Le Jour où j’ai voulu sauver la forêt

Le Jour où j’ai voulu sauver la forêt
Nora Dåsnes
Casterman 2023

J’en ai marre d’être mignonne

Par Michel Driol

A 12 ans, Bao est déléguée des élèves de son collège. Lors d’une réunion, où elle voudrait faire avancer l’idée d’un collège éco-responsable, elle se heurte aux adultes qui veulent agrandir le parking du collège, pour des raisons de sécurité, en détruisant la moitié de la forêt. Après avoir essayé de les convaincre, en rédigeant un rapport manuscrit sur le climat avec ses amies, elle persuade tout le monde de passer à d’autres formes de lutte : accrochage d’une banderole en haut du collège, puis occupation de la forêt.

Ce roman graphique mêle habilement un récit traditionnel (cases, planches…) avec des conversations WhatsApp. Le récit est conduit dans des vignettes qui font alterner les gros plans sur les visages, passant par toutes les émotions, les réactions, et des plans plus larges de forêt, souvent en double page. Toutes les techniques de la bande dessinée ont ainsi mises au service de la narration, pour faire ressentir au plus près les sentiments des protagonistes, leurs élans, leurs découragements, leur volonté. Il montre bien les angoisses des adolescents d’aujourd’hui face à l’urgence climatique, et la façon dont les adultes (mal)traitent leur engagement. Le roman traduit bien le sentiment d’impuissance que ressentent les ados face à des adultes qui ne les écoutent pas, pour différentes raisons, et voudraient bien les voir ses cantonner dans des rôles bien définis : faire des exposés, se documenter, s’engager de façon théorique. Il montre bien aussi la passivité des adultes face à l’urgence climatique. S’ils en ont conscience, ils n’agissent pas, préférant leurs intérêts à court terme. Cette opposition entre adolescents et adultes est particulièrement bien vue et bien traitée dans ce roman graphique. Ce que montre aussi le roman, c’est la dégradation de la relation entre Bao, qui veut vivre au plus près de ses convictions, et sa mère, protectrice, avocat, trop occupée, privilégiant les trajets en voiture. Bao apparait ici comme une héroïne forte, engagée, mais tiraillée entre son désir d’indépendance, d’autonomie et la nécessité d’avoir recours aux autres pour faire avancer une cause. Mais c’est grâce à l’appui de tous, à la mobilisation des élèves, à l’écho apporté par l’usage des réseaux sociaux, que la forêt sera sauvée.

Voilà un roman graphique très actuel et qui s’adresse directement, au travers d’une fiction, à des jeunes qui, comme l’héroïne, partagent cette éco-anxiété. Il se termine par quelques pages documentaires engagées qui expliquent à des mineurs comment faire entendre leur voix avant d’avoir l’âge de voter, quelles actions on peut entreprendre, comment il est possible de s’engager très concrètement aujourd’hui pour faire comprendre aux élus que l’écologie est un réel sujet et que leurs décisions ne prennent pas toujours en compte l’avenir de notre planète. En d’autres termes, la fiction devient un guide d’action. Bien utile et bien documenté.

Sa Majesté des abeilles

Sa Majesté des abeilles
Louise Pluyaud, Paola Hirou
Sarbacane, 2023

Par Anne-Marie Mercier

Rien à voir avec Sa Majesté des mouches, malgré l’allusion du titre (quelle mouche les a piqués?). L’album a pour sous-titre « L’histoire vraie d’une vocation ». Cette vocation, c’est celle de Mathieu, onze ans, qui découvre grâce à une vidéo le monde des abeilles et des apiculteurs. Il voit les multiples dangers qui guettent celles-ci décide d’agir.
La démarche de cet enfant, ses progrès, son action sont admirables et dignes d’être présentées en modèle aux jeunes lecteurs : oui, on peut agir, oui, il y a des actions collectives à mener ensemble. Enfin, s’informer, comprendre est un premier pas. Mathieu crée ses propres ruches et devient même formateur en apiculture. On le voit chercher de nouveaux emplacements, rêver à une ruche connectée.
Cet album  accomplit sa mission : les images en pleine page et à fond perdu à droite  séduisent par leur couleur et leur esthétique tout en accompagnant le texte de la page de gauche, qui informe sur l’action de Mathieu et sur le monde des abeilles, le travail des apiculteurs, les actions à mener pour les protéger.

