La Piste cruelle

La Piste cruelle
Jean-François Chabas
L’école des loisirs, 2014

Sans les Indiens

Par Anne-Marie Mercier

la-piste-cruelleChaque livre de Jean-François Chabas est une surprise. Celui-ci l’est en partie par sa narration et en partie par sa fin ou plutôt son absence de « fin ».

Le récit débute in medias res : un grand oiseau se pose près de trois enfants qui marchent seuls dans le désert ; l’aîné, le narrateur, essaie de le tuer avec le revolver que son père lui a laissé et échoue. Affamés, assoiffés, perdus depuis que leurs parents ont disparu, les trois enfants, deux garçons et une fille (entre 11 et 8 ans) tentent de suive la direction qui doit les mener à San Francisco, par un chemin peu fréquenté.

Les circonstances qui les ont amenés là, en 1879, depuis leur pays de Calabre, les choix quant à l’itinéraire, l’achat des armes, les projets, les rencontres, accompagnés de leurs parents puis sans eux, la folie de la mère, tout cela est rapporté petit à petit. Quelques scènes inquiétantes comme la rencontre d’une horde d’animaux enragés et celle d’indiens immobiles et muets en font un récit d’aventures.

Mais ce sont surtout les personnages des enfants qui sont intéressants : l’aîné sérieux, voulant garder son autorité mais doutant de lui et de ses décisions, le second en révolte, la troisième dans une posture proche de celle de la mère, tantôt folle de peur, tantôt aidante. Enfin, le sauveur, Salomon Weismann, juif austro-hongrois cherchant une vie libre est une belle personne, simple et généreuse, un beau portait d’homme.

 

Entre les lignes

Entre les lignes
Emmanuel Bourdier
Folio junior 2016 (Première édition Thierry Magnier 2005)

Un village français

Par Michel Driol

entre1943, un village en zone libre, à proximité de la ligne de démarcation, où vivent Augustin – 11 ans –  et sa jeune sœur, leur mère et le grand père depuis la mort du père.  Un mystérieux résistant ridiculise les Allemands, en signant sas actes de vers tirés de Cyrano de Bergerac. Est-ce l’instituteur ? ou le marchand de peaux de lapins ? Qu’est-ce que quitter l’enfance entre des colonnes des troupes allemandes qui écrasent une poupée et les billes qu’on veut acheter près de la Kommandantur ?

Sur un sujet maintes fois traité, Emmanuel Bourdier signe là un beau roman, une galerie de personnages complexes – le marchand de peaux de lapin – et attachants – la mère, le grand père –  dans une France rurale et occupée. Entre les lignes, c’est entre l’enfance et l’âge adulte, entre la collaboration et la résistance, entre la réalité et le théâtre, la façon dont se construisent un destin, une personnalité, dans le souvenir et la fidélité aux valeurs et aux rencontres passées. On apprécie que rien de trop ne soit dit dans ce roman, écrit dans une langue épurée, avec une grande légèreté de ton. On apprécie qu’il soit laissé au lecteur le soin de faire le lien entre le prologue – 1973 – et le reste du roman. On apprécie aussi que tout soit vu et raconté du point de vue d’Augustin, à hauteur d’enfant, sans jugement adulte sur les actes, avec la bravoure inconsciente et la naïveté profonde de l’enfance.

Un roman d’initiation plein d’humanité, de tendresse et d’humour aussi, qui aidera à comprendre comment certaines rencontres peuvent décider d’un destin,  et comment résister à l’oppression.

La dernière reine d’Ayiti

 La dernière reine d’Ayiti
Elise Fontenaille
Rouergue doado, 2016

 

 

 Un génocide raconté aux jeunes

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

la dernière reine d'Ayiti Image Elise Fontenaille aime croiser l’Histoire et l’ethnologie, révéler des génocides et, en même temps, faire revivre la culture perdue d’un peuple. Elle l’a fait pour les indiens Haidas dans La cérémonie d’hiver ( Rouergue 2010) pour les Héréros dans Eben ou le yeux de la nuit ( Rouergue 2015).

Dans ce récit, elle nous raconte la disparition,  en une seule génération d’un million de Taïnos, le peuple d’Ayiti, actuelle Saint-Domingue et Haïti.

