Les Funambules

Les Funambules
Corinne Boutry –Daria Petrilli
Motus 2019

Par-delà le mur…

Par Michel Driol

Swan et Mia habitent dans deux tours. Un matin, un mur se dresse entre leurs deux tours. Alors Swan écrit une lettre en forme d’oiseau qui parvient à passer de l’autre côté, et Mia lui répond. Les deux enfants s’envolent et se retrouvent aux antipodes.  Mais ce n’était qu’un rêve.  Swan une poignée de sable qui dessine un pont par-dessus les barbelés. Et comme deux funambules les deux enfants se lancent sur le pont.

Dans cet album poétique, les deux auteures abordent le thème des murs qui surgissent et séparent, de façon inexplicable, et inexpliquée. Un album tout en finesse, qui montre d’abord la rencontre du regard des deux enfants, l’un contemplant les passants, l’autre le ciel… comme s’il suffisait de changer un peu le point de vue pour se rencontrer. Mais comment relier ce que les hommes, sans aucune raison, ont séparé  pour toujours ? Par le pouvoir des mots, des rêves, de l’imaginaire, en faisant confiance à l’enfance pour transfigurer la réalité.  Un album qui dit l’espoir d’un monde meilleur, où  ceux qui sont séparés pourront se retrouver. Les illustrations de Daria Petrilli s’ancrent à la fois dans un réalisme sordide et anxiogène – le mur lépreux, couronné de barbelé – et entrainent dans un surréalisme à forte connotation poétique – les oiseaux origamis, les enfants qui volent. Les couleurs – plutôt froides et sombres : gris, sépia – disent un monde où même le bleu du ciel n’a rien d’éclatant. En revanche, de magnifiques portraits d’enfants, partagés entre tristesse et joie, proposent leur vision d’un monde qui ne pourra pas toujours être ainsi, et dons lequel les frontières artificielles devront être abolies

Trente ans après la chute du mur de Berlin, de façon métaphorique, l’album parle de ces murs qui se multiplient un peu partout, du sud des Etats-Unis à la frontière entre Israël et la Palestine, de Calais à l’Italie, sans rien nommer, comme pour dire l’absurde de ces situations et la nécessité de l’amour ou de l’amitié. Un album utile pour sensibiliser les enfants au danger du repli sur soi, pour les inviter à se jouer de l’oppression et à vouloir défendre leur liberté de se rencontrer pour communiquer et vivre ensemble.

L’on avait beaucoup apprécié le travail de Daria Petrilli dans l’album Demain les rêves

 

 

Lune

Lune
Junko Nakamura
MeMo, 2019

Reflets

Par Anne-Marie Mercier

Quelle magie se trouve dans les pinceaux, crayons et pastels de Junko Nakamura ?

Lune nous transporte dans l’émerveillement d’un enfant, la nuit. Il est dehors, un soir d’été, malgré l’heure tardive, car il sort d’une représentation au cirque. Et la lune est là. C’est l’occasion pour évoquer tous les moments où il peut la voir, moments paisibles dans la maison où pénètre parfois sa lumière, moments sur le port où elle joue sur les reflets. La lune, le cirque, le bateau qui passe et lance sa sirène, tous cela s’unit dans un échange fluide. Couleurs profondes, liquides, tout bouge dans ce bel album, doucement, calmement.

L’École des mini-garous

L’École des mini-garous
Julien Hervieux, Juliette Lagrange
Poulpe (« mini poulpe »), 2019

Des cancres garous pour sauver le monde

Par Anne-Marie Mercier

Variation drôle sur le thème des loups garous, ce mini roman illustré ne craint aucune fantaisie et propose des garous de toute sorte : garous chat, garou poussin et même garou poulpe ! Nos trois petits héros, risée de leur école, n’ont pas été « mordus » par un loup mais par l’animal dont ils ont pris la forme, ce qui leur donne bien du tracas : ils sont en effet peu aptes à terroriser leur entourage, et profitent peu des leçons qu’on leur donne dans ce domaine à l’école des garous.
Pour faire leurs preuves, mais aussi satisfaire leur curiosité, ils vont tenter de surprendre le terrifiant directeur et fondateur de leur école pour savoir quelle métamorphose est la sienne… surprise garantie ! et dénouement à la gloire des petits et des faibles qui renversent l’ordre des choses.

