La jeune Institutrice et le grand serpent

La jeune Institutrice et le grand serpent
Irene Vasco – Juan Palomino
Obriart 2022

Au cœur de l’Amazonie

Par Michel Driol

Une jeune institutrice est nommée dans un village au cœur de la forêt amazonienne. Après un long voyage, elle y parvient, avec sa valise de livres, et commence à faire classe aux enfants. Elle leur lit des histoires et les enfants emportent les livres le soir chez eux. Mais lorsque le fleuve déborde et emporte la classe et les livres, elle est désespérée, mais voit les femmes du village en train de broder des images que les enfants rassemblent en livres qui racontent les légendes de la communauté.

L’album retrace le parcours initiatique de la jeune femme. Elle part avec des idées bien arrêtées sur son rôle, sur la durée du voyage : mais celui-ci se révèle plus long et difficile que prévu. Malgré le choc éprouvé lors de son arrivée (choc matériel,  linguistique) elle remplit sa mission, se raccrochant à ses livres, à sa culture écrite. Avec bienveillance, elle enseigne et assiste, de loin, aux échanges familiaux autour des histoires qu’elle raconte. Comme Robinson, elle ne croit pas aux légendes, et quand on lui parle du grand serpent – belle métaphore de la crue du fleuve – elle n’en a cure. C’est pourtant cette catastrophe commune qui scelle le lien et l’échange interculturel autour des récits. Aux récits imprimés lus par l’institutrice succèdent les récits oraux des femmes du village qui deviennent livres d’images et permettent aussi à la jeune femme d’apprendre la langue des villageois. Chacun apporte ainsi quelque chose à l’autre, et l’ouvrage montre ce que les cultures autochtones ont à apporter à la civilisation moderne. On retrouve ici, quelque part, la belle réécriture que Michel Tournier avait faite de l’ouvrage de Defoe dans Robinson ou la vie sauvage, avec cette différence toutefois qu’ici il est question avant tout de transmission par les récits. D’un côté, la littérature, les récits imprimés, qui n’ont de sens que s’ils sont vecteurs d’apprentissage – et c’est bien pourquoi ils sont lus par cette institutrice dont le texte souligne la conscience professionnelle, de l’autre les récits oraux, en langue vernaculaire, qui sont aussi porteurs d’un enseignement sous une forme imagée, celle des légendes et contes sacrés, aux personnages humains ou animaux merveilleux, incarnation des esprits. Si les récits font bien partie du patrimoine commun de toute l’humanité, ils sont à préserver, à transmettre, sans hiérarchie de valeur entre eux.

La traduction de Sophie Hofnung se lit aisément, dans une langue à la fois simple et vivante. Les illustrations, très colorées, souvent en doubles pages, reprennent deux motifs significatifs. D’une part celui du fleuve-serpent, sinueux, dangereux, omniprésent. D’autre part celui du fil, apporté avec elle par l’institutrice, fil avec lequel se tisseront les liens et les histoires, fil sinueux lui aussi, et si fragile par rapport au fleuve… Ces illustrations ouvrent l’espace de la rêverie à partir des contes sacrés dont ils représentent les personnages en les mêlant pour en montrer la variété et la richesse.

Un album réussi qui évoque les liens entre les cultures dites primitives et les cultures savantes, et montre comment elles peuvent s’enrichir mutuellement autour d’un objet commun, le récit.

La Soupe Lepron

La Soupe Lepron
Giovanna Zoboli et Mariachiara Di Giorgio
Les Fourmis Rouges 2022

C’est dans les vieilles marmites…

Par Michel Driol

Tous les ans, le premier jour de l’automne, M. Lepron, lièvre à la nombreuse descendance, prépare dans sa marmite une soupe. Chacun y apporte un ingrédient, et M. Lepron fait cuire. Ou plutôt dort et rêve tandis que la soupe mijote. Quand il se réveille, c’est prêt et chacun se régale. La renommée de cette soupe va au-delà de sa famille, des fermiers auxquels il vole les légumes, et atteint le monde entier, si bien que M. Lepron ouvre une usine de fabrication de soupe. Mais ses rêves n’ont plus la même douceur qu’avant, ils deviennent cauchemars. Est-ce pour cela que la soupe n’a plus si bon gout, aux dires des consommateurs ? Finalement, M. Lepron ferme son usine et revient à la tradition annuelle de la soupe d’automne.

