A propos Christine Moulin

Formatrice à l'ESPE Lyon 1 depuis 1994 (à la retraite depuis octobre 2016). Avant, professeur de français en collège et lycée. Membre du CRILJ01 qui organise, à Bourg-en-Bresse, le Festival de la Première Œuvre de Littérature de Jeunesse.

Blood song

Blood song
Cat Adams
traduction de l’Américain, Pierre Varrod
La Martinière,  2012

Cosmopolitan chez les vampires

Par Christine Moulin

 

blood-singer,-tome-1---blood-song-118347-250-400La couverture ressemble à celles qui pullulent désormais dans les rayons « Adolescents » ou « Jeunes adultes » : les couleurs promettent des sensations fortes, les yeux hypnotiques se détachent, brillants, sur le fond mat. On pourrait craindre une énième réécriture d’un succès calibré. Et le titre n’arrange pas les choses!

Mais, en fait, l’histoire est assez originale: Célia Grave (« tombe », en anglais, n’est-il pas? l’ambiance est indiquée!) est une sorte de garde du corps, bardée de gadgets high-tech. Comme beaucoup d’autres personnages, depuis qu’elle a été transformée partiellement en vampire (accident de service), elle est devenue une « abomination »: en tant que telle, elle est dotée de super-pouvoirs qui sont présentés, et c’est là ce qui change de la routine, comme allant de soi. Ce qui est cocasse, c’est ce que cette métamorphose inachevée lui cause des soucis « de fille » assez croquignolets : elle doit, par exemple, porter une ombrelle ou se tartiner de crème solaire. Situation d’autant plus savoureuse que, pour une femme d’action, elle semble très soucieuse de son apparence: « Pour couronner le tout, j’étais habillée comme l’as de pique, avec, notamment, un short de basket en polyester noir trop grand qui me donnait l’air d’une parfaite idiote ». Cette description, à faire dresser les cheveux de n’importe quelle féministe, contraste, on nous l’accordera, avec les pages qui suivent: « Le monstre leva la tête, hurlant à la mort. J’en profitai pour lancer mon couteau sur elle. […] Je fis mouche; la lame bénite s’enfonça jusqu’au manche dans la chair molle du ventre de Lilith ». Tout le roman est là: les créatures fantastiques ont envahi le quotidien, sans que cela ne choque personne et l’héroïne, perdue dans ses peines de coeur et ses soucis vestimentaires, ressemble à une Bridget Jones égarée dans une faille du continuum spatio-temporel.

Célia a une amie, Vicky, « extra-lucide de niveau 9 », qui se protège des conséquences de ses capacités dans un hôpital psychiatrique. Elle fréquente des sortes d’agents secrets tous plus étranges les uns que les autres et se bat avec un naturel digne de Lara Croft elle-même avec toutes sortes de vampires et de monstres qui semblent avoir toujours habité la Californie. L’enjeu de la lutte? ce n’est pas forcément ce qui apparait le plus clairement, d’autant que beaucoup de personnages apparaissent, disparaissent, sans avoir un grand rôle dans l’intrigue (quelqu’un peut-il me dire ce qui est arrivé à Jones?): disons qu’il s’agit de protéger un Prince improbable, sorti tout droit de Tintin et du Rusland. Mais peu importe : ça se bat, ça bouge, ça saigne et on se retrouve à la fin du livre en ayant passé un assez bon moment, sans avoir pour autant l’impression d’avoir fait une lecture majeure!

 

Milton chez le vétérinaire, Mais où est passé Milton? Les vacances de Milton

Mais où est passé Milton?
Milton chez le vétérinaire,
Les vacances de Milton
Haydé
La Joie de Lire, 2007, 2000, 2012

Encore lui! Et tant mieux!

par Christine Moulin

 b9a3347f802b2a1f303f23d6d22d3608-300x300Milton, dont nous avons déjà chroniqué les hauts faits (voir La fugue de Milton et Quand j’étais petit…), ne nous déçoit jamais: il est tellement vrai…!

Comme tous les chats, il se niche dans les endroits les plus improbables, ce qui permet au jeune lecteur, bien mieux qu’avec tous les albums ad hoc, de s’initier au vocabulaire spatial ainsi qu’aux adverbes de manière!! Mais en fait, pour notre plus grand bonheur, Milton n’a que faire du lexique : il ne cherche que son confort (ou sa sécurité! je vous laisse découvrir ses démêlés avec une abeille!), en des positions hilarantes et délicieusement félines qui permettent de constater, une fois encore, que lorsqu’un chat se cache quelque part, il y a toujours un bout qui dépasse!

