Papa partout

Papa partout
Emilie Chazerand illustrations de Sébastien Pelon
L’élan vert 2022

L’absence, la voilà…

Par Michel Driol

Dès le début, la mort du père est là, à peine euphémisée : Maman dit qu’il est au ciel désormais, puis énoncée directement, en une phrase non verbale qui sonne comme un couperet : Mort. Au début, pour le narrateur, il n’y a que le vide et le chagrin, le souvenir des choses qu’ils ne feront plus. Puis c’est la découverte de la présence du père dans tous les objets, vêtements, même ces objets intangibles que sont l’ombre sur la plage et le reflet des yeux dans le miroir.

Voilà un bel album bouleversant, plein de simplicité, pour dire différentes phases du deuil vues à hauteur d’enfant, de la colère et du sentiment de l’injustice profonde jusqu’au retour du sourire et de la paix intérieure, ce que l’on nomme résilience. L’album sait éviter l’écueil du pathos par une écriture qui sait être à la fois métaphorique et enfantine pour exprimer ce que traverse l’enfant. Il est question de l’oreiller salé au réveil et du cœur haché menu, par exemple. Les anaphores disent la répétition des marques de l’absence, mais surtout celles des signes de présence avec la série des groupes nominaux qui commencent par « Dans… », façon de rendre concrète l’universalité de cette présence mystérieuse de l’absent. L’illustrateur a su jouer aussi de la simplicité et de l’expressivité, semblant prendre au pied de la lettre certaines expressions comme « il est au ciel », ou donnant à voir une vision du jeu de Puissance 4 comme une sorte de prison derrière laquelle est caché l’enfant, dont seul l’œil cherche à voir au delà du jeu. Quant aux aplats de couleurs, ils se réchauffent progressivement, allant jusqu’au jaune éclatant de la plage et de la maison finale. A noter que les pages de garde reprennent aussi ce code de couleurs.

Un bel album, mélange de tendresse, de fragilité et de force, pour évoquer les étapes du deuil lié au décès le plus éprouvant qui puisse affecter un enfant.

Au début

Au début
Ramona Badescu, Julia Spiers
Les grandes personnes, 2022

Quand la fin est dans le début

Par Anne-Marie Mercier

Au début, on aurait pu être prévenu par la couverture qui disait clairement qu’il allait être question d’oiseaux, d’arbres et de fleurs. Mais l’automatisme est là : dès qu’on voit des personnages humains on pense que ça va être leur histoire. Dans cet album, ce n’est qu’en partie vrai. « Au début », ils sont nombreux « dans l’ombre fraîche du vieux néflier ». Journée d’été, rencontre de personnes d’âges différents dans un jardin: des voisins, une famille ? La réponse vient petit à petit.
La suite n’éclaire pas mais perd encore un peu plus : la date, présente sur chaque double page, recule dans le temps. On voit une éclosion d’œuf, un œuf entier, un couple d’oiseaux… puis un bébé, puis une jeune femme enceinte : l’histoire se rembobine.
Elle va jusqu’au début de tous ces débuts, l’été 1952, quand une troupe d’enfants incarnée par le « on » du narrateur, rentre assoiffée de la plage et va chiper des nèfles pour se désaltérer. Ils en rapportent dans le jardin où le néflier n’a pas encore poussé, crachent les noyaux par jeu. On devine la suite.
Alors, on reprend l’album pour tourner les pages en sens inverse et on découvre qu’il a deux pages de couverture et deux pages de titre, une au début et une à la fin. On voit les différentes étapes de la croissance de l’une des pousses issues des noyaux du départ. Parallèlement on voit l’histoire de l’un des enfants du groupe, son adolescence, sa solitude, la rencontre d’une fille, le mariage, les enfants, les petits enfants et on reconnait le narrateur dans l’homme aux cheveux gris du début. Ainsi, le sujet principal est le temps, le temps de pousser, de vivre, d’engendrer, de savourer la vie – et le temps de la lecture et de la relecture.

Les aquarelles illustrent très joliment cette histoire et la portent avec efficacité dans cet album avec très peu de texte. Elles recréent une atmosphère d’enfance et de jeu : formes rondes, couleurs tranchées, simplicité, avec une petite allure « vintage »  années 50.

