Les Instruments d’Afrique

Les Instruments d’Afrique
Dramane Dembélé (musique), Rémi Saillard (images)
Didier, 2015

Lecture avec les oreilles

Par Dominique Perrin

A découvrir ici, cinq instruments en bois et peau, cordes, lames, trous, dignes d’étonner aussi bien par leur son et par leur nom – djembé, n’goni, sanza, tama, flûte peule. L’initiation se fait tranquillement, en tournant des pages aux couleurs vives sur lesquelles un ou plusieurs animaux africains piquent la curiosité du lecteur (« tu as envie de danser ? », « à quoi ça te fait penser ? »). Sur chaque double page un rabat permet non pas d’appuyer fiévreusement sur une puce sonore, mais de nommer un instrument que le cd (9 minutes environ) présente pas à pas, avant un concert final – dont on souhaiterait seulement, trop gourmandement sans doute, qu’il dure bien plus longtemps…

 

Le mauvais pli

Le mauvais pli
Juliette Binet
Rouergue, 2017

Passera, passera pas ?

Par Hélène Dérouillac

Voilà un petit album réjouissant qui joue avec les possibilités graphiques et narratives du pli central. Un promeneur tenant une laisse apparaît dès la première page de gauche. Page de droite : une interjection « Aïe ! » qui laisse imaginer quelque mésaventure… Et en effet, le promeneur aura bien du mal à franchir le pli central du livre : sa jambe se tord de drôle de façon, il perd l’équilibre, puis se prend les pieds dans la laisse. Son chien sera-t-il plus malin pour contourner l’obstacle ?

Divisé en trois parties, cet album au format proche est presque sans texte. Chaque section est seulement introduite par une courte interjection ou une question (« aïe ! » « oh ! » « mais ?… »), comme si le narrateur compatissait aux déboires du promeneur et de son chien, confrontés à cette situation étrange : le pli de l’objet-livre devient une frontière invisible difficilement franchissable. Juliette Binet nous propose une série de variations autour du pli central de l’album qui n’est pas sans faire glisser une histoire a priori banale dans une forme d’inquiétante étrangeté…

Une lecture réjouissante pour petits et grands.

 

 

 

 

 

Les mystères de Larispem, t. 1 : Le sang jamais n’oublie

Les Mystères de Larispem, t. 1 : Le sang jamais n’oublie
Lucie Pierrrat-Pajot
Gallimard Jeunesse, 2016

Mystères parisiens

Par Anne-Marie Mercier

Ce premier roman de Lucie Pierrat-Pajot a été sélectionné, comme l’an dernier La Passe-miroir de Christelle Dabos, par le jury du concours du premier roman organisé par Gallimard Jeunesse, RTL et Télérama. Comme le précédent, il est le premier volume d’une série et est très original.

Il se situe dans le cadre d’une uchronie : la Commune de Paris a eu raison des Versaillais en 1871 et est devenue une cité-état indépendante. Elle a chassé les prêtres et les aristocrates, la profession la plus respectée est celle des bouchers qui ont mené l’insurrection ; leur argot, le louchebem a donné son nouveau nom à la ville. Ainsi, derrière ce titre imité des Mystères de Paris, on devine l’influence d’Eugène Sue et de fait le roman est rempli de ressorts du roman populaire (coïncidences, vertu malheureuse, complots, reconnaissances…). Jules Verne est lui aussi bien présent, comme personnage mais aussi dans la description des technologies de ce monde parallèle au nôtre, souvent inventives et charmantes.

Les mystères s’accumulent, une malédiction plane, l’Allemagne complote, les rues de Larispem sont sombres et pleines de dangers et nos héroïnes, bientôt rejointes dans l’action par un orphelin étrange, sont en danger…

 

Le petit musée du bleu

Le petit musée du bleu
Carl Norac (textes)
Rue du monde, 2015

Bleu musée

Par Dominique Perrin

De Vermeer à Klein (en passant par la constellation Klee, Magritte, Matisse, Miro, Picasso), voici treize œuvres (dont l’orientale estampe d’Hokusai, l’autoportrait a-conventionnel selon Dubuffet, la porcelaine antique égyptienne et la plastique selon de Saint Phalle), mais posément regardées, plus intimement rencontrées à la faveur des poèmes familiers et complices, respectueux sans solennité de Carl Norac. Cela semble faire un très satisfaisant voyage d’initiation dans l’art de peindre et de représenter, de traduire la vision en teintes, de l’encadrer de mots, d’Histoire et de pensée – et de bleu, toujours de bleu, même si ou d’autant plus qu’ici Degas est dévisagé de si près qu’on sait moins que jamais quelle heure il est pour ses danseuses, et Guernica présent dans toute sa longue absence de bleu.

