Clapas

Clapas
Isao Moutte
Sarbacane, 2021

Du sang dans la Drôme

Par Anne-Marie Mercier

Si vous cherchez un équivalent en BD du film Délivrance, le voici : Clapas raconte l’errance de plusieurs jeunes gens, coincés sur un trajet par une panne ou un éboulement. Leurs tentatives pour trouver de l’aide dans ce lieu isolé, en pleine nature, et même dans le village proche, aboutissent toutes à des catastrophes.
C’est d’autant plus terrifiant que cela se passe en France, dans les forêts escarpées du sud de la Drôme, autour de Luc en Diois où se trouve le Claps (ou Clapas, qui signifie éboulement), plus connu pour ses activités de canoé et d’escalade que pour les assassinats de touristes.
Et pourtant, grâce à l’art du récit d’Isao Moutte, on y croit : l’inquiétude monte progressivement, la description des personnages, notamment celle de ceux qui seront à l’origine de tous les drames, se fait peu à peu, par étapes. Le lecteur prend en sympathie les différents « naufragés de la route », et voit que l’étau se resserre sur tous, implacablement.
Le trait est acéré, les couleurs limitées aux ocres, frissons garantis (on l’aura compris ce n’est pas destiné aux enfants).

L’Envol

L’Envol
Marie Boulier
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand la grande sœur décède

Par Michel Driol

En fait de morts, Zéphyr n’a connu que celle de son hamster et de Jacques Chirac, qui ont été accompagnées de minutes de silence. Maintenant, c’est sa grand sœur Alma qui s’est tuée en parapente. Il raconte ses émotions, les bouleversements, la veillée avec la famille et les copains d’Alma, la cérémonie à l’église, et la dispersion des cendres…

Raconter le deuil à hauteur d’enfant, avec émotion, c’est ce que réussit parfaitement Marie Boulier dans ce petit roman. Comment se mêlent la tristesse et les fous rires, les souvenirs des jours heureux et l’anticipation de ce que sera l’avenir avec un grand vide, d’autant plus grand que c’est celui laissé par la sœur ainée, qu’on devine pleine d’humour et d’appétit de vivre. Suivant chronologiquement les différentes étapes, le récit accompagne Zéphyr, qui triture sans cesse ses billes au fond de sa poche comme un geste obsessionnel, et nous fait partager avec beaucoup de sensibilité ses questionnements à la fois naïfs et profonds.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui traite avec pudeur et réalisme la question du deuil, et de la mort qui vient bouleverser une famille, avec un titre richement polysémique.

Petits portraits de chats

Petits portraits de chats
Collectif
Grasset jeunesse (« la collection »), 2021

Une anthologie classico-moderne

Par Anne-Marie Mercier

Cet ouvrage de la collection « la collection » de Grasset se rapproche du « beau livre », à travers une anthologie qui réunit des auteurs de différentes époques et de différents genres : les poèmes de Baudelaire, Rostand, Roubaud, Maurice Carême, Apollinaire, Florian, Obaldia, les comptines et les textes sur des chats inoubliables (le Tybert du Roman de Renart, le chat du Cheshire d’Alice au pays des merveilles, celui de Jules Renard) sont accompagné de superbes illustrations faites selon le principe de cette série (un temps d’exécution court et une palette limitée à trois ou quatre couleurs) faites par des artistes contemporains : on y trouve Jean-François Martin, Christophe Merlin, Rébecca Dautremer, Gérard Du Bois, Ilya Grenn, Heng Swee Lim, Alain Pilon, Maxime Derouen, Clémence Pollet, Nathalie Choux et Sandrine Bonini.
Malgré la diversité des illustrateurs, il règne une certaine unité dans les images, souvent inspirées d’une tradition plus ancienne de l’illustration, toujours avec une belle qualité d’impression sur beau papier. Quant aux textes, ils font chacun à leur manière l’éloge du chat éternel sous ses divers aspects : attendrissant, inquiétant, comique, et surtout « subtil » (J. Renard).

 

Tous les chiens savent nager (ou presque)

Tous les chiens savent nager (ou presque)
Gauthier David
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand Papi jette la chienne à l’eau

Par Michel Driol

Mika dore passer ses vacances chez Papi Bouli, où il peut jouer avec Morille, la petite chienne. Jusqu’au jour où le grand père, pour prouver que tous les chiens savent nager, jette la petite chienne à l’eau. Celle-ci regagne bien la rive, mais ensuite boite et gémit. Et le grand père ne veut rien savoir, si bien que Mika se sauve avec Morille pour trouver un moyen de la guérir.

