Plus de morts que de vivants

Plus de morts que de vivants
Guillaume Guéraud
Rouergue doado noir 2015

Coronavirus au collège

Par Michel Driol

plusmortsvivantsVeille de vacances scolaires, au collège Rosa Parks, à Marseille. Plusieurs élèves sont pris de maux étranges qui créent d’inquiétantes lésions, puis la mort. Les équipes de secours arrivent, le plan Orsec est déclenché. Petit à petit l’hécatombe grandit, élèves et adultes meurent de façon de plus en plus terrifiante. Tout le monde est confiné au collège : pour combien de temps ? Certains pourront-ils survivre ?

Voilà un roman qu’on lit d’une traite et qui ne vous lâche pas.  D’abord en raison du thème et de son traitement : la mort qui frappe, en masse, une collectivité d’ados, avec leurs espoirs (la danse, la musique), sans distinction entre les bons élèves, les absentéistes chroniques, les provocateurs, les amoureux… On songe, bien sûr, au Hussard sur le toit, au Journal de l’Année de la Peste à Londres de Defoe, voire à la Peste de Camus qui évoquent le même type de situation. Quelles réactions, à l’heure des téléphones portables et des réseaux sociaux, face à ce que l’on pressent comme inéluctable ? la volonté de protéger son petit frère, de ne  pas le quitter, le souhait de retrouver et d’embrasser celle qu’on aime, même si elle est atteinte, la modification ou pas des relations avec les professeurs… Plus le temps passe et plus la peur croît, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, face à quelque chose que personne ne peut contrôler. A l’heure des attentats, des massacres de lycéens dans les écoles aux Etats-Unis, ce coronavirus apparait comme une métaphore d’un mal qui ronge notre société, dont la conséquence est que, à tout moment, quelque chose peut surgir qui fait que le regard sur soi-même et sur le monde s’en retrouve modifié, et qu’on regarde, avec inquiétude, les scènes anodines de la vie qui nous entoure.

L’écriture est précise et travaillée : entre phrases très courtes et phrases longues, entre répétitions des sujets et assemblages  de trois verbes ou adjectifs, la langue sait être expressive. Par ailleurs, le récit à la troisième personne alterne avec des séquences de nature différente : notes du principal, échanges de SMS, conversations téléphoniques, chroniques radio, faisant entrer d’une certaine façon l’extérieur dans le huis-clos que constitue le collège. L’esthétique de la mort dans ce qu’elle a de plus horrible (descriptions des souffrances, des glaires, du sang, des cheveux qui tombent conduites avec un grand réalisme)  s’y déploie en contraste évident avec un fond de gelée blanche d’un jour d’hiver, dans un décor familier.

Un roman noir, très noir, qui marquera profondément ses lecteurs, les surprendra sans doute et les incitera à échanger sur leurs réactions.

Troie. La guerre toujours recommencée

Troie. La guerre toujours recommencée
Yvan Pommaux
L’école des loisirs, 2012

Homère, poète pour la paix

Par Anne-Marie Mercier

Troie. La guerre toujours recommencéeHomère en bande dessinée ? Vous n’y pensez pas ? Comment rendre le rythme, la complexité, la dimension épique et la longueur du récit – par exemple, le fameux catalogue des vaisseaux si ennuyeux, hein, dites-moi un peu ?

– Eh bien si, c’est possible : allez donc lire Troie de Yvan Pommaux et vous verrez.

Bien sûr, le début correspond à ce qu’on attend dans un album pour enfants : l’historiette de la pomme de discorde et la dispute entre les trois déesses pour savoir laquelle d’entre elles est la plus belle, cela ressemble à tout prendre à un conte, La Belle au bois dormant ne commence-t-elle pas ainsi ? Les couleurs pastel, le rose aux joues… tout cela ne dure en fait que deux doubles pages. La suite, eh bien, c’est… la guerre. Couleurs terreuses, sable, brun, et gris, ciels nocturnes ou rouge sang, corps emmêlés, mer infinie. Comme c’était le cas pour Thésée mis en textes et images par le même auteur, le souffle épique est bien là, dans l’espace de la double page. Cet album n’est pas une BD mais un espace mêlant textes et images de multiples façons. Par exemple, le catalogue des vaisseaux est bien là, en texte concentré et en images, chaque paragraphe étant accompagné d’une vignette :

« Pénélos, Leitos, Arcésilas et Prothoénor emmènent les guerriers des villes de Scolos, Théopie, Ilésion et bien d’autres, toutes situées en Béotie.