Feuilleter

 

Lili Bumblebee et l’étrange SOS

Lili Bumblebee et l’étrange SOS
Lisa Zordan
Sarbacane 2023

Sauve qui peut !

Par Michel Driol

Lili Bumblebee est-elle atteinte du syndrome de Diogène ? toujours est-il que chez elle c’est une accumulation d’objets hétéroclites qui forment des montagnes. Montagnes protectrices sans doute, puisque Lili a bien trop peur de sortir de chez elle et ne regarde l’extérieur que par une unique fenêtre encore accessible. Mais lorsqu’elle aperçoit, sur la plage, un capharnaüm surmonté d’un message, SOS, elle se saisit de son parapluie, et sort à sa rencontre. D’abord l’agitation de la ville, puis le silence de la forêt, et, grâce à un coup de vent, la plage où elle commence à libérer celui qui est prisonnier de ce bric-à-brac d’objets divers apportés par la marée.

Enfermée dans sa maison-monde, Lili souffre de la peur du dehors mais rêve d’aventure et de voyage au-delà de ses murs. Telle est sa situation paradoxale, rendue sensible à la fois par le texte, et ses énumérations d’objets divers, mais aussi par les illustrations qui montrent l’empilement, le chaos au milieu duquel se trouve l’héroïne aux yeux rêveurs. La sortie, traversée de l’immense labyrinthe, prend un autre aspect grâce à l’illustration. Deux pages, l’une à dominante rose, l’autre à dominante verte, un champ et un contre champ montrent le passage dans une sorte de grotte… à l’image d’une naissance, comme la sortie d’un ventre maternel protecteur – rose – vers un univers froid et hostile – verdâtre. Et, juste avant la porte, de multiples miroirs renvoient l’image difractée de l’héroïne, comme une façon de montrer l’omniprésence du moi dont il faudra sortir pour aller vers les autres. Voici un album dans lequel les illustrations ne se contentent pas d’une redondance du texte, mais lui donnent une autre dimension. Qu’est-ce qui attire Lili au dehors et lui permet de naitre au monde ? A la fois quelque chose qui ressemble à son univers (un assemblage d’objets de natures différentes) et l’interpelle – au sens propre – par cet étrange SOS. C’est un jeu avec le même et l’autre qui permettra à Lili de se libérer, de ne plus être la victime de ses obsessions (belle image finale du petit caillou rond dans sa main, chose qu’elle abhorrait le plus dans la première partie). L’album plein de poésie débute dans la solitude et l’enfermement pour la jeune héroïne qui possède deux qualités, la générosité et l’altruisme. Il se termine avec un message écologique : le vent et la marée ont charrié des tas de détritus, emprisonnant un être vivant. C’est à un double mouvement de libération que le lecteur assiste : celui du petit animal prisonnier, mais aussi celui de Lili qui découvre d’autres petits bonheurs : l’odeur salée de la mer, la douceur du sable chaud. En sauvant l’autre, Lili se sauve elle-même.

Un album porté par une écriture et une illustration qui jouent avec un imaginaire onirique pour nous parler de nous, de nos peurs d’aller vers les autres, de la nécessité de sortir de nos habitudes, pour nous épanouir et profiter des plaisirs simples que la nature peut offrir.

C’est quoi la sagesse, grand-père ?

C’est quoi la sagesse, grand-père ?
Jean Marie Robillard – Fabien Doulut
Utopique 2023

Légende d’automne

Par Michel Driol

Grand-Aigle et Petit Castor ont l’habitude de descendre ensemble en canoé la rivière, et de discuter. A la question de son petit-fils, c’est quoi la sagesse ?, le grand-père montre un chêne qui, après avoir été l’arbre le plus majestueux de la forêt, se contente d’abriter les écureuils. Le voyage continue jusqu’aux rives du lac Massawippi où le grand-père raconte la création des hommes par le Grand-Esprit. Source-Claire, Flamme-Pure, Douce-Brise, Rouge-Terre qui vont rencontrer quatre femmes, Fleur-qui-Sommeille, Cheveux-au-Vent, Fleur-de-Matin et Perle-de-Rosée. Des ancêtres pour qui tout est sacré, la terre, l’eau, le souffle du vent ou le battement de l’aile d’un papillon. Quatre fils du Grand-Esprit dont on se transmet l’histoire, de génération en génération.