La Nuit sous le lit

La Nuit sous le lit
Cécile Elma Roger, Matthieu Agnus
Dyozol, 2019

Il y a un cauchemar sous mon lit

 Par Anne-Marie Mercier

La chambre de Charlotte n’est pas très bien rangée : on y voit trainer un poulpe, un puzzle, une poupée. Sous son lit, il y a sans doute d’autres choses, dont on aperçoit un morceau dans la première double page. Avant de s’endormir, elle pense à tous les monstres qui pourraient l’y guetter : une forêt pleine d’animaux à grandes dents, le salon d’une sorcière, un cirque, une cuisine qui pue, une soucoupe volante avec un horrible extra-terrestre… une maison de poupée avec sa cuisine équipée, un loup, une scie…

L’angoisse arrivée à son comble elle finit par se lever et regarder grâce à la lumière de son doudou-veilleuse : rien !

Mais le lecteur, lui, voit bien, toujours sous le lit ou à côté, le poulpe, la maison de poupée, le loup, l’extra-terrestre du puzzle… Les tons bleus et sombres de la chambre font un beau contraste avec l’imagination colorée de Charlotte et ses cauchemars sont bien gothiques. Ce « voyage autour de ma chambre » nous emporte bien loin : le happy end enfermant n’enferme pas le lecteur qui reste face au mystère de la nuit, un peu comme dans le classique Il y a un cauchemar dans mon placard de Mayer.

Dans ma couverture

Dans ma couverture
Baptistine Mésange
Dyozol, 2019

Doudou doux

Par Anne-Marie Mercier

La couverture doudou est l’héroïne de bien des histoires, qu’elle soit perdue / retrouvée, subtilisée pour un lavage, ou qu’elle offre à l’enfant tout un voyage (voir L’édredon d’Ann Jonas). Ici, c’est celle d’un tout petit qui n’a pas encore l’usage des mots. Ce petit album carré, cartonné, aux coins arrondis, les lui offre en déclinant aussi les utilisations possibles de cet objet de douceur : dormir, s’y enrouler, se glisser dessous, avancer sur le ventre, marcher ? se lever ? pousser des cris… Chaque situation met en regard un animal, faisant de ce parcours sensible un imagier.
Les illustrations, sur fond blanc, sont tout en douceur, avec plus de piquant et de contraste sur la page de droite consacrée aux animaux, tandis qu’à gauche l’enfant est juste crayonné sous le tissu coloré, dans toutes ses postures. Grandir, jouer, sentir, être aimé, jouer, une belle liste de plaisirs en petit format.

Pablo et Floyd. Sur le bord de l’invisible

Pablo et Floyd. Sur le bord de l’invisible
Michel Galvin
Rouergue, 2018

Par Marion Mas

Floyd, l’ami invisible de Pablo (certes visible, mais dont on ne voit jamais le visage), raconte comment son célèbre ami rend visible le monde en le peignant. Pour éviter à Floyd de se cogner contre les arbres et les rochers encore invisibles, Pablo « marque le contour des choses qu’il na pas encore eu le temps de peindre… ».
Côté illustrations, les contours au trait noir ne s’ajustent pas parfaitement aux aplats de couleurs auxquels ils donnent forme, donnant à voir le monde en train d’advenir. Le désert dans lequel évoluent les personnages se peuple de montagnes colorées et d’arbres, de matière, de texture, et de grain, mais toujours dans une forme d’épure. Les rayures, les trous et les passages, comme la mise en abyme de l’acte de dessiner rappellent l’univers de Fred, maître du méta, dans une fable méta au carré sur la fonction de l’art et le caractère visionnaire de l’artiste.

Les petites patates

Les petites patates. Vite, vite, vite, et Les petites patates. Je vais le dire !
Charles Paulsson
Gallimard jeunesse, 2018

Figures libres

Par Marion Mas

Parmi toutes les séries de petits livres consacrées au quotidien des enfants (Petit ours brun, P’tit loup, T’choupi etc.), les petites patates se distinguent à plusieurs égards. D’abord, les personnages sont des patates, des petites patates évoquant celles qui sévissent dans le jardin de Pomélo. À ceci près que les petites patates de Paulsson ne sont pas toutes jaunes – il y a aussi petite patate bleue, petite patate verte, petite patate violette…).
Le système graphique, superposant des aplats colorés de formes arrondies et un trait évidé, et intégrant des phylactères, joue à la fois des codes du dessin enfantin et de la bande dessinée. Plein de vivacité, loin de tout réalisme et de toute joliesse, l’effet produit est déconcertant. Le ton est donné : bien loin de la rhétorique normative des ours, des loups et des pingouins, les petites patates adoptent constamment le point de vue de l’enfant, quitte à ridiculiser un peu les adultes (les grandes patates) qui les pressent le matin (« vite, vite »), ou les efforts désespérés des maitresses pour faire venir les enfants dans le coin rassemblement (« vite, vite »). À ces adultes engoncés dans la rigidité de leurs habitudes, les petites patates (pr)opposent une libération par le langage : aux injonctions à la vitesse, elles répondent, « moi, je dévite », conjugué à toutes les personnes et à tous les temps (ou presque). Cependant, la distance humoristique vise aussi bien les petites patates, chez qui le « je vais le dire est un sport de compétition ». Pleins de sel, ces deux albums aux proposent une vision vivante et décoiffante des petits tracas du quotidien enfantin : on attend les suivants avec impatience !