Le p’tit libé

Le p’tit libé 
Libération pour le 7-12 ans
Emilie Coquard (graphiste), Cécile Bourgneuf et Elsa Maudet (textes)

20 octobre 2017

« L’actu des grands expliquée aux enfants »… quel programme, surtout quand cette actu est « chaude » (pardonnez-moi la polysémie) : le dernier numéro évoque l’affaire Weinstein.
C’est sobre, pas racoleur ni sordide malgré le sujet, bien fait : voici l’accroche :

Un producteur américain de films, Harvey Weinstein, fait beaucoup parler de lui en ce moment. Il est accusé d’avoir fait beaucoup de mal à plusieurs actrices, pendant de nombreuses années. Il les a harcelées et agressées sexuellement. Ça crée un énorme scandale. Je t’explique ce qui est reproché au producteur américain, quels problèmes ça a révélé et comment tu peux réagir si quelqu’un te fait du mal. Lis ce dossier

La Passe-Miroir, t. 3 : la mémoire de Babel

La Passe-Miroir, t. 3 : la mémoire de Babel
Christelle Dabos
Gallimard jeunesse, 2017

Le labyrinthe des livres

Par Anne-Marie Mercier

Après l’enthousiasme provoqué par la lecture des deux premiers tomes (voir le 1 ou le 2), voilà une petite déception avec ce troisième volet. Tout d’abord parce qu’il n’est pas le dernier et que l’on espérait que tous les mystères seraient levés, ce qui n’est pas le cas. On a tout de même un début de réponse à la question « qui est Dieu ? », ce qui est important…

On retrouve aussi le talent de Christelle Dabos pour créer des espaces originaux, beaux, poétiques. La bibliothèque de Babel vue par elle est une petite merveille, une image de l’infini et la ville dans laquelle elle se situe prend corps nettement avec ses quartiers, ses monuments, ses moyens de déplacements, sa météorologie… L’école-pensionnat où Ophélie tente de gagner le droit d’entrer dans ce Mémorial est un micro univers sinistre à souhait, la compétition y est rude et ses efforts pour apprendre tout ce qu’elle ignore sont chaotiques.

Ophélie se bat aussi avec énergie pour retrouver Thorn et est longtemps déçue dans son attente, même lorsqu’elle le retrouve (la difficulté de communication entre ces deux-là va générer des volumes supplémentaires). Mais elle fait de nombreuses rencontres intéressantes, nous permet de méditer sur une civilisation où l’on veut gommer tout ce qui a trait aux guerres passées (thème curieusement assez fréquent dans les dystopies pour la jeunesse, voir par exemple Le Passeur de Lowry).

On devine enfin qu’au centre de tous les mystères il y a un livre pour enfant et que le « créateur » du monde des Arches (qui n’est pas ce Dieu là…) s’en est inspiré… Mais on n’en dira pas plus pour maintenir le suspens en attendant le(s) tome(s) suivant(s).

La Petite boîte

La Petite boîte
Eric Battut

Didier, 2015

L’art de la question

Par Dominique Perrin

Ah la petite boîte, qu’est-ce qui la fait ainsi talismanique ? Sa couleur bleue dans l’écrin d’un album aux rouge, orange, ocre, noir – et bleu – d’une magnificence typiquement battutienne ? Ou la constance du petit roi qui la transporte avec lui de lieu en lieu et d’heure en heure sans l’entrouvrir sauf au moment fatidique du coucher ? Sa petitesse, charmante et trompeuse, solidaire de celle du petit roi dans son immense baignoire, sur son trône démesuré ou dans son lit gigantesque ? Ou encore et enfin, de double page en double page, la curiosité de la voix qui chuchote, ou scande, ou s’impatiente mille fois en toutes lettres, tandis qu’un tout petit être vivant – mouche, ver, abeille…– semble la relayer, en fidèle compagnon : qu’y a-t-il donc dans cette petite boîte ? La réponse semble à la hauteur de cette fondamentale-enfantine question.

Dans la peau de Sam

Dans la peau de Sam
Camille Brissot
Syros (soon), 2017

Fille/garçon : échanges de corps, de rôles, de lieux

Par Anne-Marie Mercier

Prenez deux adolescents que tout oppose : fille/ garçon, Bien dans sa peau/ Mal à l’aise, populaire/ sans amis… Le versant positif, ou du moins favorable, est occupé par Charlie, jeune fille ordinaire, le versant moins favorisé par Sam, un garçon de sa classe dont elle se moque avec ses amies.