A la question philosophique du titre, l’album répond avec poésie, de façon indirecte, par la métaphore et la légende au cours d’un voyage initiatique. Le Grand-Père parle par images, des images que Petit-Castor, représentant du lecteur, ne comprend pas forcément, ce que souligne le texte. « Je t’apprendrai à plonger tes racines d’homme au creux du ventre chaud de notre Terre-Mère et à y puiser la force qui te portera ». D’une certaine façon, tout est dit dans cette promesse du lien qui doit unir les hommes et la terre, de la façon dont la Terre est mère nourricière. La métaphore du vieux chêne vient donner une première approche de cette philosophie, que l’iconographie rend encore plus sensible. Un chêne grandiose, dont les branches déclinent les quatre saisons, dont les racines s’enfoncent profondément dans la terre, et qui protège les deux personnages. A la fois figure des racines nécessaires et de l’acceptation du temps qui passe, de l’automne à l’été. Métaphore que le petit fils explicite : Tu es un peu comme cet arbre. Vient ensuite le récit des origines, que le grand-père transmet à son petit-fils là où son propre grand père le lui a transmis, comme une façon d’enraciner son petit-fils dans une histoire qui les dépasse. Un récit des origines poétique, qui associe l’homme aux quatre éléments, le feu, l’air, l’eau et la terre, qui souligne l’importance de l’amour, et évoque le mythe d’une nature où vivaient en harmonie les hommes et les animaux. Au-delà de cette façon de célébrer l’union de l’homme et de la nature, voire du cosmos, d’un plaidoyer pour une écologie respectueuse du vivant, c’est la dimension de la transmission qui retient particulièrement notre attention. Transmission entre un grand-père et son petit-fils, c’est un lieu commun en littérature de jeunesse. Mais ici cette transmission trouve sa source dans les générations précédentes, et vise à faire de chacun le maillon d’une grande chaine qui commence à la création du monde. Cette transmission est aussi celle qui nous met, nous, occidentaux, à l’écoute des cultures et des sagesses amérindiennes, pour faire passer une sagesse venue du fond des temps à l’heure où les dérèglements climatiques et le culte de la vitesse, du nouveau, du moderne nous entrainent dans une course effrénée. Voilà un album qui nous dit de prendre le détour de la poésie, de la contemplation pour tenter de refaire un tout avec la nature qui, d’une certaine façon, fait corps avec celles et ceux qui nous ont précédés. Ce qui coule dans les arbres, ce n’est pas que de la sève, c’est le sang de nos ancêtres.

Si les contenus philosophiques sont peut-être un peu complexes pour des enfants, la poésie de l’album, la qualité de ses illustrations, avec ses dominantes de marron et d’ocre rendront sensible au plus grand nombre la question de notre rapport avec la nature : en sommes-nous une partie ou nous est-elle étrangère ? Comment peut-elle nous donner des leçons de sagesse et nous apprendre à mieux vivre ?

A la belle étoile

A la belle étoile
Texte Nathalie Tuleff, musique Guillaume Lucas, Illustrations Janna Baibatyrova
Trois petits points 2023

Vive l’eau

Par Michel Driol

Pour la première fois, Rosetta et Lucien partent en vacances, dans le pays voisin, chez Opa et Oma. Au milieu de la nuit, ils entendent du bruit autour de leur tente. C’est Albert Hisson qui leur explique qu’il n’y a plus d’eau dans le ruisseau, et qu’il doit partir. Remontant le lit de la rivière, les deux amis découvrent Corentin le ragondin, qui leur explique que des hommes ont fait « un grand bazar » et que l’eau ne coule plus. Avec l’aide des ragondins, Rosetta et Lucien parviennent à refaire couler la rivière.

Voici un nouveau CD des aventures de Rosetta, un conte écologique dans lequel les enfants et les animaux parlent ensemble et collaborent pour faire revenir l’eau de la rivière, symbole de vie pour tous, une eau que la folie ou la négligence des hommes empêche de couler. Mais, en fait tout commence par l’observation des étoiles depuis le sommet du donjon, la quête des étoiles filantes qui permettront de faire un vœu, situation que l’on retrouve dans le dernier chapitre. C’est une façon d’inscrire le récit aussi bien dans le cosmos tout entier que dans l’imaginaire merveilleux du conte. Le texte est plein d’une poésie simple, celle de la nature, du bonheur et des plaisirs quotidiens. Nathalie Tuleff, qui lui prête sa voix,  en propose une interprétation toute en finesse, modulant les accents au gré des animaux rencontrés, non sans humour. L’accompagnement musical fait la part belle au phrasé tout en souplesse de Brahms et Debussy.  Un signal sonore discret indique le tourne-page, et permet de découvrir les illustrations aux couleurs vives, sans texte, de l’album qui accompagne le CD. Des illustrations qui s’inscrivent elles aussi avec bonheur sous le signe des étoiles.