Voilà un roman qui tranche avec les représentations des relations grands-parents / petits-enfants en littérature pour la jeunesse. Le geste imbécile du grand-père, sa volonté de ne pas le reconnaitre, de ne pas s’excuser, conduisent son petit-fils à le voir autrement, comme un monstre d’abord, puis comme un homme qui a vécu et a, sans doute, son histoire à raconter. C’est là l’intérêt de ce petit roman de poser des questions d’ordre psychologique. Les adultes aussi peuvent se conduire comme des enfants. Il est bien difficile de reconnaitre ses torts. Mais, bien sûr, l’amour finit par tout arranger !

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui permet d’aborder la question du comportement de tous et de chacun, et la notion de responsabilité

Ma Super Cyber Maman

Ma Super Cyber Maman
Laure Pfeffer

Thierry Magnier, 2022

Machine attentionnelle

Par Matthieu Freyheit

« Tout le monde ne peut pas être orphelin. » On se souvient de la formule, rêveuse et provocante, que Jules Renard fait prononcer à Poil de Carotte. Margaux, elle, ne se voit pas du tout orpheline, et ce sont les absences répétées de sa mère qui lui en font commander…une deuxième.
Après avoir longtemps accompli des performances physiques, les robots de nos fictions, comme ceux qui investissent peu à peu le réel, accomplissent désormais des performances sociales, communicationnelles et émotionnelles. Robots de compagnie, empathie artificielle, ingénierie des émotions et des expressions : la conjonction de la robotique et de l’intelligence artificielle, de plus en plus indissociables selon Raja Chatila, engendre de nombreux fantasmes, et en réalise même certains.
La machine « intelligente » vient ici au secours de la famille dans un texte qui a le talent de ne jamais forcer le trait. La situation est elle-même improbable, mais cela n’a pas la moindre importance : la commande d’une cyber maman (qui aurait tout aussi bien pu être ici un cyber papa) inscrit la fiction de Laure Pfeffer dans la lignée de celles qui interrogent les compensations permises par la technologie. Le choix du terme « cyber maman » plutôt que « cyber mère » en titre, au-delà de la préférence euphonique, traduit les besoins de Margaux : présence, affection, moments partagés, rires… L’habituelle répartition des rôles (à la machine, le calcul ; à l’humain, l’émotion) est donc inversée : professionnelle de l’organisation, la mère de Margaux laisse cette dernière à la garde d’un « planning » aimanté sur le frigo, comme l’absence est épinglée sur le cœur.
C’est pourtant le planning de trop qui va bouleverser le cours des choses en conduisant Margaux à la commande, sur Internet, d’une deuxième maman qui serait tout à elle. Mais malgré le bonheur apporté en secret par la gynoïde (la mère humaine n’ayant bien entendu pas été informée de l’achat), la relation entamée laisse apparaître un dysfonctionnement qui ne dit jamais son nom : ignorante du monde, cette nouvelle maman se laisse guider par sa fille, au profit d’une relation où les rôles peinent à se définir.
L’auteure sait que le réalisme se situe souvent dans la métaphore : il n’est pas question ici d’une fiction qui se voudrait anticipatrice, mais d’une mise en scène de nos processus de délégation. Récemment, Gérald Bronner a mis au jour le hold up attentionnel accompli par nos outils technologiques (voir Apocalypse cognitive, 2021). La fiction, qu’elle soit science-fiction ou non, rappelle quant à elle que l’insularité des individus laisse volontiers aux smartphones et autres tablettes le soin d’occuper ce « temps de cerveau disponible » que les relations interpersonnelles directes ne prennent plus en charge. Car c’est bien une machine attentionnelle que commande Margaux ; une machine dont l’essentiel n’est pas dans l’émotion qu’elle affiche, mais dans celles qu’elle suscite, et que Laure Pfeffer traite avec une belle économie de moyens.

Le Roi et l’enfant

Le Roi et l’enfant
Fabrice Colin, Eloïse Scherrer
Sarbacane, 2021

Du conte au roman

Par Anne-Marie Mercier

Un vieux roi dont tous les soldats sont partis en guerre part pour une destination inconnue en n’emmenant avec lui qu’un palefrenier, un orphelin qui n’a que dix ans. Ils font de nombreuses rencontres, et l’enfant doit devenir chevalier pour défendre son roi…
Il y a du conte dans cette histoire d’enfant bizarre qui a pour amis des chevaux, une grenouille et une cigogne, il y a de l’épopée médiévale dans le portrait de ce vieux roi isolé, il y a du roman dans toute l’histoire, et notamment dans sa fin, un peu convenue.
La richesse confine parfois au trop et l’album souffre un peu de toutes ces directions, avec des ellipses qui pourront dérouter les plus jeunes lecteurs. Mais on y retrouve un petit air de fantasy bien dans l’air du temps. Si les illustrations d’Eloïse Scherrer sont  saisissantes dans les moments épiques et mettent bien en valeur de belles rencontres comme celle d’une ourse et de ses oursons, elles prennent un style étrangement désuet en fin de volume, comme pour souligner le décalage entre les différents univers.