Comme tous les chats, il vit la visite chez le vétérinaire comme un calvaire et résiste de toutes ses griffes : les maîtres qui ont déjà essayé d’arracher leur animal préféré à sa cage pour le déposer sur la table de torture se reconnaîtront! Et la mauvaise foi dont la bête fait preuve, une fois l’examen terminé, leur rappellera certainement quelque chose.

Comme tous les chats, Milton adore la chasse : voilà que pendant ses vacances, il découvre un lézard, un serpent, une araignée, les grillons, les grenouilles, une libellule, un poisson rouge et… la couleur (les bestioles en question sont colorées et contrastent avec le noir et le blanc habituels de la collection). Dans cet opus, la verve coutumière de l’auteure est peut-être quelque peu en berne mais la couverture montrant Milton affalé, tel Snoopy sur sa niche, sur un mur de pierres sèches justifierait à elle seule l’existence du volume tout entier!

Mademoiselle Lune


Mademoiselle Lune

Cendrine Genin, Nathalie Novi (ill.)
Gallimard Jeunesse, 2011

« Mes mots sont quelque part »

Par Christine Moulin

mademoiselle luneMême si la littérature de jeunesse s’est  affranchie de beaucoup de tabous, certains sujets restent malgré tout rarement traités : la folie (avec toutes les précautions oratoires que mériterait l’utilisation de ce terme, cela va sans dire), et notamment la folie d’un parent, est de ceux-là (même si l’on se souvient de bouleversantes réussites comme Follede Bernard Friot, Thierry Magnier, 2002).

Tel est donc le thème de cet album, dont la splendeur graphique contraste avec la gravité du propos. Nathalie Novi, avec les couleurs chaudes dont elle a le secret (le rose Novi devrait exister, au même tire que le bleu Klein) a fait œuvre de peintre, proposant ses tableaux sur la « belle page », la bien nommée, en face du texte qui occupe celle de gauche, faisant de cet album plus un livre illustré qu’un album au sens strict.

La narration se fait sous la forme d’un monologue adressé à sa mère par Lune, ou Luna (pourquoi cette hésitation sur le nom?), le jour de son anniversaire, pour conjurer l’absence, l’écriture venant remplacer la parole, devenue impossible (« Parce qu’en vrai, je ne parle plus. On m’a dit d’arrêter de me faire du mal, alors j’ai arrêté de parler »). On apprend ainsi, à travers un récit rétrospectif mais mené au présent, le temps des blessures toujours vives, qu’un assistant social est venu arracher Luna à sa mère, que la douleur qui ronge celle-ci est de la sale espèce sinistrement nommée bi-polaire (« toi qui rigoles et pleures »), que Luna a été placée chez une vieille dame, Jeannine, dont la maisonnette ressemble à celle d’un conte de fées et que malgré les efforts de cette même pas sorcière, Luna s’enferme dans un mutisme désespéré. Puis, soudain, au moment où (seule exception à l’alternance faussement sage entre texte et illustration) l’image, tel un appel vers la liberté, se déploie sur une double page, tout en restant, il est vrai, écrasée par le texte qui la surplombe,  la maman de Luna vient la chercher: est-ce vrai? La petite fille semble en douter. Pourtant, elle écrit: « Pour me punir, sûrement, celui  qui m’a enlevée ne m’a pas ramenée chez Jeannine ». La fugue a bien eu lieu, générant une culpabilité d’autant plus compréhensible que la relation mère-fille est visiblement fusionnelle. Fusion mortifère car Luna s’enfonce dans ce qu’elle nomme sa « bulle ». Placée dans une autre famille, elle s’en sort, grâce à un « docteur qui fait dessiner ». Mais elle continue d’attendre…

L’analyse des sentiments, dans leur complexité, est esquissée sans pesanteur. L’écriture est belle, fragmentée par le silence, traversée par des fulgurances (« Non, je ne suis pas chagrin, maman »). On regrette d’autant plus, dans un texte qui a su donner une idée de l’ambivalence des sentiments de Luna à l’égard de sa mère, quelques banalités didactiques qui sont comme des corps étrangers, : « Les enfants ont droit qu’on leur explique. parce que, peut-être que, quand on sait, on souffre moins ». Justement, si ce livre émeut, c’est parce qu’il n’explique pas trop.

