L’âne Trotro ; Zaza va sur son pot

trotroL’âne Trotro; Zaza va sur son pot
Bénédicte Guettier
Gallimard jeunesse, Giboulées, 2013

Ploc… Pssiiitt… Prout!

Par Caroline Scandale

La petite sœur de Trotro est grande! Ses parents ont décidé de ne plus mettre de couches à Zaza mais le problème est qu’elle ne sait toujours pas se servir de son pot… Les situations cocasses de pipi-caca s’enchaînent. Trotro se moque gentiment d’elle, alors Zaza, vexée, s’énerve et lui répond qu’elle n’est pas un bébé! Du coup, pour le lui prouver, elle fait enfin ses besoins dans le pot en s’exclamant fièrement: « Grande Zaza »! Toute la famille la félicite. Zaza n’est plus vraiment un bébé mais une petite fille sur le chemin de l’autonomie.

L’apprentissage de la propreté est une étape-clé du développement psychomoteur des enfants. Cet album l’aborde de façon très amusante et en plus, c’est son papa qui lui donne le bain!

La Douane volante

La Douane volante
François Place
Gallimard  jeunesse, 2012

François Place, romancier géographe

Par Anne-Marie Mercier

François Place est surtout connu pour ses albums, Les Derniers Géants ou son Atlas des géographes d’Orbae. Mais ses romans n’arrivent pas à percer véritablement. Sa dernière publication (deux romans parus dans le livre-boîte intitulé « Le Secret d’Orbae », Le voyage de Cornelius et  Le Voyage de Ziyara), pourtant superbe n’a pas apparemment obtenu la notoriété qu’elle mérite. À l’occasion de la reparution en poche de La Douane volante on peut poursuivre la réflexion amorcée lors de la recension du Secret d’Orbae et s’interroger sur les raisons de ce déséquilibre.

Première hypothèse : les romans sont moins originaux (les albums sont devenus des références dans un style bien particulier) et surtout il leur manque une ossature. Les aventures du héros sont une succession d’événements marquée par la malchance ou le hasard. Le jeune Gwenn est prisonnier d’un monde dont il ne peut sortir malgré tous ses efforts, un peu comme dans un cauchemar, et il n’en sort que parce que ce cauchemar s’achève : il se noie et renaît dans le monde qu’il a quitté, un peu comme un rêveur qui se réveille. Les rapports entre les deux mondes sont un rapport d’opposition, le monde « réel » s’opposant au monde imaginaire mais ce dernier est plus vivant que l’autre qui peine à exister. Le problème est donc que l’intérêt se situe ailleurs que dans l’intrigue – problème qui n’en est un que pour ceux qui ont besoin d’être tenus en haleine par l’illusion d’un destin.

Gwenn le tousseux est un jeune homme frêle et malade, martyrisé par son entourage, des villageois de Bretagne, peu avant 1914. Formé par un ermite rebouteux, herboriste et misanthrope, il se retrouve emporté par l’Ankou (représentant de la mort dans les légendes bretonnes) dans un autre monde. C’est une Hollande imaginaire proche de celle du dix-septième siècle, mais dans laquelle une administration, la douane, règle la vie des habitants et surveille très étroitement les entrées et les sorties. Manipulé et tyrannisé par l’homme qui l’a recueilli, Gwenn finit par obtenir un peu d’autonomie. Après plusieurs tentatives de fuite, il devient guérisseur puis médecin diplômé, sauve la ville d’une épidémie, tombe amoureux, trouve une reconnaissance sociale et une aisance matérielle. Mais il rêve de rentrer chez lui où rien ni personne ne l’attend. On ne sait pas bien ce qui nourrit ce désir de retour.

Aussi le charme du récit ne tient-il pas à son intrigue, un peu lâche, ni à la psychologie du personnage, opaque ou sommaire, mais à l’univers dans lequel elle se déroule : si François Place n’est pas un « historien », au sens de raconteur d’histoire, il est bien un géographe extraordinaire. L’atlas de Gwenn, c’est un ouvrage très ancien sur le corps humain. Mais celui-ci renvoie à d’autres livres et surtout au grand livre du cosmos, inscrit sur les carapaces des tortues. Atlas du corps humain, atlas du cosmos, atlas du temps (le temps et l’espace étant tous deux cartographiables), les cartes et les tortues en sont les messagères. Aussi, l’exploration d’un espace vierge, la découverte, sont-elles au coeur du roman. Gwenn vole une carte ancienne des côtes atlantiques à des contrebandiers ; il découvre que l’espace réel qu’il a quitté et l’univers de la douane, situé dans un autre temps, se superposent avec un léger décalage : l’océan Atlantique est toujours là, la Bretagne toujours à sa place. Dans ses tentatives pour la rejoindre, Gwenn est très proche des explorateurs des albums de François Place. Il essaye plusieurs itinéraires, parcourt en patins le lacis des canaux gelés, rencontre des coutumes étranges, une société très organisée, tente de la comprendre. Il explore aussi le monde des herboristes et des médecins du dix-septième siècle et nous offre un tableau très complet et vivant de leurs savoirs et de leurs pratiques.

