Ma vie sans mes parents

Ma vie sans mes parents
Myriam Gallot
Syros, 2016 (Tempo)

Un roman sobre et brillant

Par Caroline Scandale

Afficher l'image d'origine Éléonore découvre un petit chat sur son balcon. Il appartient à son voisin de palier, un vieux monsieur très seul, prénommé Aimée. Dès lors se tisse un beau lien d’amitié, entre l’homme âgé et la jeune fille. Sa solitude rencontre celle d’Éléonore, dont les parents sont boulangers et travaillent énormément.

La vie suit son cours et la mort survient. Passée la tristesse, l’existence reprend du sens, surtout lorsque l’on est une jeune ado de 12 ans, bien entourée, épanouie et prête à croquer la vie.

Les valeurs de l’amitié, de la rencontre et des plaisirs simples sont mises en avant. L’héroïne et tous les protagonistes du roman ont des préoccupations saines et une vie normale, qui fait écho à celle des adolescents.

Le sujet est profond mais il est traité si délicatement que le roman n’est jamais triste longtemps. Il propose, au contraire, une vision optimiste de l’adolescence. De sa plume délicieusement littéraire, Myriam Gallot signe un récit ultra délicat sur l’importance du lien intergénérationnel et du lien entre l’homme et l’animal, deux thèmes qui lui tiennent à cœur.

 

Un Eté à Montréal

Un Eté à Montréal
Marie-Louise Gay et David Homel
Traduit (anglais) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
L’école des loisirs (neuf), 2014

L’aventure à deux pas

Par Anne-Marie Mercier

Un Eté à MontréalLe titre est un peu trompeur pour des lecteurs français : il s’agit d’un été où l’on reste chez soi tout en étant à Montréal car le narrateur et son infernal petit frère vivent dans cette ville. Mais l’aventure est bien là, au coin de la rue ou même dans le jardin (où l’on dort sous la tente), à travers les rencontres, les catastrophes naturelles (une énorme inondation, sauvetage par les pompiers, etc. ).

Chaque épisode forme une courte histoire, c’est parfait pour endormir les kids, après les avoir convaincus qu’il n’est pas besoin d’aller loin pour vivre des choses formidables.

Dysfonctionnelle

Dysfonctionnelle
Axl Cendres
Sarbacane (Exprim’), 2015

« Même avec une chose qu’on croit perdue, on peut faire quelque chose de merveilleux »

Par Caroline Scandale

dysfonctionnelle axl cendres sarbacane

Le secteur littéraire pour grands adolescents explose actuellement. Ces œuvres ont un goût de liberté en adéquation avec l’esprit de la jeunesse, insaisissable et peu fidèle. Dysfonctionnelle et la collection Exprim’ incarnent la quintessence de ce secteur aux frontières incertaines.

Ce roman raconte l’histoire de Fidèle, alias Fifi, alias Bouboule, qui grandit dans une famille dysfonctionnelle… Foutraque quoi! Bancale, atypique, défaillante, non conventionnelle… Une jolie smala infiniment aimable. Dans cette famille, Fidèle dénote avec son QI hors norme et sa mémoire photographique exceptionnelle. Cela la propulse d’ailleurs dans un lycée parisien prestigieux où elle rencontre l’amour en la personne de Sarah.

Premier dysfonctionnement, son père enchaîne les allers-retours en prison. Deuxième dysfonctionnement, sa mère alterne les séjours en H. P. et ceux à la maison.

Fidèle grandit auprès de sa grand-mère kabyle, l’adorable Zaza, ses sœurs Dalida, Maryline et Alyson ainsi que ses frères, JR, Grégo et Jésus. Cette fratrie est constituée d’êtres tous plus différents les uns que les autres. Ils vivent à Belleville, au dessus du bar Le bout du monde, tenu par leur père et son frère. Sa vie est calée sur celle du bar et les soirées-match, en compagnie des habitués.

La mère de Fifi, qui a survécu à l’enfer des camps de concentration, vit dans sa chambre, protégée du monde. Elle se cultive avec sa fille brillante, qui lui fait découvrir l’Art grâce à des reproductions de tableaux en cartes postales. Plus tard, elle lui fait même découvrir Nietzsche…

L’histoire n’est pas écrite de façon chronologique. La narration est celle d’une adulte de trente ans qui se souvient mais la chronologie de ses souvenirs est déstructurée jusqu’à ce qu’elle aborde ses années-lycée.