Les frères Ascaphos et Ialménos commandent aux gens d’Asplédon d’Orchomène… »

L’auteur a choisi la bonne manière de mettre en scène cette liste, linéaire, répétitive et pourtant variée, impressionnante et tragique. Car la guerre vue par Homère et par Pommaux n’est pas belle, à peine héroïque : la fin est escamotée. Pas de victoire ni de sac de Troie, on s’arrête à la mort d’Hector. Les enfants d’aujourd’hui, mis en scène comme auditeurs du conte raconté par un adulte, s’indignent : « C’est pas une fin, ça ! Qui a gagné la guerre et que devient Achille ? Et Hélène ? »

A quoi l’adulte répond : « En arrêtant là son histoire, le poète voulait peut-être suggérer que la guerre ne se terminerait pas. Qu’elle en enfanterait d’autres, indéfiniment. Qui remporta la victoire ? Gagne-t-on jamais une guerre ? En vérité, tous ceux qui a font la perdent. Passés les jours de liesse, les vainqueurs se trouvent tout aussi accablés que les vaincus. Imprégnés de dégoût, ils pleurent leurs morts, les villes détruites, les terres brûlées ». Néanmoins, il indique le sort de chacun, tragique, s’arrêtant à celui d’Ulysse, trop long à raconter et le réservant pour une autre histoire…

 

Comment se débarrasser d’un vampire

Comment se débarrasser d’un vampire avec du ketchup, des gousses d’ail, et un peu d’imagination
Jean Marcel Erre
Rageot 2016

Zazie hait le vélo !

Par Michel Driol

commentPour Noël, Zazie a reçu un Journal intime. Jour après jour, elle le remplit, racontant ses copines, son affreux cousin Lucas,son chat,  ses lectures, et son nouveau maitre. Ce dernier surgit d’un cimetière alors que Zazie lit Dracula… C’est assez pour qu’elle se persuade que le maitre est un vampire, et qu’elle a la mission de le démasquer, avec les moyens du bord !

Voilà un livre qui ouvre chez Rageot la nouvelle collection Pop (Pétillant, Optimiste, Positif). Il s’inscrit dans un type de fiction assez représenté dans la littérature de jeunesse : vie de famille, relations avec les parents, brouilles de cours de récré, et héroïne attachante, peu sportive, et  douée d’une  imagination débordante. Autant dire que, sur ce plan-là, il ne surprendra pas le jeune lecteur. L’originalité est plutôt à chercher dans le traitement de ces topos.  Les stéréotypes (de genre, familiaux, scolaires…) sont poussés à l’extrême, grossis et donc, finalement, caricaturés, et le dispositif narratif, l’héroïne s’adressant à son journal ignorant des réalités familiales et scolaires, permet à l’auteur de les exposer avec humour. C’est sans doute la plus grande qualité de ce livre, de ne pas se prendre au sérieux et de s’inscrire dans une veine comique qui frôle l’absurde (la fabrication du sang, le testament de Zazie)

La fin du livre semble ouvrir sur un nouvel univers, lorsque le maitre révèle à Zazie qu’elle est douée pour l’écriture. Celle-ci souhaite alors passer du journal – pour elle- au récit – pour les autres. Mais toujours avec cet arrière-plan des livres lus et de l’imagination qui transforme tout : on passe de Dracula à la Guerre des Mondes. La littérature n’est-elle pas une grille de lecture du monde qui nous entoure ?

Les illustrations de Clémence Lallemand s’accordent parfaitement à l’humour déjanté du texte, et des mots écrits dans des polices moins sérieuses renforcent le côté enfantin du texte, marqué également par les mots valises et les repentirs de l’auteure… Autant de clins d’œil à l’humour de Queneau…

Un livre qui fera passer de bons moments aux lecteurs à la recherche de divertissement… N’est-ce pas là aussi une des composantes du plaisir de lire ?

 

 

Les 4 saisons de la famille Souris

Les 4 saisons de la famille Souris
Kazuo Iwamura
L’école des loisirs, 2013

Famille, nature, saisons

Par Anne-Marie Mercier

Les 4 saisons de la famille SourisLa préface d’Arthur Ubschmid résume bien le charme particulier des albums de Kazuo Iwamura : pages très remplies, dessin minutieux cachant de nombreux détails à découvrir, famille idéale ou tout (ou presque) se fait en commun. On pourrait aussi ajouter où tout se fait avec plaisir et semble-t-il pour le plaisir : confectionner des luges, ramasser des framboises, construire une maison, tout semble un jeu.

