La nuit seule

La nuit seule
Hanno

Thierry Magnier, 2009

Aventure initiatique

Par Sophie Genin

Fantasme d’enfant : sortir la nuit, seul, dehors. Encore plus envie quand les autres se moquent régulièrement parce que vous êtes peureux !

41pKBkmE-UL._SL160_Dans ce « petite poche » tout en finesse, Hanno, auteur de Du bout des doigts, (nouvelle à chute très réussie, dans la même collection) explore la nuit, à travers les yeux d’un enfant. On ne saura jamais si c’est une fille ou un garçon : identification assurée !

A la manière d’un Delerm, adepte des instantanés comme celui qui nous est livré, le narrateur écrit en rentrant, après cette aventure qui prend des proportions aussi grandes que » la nuit seule installée dans la chambre » :

« C’était bien d’être dehors. C’est bien d’être là. »

Tout est dit, pudiquement comme tout au long de ce court récit : il est bon de se faire un peu peur mais quel soulagement de regagner son lit, sa chambre rassurante !

La Conquête de l’espace, vol.1 : le château des étoiles

La Conquête de l’espace, vol.1 : le château des étoiles
Alex Alice
rue de Sèvres, 2014

Les espaces infinis

Par Anne-Marie Mercier

lechateaudesetoilesAvec cette bande dessinée qui couvrira plusieurs volumes, les éditions rue de Sèvres (c’est-à-dire la branche bandes dessinées de l’école des loisirs) se lance dans une entreprise qui les hissent à la hauteur des grands: l’objet est tout d’abord superbe, avec une couverture raffinée, à l’ancienne, et une impression sur papier fort qui met en valeur toutes les nuances des dessins aquarellés. La technique du dessin mélange plusieurs styles, ligne « claire », hyperréalisme, crayonnés ; les personnages bénéficient de traitements différents, ce qui introduit une bizarrerie, à laquelle on s’habitue vite, porteuse de signification.

L’histoire ne manque pas non plus d’ambition, mettant en scène la grande histoire en la personne du roi de Bavière Ludwig et sa cousine l’impératrice d’Autriche, connue sous le nom de Sissi. On passe dans des décors somptueux de forêts, de château étrange et labyrinthique, et on s’envole dans de drôles de machines.

Les personnages inventés reprennent des caractéristiques classiques des héros de romans d’aventures : une femme disparue mystérieusement, son mari, un savant quelque peu renfermé mais ferme sur ses principes, un fils courageux et sensible, d’autres enfants, pauvres et hardis, dont une fille, des espions sinistres et sans pitié qui tentent de découvrir le secret emporté par la mère du garçon, et complotent contre le roi, et surtout de merveilleuses machines volantes et un rêve d’aile qui emporte tout.

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Vingt et une heures

Vingt et une heures
Hélène Duffay
Ecole des Loisirs, 2015

« Adulte juste pour essayer »

par Christine Moulin

41w5UohgtlL._SL160_Ce pourrait être une nouvelle. Les personnages sont au nombre de deux seulement : la narratrice, Pauline, et son frère, Emilien. Ajoutons, si l’on veut, la mère, dont l’absence pèse sur tout le  récit : partie chercher le pain, elle ne revient pas… Le décor est minimaliste : une maison de vacances au bord de l’Océan. Les événements sont peu nombreux : Emilien manque de se noyer.

Et pourtant, le temps est celui du roman. A cause de la narration alternée, sans doute : certains chapitres, au présent, racontent la matinée et la noyade d’Emilien, les autres, au passé, les événements de la veille ou le passé plus lointain, qui donne au personnage de Pauline sa profondeur. On apprend qu’elle a perdu son père, on comprend les relations conflictuelles qu’elle entretient avec sa mère, le lien privilégié qui l’attache à son frère, on entraperçoit les douces errances de ses sentiments amoureux pour une fille mais tout aussi bien pour un garçon, qui ressemble un peu à une fille, d’ailleurs. Temps du roman aussi parce que l’accident qui arrive à Emilien joue le rôle d’épreuve initiatique et fait basculer l’adolescente dans l’âge adulte mais aussi, paradoxalement, dans une sorte de sérénité, d’ouverture à la vie. Elle est en cela guidée par son frère, pourtant plus jeune, mais par bien des côtés, plus solide et plus mûr, et par un chien « qui adore rendre service, […] c’est dans sa nature de chien ».

Nous voici donc devant un objet non identifié qui illustre assez bien l’adage anglais: « Less is more ». Le mystère qui est au cœur du roman reste inexpliqué (qu’a fait la mère pendant son absence?), tout est suggéré, si bien qu’une fois la dernière page tournée, le silence qui s’installe ouvre à la réflexion. On se surprend à penser que les personnages seront de ceux dont le souvenir ne s’effacera pas de sitôt.

