomhenni.frLorsque les enfants grandiront, ils devineront peut-être le « truc » que quelques indices permettent de deviner. Oui, cette histoire est « incroyable »…
Pour les lyonnais : formé à Lyon et à Strasbourg, Tom Henni a créé l’identité visuelle de la librairie « Ouvrir l’œil », rue des Capucins et co-fondé le collectif « Mademoiselle, Messieurs » avec Émilie Chéron et Emmanuel Romeuf.
Pour les autres : on lit sur son site (http://tomhenni.fr) qu’il s’intéresse particulièrement à l’histoire du livre et aux techniques d’impression : ça se voit, et c’est tant mieux.

La Nuit de Valentine

La Nuit de Valentine
Hélène Vignal et Isabelle Carly
Le Rouergue, 2011

Grandir et s’épanouir quand on est introverti

par Sophie Genin

9782812602016.gifValentine est une petit fille sage, très sage, trop sage. Au fur et à mesure d’un texte énigmatique qui présente une héroïne très timide qui aurait envie mais attend que le monde vienne la chercher, on sent croître le malaise jusqu’à la fameuse nuit qui donne son titre à l’album. Une nuit où tout devient possible pour Valentine, sa nuit !

Le texte, volontairement elliptique sur les causes psychologiques de l’attitude de l’enfant, est tiré vers le rêve par des illustrations oniriques mêlant dessin et collages colorés. L’univers visuel semble être une voie/x différente proposée au lecteur qui peut, à sa guise, remplir les blancs de l’histoire. Cet album particulier, comme souvent au Rouergue, résonnera différemment chez les lecteurs car il faut, pour l’apprécier, accepter de suivre l’auteur et l’illustratrice sur un chemin mystérieux, voire inquiétant parfois… Il faut accepter aussi de rester avec de nombreuses questions sans réponses à la fin de la lecture…

L’ écuyère, La très sombre histoire d’une future enfant de la balle

L’ écuyère
Elzbieta

Rouergue, 2011

La très sombre histoire d’une future enfant de la balle

par Anne-Marie Mercier

L' écuyère.gifElzebia mêle dans cet album plusieurs des thèmes qu’elle a explorés précédemment. Celui de l’enfance malheureuse est illustré à travers l’histoire de Tittine qui a eu la malchance de naître chez une « maman à une place » où la place était déjà prise par sa soeur aînée. Celui de la pauvreté : celle de cette « maman à une place » n’arrange pas les choses. Orphelinat, prison, sombre château où l’on martyrise les enfants,… le monde est un lieu cruel pour les petits. Heureusement, il reste le rêve, incarné par le monde du cirque et par un sympathique fantôme.
L’humour est ici très noir, le ton très enfantin, d’allure naïve (l’orphelinat est appelé « la maison des enfants sans parents »). Cette allure est aussi celle des images, proches parfois de dessins d’enfants. Le texte est fait de phrases brèves, simples en apparence. Il court sous des vignettes allongées, alternant constats loufoques et bribes de dialogue. La forme évoque les récits illustrés d’autrefois, ceux d’avant la B.D.

L’ensemble est beau et touchant et l’on suit les aventures de Tittine et de sa soeur, l’horrible Poupi (on adore !), comme un feuilleton de roman populaire où tout est possible, l’extrême solitude comme les espoirs les plus merveilleux : être adopté(e) par un éléphant, sauvé(e) par un fantôme, trouver une famille qui vous aime, ne vous abandonne pas et vous laisse décider de votre vie, écuyère ou enfant d’éléphant, qu’importe!  Ici, devenir écuyère est un horizon pour survivre, comme devenir pompier, princesse ou roi des singes.

Les Poings sur les îles:Un grand-père venu d’Espagne

Les Poings sur les îles
Élise Fontenaille, Violeta Lopiz

Rouergue, 2011

Un grand-père venu d’Espagne

par Anne-Marie Mercier

Les Poings sur les îles.jpg Élise Fontenaille, qui a publié de nombreux romans, s’essaye ici à l’album avec un hommage à un homme simple, à l’aise avec les plantes, les animaux et les enfants, moins à l’aise avec l’écrit et avec la langue française : comme le titre l’indique, il la transforme joliment. On découvre peu à peu son histoire d’enfant pauvre et de réfugié, on entend ses mots adressés à l’enfant à qui il transmet  ses connaissances et sa sagesse.
Ce portrait attendri est illustré de décors naturels aux couleurs vives dans lesquelles se cachent le visage et le corps du grand-père. Il est ainsi fondu avec les choses qu’il aimait, dans les souvenirs de l’enfant. C’est un joli portrait, intéressant surtout par le rapport à la langue, qui fait de l’erreur une source de poésie.