Sous ses dehors doucereux, alléchants, avec ses illustrations à la Beatrix Potter, avec son texte joliment poétique, en particulier lorsqu’il est question des rêves de M. Lepron, avec cette famille de lièvres pleins de charme et de magie, voici un album qui devient vite une critique farouche du capitalisme, de l’industrialisation et de la mondialisation. Peut-on passer sans risques d’une activité familiale collaborative à la grande entreprise de fabrication de soupe en boite (joli clin d’œil graphique aux boites de soupe Campbell !) ? Sans doute pas, et il faut en payer le prix : la perte de l’innocence, de la tranquillité. Inquiétude, dépression font place au bonheur de vivre au rythme des saisons. Avec beaucoup de poésie, l’album montre un innocent lièvre confronté au capitalisme. Alors que sa famille adorait la soupe, les consommateurs sont sensibles aux rumeurs –fondées ou non – d’une baisse de qualité. C’est dire que l’album aborde des problématiques liées à l’industrie agroalimentaire dans leur complexité : perte d’identité des produits, perte de gout, effets de mode, mais sans didactisme et avec beaucoup de légèreté car tout est vu à travers la dégradation de la qualité des rêves de M. Lepron. La force poétique – et politique – de l’album est de lier la qualité de la soupe à celle des rêves conçus comme une sorte d’ingrédient magique, mais surtout comme l’illustration du fait que le bien-être des travailleurs est indispensable à la qualité des produits qu’ils confectionnent. L’album est bien une critique acerbe de nos rêves de croissance, prompts à se transformer en cauchemars, conduite à travers une histoire aux personnages attachants et illustrée magnifiquement. Les doubles pages aquarellées sont autant de tableaux d’où se dégage une atmosphère particulière totalement en phase avec le récit, qui va du bonheur d’être ensemble à l’expression des fantasmes effrayants que ne renierait pas un Breughel… Quant aux vignettes, elles ne manquent ni d’humour, ni de détails croustillants pleins de vie !

Sous une forme classique, cet album plein de poésie est une belle fable qui prône la simplicité nécessaire au bonheur de chacun, le respect de traditions et des saisons, et se fait une critique acerbe de la société mondialisée qui veut, à tout prix, assouvir les désirs de tous dans une sorte de course folle à la production déréglée des biens de consommation.

Le Cadeau des Affreux

Le Cadeau des Affreux
Meritxell Marti – Xavier Salomó
Seuil Jeunesse 2022

Petits cadeaux entre monstres

Par Michel Driol

On se souvient du précédent ouvrage des deux auteurs, le Festin des Affreux. En voici comme une suite, avec plus ou moins les mêmes personnages, le chef Louis Pacuit , le Loup, la Sorcière, la Momie… et bien sûr le pire de tous, l’Enfant. Cette fois-ci, nous sommes au plus profond de la forêt, en un temps où nos Affreux préférés vont ouvrir leurs cadeaux, bien cachés par des rabats, et choisis en fonction de leur personnalité et surtout des histoires dans lesquelles on les retrouve. Jusqu’à un dernier cadeau, mystérieusement adressé à tous, un livre dont la lecture va les captiver, les terrifier, les amuser… Le lecteur avisé l’aura deviné, et la fin du livre le confirmera, l’auteur de ce cadeau n’est autre que l’Enfant, déguisé en gnome, dévoreur d’histoires à faire peur, flanqué cette fois-ci d’une compagne aux lunettes truquées que l’on cherchera – et trouvera – sur les pages précédentes.

