J’ai pensé à vous tous les jours

J’ai pensé à vous tous les jours
Loupérigot
Gallimard Jeunesse  2002 pour le texte,
Folio junior,  Réédition 2012

 Un conte de fées assez noir

Par Maryse Vuillermet

 

Cédric abandonné par sa mère est,  depuis sa naissance, un garçon  plein de rage et de colère. Méchant, grossier,  révolté, sa vie, de foyers en familles d’accueil,   se résume en  une succession de conflits et de fugues.  Seul,  son éducateur, Bernard le comprend  parce qu’il est lui-même un enfant abandonné, il le soutient et  réussit à le retrouver à chaque fugue. Cette fois, il a une grande nouvelle à lui annoncer. Il a fait des recherches sur ses origines  puisque c’est désormais possible et  lui a retrouvé  un frère, Adrien.  Mais ce frère,  abandonné comme lui,  a été adopté par une famille très riche et très bourgeoise habitant le XVI° arrondissement. Une rencontre  entre les deux frères est organisée par Bernard et les parents  adoptifs et… c’est la catastrophe.

Mais peu à peu, les deux frères, loin des adultes et à leur manière,  vont s’apprivoiser, et la dernière fugue de Cédric se fera  en compagnie de son frère pour retrouver leur mère biologique.  Hélas,  tout ne se passera pas comme prévu,  à la fois plus noir  que tout ce qu’on peut imaginer et  plein d’espoir malgré tout!

Ce roman parle  de la douleur insupportable de l’abandon mais aussi des différences sociales dues au milieu  et à l’éducation,  qu’il faut  savoir dépasser pour se comprendre.

Déclaration d’anniversaire

Déclaration d’anniversaire
Eléonore Cannone
Océans ados 2012

 Belle leçon de lutte contre les préjugés

 Par Maryse Vuillermet

 Aurélien,  dix-sept ans, Juliette, sa mère  Bénédicte, son autre mère,  Teddy, le frère de Bénédicte, Cindy,  l’amie de Teddy et  Milfred le chien s’expriment tour à tour. C’est un jour spécial, c’est l’anniversaire d’Aurélien,  Ses mères ont invité Teddy, et sa petite amie qu’elles ne connaissent pas. Aurélien est inquiet parce qu’il a quelque chose à annoncer !

Au début, on pense que ce roman va nous parler de l’homosexualité féminine et de l’adoption ou l’éducation des enfants par des couples homosexuels. En fait,  pas du tout ou pas exclusivement. On s’aperçoit que chacun a des préjugés, des idées préconçues sur les autres,  par exemple que les enfants élevés par des couples homosexuels sont traumatisés, Or, Aurélien élevé par deux femmes  se dit  très heureux.  Teddy n’a jamais eu que des petites amies belles et stupides, or, la petite amie de Teddy  est jolie et caissière,  les caissières jolies ne lisent pas, or, elle lit énormément, l’annonce d’Aurélien ne concerne pas la sexualité  ou la drogue, mais son avenir, et,… il veut faire une école de commerce, ses mères, artistes et bobos  trouvent ça horrible…

 Ce petit roman est construit ainsi sur toute une série de préjugés qui vont tous être battus en brèche grâce au dialogue et à l’écoute, basés sur  l’amour et la confiance. La notion de famille est également interrogée.  Une famille, c’est un groupe de personnes qui s’aiment,  pas forcément mariées, ni  mères et pères biologiques. Aurélien a donc une belle famille mais les parents de Bénédicte et Teddy ont refusé d’accepter la vie de leur fille et ne la voient plus « La famille n’est pas toujours fondée sur les liens du sang. C’est parfois le cas. Pas toujours. Elle est surtout fondée sur les liens du cœur. » (p99)

Au passage, un autre préjugé est détruit, et il nous concerne, en effet,  un clin d’œil  très appuyé est fait à la littérature jeunesse p 47 : « La littérature jeunesse est souvent sous-estimée, m’a-t-elle expliqué. Il n’y a pas de grands auteurs de littérature générale et de petits auteurs de littérature jeunesse. Il y a des grands et des petits dans les deux. On croit toujours que les auteurs font leurs premières armes en littérature jeunesse et qu’une fois qu’ils sont grands, et qu’ils ont fait leurs gammes de mots, ils peuvent enfin se lancer dans la  vraie littérature, rien n’est plus faux ; Et là-dessus, elle m’a sorti des petites merveilles de son rayon jeunesse.  Mon univers venait encore de s’ agrandir. Depuis, je lis de tout. »

Comme nous !

Un bon roman donc court mais plein de sagesse.