Par la voix de Guaracuya, âgé de quize ans, neveu de la reine Anacoana, on assiste à la vie pacifique et féconde de ce peuple sur une ile paradisiaque. Ils étaient riches d’or, de nourriture mais surtout d’une très belle culture faite de croyances religieuses, mythologiques et de connaissances approfondies de la faune et de la flore.

Mais,  un jour,  arrivent trois bateaux, ceux de Christophe Colomb en 1492.

Toutes ces richesses sont convoitées par les Blancs, qui reviennent en nombre et asservissent les autochtones pour les obliger à travailler et ramener de l’or, violent les femmes ou tuent les récalcitrants et le pis,  c’est que tout cela se fait au nom de leur Dieu catholique.

Le récit n’est pas que d’horreur car la grande sagesse de ce peuple est d’avoir compris qu’il fallait transmette toutes sec connaissances avant de disparaitre et s‘allier avec les esclave noirs fugitifs qui se sont réfugies avec eux dans les montagnes. Ils sont su aussi créer une nouvelle religion à partir de trois religions, la leur,  celle des Africains et celle des conquistadors.

C’est un très beau récit initiatique, et instructif sur les Caraïbes, qui, malgré les horreurs décrites, sait conserver un espoir chez les jeunes lecteurs.

Nous voulons tous le paradis – Le Procès

Nous voulons tous le paradis –  Le Procès
Els Beerten
La Joie de lire encrage 2016

Le chagrin des Belges

Par Michel Driol

nous1947 : Ward, jeune flamand  qui s’est engagé dans la SS, pour lutter contre les Russes, décide de rentrer en Flandre pour se constituer prisonnier. Il sait qu’il risque la peine de mort pour avoir été du côté des nazis. En prison, il apprend qu’on l’accuse en fait surtout d’avoir tué Théo, un membre de la résistance, avec lequel il entretenait pourtant des liens de sympathie. Le procès qui va avoir lieu pourra-t-il faire éclater une vérité dérangeante, et que personne, ni le vrai coupable, ni Ward, ne veulent révéler ?

On peut lire le tome 2 sans avoir lu le premier, mais, disons le tout de suite, cela donne envie de lire le tome 1. Voici un roman polyphonique choral ambitieux. Sans doute au début on a un peu de mal à saisir qui parle dans ces multiples narrations en « je » qui fragmentent la réalité, en donnent des échos et des points de vue forcément partiels. Entre la voix de Ward, qui raconte la guerre, le front russe, celle de Renée son ancienne fiancée, celle de Rémi, le petit frère qui ne comprend pas tout à ce monde d’adultes et de nombreuses autres voix, la vérité a bien du mal à se faire jour. Le lecteur y comprend la manipulation par les nationalistes pro-nazis du VNV, le clergé, qui font de Ward et de son idéalisme une victime plus qu’un bourreau, attaché à un sens de l’honneur qu’on lui a inculqué, et à un désir de protection des autres, de ses amis, au-delà des clivages que la guerre a produits. Où est le bien ? Où est le mal ? La force de ce roman est de montrer des personnages déboussolés dans un monde qui a perdu ses valeurs et ses repères. Seule la musique les relie peut-être, comme un ténu trait d’union, à l’image de la fanfare dans laquelle tous ont joué. Mais là aussi les choses sont fragiles : le local de répétition brûle. L’épilogue, en 1967, scelle dans un cimetière  le destin de ces personnages attachants, courageux, lâches, victimes, bourreaux… humains finalement.  Si tous ont voulu et cherché le paradis, qu’ont-ils trouvé ?

Un beau roman pessimiste qui s’adresse à la fois aux adolescent-e-s ayant quelques connaissances de l’histoire de la seconde guerre mondiale  et aux adultes. Mais, au-delà , un roman très contemporain et actuel qui invite à s’interroger sur le libre arbitre, les choix individuels et le poids des idéologies.