Reprenant le dispositif narratif qui avait fait le succès du Festin des Affreux, à savoir une double page par personnage, et un rabat à soulever pour découvrir les cadeaux, les deux auteurs nous livrent encore un album bien réjouissant. D’abord parce qu’il constitue une suite au Festin : revient, de façon récurrente, la peur que les Affreux ont de cet Enfant qui les avait traumatisés dans la livraison précédente. Ensuite parce que les cadeaux s’inscrivent à la fois dans l’intertextualité (et on retrouvera le miroir de la Reine dans Blanche Neige, ou encore Hansel et Gretel – il n’est pas question ici de tous les citer) et dans la modernité. Ces cadeaux sont une sorte de complainte du progrès joyeuse, dans laquelle les perfectionnements les plus audacieux ont été apportés à ces objets traditionnels, décrits dans une langue et un style qui font penser à tous les catalogues et à la publicité. Enfin par sa « morale », qui met en évidence le rôle incomparable du livre capable de faire naitre des émotions diverses et variées. Les Affreux ont d’abord la réaction attendue et sont déçus du livre (lire, c’est nul, à quoi ça sert) avant d’être envoutés par sa lecture. C’est peut-être ce renversement final qui est le plus réjouissant, manifestant le pouvoir de l’enfant sur les monstres, sa façon de jouer avec eux, de ne pas hésiter à se jeter dans la gueule du loup avec la complicité, cette fois-ci encore, de Maitre Pacuit, un enfant plein de vie et d’espièglerie auquel le lecteur aura plaisir à s’identifier !

Un album qui s’inscrit parfaitement dans l’univers de Meritxell Marti et Xavier Salomó : intertextualité malicieuse, jeu amusant avec les peurs et les monstres, univers décalé dans lequel les enfants ont le beau rôle !

Les trois petits cochons

Les trois petits cochons
Mélanie Baligand
La Martinière jeunesse 2022

Théâtre d’ombres

Par Michel Driol

Tout le monde connait le conte des trois petits cochons, leurs maisons de paille, de bois et de brique, et le loup qui souffle, qui souffle… puis qui descend par la cheminée jusqu’à se faire bruler le postérieur…

Mélanie Baligand propose un fabuleux livre objet à partir de ce conte, un livre qui permet de projeter l’illustration de l’histoire. L’idée est originale et particulièrement réussie. Lorsqu’on ouvre le livre, six maisons en relief apparaissent successivement, avec juste ce qu’il faut d’espace pour y glisser son téléphone allumé (ou une autre source lumineuse), et les découpes au laser sont projetées sur le plafond – voire sur les murs pour la fin conçue comme un final de feu d’artifice -, tandis que l’on peut lire l’histoire grâce à des découpes aménagées au bas des maisons. Du pur noir et blanc, formant tantôt plusieurs scènes l’une sous l’autre, à la façon de bandes dessinées, tantôt une seule image. Les détails sont soignés, les images projetées précises, à la façon des anciens théâtres d’ombre que l’ouvrage modernise et actualise. Quant au texte, il est illustré avec la même technique, du noir (ou plutôt du bleu foncé, moins inquiétant, plus apaisant) et du blanc, avec beaucoup de virtuosité, dans une belle unité graphique.

Une mise en scène magique d’un conte bien connu, pour métamorphoser la chambre entière avant de s’endormir. Un ouvrage qui montre aussi que l’inventivité en matière d’édition jeunesse n’a pas de limites !

Tout noir

Tout noir
Gilles Baum – Amandine Piu
Amaterra 2022

La petite New-yorkaise aux allumettes

Par Michel Driol

Une petite fille aime être sur le toit de son immeuble le soir quand soudain tout s’éteint. Inquiète, elle se demande si sa maman retrouvera le chemin de la maison, et elle décide de partir à sa recherche, 3 allumettes en poche. A la première allumette, un girafon l’accompagne, tandis que les objets, comme pris de folie, quittent les devantures des magasins. A la deuxième, un homme-de-rien, saxophoniste, l’accompagne. Et à la troisième, sa maman, assise sur un banc avec son amie Et la petite troupe de rentrer à la maison, guidée par cette allumette, devenue magique.