Tor et les gnomes

Tor et les gnomes
Thomas Lavachery
L’école des loisirs, 2015

Eloge de la compassion

Par Anne-Marie Mercier

Tor de Borgcouvmouchegabaritisvik est un enfant sensible, qui aime bien son père et son oncle, mais est capable de penser qu’ils peuvent avoir tort. Il va à la pêche avec eux, et si ça ne mord pas, c’est forcément la faute d’un farfajoll que père et oncle piègent et exposent moribond sur la place du village. On devine la suite : Tor le sauve, et est récompensé par la suite de cette bonne ( ?) action.

Certes, cela n’a rien d’original, à part le cadre nordique et la description du farfajoll, être délicat et étrange. Mais on ne se lasse pas de ces histoires d’alliance entre l’enfance et le bizarre, le petit, l’improductif.

Enfin, les dessins de Thomas Lavachery qui propose toute une encyclopédie d’êtres formant le « petit peuple » ont bien du charme.

Chien pourri sans collier

Chien pourri
Colas Gutman, Marc Boutavant (illustrateur)
L’école des loisirs (Mouche), 2013.

Par Bérengère Avril-Chapuis

Chien Pourri est né dans une poubelle et de nombreuses rumeurs courent à son sujet : il aurait été abandonné par ses parents, sentirait la sardine et confondrait sa droite avec sa gauche. Tout cela est vrai, mais ce n’est pas tout : Chien Pourri est également recouvert de puces et ne se

déplace jamais sans un fan-cub de mouches.

50106-h245Ainsi débute le premier volet de la très originale série des Chien pourri créée par Colas Gutman et le très doué Marc Boutavant. Sous un visage animalier et dans un registre humoristique très décalé, le personnage éponyme s’affirme, on l’aura compris à la lecture de cet incipit, comme le digne héritier de Lazarillo de Tormes. Chien pourri n’a ni nom ni maître, il pue, il est moche et il n’est pas non plus très intelligent – pour ne pas dire franchement bête. C’est donc un anti-héros à part entière qui fait sourire (voire franchement rire) le jeune lecteur à ses dépens, ce qui peut s’avérer une expérience un peu déroutante – et bien sûr amusante. Le lecteur a toujours une longueur d’avance sur le pauvre animal qui ne comprend ni ne devine jamais ce qui risque d’arriver : « Chien pourri, tu es aussi naïf que moche, et tu es très moche ! » s’exclame ainsi (p.33) son compagnon d’infortune Chaplapla, chat de gouttière de son état.

Toutefois, nous dit-on, Chien pourri est affectueux. En mal d’amour, le ventre creux, à la recherche d’un maître plus encore que d’un sac de croquettes, notre sac à puces se retrouve pris malgré lui dans divers épisodes aventureux, croisant brigands et autres trafiquants.

On peut regretter que cette veine ne soit pas davantage exploitée – on adorerait. Mais on reste ravi à la découverte d’un personnage aussi original, comme on l’est d’entendre de jeunes lecteurs rire à gorge déployée à la lecture de ses aventures. Les illustrations sont magnifiques – riches, précises, colorées, marquées du style unique de leur auteur – et ajoutent encore à la saveur et à l’humour totalement décalé de ce roman très adapté aux plus jeunes des lecteurs autonomes.

Little Man

Little Man
Antoine Guilloppé

Gautier-Languereau, 2015

Le rêve de l’exilé

par François Quet

 thLe personnage s’appelle Cassius. On croit d’abord que ce sera une histoire de boxe. Mais non. C’est juste l’histoire d’un rêve d’enfant. Celui-ci rêve qu’il franchit un pont et part à la conquête de la Ville. À la fin de l’album, son père le réveille, c’est son anniversaire : le moment est venu de passer le pont. De Cassius, on sait juste qu’il a fui un pays en guerre, une guerre qui l’a forcé à franchir l’Océan et dont Guilloppé présente deux images terrifiantes sur un fond de végétation proliférante. Sur la ville de l’autre côté du pont, on ne sait rien non plus, sinon qu’une statue gigantesque y veille sur les réfugiés et que cette statue est celle de la Liberté.