Ma petite maison ronde

Ma petite maison ronde
Bolormaa Baasansuren
Rue du monde 2013

Avoir un an en Mongolie

Par Michel Driol

Entre documentaire et fiction, cet album raconte la première année de la vie de Jilu, fils de nomades mongols. Porté par la voix de Jilu lui-même, de façon naïve et enfantine,  le récit évoque la naissance,  le premier jouet, la rencontre avec le grand père, les quatre  campements, au fil des saisons, et l’enfant qui grandit.

A la façon de Jilu, le jeune lecteur occidental découvre, à travers le texte et les illustrations, ce mode de vie rude et tellement éloigné du nôtre. L’album se tient sur une ligne de crête entre la poésie du texte (qui reprend souvent le symbole du cercle protecteur et le lien avec la nature environnante) et une dimension ethnographique réaliste, portée en particulier par les illustrations qui, tout en s’inspirant fortement de l’art populaire, donnent à voir de nombreux détails de la vie quotidienne (objets, rites, coutumes, vêtements).

Une belle façon de faire découvrir d’autres façons de vivre et l’amour familial, la bienveillance comme valeurs universelles.

Ma cabane

Ma cabane
Guillaume Guéraud illustrations Alfred
La Martinière jeunesse 2022

Comme un écho au Baron perché…

Par Michel Driol

Dans le jardin de ses grands-parents, Youri et Olga, le narrateur s’est construit une cabane dans les arbres. Faite de bric et de broc, elle devient pour l’enfant un refuge que son imagination transforme en navire, en hélicoptère, en palais ou en igloo, perdus au milieu de la savane, d’un cimetière ou d’un territoire jamais exploré…

Qui n’a jamais rêvé d’avoir une cabane dans les arbres ? Lieu protecteur, extraordinaire, il est le reflet de celui qui l’a construit de ses mains. C’est bien cet imaginaire-là, celui de Robinson perdu sur son ile, celui de l’arbre maison de Claude Ponti, que convoquent Guillaume Guéraud et Alfred. Car il est difficile de dissocier dans cet album l’auteur de l’illustrateur. Avec fluidité, le texte fait passer de la description de la cabane aux rêves, avec une formule récurrente : Parfois je me dis… Et le narrateur d’entrainer le lecteur dans des univers pleins d’aventure, de risque, de dangers, bien loin de la tranquillité du lieu où prennent source ces rêves. La cabane devient alors un extraordinaire terrain de jeu pour cet enfant que l’on voit toujours seul, et qui se réfugie dans son imagination durant tout un été passé avec ses grands-parents. Se conjuguent alors l’expérience intérieure de l’enfant et le vaste monde, bien au-delà des limites du jardin familial. Très colorées, les illustrations évoquent la luxuriance de la nature, et jouent sur les perspectives. Souvent vue en contre plongée, la cabane se détache du ciel et prend des dimensions variées, minuscule ou géante, avant de s’envoler dans le ciel, portée par un nuage. Suspendue entre ciel et terre, la cabane est à la fois une base solide et fragile, comme un tremplin pour l’imaginaire, mais aussi un tremplin vers le futur, tout en portant les traces du passé incarné ici par les grands parents ( le grand père qui a appris à faire les nœuds, et le parasol de la grand père). C’est cette série d’entre-deux que cet album illustre magnifiquement.

Avec finesse, avec une pointe d’humour, avec réalisme mais aussi avec  poésie, cet album est une belle ode à l’imagination.

Rue de la peur

Rue de la peur
Gilles Baum –  Illustrations d’Amandine Piu
Amaterra 2021

Freaks !

Par Michel Driol

Une petite fille sort de chez elle, et, pour aller à la maison de son grand-père, doit longer la rue de la peur. Dans chacune de ces maisons habite un monstre redoutable, que l’on aperçoit si l’on ouvre la porte ou les fenêtres. Un cerbère, un cyclope, une pieuvre… et enfin le grand père, dont on découvre avec surprise les trois yeux, et qui serre sa petite fille dans ses bras, avant de lui montrer l’arrière du décor. Et l’on apprend alors que le yeti adore les légumes surgelés, que les fantômes aiment défiler… et que la petite fille a aussi trois yeux, pour mieux voir le monde ?