C’est d’abord un bel objet livre, particulièrement soigné et original, qu’on retire d’un long étui en carton, comme une longue boite d’allumettes. Une fois ouvert, c’est un magnifique leporello qui montre un univers urbain nocturne, sombre, avec juste ce qu’il faut de découpes pour laisser paraitre la lumière jaune  des fenêtres, puis des allumettes. Des dessins délicats, en gris sur fond noir, laissent entrevoir les personnages qui déambulent dans la ville sans lumière. Personnages minuscules, jusqu’aux retrouvailles attendues, comme pour souligner l’immensité de la ville devenue étrangère et inconnue, menaçante. Tout ce dispositif iconique est au service d’un récit à la première personne, un récit qui dit l’angoisse de la narratrice, qui part en quête de ce qu’elle a de plus cher au monde pour lui permettre de retrouver son chemin. Cette quête urbaine se situe en fait dans un univers poétique et onirique, dans lequel les objets échappent à leur condition. D’eux-mêmes ou fruits de larcins provoqués par cette panne d’électricité géante ? Dans ce désordre, la fillette fait deux rencontres. Celle de la nature, avec ce girafon improbable, tout aussi perdu qu’elle, et celle d’un saxophoniste, dans un quartier des théâtres aux enseignes éteintes, comme pour dire la permanence de l’art et de la musique. Cette petite fille dont la maman qui travaille la nuit a gardé son tablier sur elle, belle façon de la situer dans un certain milieu social que pudiquement on qualifierait de défavorisé, devient à la fin de l’histoire celle qui va éclairer le monde par le pouvoir de sa lumière : superbe symbole de la lumière plus forte que la nuit, de l’espoir plus fort que la désespérance.

Au fond, quelle meilleure façon de parler de ce superbe album que de citer Eluard ?

La nuit n’est jamais complète.
Il y a toujours puisque je le dis,
Puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin,
une fenêtre ouverte,
une fenêtre éclairée.
Il y a toujours un rêve qui veille,
désir à combler,
faim à satisfaire,
un cœur généreux,
une main tendue,
une main ouverte,
des yeux attentifs,
une vie : la vie à se partager.

Une frise à déployer pour illustrer le combat de la lumière, toujours fragile, et de la nuit si menaçante, avec une petite fille, vraie héroïne de conte attachante. Comme une petite fille aux allumettes pleine d’espoir et d’optimisme.

L’Envol de Miette

LEnvol de Miette
Anne Cortey – Herbera
A pas de loups, 2022

Heureux qui, comme Ulysse…

Par Michel Driol

Toute petite et légère, Miette s’envole dès que le vent se lève. Heureusement, une cigogne l’a ramenée dans le jardin qu’elle cultive avec son petit frère. Normalement, dès que le vent se lève, le petit frère attache Miette par une solide corde au gros platane. Jusqu’au jour où un coup de vent subit emporte Miette, alors que la cigogne est partie dans le sud… Miette est sauvée par un garçon qui fait le tour du monde à bord d’une montgolfière, et qui veut l’emmener avec lui. Mais finalement, Miette le décide à venir avec elle dans son jardin…

