Le Papillon Voyageur

Le Papillon Voyageur
Susumu Shingu
Gallimard jeunesse, 2012

Quand le documentaire s’épure

Par Dominique Perrin

Un jour, pendant le bref été du Nord…

Œuvre d’un grand sculpteur, peintre à ses commencements, Le papillon voyageur évoque les six mois que dure la vie des papillons monarques. Parfaite épure documentaire, l’album réalise un équilibre rarement atteint, mais aussi rarement visé entre la transmission d’informations puissamment signifiantes sur le monde qui nous entoure et le pouvoir d’évocation dynamique de la double page illustrative à l’italienne. Si le thème visuel de la métamorphose et l’immense sobriété du texte rappellent les œuvres pionnières de Iela et Enzo Mari, l’intensité propre à l’enquête documentaire nue, dédiée sans médiation fictionnelle ni jeux de langage au mystère du vivant, apparaît ici indépassable. Ce livre, comme la pensée qui l’irrigue, est de toute beauté.

 

20 poèmes au nez pointu

20 poèmes au nez pointu
Davis Dumortier, Anne-Lise Boutin
Sarbacane, 2012

Géo-métrique

Par Anne-Marie Mercier

Si on a un « côté » comique, comment sont les autres ? Quand on dit « ça ne peut pas faire de mal », en est-on bien certain ? Si on est « très attaché » à quelque chose, comment s’en débarrasser ? Quand on a un « trait » de caractère, pourquoi pas deux ?

David Dumortier traque les formules toutes faites, les banalités, pour les renverser et les faire jouer en poèmes courts et apparemment tout simples. Les illustrations les prennent au pied de la lettre font un joli pied de nez à la réalité.

De quelle couleur est le vent ?

De quelle couleur est le vent ?
Anne Herbauts
Casterman, 2011

 aux aveugles

par Anne-Marie Mercier

A cette question posée par un enfant aveugle, « De quelle couleur est le vent ? », Anne Herbauts répond en couleurs, en touchers et en poésie ; l’enfant de l’album part en quête d’une réponse et interroge un vieux chien, la montagne, le village, une fenêtre, une pomme… chacun réponde à partir de son point de vue : couleur du temps, du soleil, sève et grenadine… (on pense au dispositif de la grande question de Wolf Erbruch)

Les illustrations très colorées mêlent les techniques (papiers et tissus découpés, dessin, peinture… ) et offrent de discrets effets tactiles, du rugueux au lisse, vernis et embossages proposent tout un parcours de sensation.

Anne Herbauts a recueilli pour ce livre les conseils des Doigts qui rêvent (maison d’édition spécialisée dans les albums tactiles pour enfants mal voyants) et a bénéficié d’une bourse de l’association « les Enfants de Sylvie ».

Dragons de poussière

Dragons de poussière
Thierry Dedieu
Hongfei Cultures, 2012

Peint sur la terre et dans le ciel

par Anne-Marie Mercier

Thierry Dedieu renoue ici avec l’exploit accompli dans le Maître des estampes (Seuil, 2010), en le portant à un degré encore supérieur : les noirs des encres sont superbes et mis en valeur par les petits personnages colorés qui apparaissent encore plus insignifiants face à elles. La fable est belle et poétique ; elle appelle les artistes à la modestie par son esprit de renoncement et de réflexion sur l’art et l’éphémère. Des textes en forme de Haikus célèbrent les esprits des saisons. Tout cela est très « zen ».

Mais les dragons, fussent-ils de poussière, sont bien là pour attester de la grandeur de l’artiste : qui s’abaisse est relevé. Chapeau l’artiste !

Comme on respire

Comme on respire
Jeanne Benameur
Thierry Magnier, 2011

Sidération, obstination

Par Anne-Marie Mercier

« Vous, moi, nous sommes chacun à notre poste. Nous veillons.
En chacun de nous veille l’enfant à la langue tue »

Ecrit pour « Un livre, une rose », opération qui fête la San Jordi et la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur de l’Unesco, ce livre-poème fait l’éloge de l’écriture mais de plus que cela. Penchée sur des dessins d’enfants marqués par la guerre, Jeanne Benameur écrit la souffrance de l’innocence et surtout de celle de ceux qui sont sans mots. Elle dit ce que peut l’écriture, à la fois rien et tout, face au malheur et à la cruauté des hommes, ce qu’elle peut pour les autres et pour elle-même.

La fonction de l’écriture : veiller, éclairer, consoler, savoir, refuser, continuer : écrire comme on respire, mais pas sans espoirs ni inquiétudes.

Au creux des îles

Au creux des îles
Chantal Couliou, Evelyne Bouvier
Soc et Foc, 2012

Au creux des temps

Par Dominique Perrin

La rumeur de la nuit,
l’océan sans limite
qui s’effondrent sur le sable épars.
La vie passe
tel l’effleurement du temps
soutenu par un vent épuisé. 

De Brest – ses oiseaux, ses grues, ses arbres, ses pluies – à « l’île » – ses arbres, ses fondrières, ses vents, ses sels – Au creux des îles tend des filins entre autobiographie d’inspiration existentialiste et géopoétique d’inspiration guillevicienne, en vis à vis d’une peinture concise, où chaque touche de pinceau engendre une vision. Si l’ambition de saisir le spectacle du monde par les voies d’un langage anthropomorphisant paraît le plus fécondement aboutie dans les poèmes consacrés résolument à « l’île », l’entêtement de chacun à dénuder son propre paysage verbal appelle l’admiration.