Le contraste entre l’histoire loufoque, les sujets graves et le traitement optimiste est plaisant. Les personnages sont très attachants.

Un basculement dans le récit nous fait passer du rire aux larmes (de crocodile!) dans les cinquante dernières pages… Soudain plusieurs évènements nous rappellent que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. La trentaine apporte à Fifi, son lot de peines, de questionnements, de pertes, de doutes. Il est temps de faire le choix le plus important d’une vie. L’amour est un bon guide.

A la dernière page, on retrouve une Fifi apaisée qui déguste, comme dans son enfance, du pain perdu. Elle songe que « même avec une chose qu’on croit perdue, on peut faire quelque chose de merveilleux« . Cette phrase, qui est la devise positive de l’héroïne, clôt joliment le récit. Elle confirme, au lecteur ému, l’évidente beauté de ce roman.

Le Retour de Cherokee Brown

Le Retour de Cherokee Brown
Siobhan Curham
Flammarion (tribal), 2013

« Alors comme ça vous voulez écrire un roman ? »

Par Anne-Marie Mercier

Le Retour de Cherokee BrownA presque 15 ans, quand on s’appelle Claire Weeks, qu’on est incomprise par sa famille, qu’on n’a jamais connu son père biologique, qu’on boite, qu’on est devenue le souffre douleur de sa classe depuis le départ de la seule amie qu’on a jamais eue, qu’espérer de la vie ?

Une solution : le changement de nom : on découvre qu’on s’appelle Cherokee Brown, que le père qui a lâchement abandonné femme et enfant ne demandait qu’à se racheter et qu’en plus c’est un musicien de rock talentueux mais désargenté et que son meilleur ami a 18 ans et les yeux verts. La littérature de jeunesse n’en finit pas de réinventer de nouveaux contes de fées et de flatter le vieux rêve de l’enfant trouvé : mes parents ne sont pas mes vrais parents, les vrais sont bien mieux, etc. Ajoutons : tout le monde est méchant avec moi (on a du mal à croire au harcèlement dont elle est victime au lycée, au vu et au su de tous les élèves et de professeurs muets).

Pourquoi ce roman ne m’est-il pas tombé des mains ? Eh bien parce qu’il m’a fait rire, mais je ne sais pas si des adolescents le liront au second degré. Le charme de ce roman est dans sa maladresse même : il est écrit à la première personne au jour le jour par Claire, avant de devenir Cherokee, lorsqu’elle décide d’écrire après avoir trouvé un livre d’occasion intitulé « Alors comme ça vous voulez écrire un roman ? » d’Agatha Dashwood. On devine derrière cette écrivaine un peu ringarde les noms d’Agatha Christie et de Jane Eyre (Marianne Dashwood est l’une des héroïnes de Raison et sentiments, son premier roman). Les « extraits » de son œuvre placés en tête de chaque chapitre sont d’une naïveté comique, par exemple, avant un chapitre qui se passe à Montmartre – Claire vit à Londres et son merveilleux père l’emmène à Paris : « Le lieu de l’histoire est essentiel pour créer l’atmosphère. Pourquoi situer une scène d’amour dans une décharge publique de Grimsby quand vous pouvez l’avoir dans le paysage romanesque des Cotswolds ? ». Montmartre, c’est tellement romantique !

Certes, chère Agatha. En attendant, Claire a réalisé son envie d’écrire et est ainsi devenue Cherokee, démontrant qu’écrire peut servir à se reconstruire. On espère que les lecteurs comprendront bien qu’en dehors de ce message, tout le reste, y compris Claire et surtout Cherokee, est « pure » fiction.

Origami Yoda, t. 3 : Le Secret de la cocotte Wookie

Origami Yoda, t. 3 : Le Secret de la cocotte Wookie
Tom Angleberger
Traduit (Anglais, USA) par Nathalie Zimmermann
Seuil, 2014

Star wars au collège

Par Anne-Marie Mercier

Origami Yoda3Comment faire lire les chères têtes de toutes les couleurs en ce temps de Star wars mania ? Une solution : la série parue au Seuil intitulée « Origami Yoda » : on y voit une bande de collégiens fou de ces films, les connaissant par cœur, interroger l’avenir à travers (dans le tome 1) un origami représentant maître Yoda, puis terrorisés par un origami nommé Kraft Vador (tome2) et tentant dans ce troisième volume de se débrouiller sans Yoda (et sans Dennis, son créateur, renvoyé du collège) à travers des substituts : ce sont des pliages plus simples, une « cocotte » ou « salière » représentant le Wookie Chewbacca, et un pliage origami yoda1représentant Solo pour traduire les grognement de Chewie…

Un détournement intéressant, avec l’introduction d’une éthique ‘Jedi’ dans le cadre du collège, une mobilisation des élèves contre la suppression des activités culturelles envisagée par la principale, un sauvetage de leur camarade Dennis, en voie de normalisation excessive dans un collège chic.. il y a beaucoup d’ingrédients intéressants.