Brise glace

 Brise glace
Jean-Philippe Blondel
Actes Sud Junior, 2011

 Le poids si lourd des secrets

     Par Maryse Vuillermet

 Aurélien, jeune lycéen de dix-sept ans, cherche par tous les moyens à passer inaperçu.  Surtout que personne ne le remarque, ne lui adresse la parole, c’est tout ce qu’il demande. Il broie du noir,  n’imagine pas son avenir, ni son bonheur.

Pourtant, Thibaud, un garçon de sa classe,  lui parle, l’invite à une fête, à une soirée sympa, essaye par tous les moyens de le  sortir de  sa réserve, de sa déprime.

 Bien-sûr, Aurélien aimerait vivre, sortir, avoir des amis, mais des obsessions  le tourmentent et lui font préférer la solitude.  Qu’a-t-il vécu ? Qu’a-t-il fait de si horrible ? Quel est ce secret qui lui bloque la gorge quand il essaye de  le dire ?

 Alors, peut-être pourra-t-il le slamer ?  C’est ce qu’espère Thibaud en l’initiant aux soirées slam, une poésie orale qui s’improvise et se dit en public.

Beau dialogue d’adolescents tourmentés, plongée intéressante dans le petit monde des slameurs. Et une série de péripéties bien menées entre amour  et amitié naissants, trahisons supposées, révélations…

 Et quel que soit le moyen d’expression, SMS,  texte écrit  et passé  dans l’angoisse à l‘ami, slam crié en public, les secrets,  une fois dits,  pèsent moins lourds et  perdent  leur pouvoir mortifère.

Presque ado

Presque ado
Charlotte Moundlic
Thierry Magnier, Collection Petite poche,  2011

 Mon  corps  se transforme, où me cacher ?

                                                                                                       Par Maryse Vuillermet

Raphaëlle  commence mal sa journée car la boulangère la prend pour un garçon. Et puis, deux petites boules et des poils affreux apparaissent sur son corps, elle ne sait plus où se cacher.  Pour son entrainement de handball, elle met un maillot de bain très serré qui comprime ses petits boules et un  survêtement très large qui cache tout. Mais elle ne peut dissimuler sa colère qui  jaillit  en larmes. Sa mère et son père la comprennent mais ne peuvent pas la consoler. Son entraîneur Marjorie lui parle, sa mère lui achète de belles baskets et une brassière et elle gagne son match, la  journée se termine mieux qu’elle n’a commencé, la vie n’est pas si horrible.
Un petit livre sur un sujet peu abordé qui doit parler aux fillettes.

Plan B pour l’été

Plan B pour l’été
Hélène Vignal

Rouergue (doAdo), 2012

Magnifique leçon de vie!

par Maryse Vuillermet

 

Commencé à reculons, à cause du tire que je trouve un peu trop djeune, et accrocheur, j’ai adoré ce roman d’Hélène Vignal.

Je l’ai lu d’une traite, parce que l’intrigue, qui parait au début superficielle, devient vite très profonde et les personnages très attachants.

La mère de Louise lui a promis de l’emmener en vacances en camping avec son copain Théo (drôle, adorable, homosexuel très malheureux de devoir de cacher) mais au dernier moment,  son travail la rappelle à Paris. La seule solution est que la grand-mère,  Jamie,   accepte de changer ses habitudes,  de quitter sa vie très rangée, ses amis, ses fleurs et ses tisanes mais c’est impossible, le moindre changement la panique, elle se réfugie dans ses habitudes. De plus, elle se trouve trop vieille pour camper.

Louise a tellement envie de partir comme elle l’a  tant rêvé et de soustraire Théo à son horrible famille qu’elle va essayer de convaincre sa grand-mère,  de la faire changer d’avis. Pour cela,  elle doit percer son secret,  comprendre pourquoi elle est devenue si triste et si craintive. C’est là que l’intrigue devient une  enquête au fond du passé de Jamie, à la recherche de sa joie de vivre perdue.

 Louise soulève la poussière des malles, trouve des photos, des documents, comprend que  le jeune et beau mari de Jamie a été détruit par la guerre d’Algérie et en  est revenu en morceaux. Jamie a élevé seule sa fille, elle s’est endurcie. Il faut casser sa carapace, et Louise parle, parle, la fait parler, la bouscule parfois, pour sauver son été mais aussi pour la sauver elle aussi de sa non-vie. Et c’est urgent !

Et quand Jamie se décide enfin à partir,  les découvertes ne sont pas terminées, la vraie vie commence, la recherche du bonheur peut commencer même à 72 ans !