 

Nino

Nino
Anne Brouillard
Edition des Eléphants 2021

Perdu au cœur de la forêt

Par Michel Driol

Personne n’a vu tomber Nino, le doudou de Simon, en pleine forêt, durant la promenade. Sauf Lapin, qui prend soin de Nino, et l’invite à prendre le thé. Puis c’est Ecureuil, puis les mésanges noires qui l’emmènent au sommet des arbres, d’où il peut voir son village. Et lorsque la nuit est venue, c’est Renard qui prend soin de lui, le présente à tous les animaux nocturnes, avant de le raccompagner chez Lapin, juste avant le passage de Simon et de ses parents, ravis de le retrouver et tout étonnés qu’il ne soit même pas mouillé…

Dans des images nimbées d’une douce lumière, tantôt froide et bleutée, tantôt chaude et orange, en une saison qu’on devine être à la limite entre l’automne et l’hiver, Anne Brouillard propose un récit qui flirte avec le merveilleux : des animaux aux coutumes très humanisées qui vivent dans de confortables maisons miniatures, pour tisser avec douceur et tendresse des thèmes et des valeurs qui lui sont chers. Le sens de l’accueil, de la solidarité et du soin qu’on accorde aux autres, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Souvent sans texte, les images permettent à chaque lecteur de parcourir toute la forêt, depuis les sous-sols du terrier de Lapin jusqu’au plus haut de la canopée. Elles inscrivent le récit dans une forêt pleine de mystères, sauvage et presque infinie. La taille des illustrations varie entre la double page à l’italienne, offrant de larges et magnifiques panoramas sur la forêt ou sur le village, et des vignettes mettant l’accent sur un intérieur de maison, ou constituant de petits scripts d’action à la façon de la bande dessinée, montrant la solitude et le désarroi du doudou perdu dans la nuit de la forêt. Ce qui renvoie à deux angoisses enfantines que l’album aborde : la peur de perdre son doudou, et la peur de la nuit et de ses mystères. Le récit dédramatise ces deux frayeurs enfantines, en faisant la part belle à l’imaginaire. Le doudou est fort bien accueilli par tous les animaux de la forêt qui vivent en bonne entente, et il trouve un passeur pour lui permettre de traverser la nuit, le renard qui le promène sur son dos avec une infinie tendresse. Au fond, c’est un double récit initiatique que propose cet album. D’abord celui d’une perte et d’une retrouvaille, rassurante pour Simon, qu’on découvre, à la fin de l’album, en compagnie de Nino, dans un surprenant face à face avec les animaux de la forêt, de part et d’autre de la vitre protectrice de la maison familiale. Mais c’est surtout le récit de l’initiation de Nino, dans la forêt d’une vie à laquelle rien ne l’a préparé, mais dans laquelle il trouve des appuis bienveillants, des aides inattendues pour l’aider à surmonter l’épreuve et à en sortir grandi. Reste enfin à dire comment la poésie du texte et des illustrations sait aussi se conjuguer avec des moments pleins d’humour, comme cette conversation sur les désirs des enfants tenue dans le terrier de Lapin… Lewis Carroll n’est certainement pas loin !

Un livre qui donne vie à un drôle de doudou, corps d’enfant et tête d’animal, aux sentiments et aux émotions si humaines, un album qui fait la part belle à l’imaginaire, un album pour nous rappeler enfin à quel point nous devons vivre en bonne entente avec  la nature.

Petite mer

Petite mer
Marie Colot Illustrations de Manuela Ferry
Editions du Pourquoi pas – Pourquoi pas la terre ? 2022

La  baleine (bleue) cherche de l’eau…

Par Michel Driol

C’est d’abord un face à face entre une petite fille et une baleine, de part et d’autre de la vitre d’un aquarium géant. L’enfant ressent l’ennui de la baleine qui lui raconte sa vie d’avant, sa liberté dans l’océan. Elle tient sa promesse de tout faire pour la libérer. Devenue mère à son tour, elle raconte cette histoire à sa fille, en espérant revoir la baleine dans l’océan.