Tous deux se trouvent en même temps dans une fête foraine et entrent au même moment dans une machine qui provoque l’échange de leurs corps : chacun doit endosser la vie de l’autre, avec les aspects tragiques et comiques que l’on devine. Ils retrouvent l’inventeur de la machine et doivent attendre qu’il intervienne avant la durée fatidique des soixante-douze heures au-delà de laquelle la métamorphose sera irréversible…

Les relations entre garçons et filles, et plus précisément entre adolescents, sont un peu caricaturales mais néanmoins assez bien vues, comme leur vie scolaire et familiale, et la morale du récit est claire : se mettre dans la peau de l’autre permet de mieux le comprendre, de l’accepter ; chacun des deux apprend et le versant « positif » de l’histoire est bien remis en question.

Regarde-moi !

Regarde-moi !
Gabrielle Mattei et Pierre-Yves Cézard
éd. Utopique ("Alter Egaux"), 2017.

Regarde-moi !

Par Fanny Lignon

Créée en 2009, la « cabane » des éditions Utopique abrite des ouvrages jeunesse dont « l'ambition [est] de transmettre des valeurs et d'ouvrir le dialogue, en abordant avec sensibilité des sujets rares. » La collection Alter Egaux réunit quant à elle « des livres pour s'éveiller aux thèmes de la tolérance et du vivre ensemble. Des albums pour apprendre, comprendre, partager et débattre, à la maison comme à l'école ! » (ibid.) C'est dans ce contexte on ne peut plus clairement défini que s'inscrit l'album Regarde-moi ! écrit par Gabrielle Mattei et illustré par Pierre-Yves Cézard.

La première de couverture nous apprend, comme souvent, beaucoup de choses sur l'album qu'elle introduit. La scène se passe sur un terrain de football. Un enfant, vêtu d'une tenue rouge et or, s'apprête à frapper la balle sous le regard réjoui de ses coéquipiers mais réprobateur de son entraîneur. Le jeune joueur, situé au centre de l'image et au premier plan, est deux fois plus grand que les autres personnages en raison de la perspective. C'est visiblement le héros de l'histoire. Mais qu'a-t-il donc de si spécial pour que les regards qui se portent sur lui soient à ce point discordants ? Lui reproche-t-on d'être gaucher ? Sont-ce ses cheveux, roux et mi-longs, qui posent problème ? Et pourquoi demande-t-il qu'on le regarde alors même que tous les yeux sont déjà sur lui ?

La quatrième de couverture répond en partie à ces interrogations. On y voit, sur un fond bleu ciel (le lecteur attentif notera que cette image est la même que celle de la page 8 mais que le fond, initialement rose, est devenu bleu), le même enfant que sur la première de couverture. Il porte cette fois une salopette verte et s'amuse à même le sol avec une grue, une voiture et un camion de pompier. Les indices visuels ne permettent pas de déterminer son sexe avec certitude. Il faut lire le pitch de l'album pour comprendre de quoi il retourne :

"Quand Papa a vu sa fille à la maternité, son cœur s’est rempli de fierté. Après le fils aîné, il avait la petite princesse qu’il attendait.
– Et si on l’appelait Rosie ?
Oui mais voilà… Rosie a grandi, et elle n’aime ni le rose ni les poupées ! Elle préfère construire des avions, jouer aux voitures ou au ballon…"

Ce texte invite à reconsidérer les deux images que je viens de commenter. Il permet d'émettre des hypothèses quant aux raisons des tensions perceptibles sur la première de couverture. Il permet de se rendre compte que tout ce qui aurait pu amener le lecteur à identifier une petite fille a été soigneusement gommé, le dessinateur ayant par ailleurs utilisé sciemment des signes renvoyant au masculin. Autrement dit, les mots révèlent un problème qui à l'image ne se voit pas… suggérant par là-même que ce problème n'est peut-être pas un vrai problème.

A la lecture de l'album, on comprend rapidement que le malaise que ressent Rosie est dû au regard que son père (l'entraîneur) porte - ou plutôt ne porte pas - sur elle. Tous les autres personnages, en effet, que côtoie la fillette la respectent et l'apprécient sans se poser de questions. Sa mère, qui pour lui faire plaisir entreprend de redécorer sa chambre selon ses goûts, lui achètera, pour son anniversaire, la tenue de football qu'elle désire tant. Son frère, qui a plaisir à s'entraîner avec elle dans le jardin, l'intègrera par la suite dans son équipe. Les autres joueurs, tous des garçons, l'accueilleront avec enthousiasme, reconnaissant ses compétences.