La voix du vent

La voix du vent
Rolande Causse
Gallimard Jeunesse, 2011

L’inflexion des voix chères qui se sont tues

par Christine Moulin

Tout, dans ce roman, est délicatesse : à commencer par la couverture et les illustrations dues au poétique pastel de Georges Lemoine. L’exergue est à l’unisson: « Les douleurs ont une clef de sol pour qui est musicien de l’intérieur » (Eric de Lucca, Le commentaire du un).

Le ton est donné car c’est bien de musique qu’il s’agit, tout au long du livre. L’héroïne, Sonia, est particulièrement sensible aux sons, comme le révèlent les premières lignes: « J’écoute le bruissement des arbres. Je n’ai pas besoin de les regarder, je les connais par cœur. Seul leur chuchotement m’importe ». Elle a perdu sa mère, Anna, et à l’ouverture du livre, elle ne parvient pas à s’ « éloigner de sa peine », comme dit son père. C’est de sa mère qu’elle tient son amour pour la musique, même si elle ne veut plus entendre parler de son piano depuis…

Peu à peu, malgré tout, elle va parvenir, à petites touches, à surmonter sa douleur. Grâce à la psy qu’elle affuble de sobriquets (« La Mère Michel », « Déteste déteste ») mais qui va vaincre son silence et ses résistances, en accueillant ses rêves. Grâce à son père, qui, bien qu’il soit très occupé par son métier d’architecte, ne sait que faire pour la distraire. Grâce à Gravie, sa grand-mère, pour qui elle nourrit pourtant une grande hostilité au départ. Grâce à Ludovic, son presque frère (« Si j’avais eu un frère, j’aurais aimé qu’il lui ressemblât, trait pour trait ») Grâce à Berthe, une jeune Ivoirienne : « Nous sommes devenues amies, très amies, une amitié partagée au cœur de nos peines inavouées ».

Le roman s’écoule doucement. Les évènements sont souvent infimes même s’ils ont un grand retentissement sur les émotions de Sonia. On assiste ainsi à une bagarre à l’école (Emilie a lancé à Sonia: « Si ta mère était à la maison, tu serais plus aimable! »); à l’entrevue avec une prof qui accuse Sonia d’avoir copié sa dissertation sur Phèdre, oeuvre qu’elle a particulièrement aimée et bien comprise; à un voyage en Jordanie; à la visite d’une cousine importune; à un pèlerinage vers l’endroit où son père a dispersé les cendres de sa mère, etc. Jusqu’au jour où arrive Olivier… Ce courant narratif nous mène jusqu’à l’épilogue qui, comme on le sent depuis le début, célèbre les droits de la vie, portée par le vent: « Toujours j’écoute la voix du vent, il m’a ouvert une voie. La voie d’Anna ». Tout l’enjeu de ce récit de deuil est là: faire d’une voix une voie.

Même si le parcours que suit l’histoire n’est pas toujours très lisible, même si la musique, à force d’être discrète, peut sembler atonale, on se rend compte, finalement, que ce roman a su épouser le rythme du deuil: rien de fracassant, de spectaculaire, mais l’impression, au bout du chemin, que l’on a surmonté l’insurmontable. Le tout est orchestré par la langue pure et classique de Rolande Causse, comme racinienne.

Zombies panic

Zombies panic
Kirsty McCay
traduction (anglais) Daniel Lemoine
Seuil, 2012

Ça, c’est du zombie !

par Christine Moulin

Zombie-panicSi on aime le genre « zombies », il faut lire ce roman car tout y est. L’héroïne, une adolescente du nom de Bobby, est courageuse, altruiste mais peu sûre d’elle, si bien qu’elle ne sait même pas qu’elle est l’héroïne de l’histoire. Elle trouve le temps, en pleine apocalypse, de tomber amoureuse d’un marginal, Rob Smitty, « rebelle impénitent, original de service et candidat à l’exclusion. Mais le meilleur en snowboard, aucun doute là-dessus ». Son faire-valoir est une petite pimbêche uniquement occupée de son « look » qui se révèlera, au fil de l’histoire, plus intrépide qu’il n’y paraît. Au trio vient se greffer Pete, un « geek », qui semble d’abord maladroit et ridicule, mais qui, bien sûr, possède des talents technologiques exceptionnels très utiles.