Reprenant  un des  motifs fréquents en littérature pour la jeunesse, celui de l’amitié entre un enfant et un animal, voilà un album pour sensibiliser les plus jeunes à la question des animaux en cage, des poissons en aquarium, dressés pour faire des spectacles dans des delphinariums, dont la fin est programmée par une loi en France. Il s’agit bien sûr ici de plaider pour le respect des milieux naturels, et, au-delà des problématiques actuelles sur le bienêtre animal, de dire clairement que la place des animaux sauvages n’est ni dans un zoo, ni dans un cirque, ni dans un aquarium. Le récit joue sur l’opposition entre le grand et le minuscule : la baleine gigantesque dans l’aquarium trop petit pour elle, la baleine gigantesque face à la fillette, trop petite pour la sauver à elle seule. Il joue aussi sur le contraste entre l’univers de béton et de verre de l’aquarium et la beauté évoquée de l’océan de sa lumière et de ses couleurs particulières. Il joue enfin sur l’improbable : l’amitié entre une fillette et une baleine, montrant leur communication, n’hésitant pas à les faire, d’une certaine façon, dialoguer et échanger, façon de prêter des sentiments et des attitudes humaines à l’animal. Ce qui est mis en évidence, c’est la force de l’empathie de la fillette, à la fois sa naïveté et sa spontanéité dans ses réactions face à la baleine, mais aussi sa maturité dans sa capacité aussi à mobiliser autour d’elle, en parlant de cet animal, de façon à ce que la force du collectif puisse rendre à la baleine sa liberté. Les illustrations mettent surtout l’accent sur la baleine dans son milieu naturel, envahissant tout l’espace de sa grande taille, devenant pratiquement un univers à elle seule, dans un monde de couleurs et de joie.

Un album optimiste, qui n’est pas sans évoquer par certains aspects l’Œil du Loup, de Daniel Pennac, un album qui repose sur la transmission d’une baleine à une fillette, d’une mère à sa fille, pour dire qu’il faut savoir nager à contrecourant et respecter à tout prix le vivant, les animaux, ainsi que la liberté.

Mémégaphone

Mémégaphone
Gaëlle Mazars
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand Mamie vous emmène manifester

Par Michel Driol

Ferdinand voudrait plutôt qu’on l’oublie, et, quand sa grand-mère qui ne passe pas inaperçue vient le chercher à l’école dans une vieille voiture orange, c’est la honte. Pourtant, ce jour-là, la grand-mère l’emmène à sa première manif pour le climat… Il découvre sa grand-mère sous un autre angle, et, de plus, a une belle idée pour ne plus se faire maltraiter à la récré !

Traité avec humour, avec une écriture alerte, ce petit livre pose et oppose une grand-mère haute en couleurs, qui défend depuis sa tendre enfance les droits et les libertés, et son petit-fils, personnage attachant, à la limite victime de harcèlement scolaire, petit, timide et porteur de lunettes… Le narrateur est l’enfant, qui décrit sa première manif et s’étonne qu’à la télévision, on en parle si peu.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui n’hésite pas à aborder des thèmes sociétaux et la liberté de manifester.

Sous-sol

Sous-sol
Martine Pouchain
Sarbacane, coll. Exprim 202,

L’horreur d’un confinement en famille

 Maryse Vuillermet

Une famille composée de la mère, du père et de deux filles se retrouvent confinée au sous-sol de sa maison à la suite d’une catastrophe planétaire. Leslie, la narratrice, est la cadette, elle observe et raconte.
Leur père, pieux et très autoritaire, est le seul à sortir pour cultiver les légumes dans une serre mais il sort masqué et armé car les animaux redevenus sauvages sont dangereux.  Il leur décrit le monde d’Avant et leur rappelle constamment que, quand ils sortiront, ils seront les Elus, les rescapés, ceux qui ont réussi à survivre.
Leur vie est bien organisée car le père avait tout prévu même avant la catastrophe mais elle est horriblement ennuyeuse. Et  la tension entre les différents membres de la famille devient palpable, surtout entre la mère et le père et entre l’ainée, Amy et le père. Et un jour, la tension devient violence.
Cette histoire est très angoissante car elle est réaliste, elle sait remuer nos angoisses de catastrophe nucléaire, elle rappelle notre expérience de confinement et elle flirte avec le survivalisme actuel.
Un récit passionnant et très angoissant, des indices qui font monter savamment l’horreur et le doute, et dont on ne sort pas tout à fait indemne.