Autour de la lune et 20 000 lieues sous les mers

Autour de la lune et 20 000 lieues sous les mers
d’après Jules Verne, illustrations de Marjorie Béal

Balivernes éditions, 2018

Par Marion Mas

Les éditions balivernes proposent une réinterprétation efficace de deux œuvres majeures de Jules Verne, un peu à la manière dont La Recherche du temps perdu adaptée en deux planches de bande dessinée.

 

Le principe d’économie du texte – réduit à l’essentiel, mais faisant discrètement entendre la voix d’un narrateur facétieux – se retrouve dans les illustrations : schématiques, privilégiant les formes géométriques, elles donnent vie à des personnages « cartoonesques » expressifs, et à un univers dynamique et plein d’humour.

Arthur le bandit

Arthur le bandit
Benoit Debecker 
Seuil jeunesse, 2018

Le bandit et la bibliothécaire

Par Marion Mas

Arthur le bandit est un personnage ungererien. Certaines pages de l’album s’inscrivent dans le droit fil de l’univers graphique des Trois brigands, dont le héros de Benoit Debecker a d’ailleurs hérité quelques traits de caractère. Ainsi, « Il lui suffit de se tenir à la croisée des chemins sur son formidable cheval pour que les passants lui abandonnent tout ce qu’ils ont de plus précieux sur eux. » et comme Zéralda, il cultive ses talents de cuisinier. Cependant, ce n’est ni la rencontre avec un géant, ni la rencontre avec une orpheline qui le réforme, mais celle de Marie-Rose, une dame un peu âgée – ou plus exactement, la rencontre avec la bibliothèque de Marie-Rose, et les histoires qu’elle lui raconte.
Les illustrations se mettent alors à flirter avec toute une mémoire graphique, évoquant, dans un style très personnel, les récits d’aventures coloniaux du XIXe siècle aussi bien que Tom Sawyer ou l’univers de David B. C’est aussi à partir de cette rencontre que les illustrations, dominées par les tons de bleu sombre et de rouge, se colorent, suggérant la naissance du héros à l’imagination. Par son traitement plein d’humour et plein d’allusions, cette fable d’un bandit devenu colporteur d’histoires est très réussie.

 

Nicolas le philosophe

Nicolas le philosophe
Alexandre Dumas, Christophe Merlin

Grasset jeunesse, « La collection », 2018

Par Marion Mas

« La collection », de Grasset jeunesse, entreprend de faire revivre des textes du patrimoine littéraire en les faisant illustrer par des artistes contemporains. C’est ainsi que Nicolas le philosophe, d’Alexandre Dumas, nous est donné à redécouvrir. Après 7 ans passé au service de son maitre, Nicolas estime qu’il est temps de prendre sa retraite ou du moins, de retourner chez sa mère. Il demande donc ses gages – un lingot d’or – et s’en va. Mais un lingot d’or, c’est lourd à porter. Aussi, lorsqu’il rencontre un homme à cheval, il s’empresse d’échanger le lingot contre la bête. Cependant, celle-ci n’est guère obéissante. Dès qu’il le peut, Nicolas l’échange donc contre une vache. Et ainsi de suite, jusqu’au dépouillement complet.
Nicolas est-il un benêt ou un ascète ? C’est bien la question que pose le texte : les personnages successifs qu’il rencontre lui tiennent des discours de plus en plus longs, avec des arguments de plus en plus fallacieux. Du reste, ils sont représentés sous des traits de plus en plus caricaturaux (le braconnier et le rémouleur par exemple). Les illustrations, en léger décalage avec le texte – le braconnier porte un monocle et un costume ottoman – participent de l’ambiguïsation du propos. Jouant sur le contraste entre des décors très précis à l’esthétique art-déco et des personnages stylisés allant du type à la caricature, elles lui donnent également une portée intemporelle, en mêlant les références au monde occidental et oriental, et au XIXe siècle aussi bien qu’à l’époque actuelle. Le pari est on ne peut mieux tenu et réussi !