 

Le Merveilleux

Le Merveilleux
Jean-François Chabas
(Les Grandes Personnes), 2014

Merveilleux/fantastique/étrange…

Par Anne-Marie Mercier

le merveilleuxLe « Merveilleux » de cette histoire, c’est un objet bien « réel » si on peut dire cela d’un objet romanesque ; c’est le nom que son découvreur à donné à une pierre précieuse, un saphir, minerai de la famille des corindons : «  espèce minérale composée d’alumine anhydre cristallisé, de formule Al2O3 et aussi parfois noté α-Al2O3 avec des traces de fer, de titane, de chrome, de manganèse, de nickel, de vanadium et de silicium ». Les corindons sont presque aussi durs que le diamant et sont donc d’excellents outils d’aiguisage des métaux.

C’est cette perspective qui irrigue les premières pages du roman : dans les montagnes du Cachemire indien, un vieux forgeron part, sans attendre la fonte totale des neiges, à la recherche de nouveaux outils. Il trouve une pierre énorme et revient à sa forge en risquant sa vie à plusieurs reprises, ne sachant pas si ces dangers sont un signe de malédiction ou si le fait qu’il en réchappe de justesse soit un signe de bénédiction. Ces premières pages sont belles, mêlant la vie du vieil homme (travaux, société, deuils, religion…) avec son parcours dans un décor naturel sauvage jusqu’à la découverte de la pierre, inquiétante et « merveilleuse » qui semble le fasciner de manière diabolique. C’est un homme droit : dans sa vie, « il n’y avait que des devoirs et chaque droit avait un prix ». Le restera-t-il ?

La suite du récit est moins poétique, plus aventureuse, et plus subjective : la pierre change de main, et chaque nouveau propriétaire prend la parole à son tour, ou capte un point de vue, un peu comme dans le film d’Ophüls, La Ronde, tiré de la pièce d’A. Schnitzler. Le second a une place importante, à travers un récit par lettres dans lequel il raconte son voyage en Inde, les circonstances dans lesquelles il a trouvé la pierre, puis son retour, riche, en Angleterre. Bizarrement, sa personnalité, ou du moins ce qu’il exprime dans ces lettres (on ne saisit pas bien pourquoi : son correspondant est son meilleur et seul ami), se modifie : il passe du langage de l’abruti parfait et sûr de la supériorité des occidentaux à des interrogations, puis à une réflexion plus nuancée qui aboutit à la décision de vendre la pierre à un prix moyen pour repartir vivre en Inde. Le « merveilleux » serait-il ce qui nous change, une force (celle du récit de fiction pour enfant, « positif » ?), qui permet à chacun de devenir autre, d’être muri en profondeur par des rencontres et des épreuves ?

Pour les personnages suivants, cette force joue dans un sens inverse en exacerbant leurs défauts, les poussant à l’humiliation, au meurtre, au vol, ou conduisant les plus purs à la faute. La pierre semble provoquer la mort dans des circonstances violentes (même pour un brochet qui avait déjoué toutes les ruses des pêcheurs : il se fait prendre après avoir avalé la pierre).

La fascination du bleu pur, le désir de richesse ou de pouvoir, tout cela se mêle dans une diabolique « ronde » dont on n’a pas la fin, à moins de considérer comme telle celle du forgeron qui clôt ce livre. On ne sait à quel point ce récit est bancal délibérément ; il laisse néanmoins une impression de radicale étrangeté et joue avec les catégories avec brio.

Sissi, Journal d’Élisabeth,

Sissi, Journal d’Élisabeth, future impératrice d’Autriche, 1853-1855
Catherine de Lasa
Gallimard (« Folio junior », « Mon histoire »), 2015

Sissi : un culte toujours actif ?

Par Anne-Marie Mercier

sissi 2Le roman de Catherine de Lasa est léger pour de multiples raisons : les soucis de la narratrice sont d’un tout autre ordre que ceux de l’héroïne de Yaël Hassan (voir chronique précédente) et rejoignent les thématiques fréquentes du roman pour adolescentes (préoccupations du paraître, de la place à tenir dans la société, des sentiments, du mariage, des contraintes de l’éducation…).

L’histoire qu’elle développe est bien connue et colle en partie au souvenir qu’on peut avoir du film de 1955 ou Romy Schneider incarnait la future princesse, film qui a pérennisé la fortune de cette histoire si célèbre en son temps (on apprend dans le dossier que c’est Sissi qui lança la mode de la robe blanche, à son sissi 1mariage).