François Place le géographe nous propose à travers les aventures de son personnage de parcourir un espace mi familier, mi étrange, un peu décalé dans le temps et dans l’espace mais autant en marge du réel que le serait un peuple imaginaire. Il parsème cet espace de petites merveilles, de « curiosités » comme celle de l’oiseau acariâtre et alcoolique, le Pibil siffleur. On retrouve donc dans ce roman ce qui fait le charme des albums, les images en moins et la longueur de textes en plus.

 Voir une autre critique sur le site « mesimaginaires » qui analyse la dimension fantastique du roman.

 

 

Eona et le collier des dieux

Eona et le collier des dieux
Alison Goodman
Traduit (anglais) par Philippe Giraudon
Gallimard Jeunesse, 2012

Le crépuscule des dragons (2)

Par Anne-Marie Mercier

Pour ceux qui n’auraient pas lu le premier tome, voir plus bas la recension parue sur notre site précédent.

Après avoir refusé sa féminité pour survivre tout en assumant une fonction interdite aux femmes, Eon est devenu Eona.

Eona a ainsi pu accéder à son dragon, le Dragon miroir, seul dragon femelle au milieu d’un cercle de onze mâles. Mais hélas les autres seigneurs des dragons qui auraient pu l’aider à rétablir l’équilibre du monde ont disparu, massacrés par le maître du dragon Rat, le sinistre sire Ido. Dans le volume précédent, il avait également provoqué la mort de l’empereur. Il cherche à obtenir le pouvoir suprême et l’immortalité en manipulant Eona et en obtenant deux objets, les deux livres de perles, capables de soumettre les dragons.

Ce volume a les qualités du précédent; il est moins original car il n’a plus cette dimension de construction d’un monde imaginaire nourri de Chine impériale et de quête d’identité du personnage. C’est davantage un roman d’aventures, proposant de nombreuses scènes d’action, de fuite, de combats et de retrouvailles. C’est aussi un roman d’initiation amoureuse. Eona hésite entre deux hommes et entre deux formes d’amour : Ido, qu’elle croit changé, représente l’homme adulte et la sexualité ardente et libre dans laquelle elle se découvre et risque de se perdre ; le fils de l’empereur représente le jeune homme dont elle est d’abord l’amie et la confidente, puis la « fiancée »; il incarne la construction d’un avenir, le sens de la responsabilité et la nécessité du sacrifice. On voit que la morale finit par être sauve, mais elle aura été entretemps bien mise en question.

Enfin, si les personnages principaux ne sont pas sans quelques caractères stéréotypés, les personnages secondaires sont extraordinaires : dame Dela le «contraire » (homme se faisant passer pour une femme), l’eunuque, le général, la servante, l’enfant contrefait… Tous donnent à l’histoire une belle humanité.

 

Eon et le douzième Dragon
Alison Goodman
Gallimard jeunesse (pôle fiction) 2011

Dragons, masques et complots

par Anne-Marie Mercier

Amateurs de dragons et de Chine impériale et d’orphelins triomphants, ce livre est pour vous. Ce beau roman d’aventures et d’intrigues de palais est aussi un récit initiatique original et très calculé, alternant progressions lentes et chutes brutales, descriptions et scènes d’action.  L’ensemble du roman, très précis dans ses descriptions et dans ses localisations (tout se passe à peu près dans l’équivalent d’une « cité interdite ») et par l’évocation constante de couleurs, de matières, d’odeurs et de goûts tend à créer pour son lecteur une expérience d’immersion totale dans son univers.

C’est aussi un récit très noir où la cruauté et la violence dominent. En quelque sorte, du Pearl Buck (Impératrice de Chine) mixé avec du Franck Herbert (Dune), à moins que ce ne soit avec du Ann Mac Caffrey (cycle des dragons de Pern). La dissimulation et la trahison règnent, même dans le comportement du héros-ou plutôt de l’héroïne.

