L’Affaire Petit Prince
Clémentine Beauvais
Sarbacane, 2025
Dessine-moi un chapeau…
Par Anne-Marie Mercier
Voilà Pierre Bayard, critique, professeur de littérature française, psychanalyste, transformé en personnage de roman. Il l’aura bien cherché, lui qui se permettait de réécrire des œuvres ratées (2000), de proposer des lectures vagabondes pour parler d’œuvres qu’on n’a pas lues (2007), et de dénicher les zones d’ombres dans des textes aussi célèbres que Le Chien des Baskerville de Conan Doyle et Le Meurtre de Roger Ackroy d’Agatha Christie. Si Le Petit Prince de Saint-Exupéry n’est pas un roman policier contrairement aux œuvres citées, le livre de Clémentine Beauvais qui met en scène P. Bayard en « déteXtive privé » relève à la fois de ce genre et de la critique littéraire.
Au début de l’intrigue, Pierre Bayard et sa fidèle (!) adjointe, Edith, sont forcés à l’inactivité car pour un forfait qu’on ignore ils sont interdits d’enquête. Or, un client se fait annoncer, arrive devant leur porte, puis disparait (ça rappelle vaguement quelque chose, non ?), ne laissant qu’un chapeau et un dessin dans la poussière. Qui est-il ? quel danger le guette, qui est ce personnage mystérieux qui espionne sous leurs fenêtres ? Bayard et Edith ne peuvent que se mettre en quête de réponses. Ils seront aidés par un jeune garçon, inventeur et amoureux des livres, Minuit-Pile, et une jeune rebelle en skate-board, nommée Bas de Casse.
Leur quête les conduira à explorer Le Petit Prince, car (bon sang mais c’est bien sûr !) les indices laissés par le mystérieux visiteur, un chapeau et un dessin représentant un vague chapeau, les conduisent au fameux dessin représentant un boa ayant avalé un éléphant.
L’enquête est un jeu de piste, un jeu aussi pour le lecteur. C’est un régal où le brio et l’inventivité accompagnent un travail rigoureux sur le texte, beaucoup moins simple qu’on ne le croit. Des figures de style et des bribes de narratologie sont les outils de ces bricoleurs qui affrontent la redoutable Elise Mieux, reine de la confrérie de la CLEF (les quarante « Chevaliers de lecture experte de France », allusion narquoise à l’Académie française, à ses rites et à ses normes), protégée par le fidèle et féroce roman Noir, et le non moins redoutable et caricatural Lucien Voldenuit, curateur de l’exposition consacrée à l’auteur du Petit Prince à la Bibliothèque nationale.
Si le début du roman accumule les blagues et jeux de mots avec brio, mais sans beaucoup avancer, la deuxième est menée tambour battant ; elle entre aussi plus avant dans les entrailles du texte et de ses images, et propose un atelier d’intertextualité passionnant. C’est drôle, intelligent, plein de clins d’œil et ça ne se prend pas au sérieux. C’est aussi une série de belles leçons sur la lecture et ses pièges, la première étant donnée au lecteur à travers l’entrée du personnage d’Édith (mais chut, on de divulgâche pas !), l’indispensable assistante du détective. Le Petit Prince est démonté de façon certes irrévérencieuse, exhibant tous ses trous et ses absurdités, pour être rétabli ensuite dans son statut de grand texte irrigué par l’esprit d’enfance. Ainsi, le débat proposé par Voldenuit (titre d’un roman pour adultes de St -Ex) pour savoir si l’auteur est un auteur sérieux (pas pour enfants) ou si Le Petit Prince est un texte négligeable à cause de son inscription dans la littérature de jeunesse est nul et non avenu.
D’autres enquêtes sont annoncées puisque ce volume est le premier d’une série : Pierre Bayard-Sherlock Holmes et sa fidèle Édith- Dr Watson ne s’arrêteront pas de sitôt !
On en parle sur France Culture…
et sur le site de l’éditeur, on vous propose de PROLONGER LA LECTURE
« Afin que tous et toutes s’emparent de l’enquête littéraire, des kits d’enquêteurs, des fiches suspects, et un appareil pédagogique exceptionnel conçus et rédigés par Clémentine Beauvais sont mis à disposition gratuitement sur l’espace pro de ce site »