Une histoire qui s’adresse certes aux plus petits, mais dont la poésie et la sensibilité ne laisseront pas les plus âgés indifférents.

Le projet hakana,

 Le Projet Hakana
Marin Ledun,
Rageot,  2023.

 Un roman d’aventures dans le temps et la réflexion sur la mort des civilisations

 Maryse Vuillermet

On est sur les îles Marquises en 1594, c’est-à-dire avant l’arrivée de l’homme blanc, 12 adolescents, garçons et filles appelés sentinelles, sept   scientifiques et deux légionnaires chargés de leur protection y ont été envoyés à titre expérimental par un programme scientifique de 2175 élaboré par l’Europe. Ce programme est destiné à trouver des endroits où l’homme occidental pourrait vivre puisqu‘il a détruit sa planète.
Mais tout ne s’est pas passé comme prévu, les jeunes sentinelles ont fraternisé avec les jeunes Marquisiens et Rim, la plus brillante et la plus belle, a eu une relation amoureuse avec Moana, un fils de chef, et elle est enceinte.
Et pour cette raison, elle ne peut pas être exfiltrée avec les autres à la fin de l’expérience.
Deux récits avancent en alternance, le récit du docteur Gauthier qui retrace les deux années passées sur l’ile et le récit de la guerre que vont se livrer les forces spéciales chargées de récupérer Rim et son bébé et la population marquisienne qui les protègent.
Rime et Moana fuient sur l’eau…
C’est un roman à la fois politique, écologique et d’aventures, plein de péripéties et de héros qui réussissent à changer leur destin et celui de leur peuple.
On peut dire que c’est aussi un roman féministe car la jeune Rim se bat à armes égales avec son compagnon et avec une intelligence rare
C’est encore un roman poignant et fort sur la destruction des civilisations hier et aujourd’hui.

Comment transformer une banane en vélo

Comment transformer une banane en vélo
Jerry Dougherty – Ravy Puth
Kata 2022

De la valeur et des échanges

Par Michel Driol

D’un côté, il y  a un couple, Michael et sa femme, vivant refermés sur eux-mêmes. De l’autre, il y a une bande d’enfants. Un jour, les enfants demandent une banane à Michael qui, tout en rechignant, la leur donne. Et quelle n’est pas leur surprise de voir les enfants revenir avec un tandem magnifique, dont ils affirment qu’il n’est autre que la banane. En effet, ils l’ont proposée au glacier qui en avait besoin contre un cornet de glace, proposé le cornet de glace au jardiner assoiffé contre une tondeuse à gazon hors d’état de marche, que la mécanicienne du dépotoir leur a échangée contre le vélo…

Voilà un album qui propose une petite leçon d’écologie et d’économie. La valeur des choses est fonction de nos besoins, et le troc une façon d’échanger des biens qui reçoivent ainsi une valeur ajoutée non négligeable. On passe ainsi d’une banane à un vélo, en échangeant, en recyclant dans son entourage. Il y a là de quoi s’interroger sur la notion de valeur, de propriété,  sur tout un système économique. La banane ne vaut un vélo que parce qu’elle a été échangée, ce qu’auraient été incapables de faire ses premiers propriétaires, présentés avec pittoresque comme « le vieux et grincheux monsieur Michael et son-épouse-pas-si-grincheuse-que-ça ». Elle ne prend de la valeur que parce qu’elle sort du domicile, que parce que ses premiers propriétaires acceptent de la donner, que parce que les enfants la font entrer dans un circuit économique. Chaque objet ne vaut qu’autant qu’il répond à un besoin particulier, et vaut moins que l’objet que l’on donne en échange. Cette leçon prend l’aspect d’une petite fable, bien écrite, avec des formules récurrentes, comme dans les histoires en randonnée. En quelques mots, les personnages et les situations sont posés, souvent dans des dialogues pleins d’expressivité. Les illustrations montrent des enfants très différents, souriants, dans un univers coloré et plein d’harmonie.

Une fable économique et écologique qui évoque avec humour la protection de l’environnement, la camaraderie, la débrouillardise et le partage, car les enfants, par honnêteté, rendent le vélo au propriétaire de la banane.