Le garçon talisman

Le garçon talisman

Florence Aubry

Rouergue,

Doado noir,  2012

 

Fuir l’horreur

                                                                                                             par Maryse Vuillermet

 

 Heinrich, 17 ans  se cache dans un container sur le port. Il fuit Les Autres. Il est un Zeru Zeru, un enfant du diable parce qu’il est albinos. Les Autres peuvent à tout moment l’attraper, lui couper les cheveux, le mutiler, le tuer. Alors, il se cache depuis sa naissance ; sa mère l’a abandonné, sa tante lui a appris à se maquiller et se grimer pour passer inaperçu, il sait reconnaître le danger et les ennemis. Même dans l’établissement spécialisé où on l’a mis avec les autres enfants comme lui, il est en danger, les Autres ont enlevé une fillette,  lui ont coupé bras et jambes.

Alors, il vit dans le container, il vend ses cheveux aux pêcheurs qui les croit magiques, il a une seul ami Vincent.

Un autre garçon du même âge souffre,  Val,  qui est en partie responsable de l’accident de sa sœur en kitesurf et qui veut tout faire pour la sauver. Le sorcier lui a dit que pour cela,  il fallait un morceau du corps d’un albinos. Il va donc rencontrer Heinrich…

 

Roman haletant, très angoissant, noir, cruel mais réaliste (inspiré de faits réels au Burundi à l’heure actuelle) tendre aussi, parfois et qui se termine par une lueur d’espoir.

Jeanne cherche Jeanne

Jeanne cherche Jeanne
Martine Delerm

Gallimard Jeunesse (Folio Junior),  2012

Qui suis-je? 

Par Maryse Vuillermet

  Jeanne, treize ans, a été retrouvée inanimée et amnésique après un accident de la route. Malgré la rééducation, elle ne retrouve aucun souvenir d’avant. Et personne ne la réclame. Elle vit donc dans un centre pour adolescents à problèmes près de Rouen. A travers son journal, elle nous fait partager son quotidien, au centre et au collège, ses amitiés, ses doutes, et puis sa recherche des siens.

Très joli roman, la quête identitaire est prenante, le personnage est très attachant. L’écriture de Martine Delerm est à la fois simple et poétique,  elle accompagne en douceur l’évolution de cette adolescente.

Cachés

Cachés                                
Sharon Dogar

traduction (anglais) de Cécile Dutheil de La Rochère
Gallimard Jeunesse, 2011

un roman historique qui pose problème

Par Maryse Vuillermet

L’auteur a imaginé le récit du garçon Peter Van Pels qui était enfermé avec ses parents dans l’appartement des Franck au 263 Prisengracht à Amsterdam pendant la seconde guerre mondiale. Le narrateur raconte la vie dans l’annexe, ses émois d’adolescent, ses désirs, ses moments de bonheur à la fenêtre. Au début, il trouve Anne insupportable et,  peu à peu, il apprend à la connaître et tombe amoureux d’elle. Ils passent des heures à se parler et à se poser la même terrible question : Pourquoi? Pourquoi? Commment est-ce possible? Qu’est-ce que ça veut dire être juif?  Ils ont peur ensemble et se soutiennent.

Ensuite, en 44, quand le récit réel d’Anne s’arrête car elle est déportée, le récit du narrateur se poursuit et raconte les camps d’Auschwitz et de Mathausen. Il raconte son insupportable agonie. L’auteur a donc inventé la première partie du récit à partir du Journal d’Anne Franck et la  seconde,  à partir de documents et de témoignages.

Dans le site Ricochet-jeunes.org, Claude-Anne Choffat explique que ce roman a suscité l’indignation de survivants de la famille d’Anne Franck . En effet, cette dernière  n’est pas tojours montrée sous un jour favorable, elle est souvent exaspérante. Mais, surtout,  ils reprochent à l’auteur d’avoir exploité l’histoire vraie dans une fiction. Moi, je ne suis pas du tout choquée par le procédé. L’Histoire est un sujet de roman depuis toujours. Et ce livre permet de saisir de l’intérieur l’horreur de l’enfermement  et des persécutions  nazi pour des jeunes qui ne demandent qu’à vivre, apprendre, et s’aimer.

Je suis juste réservée sur la longueur, je trouve  l’ensemble parfois un peu long et répétitif.  Un livre cependant courageux et instructif !

Babyfaces

Babyfaces
Marie Desplechin
L’école des loisirs (neuf), 2010

Violences scolaires, enfants en non-lieux

par Anne-Marie Mercier

babyfaces.gifComme ses personnages, le livre au premier abord séduit peu : phrases brèves, notations sèches, vues en surface. Puis, petit à petit, les angles s’adoucissent, le narrateur, Freddy, se permet des phrases plus longues, des réflexions plus poussées. Et au bout du compte, se révèle un beau roman, tendre et violent, vrai et fantaisiste, plein de désespoir et d’humour.