C’est d’abord un beau livre objet, en forme de maison, qui se déplie comme un leporello, donnant à voir la totalité de la rue de la peur, tandis que l’autre côté montre les monstres dans leur intimité, pas effrayante du tout ! Voilà une belle façon de jouer avec les peurs enfantines, représentées ici par la petite fille pas très rassurée tout au long de son parcours, courant, marchant sur la pointe des pieds, ou sifflotant, l’air dégagé… Chaque maison, plus inquiétante que la précédente, renvoie aux imaginaires des cauchemars et des personnages inquiétants, pour le plus grand plaisir du lecteur. La seconde partie du voyage, la visite guidée que propose le grand-père, est d’une autre facture. Il s’agit d’un réel apprentissage, apprentissage de la diversité, de la tolérance, et découverte des autres dans ce qu’ils ont de positif au-delà de leur apparence repoussante. Ainsi chaque personnage devient sympathique et quelque part, a son grain de folie, mais peut aussi être la victime de sa propre monstruosité, comme une infirmité. Toutes les angoisses éprouvées par la fillette se renversent alors en sympathie pour les personnages dont le grand-père donne à voir la vérité profonde au-delà de l’apparence. Si tous les archétypes de la peur sont bien présents, c’est pour être mieux déconstruits dans la seconde partie par l’adulte bienveillant. Après tout, tout n’est qu’affaire de regard et de point de vue. Ainsi nous lecteurs avons nous été bernés par la représentation de profil de la fillette, et ne découvrons qu’à la fin qu’elle fait aussi partie des monstres. Peu de textes dans cet album, mais fortement encadrés par deux expressions qui en disent toute la philosophie : Parfois l’enfer mène au paradis, et Merci Papy tu m’as ouvert les yeux !

Un beau livre objet pour jouer à se faire peur, mais, au-delà de ce jeu, un album qui aborde le thème de la différence avec un humour indéfectible !

Elmer et l’histoire du soir

Elmer et l’histoire du soir
David McKee
Kaleidoscope, 2022

Encore une histoire, une dernière…

Par Anne-Marie Mercier

David McKee est mort récemment, mais Elmer vit toujours : on découvre encore des histoires, publiées l’an dernier au Royaume-Uni, qui font revivre le petit éléphant à carreaux bariolés. Si dans les premiers volumes son apparence était à l’origine des récits, le temps et la célébrité ont fait que ce n’est maintenant qu’un argument de vente: l’histoire racontée ici pourrait être celle de n’importe quel éléphant – ou même de n’importe qui.
Elmer doit garder deux éléphanteaux jusqu’au retour de leur mère qui ne reviendra qu’après leur coucher. Elle lui conseille de leur raconter une histoire pour les endormir, « une histoire comme celle du tapis volant ». Elmer a une autre idée : leur faire faire une longue promenade afin qu’ils s’endorment vite.
En chemin ils rencontrent toutes sortes d’animaux accompagnés d’un ou deux petits à qui Elmer raconte son projet, et chacun conseille une histoire : « celle du cookie magique » conseillent les lionceaux, tandis que les petits crocodiles proposent « celle du monstre qui a perdu son ombre », le lapereau celle du nounours invisible », etc. À la fin, Elmer et les deux petits rentrent fatigués… et les petits s’endorment sans histoires (à tous les sens de l’expression).
Album sur les bienfaits de la marche pour faire dormir les enfants ? Pourquoi pas. Mais c’est surtout le charme des dessins et des couleurs et l’invitation aux parents à se saisir des titres pour inventer à leur tour d’autres histoires qui sont intéressants.

Champignons

Champignons
Gaëtan Dorémus
Rouergue,  2022

On serait des petites bêtes…

Par Anne-Marie Mercier

Imaginez que vous êtes un insecte, à quoi allez-vous jouer ?
L’album de Gaëtan Dorémus donne une réponse développée sur tout ce qu’on peut faire avec des champignons : sauter dessus et rebondir (le champignon c’est souple et bombé), s’y mettre à l’ombre (ça ressemble à un parasol), escalader, se cacher, se baigner, danser… tous les plaisirs de l’été s’offrent aux petites bêtes, on les envie.
Et puis on apprend des choses aussi : les champignons peuvent exploser, on peut les manger (mais pas tous !)…

Si le parcours est moins exploratoire que dans les albums précédents, la drôlerie du dessin et la beauté des couleurs de Gaëtan Dorémus sont toujours aussi délicieux.

Pour faire un oiseau

Pour faire un oiseau
Mag McKinlay, Matt Oatley
Traduit (anglais, Australie) par Rose-Marie Vasallo
Kaléidoscope, 2022

Rêve d’ailes

Par Anne-Marie Mercier

Avec ce titre qui évoque le poème de Prévert, on retrouve le mélange entre réel et imaginaire, détails concrets et envol de la pensée.
Ici, c’est à une seule enfant qu’on s’adresse : on lui propose de reconstruire un oiseau à partir de ses parties : les petits os, les plumes, un bec, des griffes en crochet… le résultat est un peu pitoyable mais…
Ouvrir la fenêtre, respirer, souffler, rêver d’espace et la magie opère.