Tout ce petit monde doit lutter avec des zombies d’abord dans un restaurant et une station-service puis dans un château gothique qui cache des secrets défense auxquels Bobby est mêlée indirectement, à son insu.

L’horreur la plus « gore » ne manque pas : « […] je me rends compte qu’il a un morceau d’étagère fiché dans le crâne. Du sang coule sur ses cheveux blancs », « Il tient toujours l’ordinateur portable mais je ne comprends pas immédiatement qu’il n’a qu’un bras en état de marche. Un moignon dépasse de son autre manche de chemise, prolongé d’un long morceau d’os blanc, comme si on avait rongé la chair à la manière d’un épi de maïs ».

Ne manque pas non plus la touche d’humour auto-parodique. Par exemple, Bobby entend, alors qu’elle est aux toilettes, un gémissement venu d’outre-tombe qui la glace d’effroi, ce qui ne l’empêche pas de remarquer : « Partir sans avoir tiré la chasse est un peu dégoûtant mais à la guerre comme à la guerre. ». L’auto-parodie va jusqu’à la réflexion sur le genre (« Dans les films, c’est toujours à ce moment que les monstres refont surface. Qu’ils cassent la vitre et se jettent sur les héros. Ça se passe toujours comme ça. Si on regarde par le trou de la serrure, on se fait crever l’œil ; si on se regarde dans un miroir, le tueur est juste derrière. C’est une sorte de loi, on dirait. ») et la mise en abyme : vers le milieu du roman, les héros regardent les enregistrements des caméras de surveillance. « Que le spectacle commence ! » dit l’un d’eux. Les protagonistes, en fait, assistent, fascinés à la projection… d’un film de zombies !

C’est qu’au fond, l’auteur semble avoir saisi la quintessence du genre : rappelant l’appartenance de celui-ci à la culture « geek », c’est à Pete qu’elle donne la parole pour exprimer le principe fondamental (et souvent tenu secret ?) du plaisir que procurent les histoires de zombies, le fantasme de toute-puissance qui peut se déployer dans un monde promis à la destruction : « C’était formidable ! Ils étaient tous là sans défense. Imagine un peu… Je pouvais faire ce que je voulais. Personne ne pouvait m’en empêcher ».

Quant à la fin, disons qu’elle est fidèle à la tradition. Non, n’insistez pas, je n’en dirai pas plus pour ne pas gâcher la lecture de ce livre sans prétentions excessives, mais qui se lit d’une traite.

Cela dit, une petite réserve : la traduction laisse parfois échapper quelques impropriétés syntaxiques mais ne chipotons pas…

Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre

Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre
Ruta Sepetys

Gallimard (Scripto), 2012

Dessins contre fusil !

                                                                                                          par Maryse Vuillermet

En 39, la Russie envahit les pays Baltes et en 41, l’armée russe déporte tous les intellectuels, professeurs,  médecins, journalistes et leur famille dans des camps de travail en Sibérie. Parmi eux, Lina, l’héroïne du livre, sa mère et son petit frère, et dans un autre train, son père.

Après un voyage en train de plusieurs semaines, ils arrivent dans un camp en pleine forêt.  Les coups, les privations de nourriture, les exécutions sommaires, le lavage de cerveau, dix heures de travail contre un morceau de » pain et le froid sont leur lot quotidien. Mais la jeune Lina dessine tout ce qui l’entoure, les cabanes, la steppe, tous les visages, ceux des prisonniers et ceux des gardes, ceux des morts et ceux des vivants. Parce qu’elle veut tout fixer et parce qu’elle est une artiste. Mais elle doit cacher ses dessins, économiser le papier, dessiner sur des écorces  même qu’elle tente de faire passer à travers toute la Russie à son père prisonnier dans un autre camp.

Sa mère, une belle femme, généreuse avec tous, son petit frère qui essaye de se conduire en homme ; un jeune homme qu’elle croit un traitre parce que sa mère se prostitue aux gardes pour lui sauver la vie, le grincheux, et beaucoup d’autres personnages constituent une collectivité très vivante.

Et le pire est que les survivants de ces camps, une fois rentrés en Lituanie n’auront pas le droit d’en parler. Je laisse les lecteurs découvrir comment le récit et les dessins de Lina sont parvenus jusqu’à nous !