La terre est rouge

La terre est rouge
Philippe Latger, Robert Sanyas
Soc & Foc, 2012

Singulier sensible

Par Dominique Perrin

 « Ici la terre est rouge.
Le sang s’est répandu en granules de terre pour nourrir la vigne.
Elle pousse dans ma gorge.
C’est ici que je suis né. »

Poète du quotidien jonglant entre l’instant, le jour et les années inembrassables, Philippe Latger fait d’un lieu fondamental – le perpignanais, rendu par lui humable et palpable –, la source d’un rapport au monde d’une acuité et d’une ouverture souvent saisissantes. L’ancrage très évident de cette poésie dans notre aujourd’hui semble à la mesure de son insertion dans une tradition lyrique très longue, à la fois populaire et savante, égotiste et intimement tournée vers ce qui n’est pas lui. Les éditions Soc & Foc offrent ici une rencontre avec un fil de ferriste de la sensation faite verbe ; la présentation écrite de cette parole si bien faite pour la profération trouve dans l’œuvre de Robert Sanyas un répondant sensible à sa mesure – en direction d’un public nettement tourné vers l’âge adulte.

Comme ci ou comme ça

Comme ci ou comme ça           
Anne Terral, Bruno Gibert

Syros, 2011

La Poursuite infinie

par Charlène Minot master MESFC Saint-Étienne

Comme ci ou comme ça, par ici ou par là, celui-ci ou celui-là…autant de suggestions qui tissent la trame d’une formidable histoire sans fin, celle de cet album, celle de la vie.

Dès les premières pages, on constate que l’écriture inspirée d’Anne Terral est instantanément transcendée par l’imagerie extraordinaire de Bruno Gibert. Le lecteur dérive au fil des illustrations qui s’enchaînent, des lieux qui se suivent et se poursuivent, des scènes qui se devancent et se distancent comme pour signifier que ces images n’en feraient qu’une, en perpétuel état de création cyclique, à l’instar de la ronde des personnages en couverture. Nos yeux sont alors attirés par les rectangles blancs qui soutiennent cet art, espaces vierges sur lesquels flottent des mots étranges, presque philosophiques et, en bien des sens, poétiques.

Le sens de l’histoire, au propre comme au figuré, est le sujet-même de cet album, c’est pourquoi il est difficile de désigner un personnage principal. Peut-être est-ce ce grand félin rouge humanoïde, possible allégorie de l’écrivain qui poursuit un livre aux pages blanches qui lui échappe dans un dédale imaginatif. Peut-être s’agit-il justement de ce livre dont le relief n’égale que le vide de ses pages, si ce n’est nous, lecteur. À ce propos, le texte, plutôt adapté aux enfants dès 6 ans, a pris la liberté de tutoyer son lecteur. « Ton histoire », lirons-nous à plusieurs reprises, « Car ton histoire comme ci, toi seul l’écrit comme ça. ». Il est possible d’interpréter ce choix narratif de proximité comme une invitation pour le lecteur à laisser libre cours à son imaginaire, à s’auto-contextualiser par choix et non par nécessité existentielle.

Les illustrations retranscrivent cet état d’esprit, cette idée de multiples univers et de possibles narratifs. Dans un style pseudo-naïf, elles parviennent habillement à combiner de méticuleux collages un brin rétros, des aplats de couleurs bruts, des tampons en série et une panoplie de créatures fantastiques allant du poisson géant au super héros en passant par une sorcière ou encore un gentleman lunaire qui ravira les amateurs de surréalisme. Nous sommes encouragés à suivre ce parcours ludique, cette folle course en avant qui met en perspective une voie mais nous laisse le choix du moyen de transport et de la destination.

Poésie dans l’air et dans l’eau

Poésie dans l’air et dans l’eau
Kochka et Julia Wauters

Flammarion (Père Castor), 2011

Par Justine Vincenot (Master MESFC Lyon1)

Ce merveilleux recueil de poèmes entraîne le lecteur dans un voyage entre ciel et terre. Les rimes semblent portées tantôt par les vagues, tantôt par les nuages. Kochka s’amuse des « R » et des « O », les mêle, les brouille, les sépare et les transforme en petits textes poétiques teintés d’humour.

Des notes asiatiques parfument ce recueil : les poésies très courtes, en éloge à la nature, rappellent les haïku japonais, tandis que les illustrations ont un air d’estampe.

Néanmoins, le minimalisme asiatique est contrasté par la fraîcheur des illustrations. Julia Wauters offre un tableau coloré à chaque texte. En effet, les couleurs pétillantes choisies par l’illustratrice attrapent le lecteur. Si les poésies laissent une large place à l’imagination, les illustrations les complètent, sans les enfermer mais plutôt en offrant un point de départ à la rêverie : un subtil équilibre du texte et de l’image.

Un ouvrage idéal avant de s’endormir, accessible dès le plus jeune âge !

Les enfants en poésie

Les enfants en poésie
Ruta Sepetys

Gallimard jeunesse, 2012

Par Maryse Vuillermet

 L’illustration de couverture  a changé mais le reste non. On ne sait pas d’ailleurs qui illustre quoi puisque les illustrateurs sont mentionnés tous ensemble à la fin.

Quant aux poèmes, on aimerait bien un peu de renouvellement. Que c’est peu audacieux et surtout peu contemporain ! Et peu destiné à des enfants d’aujourd’hui à part les textes de Georges Jean.  Bien-sûr, certains poèmes sont éternels mais pourquoi ne pas  donner la parole à la poésie d’aujourd’hui aux côtés des poèmes d’hier. La poésie ne s’est pas arrêtée dans les années 70.