La Forêt, l’ours et l’épée

La Forêt, l’ours et l’épée
Davide Calì, Regina Lukk-Toompere
Traduit (italien) par Roger Salomon
Rue du monde, 2022

Qui a vécu par l’épée, survivra par la bêche (fable écologique)

Par Anne-Marie Mercier

Un ours très fier de son épée (on songe aux ours en armure de Philip Pullman) s’en sert à tort et à travers. Un jour il coupe même une forêt. Peu après, l’eau inonde son habitation. Il part pour couper en deux celui qui est responsable de cette catastrophe, mais qui est-ce ?
Sont-ce les gardiens du barrage ? le sanglier qui a attaqué les gardiens ? Le renard qui a blessé le sanglier ? les oiseaux qui ont provoqué la maladresse du renard ? Ou bien serait-ce l’ours, qui a détruit la forêt des oiseaux ?
À la manière d’Œdipe, cherchant un coupable qui n’est autre que lui-même, l’ours comprend tardivement son erreur. Mais heureusement (on n’est pas dans une tragédie) tout est réparable : il protègera les autres animaux et, en replantant des arbres, il rendra aux oiseaux leur forêt, à la condition qu’ils soient un peu patients. La morale de la fable n’est pas difficile à saisir et on est ici dans un plaidoyer pour la protection de la nature facile à comprendre. Le lecteur peut en déduire (sans que cela soit dit explicitement) que détruire ce milieu revient à détruire sa propre maison.
Couleurs éclatantes sur fond blanc, bruns profonds, aquarelles légères, des images belles et expressives accompagnent cette fable bien rythmée. Les animaux sont un peu humanisés par quelques vêtements, mais pas trop ; ils sont présentés en pleine action ou dans des postures bien choisies et l’ours est très expressif. Ici l’écologie n’est pas une triste leçon.

 

Mille arbres

Mille arbres
Caroline Lamarche Illustrations d’Aurélia Deschamps
CotCotCot éditions 2022

Zone à Défendre

Par Michel Driol

On projette de construire une autoroute qui coupera la vallée en deux, juste aux pieds d’une forêt plus que centaine, plantée là par des moines, et depuis soigneusement entretenue, en particulier par les grands parents du narrateur. L’autoroute doit passer juste au bord du jardin de sa grand-mère, au pied d’un tilleul centenaire dans lequel est mort son grand père. Le projet, porté par un ingénieur, soutenu par les politiques, est vivement combattu par les riverains, dont le père de Diane, l’amie du narrateur. Après courriers, réunions publiques, distribution de tracts, les deux enfants s’installent dans une cabane construite sur l’arbre, leur zone à défendre.

Issu d’une pièce radiophonique que Caroline Lamarche avait écrite pour France Culture, ce roman aborde bien des thèmes qui font, hélas, notre actualité, autour de personnages bien marqués. Il y a le narrateur, François, un brin rêveur, qui découvrira son histoire familiale. Il y a Diane, sportive, engagée, libre et pleine d’allant. Il y a aussi l’ingénieur, qui répond paradoxalement au nom de Prévert, archétype des technocrates qui pensent agir pour améliorer les conditions de vie. Autour de ces trois personnages phares tournent une galerie de personnages secondaires, tous habitant le même village, se connaissant bien, se fréquentant le dimanche matin à la messe. Ce que le roman montre, c’est l’opposition entre deux mondes qui se côtoient, mais sont loin de partager les mêmes valeurs. D’un côté, les politiques, qui sont en fait complètement sous l’influence des technocrates, des « ingénieurs », qui leur dictent leurs projets, pensant aller dans le sens du progrès (plus de voitures, donc plus de déplacements, donc des autoroutes…) et qui y voient quelque part une reprise d’activité pour leur communes. De l’autre, les riverains, attachés à une tradition séculaire de vie en symbiose avec la nature, symbolisée ici par cette forêt dont on prend soin. Pour eux, ce projet est un immense gâchis écologiste. Le roman a l’intérêt d’aborder cette question de la lutte contre des projets écocides dans une langue  proche de l’oralité, tant dans la syntaxe que dans le lexique. On y entend réellement parler François, le narrateur, et cela le rend proche du lecteur. Ensuite il l’aborde avec des symboles forts : d’un côté celui de ce tilleul magnifique, un arbre-bateau (et on songe à ce beau symbole de l’arbre, de l’arbre maison dans toute la littérature pour la jeunesse), de l’autre les mots de l’ingénieur Prévert qui parle de recoudre la vallée que l’autoroute aura décousue. Mais tout peut-il être recousu ? Il s’inscrit enfin dans une tradition propre au roman pour la jeunesse, proche de Robinson ou du Baron perché… Les illustrations d’Aurélia Deschamps, pratiquement bicolores oranger et bleu, apportent une respiration plutôt poétique à ce texte, respiration qui devient apocalyptique sur la seule double page centrale qui montre l’autoroute coupant la vallée, métaphoriquement coupant le livre… Une postface documentaire, bien documentée, pleine de clarté et de pertinence, met en perspective cette histoire, la cabane dans l’arbre de François et Diane, avec le combat des Zadistes, du Larzac à Notre Dame des Landes.