Roman très dur mais qui se lit très facilement tant il est plein de désir de vie, de rebondissements, et d’amour !

A conseiller à tous les adolescents !

Milton : quand j’étais petit

Quand j’étais petit
Haydé
La Joie de Lire, 2012

Autobiographie féline

Par Christine Moulin

Cela manquait, c’est fait : Milton, revenu parmi nous après une longue absence, prend la parole et nous raconte son enfance. Dès la couverture, le charme agit : il est « trop mimi », comme disent les admirateurs irrécupérables du célèbre félin, englouti dans son grand fauteuil, entouré de ses jouets préférés. Le reste est à l’avenant : attention, aucune révélation ne sera faite sur la lignée de l’animal (d’autres épisodes à venir ? en même temps, comme on dit maintenant, Milton n’est qu’un chat de gouttière. C’est ce qui fait tout son  charme et explique sans doute que silence soit fait sur les circonstances de sa naissance).

Le récit de sa vie commence dans la rue, où il est perdu et recueilli par une famille aimante. Il se poursuit par la série de ses découvertes, qui sont autant d’occasions de le montrer dans des attitudes aussi drôles que touchantes : son premier collier, l’eau du robinet, son premier bouchon, ses premières bêtises, et surtout, son coussin. Rouge. Qui fait le lien avec le présent du narrateur, devenu adulte, sage et nostalgique et garantit la permanence de son identité. Celle qui fait qu’on l’aime et qu’on attend le prochain « Milton » avec impatience.

Mon super abécédaire : mille mots et plein d’autres choses

Mon super abécédaire  : 1000 mots et plein d’autres choses
Julien Rosa
Seuil Jeunesse, 2011

De l’alligator au zig-zag

par Christine Moulin

Voilà un abécédaire qui se prend pour un dictionnaire ou un imagier. Mais foin des subtilités génériques ! Le plaisir est là car à chaque lettre correspond une double page qui fourmille de mots et de dessins. Enfin, presque … car en fanatique du genre, j’ai foncé vers les terribles lettres « w, x, y, z » : las ! elles sont rassemblées sur une même double page et les items se font rares ! On n’échappe pas au sempiternel xylophone ni au yack éculé. De même la lettre « k » décline képis, kiwis, koalas et kangourous mais laisse place, il est vrai, au ketchup, un peu moins attendu !

L’originalité de cet abécédaire ne réside pas forcément, on l’aura compris, dans les mots choisis (quoique bédétiste ne soit pas particulièrement fréquent !)  mais dans le parti pris indiqué par le sous-titre : Mille mots et plein d’autres choses. C’est le « plein d’autres choses » qui promet de longs moments délicieux, passés à examiner les illustrations, foisonnantes mais homogénéisées par la présence exclusive d’animaux.

Ce qui peut également amuser, c’est la volonté de surprendre, par de légers décalages : ainsi, pour le mot affiche, on a bien une affiche, mais collée dans une armoire. Les alpinistes sont des fourmis qui escaladent une grosse pierre. Dans le fauteuil du dentiste est assis un crocodile et le praticien est un diplodocus ! C’est que les images, au lieu d’être posées les unes à côté des autres, font scène et créent une atmosphère joyeuse et loufoque.

Enfin, on peut remarquer que la solution de facilité qui consiste à ne représenter que des objets a été évitée : on a ainsi le droit à des adjectifs comme énorme ou étrange, mais aussi, et c’est louable, à des noms de sentiments comme ennui ou à des verbes a priori peu faciles à illustrer comme oublier.

Bref, cet ouvrage permet sans aucun doute des échanges fructueux entre parents et enfants, perdus dans une même contemplation et une même recherche du petit détail fantaisiste. Mais il me semble que ce livre est à éviter absolument pour la lecture du soir car sinon, on n’est pas près d’être couché !

 

 

Graal Noir

Graal Noir
Christian de Montella

Flammarion, 2011

Graal Noir I : « la menace fantôme »

Par Christine Moulin

Tous les ingrédients médiévaux et bien connus sont là. La légende est, à quelques variantes près, intacte. Tout se met en place, mais rien n’a vraiment commencé. C’est ainsi qu’on assiste à la naissance de Merlin et à sa montée en puissance mais aussi à tous les stratagèmes et détours qui ont rendu possible la naissance d’Arthur. Les indispensables objets sont évoqués: l’épée dans la pierre, mais aussi le Graal. La maléfique Morgane est prête à nuire. Tout cela sur fond de lutte entre la nouvelle religion, chrétienne, et l’ancienne, celle des Druides. Sans qu’on sache exactement où se situe Merlin: il est le fils du Diable, certes, mais aussi d’une femme, qui lui a fait don de son humanité, part de lui-même qu’il a la liberté de développer, s’il en fait le choix. D’un autre côté, c’est d’une druidesse qu’il doit recevoir (au tome 2, si tout va bien?) la plénitude de ses pouvoirs.