Mais il y a quelques décalages entre le livre et le film, notamment sur le moment et les circonstances de la rencontre avec François Joseph, futur mari de sa sœur. Tout cela n’innocente pas autant l’héroïne, même si la question est traitée avec une certaine discrétion : on ne critique pas une idole (et il faut des héros « positifs » – dit-on !). Enfin, la présence des nationalisme (notamment hongrois) est traitée de manière intéressante et vivante – et on apprend que si on veut être princesse il faut non seulement apprendre à danser mais aussi savoir parler quelques langues étrangères : bonne motivation pour les collégiennes (et les collégiens?).

 

J’ai fui l’Allemagne nazie. Journal d’Ilse, 1938-1939

J’ai fui l’Allemagne nazie. Journal d’Ilse, 1938-1939
Yaël Hassan
Gallimard (« Folio junior », « Mon histoire »), 2015

Sissi, Journal d’Élisabeth, future impératrice d’Autriche, 1853-1855
Catherine de Lasa
Gallimard (« Folio junior », « Mon histoire »), 2015

Grande Histoire et petits histoires d’adolescentes 

Par Anne-Marie Mercier

La collection « mon histoire » de folio junior se refait une jeunesse (notons que les nouvelles maquettes n’apparaissent pas encore dans le catalogue sur le site de cet éditeur :

Ces deux rééditions montrent en partie les deux voies que suit cette collection. Le principe général est de raconter la grande histoire à travers la petite, grâce au témoignage d’un personnage enfant ou adolescent (j’avais beaucoup apprécié l’histoire de l’apprenti de Gutenberg). Parfois le personnage (féminin, ce qui donne un point de vue de coulisse) est proche des sphères du pouvoir, dans d’autres cas (on y trouve davantage de garçons) il est en situation précaire et lutte pour sa survie. Catherine de Lasa (voir chronique suivante) s’est fait une spécialité de la première, Isabelle Duquesnoy également pour certaines de ses œuvres. Yaël Hassan explore plutôt la deuxième voie.

Le Journal d’Ilse est un beau roman, intéressant (une histoire ahurissante et peu connue, celle du bateau Le Saint-Louis qui transportait des juifs allemands vers Cuba entre 1938 et 1939, destination qu’il s n’atteindront pas. Mais le récit commence bien avant, lors de la « Nuit de cristaljournal ilse ». L’auteure prend donc soin de justifier la tenue de cet écrit particulier : Ilse écrit pour conjurer la peur qui s’est installée dans sa famille. Elle donne à son récit un rythme irrégulier, ponctué de temps forts, de moments d’abattement, de retour sur soi, ou de long silences dont on apprend un peu plus tard la raison. Les émotions d’Isle, ses espoirs et ses déceptions, ses rencontres qui développent des histoires qui auraient pu être d’amour en d’autres temps ou d’amitiés trahies ou fidèles permettent d’incarner bellement le récit historique et faire saisir de l’intérieur ce qu’on peut éprouver quand notre communauté est mis au ban de l’humanité.

Le Dernier Chant

Le Dernier Chant
Eva Wiseman
L’école des loisirs, 2015

Petite leçon d’histoire en noir et blanc

Par Anne-Marie Mercier

Le Dernier ChantEn 1491, les Rois catholiques Isabel et Fernando, après avoir reconquis leur royaume contre les Maures, chassent les juifs d’Espagne. Les parents de l’héroïne du roman, Isabel, sont juifs et pratiquent en secret leur religion. Pour la protéger, ils le lui ont caché, l’ont élevée comme une catholique et l’ont fiancée à un jeune homme de la bonne société qu’elle exècre. Le roman oscille ainsi entre la veine historique, relatant les menées de l’inquisition et la montée du danger, le roman sentimental, Isabel tombant amoureuse d’un jeune orfèvre juif, et l’initiation religieuse.

Beaucoup de manichéisme dans tout cela, même si les événements sont dramatiques : un peu plus de nuances n’auraient sans doute pas fait de mal. Mais l’atmosphère de Cordoue à cette époque, le mélange culturel, la vie du ghetto, et l’équilibre brutalement rompu par l’obsession des souverains pour la « limpieza de sangre », le « sang pur » des vrais catholiques, est une leçon utile pour notre temps qui perd parfois la mémoire.