Miette… voilà un prénom prédestiné, une sorte de Petit Poucet au féminin pour une héroïne de conte merveilleux, philosophique ou initiatique en trois temps. A l’origine, une espèce d’Eden, de jardin paradisiaque dont s’occupent deux enfants jardiniers, un jardin nourricier dont les seuls ennemis sont les limaces. Vert paradis des amours fraternelles enfantines que rien ne vient perturber, pas même le grand vent, pays magique où les cigognes n’apportent pas que les nouveaux nés, mais rapportent les enfants perdus dans le ciel chez eux. Puis vient la catastrophe, non pas la chute, mais l’envol, ce voyage au loin, loin du petit frère à protéger, loin du jardin à cultiver. Miette ne peut que s’abandonner au vent, au destin, et accepter cet exil aérien. Vient enfin le sauvetage, par celui qui est l’exact contraire de Miette et de son frère. Eux sont des sédentaires, des cultivateurs, les pieds dans la terre. Lui est un nomade, tenté par le voyage, le plus grand, celui autour du monde. Du nomade ou du sédentaire, qui va l’emporter ? Du désir de voyager ou de rentrer à la maison, quel sera le plus fort ? Pas de longue argumentation entre les deux passagers, mais un simple regard, et l’empathie envers la tristesse de Miette détournent le voyageur de son voyage. C’est sans doute là l’un des attraits de ce roman : esquisser une histoire d’amour, ou à tout le moins de désir de connaitre une autre vie, un autre coin du monde. L’étranger apporte avec lui l’exotisme de sa cuisine : une potée milanaise, faite comme il se doit avec un chou – un chou rond comme la terre dont il voulait faire le tour… et l’étranger, juste nommé par « le garçon » découvre qu’ « un jardin peut être aussi beau qu’un continent ».

On laissera chacun interpréter comme il le souhaite les multiples symboles qui traversent cet album. Le jardin terre, microcosme sans cesse à découvrir. Le voyage, vécu à la fois comme un déracinement et un désir fort de tout voir. L’irruption de l’étranger dans la fratrie qui apporte du nouveau : quelque part  l’exogamie confrontée à l’endogamie. Tout cela raconté dans une langue qui sait ne pas trop en dire, souligner des regards, des sentiments, sans s’appesantir sur eux, pour laisser le lecteur et l’illustration faire leur part du travail d’interprétation.  Avec leurs couleurs vives pour la nature, et l’encre de chine pour les personnages, les illustrations dessinent un univers familier, enfantin, utopique peut-être…

Un conte poétique pour dire la valeur du voyage immobile et contemplatif. Comme la réécriture d’un Voltaire qui serait moins enclin au travail qu’au plaisir. Oui, il faut contempler et explorer  notre jardin.

Mais où est-elle ?

Mais où est-elle ?
Marie Mirgaine
Les fourmis rouges 2022

Une histoire échevelée

Par Michel Driol

Lorsque la magnifique – et remarquable – perruque jaune du héros s’envole, il  part à sa recherche, et croit la reconnaitre partout, dans des algues, un fromage coulant, voire un chat ou une vieille serpillière. Et lorsqu’il la retrouve, elle est devenue nid pour oiseaux, qu’il leur laisse bien volontiers…

Peu de texte dans cet album en randonnée qui repose sur le comique de répétition et des effets attendus, jusqu’au renversement final de la chute. Le texte : le monologue minimaliste du bonhomme, reposant sur l’alternance d’un « la voilà » et d’un « mais non… ». Les illustrations : à la fois des formes colorées pour le personnage, sorte de pantin animé, et un certain réalisme pour le décor. Tout se passe comme si on était spectateurs d’un théâtre d’ombres colorées, ce qui confère à l’album un petit côté magique dans la représentation des aventures de ce drôle de bonhomme et de sa quête de sa perruque. C’est drôle, plein d’imagination, suffisamment simple pour être bien adapté aux tout-petits qui, dès la première lecture, pourront à la fois anticiper sur l’échec du personnage, et être surpris des métamorphoses de cette perruque, que l’on voit partout ! Que dire de ce personnage que l’autrice n’hésite pas à monter coiffé d’un fromage coulant, d’une bouse de vache ou d’une vielle serpillère. On est dans une transgression bien carnavalesque ! Quant à la chute, elle montre un aspect bien sympathique du personnage, prêt à abandonner ce qu’il a de plus cher, afin de protéger la nature et les oisillons.

Un album en randonnée pour rire aux éclats aux dépends d’un drôle de personnage… à un âge où les cheveux commencent à  pousser sur la tête ! En tous cas, une histoire qui n’est pas tirée par les cheveux !