Ces quatre saisons sont représentées par quatre albums parus séparément : Une Nouvelle Maison pour la famille Souris, L’Hiver de la famille Souris, Le Pique-nique de la famille Souris, Le Petit Déjeuner de la famille Souris.

Cinq minutes et des sablés

 Cinq minutes et des sablés
Stéphane Servant Irène Bonacina
Didier jeunesse 2015,

 Quand les sablés font des miracles  

Par Maryse Vuillermet

 

cinq minutes et des sablés Une Petite Vieille s’ennuie toute seule chez elle alors elle attend la mort.

La mort arrive sur sa belle moto, mais comme ni la vielle dame ni la mort ne sont pressés, la  Petite Vieille lui propose des sablés,  mais lui demande d’attendre cinq minutes pour qu’ils soient bien à point. Elle lui propose aussi un bon thé.  Arrivent le chat, très drôle, elles jouent avec lui, puis Kenza la petite voisine, elles jouent aussi avec elle, puis un monsieur élégant… Tout l’album est construit sur ce principe des visites qui distraient la mort. De cinq minutes en cinq minutes, on gagne du temps .

Finalement,  toute la ville est là et c’est la fête. Mais la mort est fatiguée, elle renonce à emmener la Petite Vieille, elle reviendra plus tard.

Cet album tout en délicatesse et tendresse,  servi par le dessin subtil d’Irène Bonacina, est un hymne à la vie, une piqûre de rappel pour tous,  jeunes et vieux, profitons de chaque minute, ne soyons pas pressés ! Et rendons visite aux vieilles personnes seules.

La petite Maison de bois

La petite Maison de bois
Christopher Corr
Gallimard Jeunesse 2016

Amitié, partage et solidarité au sein de la forêt

Par Michel Driol

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

Une souris trouve, au cœur de la forêt, une petite maison de bois, à la porte rouge et aux neuf fenêtres. Elle s’y installe, puis y accueille successivement une grenouille, un lapin, un castor, un renard, un coq, un cerf, un écureuil, une chouette, deux pies, un pic-vert.  Dans une joyeuse entente, ils font la fête et attirent ainsi un ours brun. Mais, pour l’ours, pas de place. Pour entrer malgré tout, ce dernier grimpe sur le toit, et casse la maison. Après un moment de tristesse collective, l’ours prend l’initiative de rebâtir une maison plus grande où tous font la fête !

Voici une belle adaptation d’un conte russe en randonnée (déjà adapté en 2001 par Robert Giraud, Gérard Franquin sous le titre Brise-cabane au Père Castor). Ecrit dans une langue simple et rythmée, favorisant la lecture orale du texte, cet album respecte les lois de la randonnée (répétition de formules soit à l’identique, soit avec d’infimes variations). Peut-être lui trouvera-t-on sur le fond un côté Bisounours, tous les animaux, prédateurs et proies, à poils et à plume, vivant ensemble dans une harmonie universelle. Mais se distille ainsi une vision de tolérance et d’accueil dont notre époque a bien besoin.

Les illustrations, gaies et colorées, à la limite de la fluorescence, accompagnent au plus près le texte. La représentation des animaux les anthropomorphise plus ou moins dans leur pose. Les yeux, humains et expressifs, favorisent l’identification du lecteur à cette communauté animale. Chacun joue d’un instrument, et on cherchera la balalaïka, le violon, l’harmonica… Alternent enfin les scènes de jour (sous le regard bienveillant du soleil) et de nuit (sous la protection de la lune), puissances tutélaires qui se retrouvent réunies dans la dernière illustration.

Un bel album, plein de vie et de couleurs !

Ma mère, le crabe et moi

Ma mère, le crabe et moi

Anne Percin

Editions du Rouergue, septembre 2015.

Ma_mere_le_crabe_et_moi

Comment réagir quand on a quatorze ans et qu’on découvre que sa mère a un cancer ?Surtout lorsqu’on vit seule avec elle.

C’est la question à laquelle la jeune narratrice de ce roman drôle et bien écrit se trouve confrontée. Son père -qu’elle voit peu- est parti un beau jour, quatre ans plus tôt, pour une autre femme. Son frère aîné a quitté la maison. C’est donc seule aux côtés de cette mère, aide à domicile pour des personnes âgées et qui peuple sa solitude en enjolivant un peu sa vie sur son blog (« Lectures et confitures ») que la jeune fille doit faire face.

Si la lutte contre « le crabe » comme elles l’appellent va renforcer leurs liens, elle va surtout les conduire toutes deux à une véritable métamorphose… amenant l’une à se reconstruire de force, l’autre à forger sa personnalité.