C’est très beau. On a envie d’y croire (mais on n’y croit pas vraiment tant les os, les plumes, l’absence de chair et de cœur et de chant disent la mort de ce qui fut l’oiseau). C’est un bel hommage à un oiseau disparu, et à un oiseau rêvé. Les images sont magnifiques et nous emportent dans les nuages et puis dans le bleu d’une plage immense et déserte.
C’est un beau voyage, et un éloge de l’imaginaire paradoxal, un peu étrange mais saisissant.

Quel bonheur !

Quel bonheur !
François David Jean Mallard
Motus 2021

Le bonheur est dans le pré… cours-y vite !

Par Michel Driol

Ce jour-là, la narratrice éprouve une joie particulière à voir les fleurs des champs vivantes qui lui sourient. Cette nouvelle, il faut qu’elle la dise. Mais son père, sa mère, son frère, sa grand-mère ont trop à faire pour l’écouter. C’est donc au vent, aux éléphants, ou à d’autres animaux qu’elle envisage de la dire… avant de se décider pour un chat qui colportera ce message à tous.

S’opposent ici deux univers et deux arts de vivre. Celui de la narratrice, au sein de la nature, en communion avec les fleurs, les éléments naturels, qui éprouve une sensation de bonheur qu’elle souhaite communiquer au monde entier. De l’autre celui des adultes, trop occupés, l’un avec des montagnes de choses à faire, l’autre avec un texte interminable à traduire dans des langues exotiques, l’autre enfermé dans la musique de son casque, la dernière dans son monde murée dans ses souvenirs et sa surdité.  Monde de l’enfance d’un côté, en résonnance avec toute la beauté du monde, monde adulte de l’autre avec des occupations jugées essentielles, mais qui isolent. Monde de la poésie aussi certainement. Car l’émotion éprouvée par la narratrice au début est de l’ordre de l’épiphanie des auteurs de haïkus. Et cette émotion doit être partagée avec tous… qui ne veulent pas la voir ou l’entendre. Dès lors cette volonté de partage ne peut passer que par l’imaginaire du chat à qui l’on prête les pouvoirs quasi magiques de pouvoir pénétrer l’esprit de tous. Le texte est à la fois plein de poésie, porteur d’un regard émerveillé devant la nature, mais aussi d’un regard plein de traits spirituels pour parler des adultes. Les illustrations, en grandes pleines pages de Jean Mallard, emplies de couleurs tantôt à dominante froide, tantôt très chaudes, s’accordent avec la somptuosité de ce texte à qui elles confèrent comme une dimension surréaliste dans le jeu sur les tailles, les formes, le mélange des éléments terrestre et céleste, comme un ode à l’univers entier. Il nous accompagne ainsi d’un monde du plein jour au monde de la nuit, de son silence, de ses mystères.

Un album plein de douceur et de charme, pour dire l’émerveillement de vant la nature et sa dimension hautement poétique.

Slip

Slip
Axel Cousseau, Janik Coat
Les fourmis rouges, 2021

A l’eau !

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un album original et drôle comme on en voit peu. Le format inhabituel, un grand format proche du carré, et le titre comique l’annonçaient. L’absurde se décline sur une illustration au contraire très posée, un décor stable, celui d’une plage stylisée : sable, mer, arbre exotique ; ce décor explosera ou se renversera parfois, donnant un instant de tournis.
Le tournis viendra aussi de l’accumulation et de l’envahissement d’objets hétéroclites accumulés sur la plage / la page.
Résumons, Slip est le nom d’un kangourou qui a envie d’aller se baigner ; avant de se mettre à l’eau, il cherche quelque chose dans sa poche… et ne le trouve pas mais tout autre chose. Non, ce n’est pas son petit (nommé Slip junior) qui apparaitra entre deux lancers de séries d’objets comme de la crème solaire, des lunettes, une serviette, puis des raquettes, une planche de surf… « Le problème c’est que Slip ne range jamais ses affaires. Dans sa poche on trouve de tout. Des fleurs, une casserole, un balai, une échelle, des bananes… ».
La « chute » est encore plus cocasse, on ne la dira pas : Allez ! tous à l’eau avec Slip, qui donne envie de déballer ses affaires sur la plage.