Pour l’instant, il n’est encore qu’un beau jeune homme, très doué, très agaçant, plein de morgue et de charme, flanqué d’une espèce de Sancho Pança, prêtre rondelet et gourmand, comme dans les farces du Moyen Age, qui se damnerait pour un poulet mais qui, en tant que chroniqueur, représente l’auteur au sein même de la fiction, de façon distanciée et comique, tout en jouant le rôle de protecteur pour Merlin. C’est que celui-ci, quoique capable de lire dans le passé et dans l’avenir, de se métamorphoser en n’importe quoi, de réaliser d’extraordinaires tours de magie,  n’est pas encore tout à fait maître de lui-même. Il n’a que dix-huit ans (à peine) et il dépense sans compter son énergie en prodiges inutiles destinés à ébaudir qui veut bien l’admirer. Il s’amuse et même s’il a connu l’amertume d’un chagrin d’amour, il manque de profondeur, d’expérience, de sagesse. On  croirait Harry Potter dans ses pires années.

Ce côté adolescent et, en général, les analyses psychologiques, nombreuses, contribuent largement à la modernisation du mythe. Nous avons souvent accès à l’intériorité des personnages, qui ne sont plus des figures légendaires mais des hommes et des femmes proches de nous, des individus qui ont une vie plus qu’un destin, même si celui-ci frappe à la porte avec insistance. Un autre élément qui modernise, mais en même temps, il faut l’avouer, désacralise quelque peu l’histoire du Graal, c’est l’écriture elle-même, cinématographique, faite de montages alternés, de « scènes », de raccourcis qui confèrent à la lecture un rythme haletant de « blockbuster ».  Enfin, l’érotisme, assez torride et explicite (éloignez les très jeunes), les désirs clairement exposés des personnages (je ne me rappelais pas que Morgane ait eu une attirance incestueuse pour son père) marquent la différence avec les romans de Chrétien de Troyes! On est plus proche de l’univers de Marion Zimmer Bradley et de ses Dames du lac.

Néanmoins, si j’osais, je dirais que « ça dépote » et que ce roman peut très bien donner l’envie de se plonger dans la geste arthurienne, quitte à retourner vers son origine et y découvrir d’autres joies, moins immédiates, mais tout aussi intenses.

PS : l’avis de Ricochet

Un chat capricieux

Un chat capricieux
Lionel Koechlin

Gallimard Jeunesse, 2012

Par Christine Moulin

Un chat, quoi…

Qui connaît les chats, et les aime, aimera ce petit livre, destiné, pourtant, aux tout-petits, comme l’indiquent son nombre de pages cartonnées (9),  le trait simple et malicieux de ses illustrations, ses douces couleurs pastel.

Le narrateur, Moustache (nom emblématique indiquant bien que c’est de l’essence féline qu’il s’agit dans cet ouvrage), est seul à la maison et il s’ennuie. Il attend avec impatience le retour de sa « grande amie ». Quand celle-ci revient de l’école et l’appelle, bien sûr… il se cache sous le fauteuil. Attitude typique du chat moyen.

On peut feindre de croire à l’explication de l’auteur (« je suis un chat capricieux ») mais de subtils indices nous mettent sur la voie: Lionel Koechlin sait bien qu’en fait, ce chat a eu très peur d’être abandonné, qu’il a essayé, comme d’autres, de se rassurer en imaginant par avance les marques d’affection qu’il prodiguerait à sa « famille », que l’angoisse a eu le dessus. Si bien que lorsque la tension s’apaise, il veut se prouver que tout cet amour est partagé : il décide donc de se faire un peu désirer, de rester sourd aux appels, pour en prolonger la douceur, en laissant toutefois traîner un indice caudal  attendrissant (c’est qu’il faut qu’on le trouve, à la fin, sous son fauteuil!).

« Quand je vous parle de chat, je vous parle de vous », en quelque sorte…