Un livre engagé dans la défense de l’environnement, pour montrer aux jeunes générations la valeur et le sens de la lutte, et leur rappeler que Demain se fera avec elles.

L’Envol de Miette

LEnvol de Miette
Anne Cortey – Herbera
A pas de loups, 2022

Heureux qui, comme Ulysse…

Par Michel Driol

Toute petite et légère, Miette s’envole dès que le vent se lève. Heureusement, une cigogne l’a ramenée dans le jardin qu’elle cultive avec son petit frère. Normalement, dès que le vent se lève, le petit frère attache Miette par une solide corde au gros platane. Jusqu’au jour où un coup de vent subit emporte Miette, alors que la cigogne est partie dans le sud… Miette est sauvée par un garçon qui fait le tour du monde à bord d’une montgolfière, et qui veut l’emmener avec lui. Mais finalement, Miette le décide à venir avec elle dans son jardin…

Miette… voilà un prénom prédestiné, une sorte de Petit Poucet au féminin pour une héroïne de conte merveilleux, philosophique ou initiatique en trois temps. A l’origine, une espèce d’Eden, de jardin paradisiaque dont s’occupent deux enfants jardiniers, un jardin nourricier dont les seuls ennemis sont les limaces. Vert paradis des amours fraternelles enfantines que rien ne vient perturber, pas même le grand vent, pays magique où les cigognes n’apportent pas que les nouveaux nés, mais rapportent les enfants perdus dans le ciel chez eux. Puis vient la catastrophe, non pas la chute, mais l’envol, ce voyage au loin, loin du petit frère à protéger, loin du jardin à cultiver. Miette ne peut que s’abandonner au vent, au destin, et accepter cet exil aérien. Vient enfin le sauvetage, par celui qui est l’exact contraire de Miette et de son frère. Eux sont des sédentaires, des cultivateurs, les pieds dans la terre. Lui est un nomade, tenté par le voyage, le plus grand, celui autour du monde. Du nomade ou du sédentaire, qui va l’emporter ? Du désir de voyager ou de rentrer à la maison, quel sera le plus fort ? Pas de longue argumentation entre les deux passagers, mais un simple regard, et l’empathie envers la tristesse de Miette détournent le voyageur de son voyage. C’est sans doute là l’un des attraits de ce roman : esquisser une histoire d’amour, ou à tout le moins de désir de connaitre une autre vie, un autre coin du monde. L’étranger apporte avec lui l’exotisme de sa cuisine : une potée milanaise, faite comme il se doit avec un chou – un chou rond comme la terre dont il voulait faire le tour… et l’étranger, juste nommé par « le garçon » découvre qu’ « un jardin peut être aussi beau qu’un continent ».

On laissera chacun interpréter comme il le souhaite les multiples symboles qui traversent cet album. Le jardin terre, microcosme sans cesse à découvrir. Le voyage, vécu à la fois comme un déracinement et un désir fort de tout voir. L’irruption de l’étranger dans la fratrie qui apporte du nouveau : quelque part  l’exogamie confrontée à l’endogamie. Tout cela raconté dans une langue qui sait ne pas trop en dire, souligner des regards, des sentiments, sans s’appesantir sur eux, pour laisser le lecteur et l’illustration faire leur part du travail d’interprétation.  Avec leurs couleurs vives pour la nature, et l’encre de chine pour les personnages, les illustrations dessinent un univers familier, enfantin, utopique peut-être…

Un conte poétique pour dire la valeur du voyage immobile et contemplatif. Comme la réécriture d’un Voltaire qui serait moins enclin au travail qu’au plaisir. Oui, il faut contempler et explorer  notre jardin.