Ramulf

Ramulf
Thomas Lavachery
L’école des loisirs (medium), 2015

Rois fainéants, héros entreprenants

Par Anne-Marie Mercier

Après sRamulfa série fantastico-nordique autour du personnage de Bjorn, qui l’a occupé pendant six beaux volumes, Thomas Lavachery propose un roman en un seul bloc, mais si dense et si riche qu’il en vaut bien trois à lui tout seul. Son personnage est à nouveau un jeune garçon fragile qui parvient à s’affirmer dans une société rude dominée par les épreuves et la violence. Mais ici, on se situe dans une société proche de la civilisation mérovingienne, sous Lothaire VI précisément (donc quelques générations après Charlemagne…). Moines, érudits, soldats, paysans, artisans et sorciers se partagent le terrain, tantôt sages, tantôt fous, féroces ou doux, mais chacun fait une apparition intéressante et vivante ; les personnages « secondaires » font une grande partie du charme du livre, comme d’ailleurs les apparitions d’animaux (notamment le fil d’intrigue conduit par un chien extraordinaire).

Pris pour un demeuré, frère d’un érudit, Ramulf à cause d’une bévue doit s’enfuir et c’est ainsi qu’il vit des aventures et accède à une gloire inattendue. Le roman suit un rythme extrêmement varié, tantôt en quasi pause pendant que le personnage se ressource et médite dans les bois, tantôt en accéléré, lorsqu’il devient un peu malgré lui homme de guerre et revient prendre sa revanche. C’est une belle rêverie romanesque dans laquelle tout est possible (même l’amour, mais non l’évitement de la mort d’êtres aimés) à condition de le vouloir assez fort.

L’Homme qui dessine

L’Homme qui dessine
Benoît Séverac
Syros, 2014

Crimes en série chez sapiens sapiens

Par Matthieu Freyheit

lhommequidessineMounj est un homme-qui-dessine : il a été missionné par sa tribu (les hommes de Neandertal) pour courir le monde, l’explorer, l’appréhender, et le rapporter sous forme de récits, mais aussi de dessins rudimentaires tracés sur des écorces de bouleau. Et, peut-être aussi, pour trouver une femme de son espèce : car les hommes de Neandertal, dits hommes-droits, s’éteignent peu à peu, victimes d’un mal que personne n’est capable de définir.

Au cours de son voyage, Mounj est fait prisonnier par une tribu d’Hommes-qui-savent, autrement dits sapiens-sapiens, qui l’accusent d’avoir assassiné plusieurs membres de leur clan. Mounj organise sa défense, et offre de découvrir le véritable meurtrier, dans un délai que lui octroie le chef.

L’enquête, cependant, n’est qu’un prétexte, qu’un support. Le roman de Benoît Séverac est d’abord celui de la rencontre. Entre deux peuples aux coutumes et connaissances différentes. Mais surtout entre un peuple amené à survivre (nous), et l’un voué à la disparition. L’espoir de la survie et le sentiment de l’inéluctable se répondent, et s’éclipsent parfois pour jouir de cet étonnant moment, symptomatique d’une « inquiétante étrangeté ». Car si le récit semble simple et limpide, notamment sous l’effet d’une économie de style (l’auteur échappe aux clichés à la fois du bon sauvage et du barbare préhistorique, mais aussi à nombre d’images éculées), il n’est pas sans faire écho à certaines problématiques brûlantes : fantasme conspirationniste du « grand remplacement », réflexions sur le dépassement de l’humain par le posthumain, angoisses d’extinction et scénarios catastrophes, etc. L’auteur rappelle avec finesse que nos peurs de disparition ne datent pas d’aujourd’hui, que le coupable est toujours tout trouvé, que de la rencontre naissent autant de craintes que de possibles renouveaux, et, certainement, son lot d’incompréhensions.

En outre, précisions que le roman a le mérite de ne pas chercher, comme beaucoup d’écrits liés à la préhistoire, une portée documentaire superficielle : le récit prime, et Benoît Séverac est avant tout un bon romancier.