Le père de Rosie, à l'inverse, très heureux au départ d'être papa d'une petite fille, va progressivement se détourner de son enfant. Déçu puis contrarié, il commencera par l'ignorer avant de la rejeter pour la seule et unique raison qu'elle ne correspond pas à l'idée qu'il se fait de ce que doit être une fille. Pour traduire cela, les auteurs de l'album jouent, entre autres, sur les couleurs. Au début de l'histoire, Rosie porte une grenouillère rose et dort dans une chambre rose. Lorsque le père comprendra que « sa petite princesse » préfère vivre dans une chambre bleue et jouer au ballon, il s'inquiètera de la voir revenir… avec des bleus. Ce n'est qu'au prix d'une longue maturation, et après qu'elle aura démontré son savoir-faire footballistique, qu'il se décidera à aimer sa fille pour ce qu'elle est. L'image qui clôt l'album le montre qui la regarde (enfin) et la prend dans ses bras, comme lorsqu'elle était bébé.

Le monde, pour Rosie, bascule lorsqu'elle voit ses parents se disputer à son sujet et entend son père la traiter de « garçon manqué ». Cette expression, qu'elle ne connaît pas, la blesse. Après un temps d'incompréhension (« Pourquoi est-ce qu'il me traite [traitait] de garçon ? ») et une période d'intense cogitation (« Et qu'est-ce qu'il me manque [manquait] ? »), elle arrive à la conclusion que son père considère très certainement qu'il l'a « ratée » et qu'elle est « nulle ». Cette explication lui paraît logique eu égard à son attitude, de plus en plus distante, alors même qu'elle ne fait rien de mal si ce n'est laisser libre cours à ses préférences ludiques. Les auteurs de l'album mettent ainsi à nu, par l'exemple et très simplement, une mécanique discriminatoire. Face à l'injustice, Rosie, plutôt que de réagir en miroir, va faire en sorte d'amener son père à réviser son jugement. Elle y parviendra pleinement puisqu'il finira par lui dire qu'elle est « drôlement bien réussie ». Expression là encore choisie avec soin, qui fait écho à celle qui avait précédemment choquée l'enfant sans pour autant nier qu'elle est un peu différente.

Le titre du livre, a priori ancré dans le concret, doit donc, également, être entendu de façon plus abstraite. Car en définitive, ce que Rosie attend de son père, lorsqu'elle lui dit « regarde-moi ! », c'est aussi et surtout, sans nul doute, qu'il regarde son moi, son être, sa personne.

Néanmoins, si l'album atteint les objectifs visés par la collection dans laquelle il est publié, deux points à mon sens atténuent la portée du discours. D'une part le fait que le père doive faire un effort surhumain pour changer d'attitude envers sa fille, d'autre part le fait que celle-ci doive faire montre d'un talent exceptionnel pour qu'il l'accepte enfin telle qu'elle est. Ces quelques réserves mises à part,« Regarde-moi ! » me semble un très bon outil pour aborder la question des stéréotypes de sexes avec des enfants, et ce justement parce qu'il n'est pas tout-à-fait parfait.

Lili et la louve

Lili et la louve
Elise Fontenaille – Alice Bohl
Grasset 2017

La petite fille dans la vallée …

Par Michel Driol

Lili vit avec sa mère bergère, son père guide de haute montagne, et sa chienne Neige dans une vallée isolée des Pyrénées. Pour ses sept ans, elle découvre qu’elle peut parler avec les animaux. Un jour, l’ourse Caramelle lui dit qu’elle a vu une louve. Courageusement,  Lili et Neige guettent la louve pour protéger les brebis, jusqu’au face à face avec l’animal redouté. Celle-ci se révèlera moins féroce que sa réputation.

Voici une histoire simple, qui s’ancre dans la réalité – les parents ont un métier bien identifié – mais qui glisse vite dans le merveilleux, pour célébrer un mode de vie, loin des villes, en communion avec la nature. Elise Fontenaille, dans ce récit d’amitié entre une fillette et des animaux, évoque ici avec bonheur  les pouvoirs magiques de l’enfance et le courage dans un conte optimiste et plein de fraicheur. Vaincre ses peurs, se confronter aux dangers, et, en même temps, être bienveillant et respectueux de l’autre, découvrir que la nature n’est pas hostile, voilà quelques-unes des valeurs que porte cet album. Les illustrations d’Alice Bohl – des aquarelles qui ne cherchent pas le réalisme à tout prix – entrainent aussi, sans mièvrerie, le lecteur dans l’univers coloré de ce conte, au cœur d’une montagne de rêve.

Un album pour inventer un paradis retrouvé…