Drôle, pudique et sans une once de pathos, ce roman qui se lit d’une traite pose cependant de vraies questions sans en avoir l’air sur la maladie, les rapports mère-fille, la construction de l’identité féminine, l’amitié (réelle ou « virtuelle »), l’amour et, surtout, le dépassement de soi.

Un beau roman émouvant (dès douze ans).

La Passe-miroir, 1 : Les fiancés de l’hiver

La Passe-miroir, livre 1: Les fiancés de l’hiver
Christelle Dabos
Gallimard jeunesse, 2013

Ebouriffant !

Par Anne-marie Mercier

la-passe-miroir,-livre-1Avec du retard, j’ai découvert la nouvelle série française, La Passe-miroir, qui a obtenu le prix du premier roman jeunesse en 2013 (prix organisé par Gallimard Télérama et RTL, ne pas confondre avec celui des incorruptibles qui récompense lui-aussi une première œuvre)., prix Elbakin, prix de l’Hérault, et j’en oublie sans doute. Ajoutons lui une sélection pour le prix lietje si on se décide à l’organiser cette année ! Et mon prix personnel du meilleur roman de fantasy de l’année.

Il est bien écrit, avec des personnages originaux et attachants, une intrigue complexe que l’on découvre progressivement, un zeste d’humour, beaucoup de suspens et de noirceur, et est surtout marqué par une Inventivité ébouriffante. Tout cela étant impossible à résumer, je renvoie au site de l’auteur qui propose une galerie des ses personnages, des résumés et surtout un blog avec lequel elle communique avec ses lecteurs.

Qu’est ce qui est le plus attachant dans ce premier volume ? Peut-être l’héroïne, Ophélie, maladroite, au physique ingrat, aux lunettes qui changent de couleur selon son humeur et se cassent facilement, la laissant dans le brouillard. Elle porte une écharpe vivante et encombrante, son « premier golem » : ainsi apprend-on que les personnes de son monde donnent vie à des objets comme on tricote chez nous – des écharpes informes pour commencer. Totalement dépassée par les événements, elle est détentrice d’un don rare, ou plutôt de deux : l’un fait d’elle une « liseuse » capable de solliciter la mémoire des objets qui lui révèlent l’état d’esprit de ceux qui les ont manipulés, l’autre lui permet de se déplacer d’un miroir à un autre, comme dans le film de Cocteau, Orphée.

Ou bien l’attrait du livre tient-t-il à l’univers dans lequel elle évolue ? Le monde terrestre a été fragmenté après un conflit apocalyptique, en « arches ». On se déplace de l’une à l’autre en dirigeable (curieux, cette mode du dirigeable en littérature pour la jeunesse : Vango, Le Château des étoiles…). Celle à laquelle Ophélie appartient, Anima, est une structure matriarcade et familiale – tous ses habitants sont apparentés –, assez débonnaire et futile (je pense au début à une parenté avec la très belle série La Maison sans-pareil d’Eliot Skell que j’avais élu aussi « meilleur roman de fantasy). Seul un grand-oncle archiviste et Ophélie, qui travaillent ensemble au musée, semblent avoir un peu de sérieux. Sur Anima, chacun a un don en rapport avec l’âme des objets. On se marie entre soi (Ophélie a déjà refusé deux proposition de mariage avec des cousins). Une ancêtre et un conseil des doyennes règnent sur ce monde.

Pour des raisons mystérieuses, alors que l’endogamie est la règle, on a décidé de la fiancer à un étranger, un homme du pôle, austère et froid, qui l’emmène dans son monde sans rien lui dire de ce qu’on attend d’elle et du monde qu’elle va découvrir. Avec une vieille tante pour chaperon, elle découvre au Pôle une citadelle glacée habillée d’illusions trompeuses, un labyrinthe où l’espace de distend ou se raccourcit sans cesse, où d’étranges ascenseurs vous emmènent dans des lieux réservés. Ce labyrinthe n’est pas plus complexe que celui de la cour où elle évolue, pleine de faux semblants, de menaces bien réelles, où il ne faut faire confiance à personne, surtout pas à sa famille.