Perdu ma langue

Perdu ma langue
Daisy Bloter – Victoria Dorche
Didier Jeunesse 2022

Mabo ou les deux jardins

Par Michel Driol

Lorsque ses grands parents lui téléphonent pour son anniversaire, et lui chantent une chanson en sindar, leur langue, Mabo est incapable de leur répondre. Cette langue, il l’a oubliée. A l’école, il en parle avec ses copains : l’un, qui ne parle que bambara avec sa mère, n’est pas prêt d’oublier cette langue. Dans l’immeuble, Madame Liouba a conservé son accent russe. Et lorsqu’arrive en classe une fillette parlant aussi sindar, Mabo se détourne d’elle. Il faudra toute l’ingéniosité de ses copains pour que Mabo retrouve sa langue.

Adapté d’un spectacle jeune public interprété par l’autrice, Perdu ma langue est un album qui aborde la migration, l’acculturation, l’identité sous un angle rarement adopté en littérature jeunesse, celui du lien ou du conflit entre la langue d’origine et la langue du pays. Le sindar – langue inventée dans l’album – est la langue maternelle, celle dans laquelle on a été materné, celle des comptines de la prime enfance, celle qui relie à la culture d’origine, mais que personne ne parle dans le pays d’accueil. D’où  son oubli par Mabo, qui n’en perçoit plus l’utilité, mais qui éprouve malgré tout un sentiment indéfinissable de gêne ou de culpabilité devant cet éloignement linguistique qui le coupe du lien avec ses grands-parents. Ce n’est pas tant la volonté de s’intégrer par le français qui le pousse que son interrogation sur sa propre identité. Lui qui est né en France, est-il d’un pays où on parle le sindar ou français ? Lui se sent pleinement français. La richesse de cet album est de faire vivre ce tiraillement, ce déchirement à hauteur d’enfant bien entouré par sa famille et ses copains de toutes les origines. La langue ne peut se déployer que dans la communication, et est un marqueur de reconnaissance. Mais l’album souligne autant le lien avec la toute petite enfance – c’est par une chanson enfantine que les mots de sindar reviennent à Mabo – que la richesse du mélange, du métissage, symbolisée à la fin par ce repas où se retrouvent les deux familles originaires du même pays qui mêlent leur langue et le français dans un partage communicatif. Le récit est entrecoupé de poèmes, imprimés dans une graphie différente, poèmes qui disent la voix intérieure de Mabo, ses doutes, ses questions dans une langue particulièrement rythmée. Les illustrations, très colorées, complètent le récit en donnant à voir tantôt l’intérieur des appartements, tantôt la richesse de la ville où se cotoyent des gens de toutes origines et cultures.

Un album au titre très évocateur pour aborder la question complexe de l’interculturel, pour dire la diversité et la nécessité des langues, leur complémentarité, et pour apprendre que l’important n’est pas de bien les parler, en puriste, mais de les conserver car elles sont la marque d’une histoire personnelle, et pour suivre au plus près les réactions d’un jeune enfant qui en vient à éprouver de la honte envers sa langue maternelle, avant de comprendre qu’il peut être bilingue, et cultiver ainsi deux jardins à la fois.

L’escargot

L’escargot
Minu Kim
Ecole des loisirs 2022

Eloge de la lenteur

Par Michel Driol

Le frère ainé interdit à son cadet de suivre les grands : eux ont un vélo, lui n’a qu’une draisienne.  Pourtant petit frère, le héros, veut suivre, mais se laisse distancer, et heurte un caillou qui l’envoie chuter dans le pré. Reprenant ses esprits, il rencontre un escargot, et découvre le monde autrement. Finalement, c’est bien de prendre son temps, conclut-il.