Le petit bonhomme pané

Olivier Douzou, Frédérique Bertrand
Le petit bonhomme pané

Rouergue, 2011

En toute candeur pontienne

Par Dominique Perrin

Dans une basse-cour, un tout petit bonhomme transparent accède à la visibilité en prenant un bain d’œuf et de miettes, trouvant dès lors en un vieux croûton et une mère poule des ascendants putatifs. Cela ne consacre pas encore un avènement au monde, mais c’est le début d’une quête initiatique au sens le plus ample du terme. Le « petit bonhomme pané » parcourt le vaste monde – forêt, collines, montagnes, champ de coquelicots -, aiguillonné par le désir d’interroger le « nuage à âge ».

Que cette « panne de naissance » (comment ne pas citer ce jeu de mots, à défaut des « pontines » qui jalonnent le récit ?) trouve sa résolution ultime parmi coussins, poussins et bougies dans le « château d’Anne Hiversère » coule dès lors de source, dans un univers polarisé par le rapport au langage et le merveilleux pontiens. Etre à naître ou être né ? Allégresse communicative et liberté créatrice irradient cet album subtilement original, dans lequel on peut entendre, au texte et à l’image, un récit de tous les commencements humains, qu’on les situe avant, pendant ou après la vie intra-utérine.

Boucle d’or et les trois ours

Olivier Douzou
Boucle d’or et les trois ours

Rouergue, 2011

 Boucle d’or, dans l’alphabet des chiffres

 Par Dominique Perrin

Boucle d’or et les trois ours, une histoire chiffrée, voire une histoire de chiffres ? Une décennie après la version géométrisante de Rascal (Ecole des loisirs, 2002), Olivier Douzou donne un corps littéral à cette intuition tout droit issue d’une fantaisie d’enfant. Le conte est là, transmis dans sa fraîcheur et sa simplicité retorse ; l’image espiègle et sérieuse en offre une interprétation plaisante, d’une évidence renouvelée : dans l’algèbre virtuose et désinvolte de la culture humaine, le conte offre une mise en équation du connu et de l’inconnaissable, dédiée à la célébration ludique des formes symboliques sorties de l’esprit humain.

C’est moi qui lapin

C’est moi qui lapin 
Jean Gourounas
Rouergue

               Fais comme moi

Par Chantal Magne-Ville

peinture, création,  Jean Gourounas, Rouergue, Chantal Magne-VilleUn joli petit livre au format carré, aux illustrations tout en douceur, dont le titre joue sur les mots « lapin » et « la peins ». Il s’agit en effet de peinture. Un petit lapin blanc s’adresse directement à son lecteur, en commentant ce qu’il est en train de créer au moyen de couleurs variées. La surprise naît du fait que peu à peu les formes approximatives ainsi créées – pré, nuages, soleil, fleurs… – viennent  peu à peu orner le corps du lapin, qui se complète, et ce de jour comme de nuit. Ces transformations au caractère quelque peu magique sont soulignées par un texte minimaliste qui parfois rime, ajoutant ici et là une touche de  poésie. Une incitation à la création en toute simplicité.

Le troun et l’oiseau musique

Le troun et l’oiseau musique
Elzbieta, conception musicale Sharon Kanach

Rouergue, 2012

Des sons et des bruits, de la musique et des chants d’oiseaux

Par Dominique Perrin

44665.jpgDu riche parcours d’Elzbieta dans les possibles de l’album contemporain, le Rouergue réédite l’une des réalisations fondatrices. L’album trouve sa puissance narrative et poétique dans le modèle plastique de la portée musicale et de ses groupes de notes, qui révèle ici l’étendue dynamique de ses possibilités. Le troun et l’oiseau musique (première édition Duculot, 1984) s’offre comme une partition à la fois très libre et rigoureuse, composée par Sharon Kanach, qui raconte comment les « trouns » – comprenons les petits humains – conquièrent progressivement, passionnément, et dans tous les sens… l’espace sonore.