Et si cela ne suffit pas, vous pouvez ajouter le livre de pliages origamiyoda activassorti : Les Pliages et griffonnages d’ART2-D2 Le livre d’activités d’Origami Yoda

Vladimir et Clémence

Vladimir et Clémence
Cécile Hennerolles, Sandrine Bonini
Grasset jeunesse, 2015

L’union du visible et de l’invisible

Par Anne-Marie Mercier

VladimirL’un, Vladimir, est photographe, l’autre, Clémence, est invisible : comment ils se rencontrent, se découvrent, s’unissent, se séparent, se retrouvent et ont beaucoup d’enfants dont on ne sait s’ils sont flous ou bien nets sur la photo, tout cela est raconté dans un petit roman graphique joliment illustré, imprimé sur beau papier, cartonné, un peu à l’ancienne.

Il est écrit aussi dans un joli style un peu décalé : beaucoup d’inversions du sujet lui donnent un air dansant et suranné. Elles obligent aussi à retarder la construction du sens comme on attend que la photo se dévoile quand on la développe.

B42-Voir-le-voir-Berger-Cover_scaledC’est une belle fable sur le regard et sur l’image qu’on dit « fixe ». Elle ne l’est pas tant que cela, quand on a le talent de Vladimir, mais aussi son expérience de l’invisible et un bon appareil… argentique, autrement dit, le sens de la tradition et du mythe. Cela m’évoque Voir le voir, le beau titre de John Berger, paru aux éditions B42, tiens, si on le relisait ? Et puis son interview dans Télérama intitulée “Un livre, c’est un silence qui demande à être rempli”

L’usine

 L’usine
Yaël Hassan
Syros, Coll. Tempo, 2015.

 

 Il faut sauver l’usine

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

l'usine L’histoire se passe dans un village qui vit depuis plus de cent ans au rythme d’une usine de jouets. Or, cette usine va fermer. Tous les enfants de l’école sont concernés sauf de très rares enfants de commerçants, et encore.

Leur institutrice Anne, qui connait parents et enfants puisqu’elle est elle-même une fille de ce village, essaye de les faire exprimer leur angoisse pour les en soulager. Elle a l’idée de créer avec eux un journal d’école. Puis, Sylvain, un jeune collègue,  plus moderne,  propose un blog, outil plus adapté et plus interactif. Tous les enfants sont ravis et très motivés.

Ils enquêtent, photographient, recueillent des témoignages sur le village et l’usine. Clotilde, la fille du directeur,  a entendu son père dire qu’on peut sauver l’usine, que la crise est due à la mauvaise gestion de l’héritier. Son père a même contacté un repreneur potentiel, un de ses amis d’école,  originaire lui aussi de ce village.

C’est un bon roman, pas ennuyeux. Même si le sujet est un peu lourd, chaque personnage évolue, les enfants, les enseignants, les parents, et même les méchants directeurs, père et surtout fils qui a ruiné l’entreprise,  font un bout de chemin.

 Cette histoire me plait car elle me fait penser à un village jurassien que je connais et à une usine qui a eu le même destin, peut-être est-elle inspirée de ce faits divers, en tout cas c’est réussi.

iM@mie

iM@mie
Suzy Morgenstern
L’école des loisirs, 2015

Pour ceux qui ont un ado difficile à la maison/pour les ados qui ont des parents difficiles

Par Anne-Marie Mercier

im@mieAllez, encore une idée de cadeau pour ado non lecteur… ou bien de la part de celui/celle-ci à ses parents ou grands-parents?

En effet, on se demande qui profiterait le plus de ce livre : un(e) ado geek, ou sa famille ? Sans doute les deux. Il fait partie des ouvrages qui gagnent à être partagés et commentés, même si la lecture solitaire en est elle aussi délicieuse et instructive. Ceux qui ont eu à partager le quotidien avec un ado rivé à son téléphone ou son ordinateur comprendront parfaitement le propos, et les ados en question comprendront ce qu’ils font vivre à leur entourage.