Antoine Guilloppé utilise les papiers découpés avec une intelligence magique. De little man aux façades de Big Apple, tout n’est que jeux de proportions et de formes : la préciosité des dentelles de papier évoque ici une toile d’araignée, ailleurs les barreaux d’une prison ou les grilles limitant l’accès à un Eldorado, ailleurs encore une boule à facette réfléchissant une lumière fragmentée ou encore le filet protecteur d’un vitrail splendide. La silhouette de l’enfant noir s’inscrit toute petite sur la trame insensée de la ville géante ; d’autres fois c’est son visage devenu immense qui absorbe et reflète les lumières de la ville.

Le texte d’Antoine Guilloppé est résolument optimiste puisque tout semble devoir sauver l’enfant réfugié, déjà parvenu aux portes de la ville désirée, sous la protection de sa célèbre statue et bientôt admis à la visiter autrement qu’en rêve. Ses images sont cependant beaucoup plus ambiguës. L’enfant est si petit…, il n’arrête pas de courir, il ne rencontre personne (« il a rêvé qu’il jouait à cache-cache avec les adultes »). Sur l’écriteau accroché à une grille (« Please Keep Dogs Off »), c’est Keep off que je lis ou que j’entends ; la silhouette des policiers qui l’observent ne me rassure pas complètement et la beauté de la ville, redessinée par les ciseaux de Guilloppé m’effraie autant qu’elle m’éblouit.

La technique des papiers découpés, habituelle dans le travail de Guilloppé, prend ici une ampleur considérable en raison du thème abordé, mais aussi en raison des dimensions de l’ouvrage (un très grand format carré de 31 x 31) et surtout parce que les pages sont effectivement découpées, ce qui permet des jeux de superpositions saisissants. C’est un tour de force magistral sans doute, mais pas seulement. La magie de l’illustration permet en effet d’interroger la surnaturelle séduction de la métropole américaine.

L’enfant et la baleine

L’Enfant et la baleine
Benji Davies (texte et illustrations).
Traduit (français) par Mim
Milan, 2013.

 

Par Bérengère Avril-Chapuis

l-enfant-et-la-baleineDes illustrations magnifiques dans lesquelles la couleur fait ligne – et quelle ligne… elle vibre, dans de délicats camaïeux, la plupart du temps sur les deux pages déployées : cet album est un voyage où tournant les pages vous sentirez l’air marin passer sur votre visage.

Noé ( ! ) vit seul avec son père – et leurs six chats – au bord de la mer.

Le père travaille beaucoup. Il est pêcheur.

Noé reste seul en compagnie des chats.

Noé se tait – il n’a pas de bouche, et son père n’est pas là.

Mais voilà qu’une nuit une grosse tempête rugit.

Au matin toujours seul Noé se promenant fait une étrange rencontre sur la plage… celle d’un baleineau échoué. Le petit garçon décide de le secourir. Mais que dira son père ?

Du chant des solitudes tues à celui des baleines au large, c’est un album plein de pudeur – de celles qui peuvent exister entre un homme et son fils – et de poésie qui s’ouvre là, jusque dans les pages de garde oniriques et profondes.

Prix jeunes lecteurs du Nord Isère 2014-2015.

L’amour et les tortues

Image

Un amour de tortue
Roald Dahl, Quentin Blake (illustrations)

Traduit de l’anglais par Henri Robillot
Paris, Gallimard jeunesse (Folio cadet « Premiers romans »),  2014 (1990), 70p.

Par Bérengère Avril-Chapuis

UnknownPublié en 1990 pour la première fois, ce très court roman de Roald Dahl ne figure pas parmi les plus connus de ses livres. Il est pourtant délicieux. On retrouve en effet toute la subtilité du grand écrivain, toute sa délicatesse dans le récit de cette histoire d’amour – car c’en est une. Monsieur Hoppy, un vieux monsieur solitaire et timide, jeune retraité, épris de fleurs (qu’il cultive sur son balcon, au sommet de la tour où il vit) est secrètement amoureux de sa voisine du dessous, madame Silver. Veuve, tout aussi esseulée que lui, celle-ci semble n’avoir d’yeux que pour sa petite tortue, Alfred. Mais voici qu’un jour de printemps, madame Silver confie à son voisin qu’elle voudrait qu’Alfred grossisse un peu.

Une idée aussi folle qu’amusante germe alors dans l’esprit de M.Hoppy…

Courte histoire d’amour, donc, où la malice, la fantaisie et l’humour occupent le premier plan, réservant un traitement très spécial au petit animal évoqué dans le titre. Les illustrations de Quentin Blake, savoureuses et très colorées, soutiennent la lecture et donnent tout son sel au texte.
En guise de prologue, une note de l’auteur nous livre quelques indications biographiques intéressantes pour entrer dans le récit.

Une excellente lecture pour les plus jeunes comme pour les plus grands.