Petit, solitaire et perdu, nommé de son vrai prénom Rajanikhant, Freddy est le fils d’une mère exubérante et chaleureuse ; il est le voisin de Nejma et son seul ami, amitié « de voisinage » plus que d’élection. Tout cela dans une banlieue grise et sinistre, dont les deux moitiés sont reliées par une passerelle, et dont la seule issue de secours est la route nationale.

C’est autant le quartier et ses conditions de vie que le personnage de Nejma qui retient l’attention. Nejma, anti-héroïne, anti-enfant et anti-fille même, est une enfant à l’abandon, enfermée dans sa solitude, avec une mère qui l’élève seule et travaille au loin, dans une autre banlieue (ce livre est publié au moment où le décret sur la suspension des allocations familiales est voté). Ses seuls contacts humains sont ceux qu’elle a avec Freddy (alias Raja) et sa famille, si on peut appeler cela des contacts.

« A l’école, personne ne l’aimait. Tout le monde avait ses raisons. Elle était moche, elle était mal habillée, elle était grosse, elle était violente, elle était méchante, elle était nulle. Et elle crachait par terre. Ça, c’était pour les élèves ». Pour les professeurs, les raisons sont les mêmes mais dans un ordre différent. Autant dire que Nejma est taillée pour être  accusée de tout lorsque des problèmes arrivent, problèmes très graves où des vies sont en danger.

Le livre est le récit de combats. Combats de Nejma qui ne sait pas s’exprimer autrement. Combats de groupes ou d’individus dans la cour du collège où la violence s’est installée avec de lourdes conséquences, combats de la société contre ses pauvres, de Freddy contre la passivité de Nejma, et d’autres encore (beaux personnages secondaires que ceux de la directrice et du vigile). La dédicace du livre montre certaines sources : les enfants de Bagneux et Cécile Rossard qui ont sans doute inspiré ce livre pour le côté français, Radhika Jha, romancière indienne et Pravina Nallatamby (pour la langue ?).

Le titre, « Babyfaces », dont il faut noter le pluriel, est une merveille de significations légères : à méditer, de même, l’espoir que Marie Desplechin offre en cadeau à Nejma, comme on offre un ticket pour un nouveau départ.

 

Pirate des Garages-vides

Pirate des Garages-vides, rapport
Corinne Lovera-Vitali

Thierry Magnier, 2009

C’est ça la réalité poussins

par Christine Moulin

PiratedesGaragesvides.gif« Mais pour avoir toujours la même pensée il faudrait pas que je  pense parce ce que je pense me fait toujours changer de pensée », « Ma mère a pleuré plus que d’habitude. Ça cumulait plus que d’habitude. Son travail, mon père, mon œil, mon cuir plus chevelu, le miroir de star, Noël, il y a pas assez de virgules, et juste après je partais de là-bas pour venir ici à Maïsville respirer le bon air de sous le cul des poules ». C’est par là qu’il faut commencer : le roman de Corinne Lovera Vitali (qui depuis, a écrit Kid), c’est d’abord une écriture, truculente, touchante, proche du flux intérieur, mais en même temps précise, percutante. Si on osait les comparaisons excessives, ce serait presque du Céline. Déjà, dans C’est Giorgio (Editions du Rouergue, 2008, prix Rhône-Alpes jeunesse), l’auteur bouleversait la syntaxe pour des effets de grande émotion : « Pourtant j’aime trop quand quelqu’un m’accompagne. Mais quelqu’un est souvent occupé et quelqu’un d’autre n’est pas là. Ou alors c’est mon chien qui a fini d’être là et il n’y a pas d’autre mon  chien ».

Cette émotion, on la retrouve dans Pirate des garages vides, destiné, cette fois, aux adolescents. Le roman, sous-titré Rapport, est constitué, de fait, du rapport qu’un jeune délinquant rédige à la demande du juge et de sa psy : il a été envoyé, loin de son milieu («C’est quand je suis né que mon père a commencé à aller en taule »), dans une ferme qui appartient à une amie de sa mère et où il doit, en guise de travail d’utilité même pas vraiment publique, s’occuper des poules. Au début, il les déteste. A la fin, il s’occupe avec d’infinies précautions des poussins. Cette lente guérison d’un gamin cabossé, qui a basculé dans le vol par amour, ou plutôt par manque d’un amour constant et enveloppant, passe par l’écriture, qui lui permet de dénouer petit à petit les traumatismes anciens, mais aussi par la tendresse de la vie : « Il y a quand même pas le feu à devoir tout dire du vieux passé quand les poussins sont tout neufs et présents ». Il rencontre aussi des êtres solides et généreux, dont une prof de français, Alexandra, qui accepte, entre autres, sa lecture plus que personnelle du Petit Poucet.

Ce roman, vite lu, sans être facile, permet de comprendre de l’intérieur comment une enfance peut se détraquer et pourtant mener à une renaissance.