Voilà une histoire qui se déploie en peu de mots, qui suivent les pensées du héros, dans un noir et blanc aérien, léger, et qui aborde avec délicatesse le rapport des petits frères aux grands frères, mais surtout la question du rapport au temps des enfants. Quel enfant n’a pas voulu grandir plus vite, aller plus vite, suivre les plus grands ? Tel est bien le héros de cette histoire, en colère parce que méprisé par son grand frère, vexé, faisant tout pour le rattraper, être son égal, être enfin grand lui-aussi. Pauvre petit bonhomme perdu dans un immense paysage en noir et blanc, minuscule au milieu des immeubles, solitaire au milieu des herbes, avec la seule tache rouge de son casque.  Jusqu’à la rencontre avec l’escargot, autre tache rouge dans le paysage. Et ensuite tout change. Le noir et blanc fait place à de belles couleurs, celles d’un coucher de soleil, d’un paysage et d’un ciel magnifiés. Toutes choses que l’enfant n’aurait pas vues s’il n’avait pas pris le temps de les regarder. La narration se conduit avec une grande économie de moyens graphiques, qui font alterner des pleines pages avec des pages où des vignettes montrent tantôt l’accélération de la vitesse de l’enfant lors de sa chute, tantôt  le temps qui semble se ralentir, le préparant à la rencontre initiatique avec l’escargot.

Voilà donc un album plein de sagesse qui apprend à s’accepter tel qu’on est, dans sa lenteur, dans sa petitesse, dans son âge, condition pour trouver une paix intérieure et sa place dans le monde…

Un matin de rêve

Un matin de rêve
Christian Demilly – Illustrations de Clémence Pollet
HongFei 2022

Se souvenir des belles choses

Par Michel Driol

Premier matin des vacances, un enfant – le narrateur – se souvient des petits moments de bonheur qui ont marqué la veille : le dernier jour d’école, les portes qui ne claquent pas, son anniversaire, le film qu’on a regardé à la télé… De quoi faire d’aujourd’hui un matin de rêve.

Avec une grande sobriété dans l’expression (une simple petite phrase par double page, à la manière des je me souviens de Perec, ou d’un inventaire à la Prévert), l’album touche à ces petits moments de plaisir qui constituent la vie d’un enfant. Plaisirs simples, comme le voyage où l’on ne s’ennuie pas, ou plaisirs plus coupables, comme la dispense du brossage de dents. Ces plaisirs sont illustrés dans des grands formats (page simple ou double page) montrant l’harmonie familiale – grands parents, parents et enfants –  au sein d’une nature où l’on croise quelques oiseaux dans le ciel. Mais cette lecture, à laquelle beaucoup s’arrêteront sans doute, est peut-être trop simpliciste. Le dernier souvenir est « Hier, Benjamin m’a dit qu’il m’aimait » tandis que l’image montre l’enfant heureux, yeux fermés, aux côtés de sa mère qui lui caresse tendrement les cheveux, tandis que sur le sol trainent quelques pièces de puzzle, comme une incitation faite au lecteur à rechercher les pièces éparses dans l’album et à les rassembler. Qui est Benjamin, dont la seule occurrence du prénom est dans la phrase citée plus haut ? Sans doute ce garçon au tee-shirt jaune que l’on voit avec le narrateur, dans la première page, symboliquement au centre d’une sorte de labyrinthe tracé sur le sol. Puis celui qui vient rendre visite, un ballon sous le bras. Celui avec qui le narrateur regarde un atlas, pour fêter l’anniversaire, un puzzle cadeau devant lui. Celui qui s’en va, tandis que la famille part chez les grands-parents, et que le narrateur accompagne du regard, auquel il pense peut-être dans la voiture… Quant au chouette film qui passe à la télé, c’est Titanic, avec le plan iconique des deux amoureux comme volant à l’avant du bateau… Et si tout ceci était une façon de dire l’importance d’un je t’aime pour un enfant, peut-être une façon pudique de parler d’homosexualité masculine enfantine (mais ne serait-ce pas là un peu forcer l’album), à coup sûr une façon de parler de l’amour entre deux enfants, amoureux de vivre, à coup sûr !

Un album qui traite de sujets délicats avec une infinie délicatesse pour parler du bonheur, un album qui sait en dire autant par le texte que par l’illustration, très complémentaires, un album optimiste qui dit que le bonheur est à portée de main.