J’ai retrouvé le charme de La Maison sans-pareil, autant dans la vaste cousinade d’Anima où chacun cultive son petit talent sans trop de poser de questions que dans la ville labyrinthique du pôle. Elle évoque aussi la maison infinie de L’autre de Pierre Botero, mais tout cela de manière très originale. Comme dans L’autre d’ailleurs, on trouve des familles humaines dotées de pouvoirs particuliers. S’il n’y en a qu’une sur Anima (les Animistes), au pôle plusieurs se déchirent pour avoir la faveur de l’ancêtre : « Dragon » agressif (le fiancé en fait partie, et l’on retrouve des éléments de La Belle et la Bête), « Mirage » capable de créer des illusions, « Trame », dont les membres sont reliés psychiquement entre eux et incapables de dissimulation… Le contexte social est celui d’une cour qui semble en fête perpétuelle et qui se jalouse et se déchire, y compris au sein d’une même famille : assassinats et tromperies sont le quotidien des nantis, tandis que tout un peuple de valets et femmes de chambre trime jusqu’à l’épuisement, contrôlé par une police redoutable. Ophélie, issue d’un monde relativement égalitaire sinon démocratique, découvre ces mondes, tantôt en tant que fiancée cachée, tantôt sous le déguisement d’un valet.

Quant à l’intrigue amoureuse qui devrait être centrale, puisque l’héroïne est fiancée et que le titre du volume porte ce nom, mais elle est à la fois centrale et marginale. Elle se rapproche d’une trame bien connue du roman sentimental : la jeune fille, terne et sans intérêt, rencontre un homme puissant – pas forcément beau, et c’est même tout le contraire ici. Cet homme impressionnant s’avère fragile et incompris, sa dureté est un masque, l’héroïne arrive à le percer à jour. Elle lui devient indispensable car elle est la seule à savoir qui il est vraiment… Mais ce modèle très courant dans les collection Harlequin etc., est subverti dans de nombreux points : l’intrigue principale tient à la question de savoir pourquoi on cherche à marier Ophélie avec Thorn, et qui manipule qui. Elle le découvre peu à peu et passe vis-à-vis de son fiancé de l’indifférence à la confiance, puis à l’hostilité – le sentiment de n’être qu’une chose dans ce jeu dont elle ignore les règles et dans lequel elle n’a aucun choix demeurant permanent. La place marginale de la question sentimentale nous épargne les atermoiements et dialogues exploratoires de la planète sentimentale qui bien souvent plombent le roman pour adolescents (et en font un roman pour adolescentes).

Enfin, une cruauté rampante et constante en font aussi un roman noir : les séductions des mondes imaginaires sont un masque séduisant qui couvre les pires crimes. A la fin du roman, beaucoup sont morts, y compris des innocents, et la gueule d’ange d’un enfant est celle du pire monstre de cet univers… Tout un programme !

La suite bientôt ! je vais lire d’urgence le tome 2 et le 3 est en préparation…

La Roche qui voulait voyager

La Roche qui voulait voyager
Nono Granero, Géraldine ALibeu
HongFei, 2015

Ecouter le minéral

Par Anne-Marie Mercier

La Roche qui voulait voyagerQui dit que les pierres n’ont pas de cœur ? Celle-ci en a un, et des rêves, et de la volonté à revendre. Celui qui devrait le mieux la comprendre et l’aimer, un géologue, ne veut rien entendre ni comprendre, surtout pas son envie de voyager. Pour la faire taire, il la réduit en morceaux qui tous crient le même désir, jusqu’à ce qu’ils fassent enfin silence : la roche réduite en poussières s’en est allée avec le vent.

Faut-il voir un sens caché à cette histoire ? Pas forcément, mais on peut.

Ce qui est obligé, absolument, c’est d’être dans un premier temps intéressé par cette pierre, que Géralidine Alibeu rend touchante et amusante, expressive avec ses petits bras et son petit sourire, puis émerveillé par les paysages créés à grands crayonnés de couleur ou de noirs, d’estompages, superpositions de papiers découpés : tout un voyage…

Monsieur Hulot à la plage

Monsieur Hulot à la plage
David Merveille (d’après J. Tati)
Rouergue, 2015

Images fixes

Par Anne-Marie Mercier

Monsieur Hulot à la plageInspiré très fortement par les vacances de M. Hulot, cet album en multiples tons de gris, sans texte, en retrace une journée, du matin au soir.

On y retrouve de multiples clins d’œil au film : le bateau en deux moitiés, des personnages, le restaurant de l’hôtel, des situations… L’allure de Hulot, sa silhouette raide et son pas élastique sont magnifiquement rendus.

A quel genre d’enfant proposer ce livre ? A un grand, amateur de longue date de Tati qui aimera voir une version en images « fixes », ou à un enfant qui serait sensible à cet humour dès son plus jeune âge, s’il existe ?