Les parents de Sam – eux mêmes toujours rivés à leur travail ou à leurs écrans – s’inquiètent de son niveau en français et de son peu de goût pour la lecture alors que le bac de français approche. Ils ont trouvé une solution radicale : l’envoyer finir sa classe de première, sans téléphone ni ordinateur, chez une grand-mère lectrice et non connectée.

Il y a déjà eu un certain nombre de romans de ce type. Mais ici l’originalité vient du fait qu’à force de vanter les mérites d’Internet, le petit fils contamine sa grand-mère qui se met à regarder les petites annonces, les sites de rencontre, écrit à des amis perdus de vue, attend avec impatience leur réponse, etc. Enfin, elle finit convaincue qu’une nouvelle vie s’ouvre à elle, la vraie vie.

Mais du coup, elle néglige le présent, le réel. Elle en oublie le petit fils qu’elle couvait jusque là, elle a le regard vague lors des repas qui sont de plus en plus sommaires, elle n’arrive pas à se lever le matin… Si bien que Sam finit par être très inquiet, les rôles sont donc inversés.

Il y a beaucoup d’autres choses dans ce roman: l’éloge de la lecture et de la musique, une histoire d’amour, la ville de Nice sous ses plus beaux aspects, mais c’est surtout la description attendrie et un peu acide des relations entre le jeune homme, sa mère et sa grand mère qui en fait la plus belle ossature.

L’écrivain Clémentine

 L’écrivain Clémentine
Roland Fuentès
Syros, Coll. tempo, 2015

Le métier d’écrivain

Par Maryse Vuillermet

 

l'écrivain clémentine image Récit de l’écriture d’un roman où l’on voit l’écrivain Christian Rivage déjà rencontré dans Un écrivain à la maison et dans Un écrivain au jardin, emmener son jeune ami Gérald en Algérie. En effet, il a besoin de sentir, voir, s’approprier son histoire à travers un garçon de l’âge de son héros. Gérald joue en quelque sorte le rôle d’une doublure au cinéma.  L’écrivain veut raconter l’histoire de la découverte de la clémentine par le père Clément dans un verger d’Oran, grâce à la curiosité d’un jeune paysan.

On assiste donc au making of du roman, à sa genèse, à ses balbutiements, à la constitution de sa documentation. Mais le récit que l’auteur veut mettre en place manque,  aux yeux de Gérald de suspens, de rebondissements. Gérald apprenti écrivain et vrai gaffeur va fournir, contre son gré, quelques aventures, donc quelques améliorations au texte. L’écrivain confirmé,  beau joueur,  va accepter et même se réjouir de cette collaboration inattendue mais bienvenue.

C’est également grâce à tous leurs amis algériens, bienveillants et plein de malices que tout va bien se terminer

La révolte d’Eva

la révolte d'eva La révolte d’Eva
Elise de Fontenaille
Rouergue, 2015

Sortir de l’enfer

Par  Maryse Vuillermet

 

  Récit à la première personne fait par Eva qui confie son calvaire.  Son père fasciste, alcoolique, raciste  et violent l’oblige à saluer le portrait d’Hitler, la frappe quotidiennement, et d’autant plus qu’elle  est la seule de ses quatre sœurs à lui résister.   Blonde, intelligente, sensible, Eva se réfugie le plus souvent dasn la forêt, leur maison,  comme celle de l’ogre étant  isolée à l’écart du village,  à l’orée d’un bois.  Là, au bord des étangs,  des rivières elle peut lire, être un instant  au calme.  Son père est si amateur de violence qu’il pratique la chasse, et le tir et qu’il les fait pratiquer à ses filles.  La mère soumise et apeurée ne fait que culpabiliser et craindre son mari.

 Eva ne peut se confier à personne ni à sa meilleure amie ni à ses enseignants. Son seul  confident  est Lechien, un chien sans nom, (dans cette famille, les chiens sont interchangeables),  qui, un jour, pour la défendre,  se dresse contre son maître. Alors,  le père le tue à coups de fusil et abandonne son cadavre en forêt. Eva grandit, son père la bat moins.

 Et puis, un jour, le père s’attaque à la petite sœur. Alors,  que va faire Eva ?

Le sujet est délicat, il pourrait être dérangeant, mais le récit est plutôt réussi. L’auteur a su nous rendre sensibles  à la honte, au silence  mêlés à la soif de vivre,  à  la pitié pour les plus faibles,  de son héroïne. Elle a su aussi faire progresser le récit dans l’horreur, coups puis  meurtre du chien, puis attaque de la petite sœur…