Eon, esclave orphelin, est à douze ans candidat au statut d’apprenti d’un maître « oeil du Dragon ». Il est en réalité Eona, obligée par son maître à cacher son identité pour entrer dans un domaine de pouvoir strictement interdit aux femmes (d’où son nom : ce thème de la fille déguisée est inspiré de l’histoire – fausse – du chevalier d’Eon). De nombreux personnages à l’identité sexuelle floue complètent le tableau. Enfin, la question du masculin et du féminin, du solaire et du lunaire,  et de leur équilibre nécessaire est au coeur du roman et de sa progression. Tout dépend de l’acceptation par Eona de sa féminité alors que ceci ne peut que provoquer sa mort et celle de ses proches.

Les visions d’Eon, des rencontres avec le monde des dragons qui se greffent sur des explorations de sa propre intériorité, ont beaucoup d’allure ; la dimension mythique de ce récit lui donne une coloration particulière. Le cataclysme qui se déchaîne à la fin du roman a un air de crépuscule des dieux spectaculaire.

Ce volume avait paru en 2009 en grand format, la version poche sort en même temps que le deuxième volume en grand format. (2011)

 

Quelques minutes après minuit

Quelques minutes après minuit
Patrick Ness

Traduit (anglais) par Bruno Krebs
Illustrations de Jim Kay
Gallimard jeunesse, 2012

Lumière noire

Par Anne-Marie Mercier

Siobhan Dowd, dont L’étonnante disparition de mon cousin Salim vient de sortir en poche, n’a pas eu le temps d’écrire cette histoire dont elle avait eu l’idée et que Patrick Ness a écrite en lui rendant hommage. Elle est décédée prématurément d’un cancer et ce livre pourrait être un vade mecum laissé à un enfant qui aurait vécu la maladie de sa mère sans supporter le regard des autres ni sa propre culpabilité, son impatience et sa colère. Mais Patrick Ness ne traite pas cette histoire comme une leçon ou un récit de vie mais en fait une œuvre véritable, superbe, très noire et poétique.

Le jour, Conor subit les brimades de brutes  de son collège, il enrage de ne plus exister véritablement aux yeux des autres, de ne voir son père, divorcé qu’à la sauvette, de cohabiter avec sa grand-mère venue s’installer à demeure pour soigner sa fille. La nuit, le jeune garçon fait un cauchemar récurrent : l’if qui fait face à sa fenêtre s’anime sous une forme monstrueuse et s’adresse à lui, pénètre dans sa chambre, le tourmente, cherche à lui arracher son secret. Une nuit, il lui annonce qu’il va lui raconter trois histoires en le prévenant :
– Les histoires sont les choses les plus sauvages de toutes, les histoires chassent et griffent et mordent.
– ça, c’est ce que les profs racontent. Mais personne ne les croit non plus.
– et quand j’aurai terminé mes trois histoires, tu m’en raconteras une troisième. […] et ce sera la vérité. Ta vérité […] celle que tu te caches, Conor O’Maley, est la chose que tu crains le plus ».
– Et si je ne le fais pas ?
– Alors, je te dévorerai vivant.
Chaque histoire pousse un peu plus Conor dans ses retranchements. L’if entre dans la vie diurne et accomplit des actes de plus en plus violents dont Conor réalise après coup que c’est lui-même qui en est l’auteur, sombrant dans des épisodes de folie tandis que sa mère agonise. Pas de happy end, sinon celui d’un retour à la présence à autrui : la grand-mère dure et meurtrie, l’amie stupéfaite et incomprise sont merveilleusement traitées. Conor avance jusqu’à la crise finale vers l’acceptation de ses émotions et de ses sentiments. Il se libère en disant enfin ce qui est resté enfoui en lui. Dire la vérité, se regarder soi même en face, pouvoir raconter sa propre histoire et faire face, telle est la leçon de l’arbre noir.

Les encres de Jim Kay, superbes, sobres et noires, accompagnent ce récit hanté et ancré dans le réel. Sans en faire un traité ni une leçon, P. Ness montre toutes les formes de la souffrance à travers son personnage et pose la question de la part de responsabilité de chacun dans son malheur. Il dit des choses très justes sur la solitude de ceux qui souffrent.

Au moment où tant de romans montrent des enfants face à la maladie de proches sans jamais entrer dans le cœur de la noirceur, celle de l’intériorité des êtres, Patrick Ness réussit le tour de force de proposer une fable fantastique plus vraie que tout ce qu’on peut lire. On retrouve sa capacité à utiliser les genres comme le fantastique et la science fiction (voir son magnifique cycle du Chaos en marche) pour toucher au cœur des émotions et de la vérité humaine. Ce livre qui tient en haleine, beau et juste, va au bout de la noirceur et il en sort une lumière qui ne doit rien à l’artifice et à la facilité : quel changement ! (voir chronique suivante)

Le Papillon Voyageur

Le Papillon Voyageur
Susumu Shingu
Gallimard jeunesse, 2012

Quand le documentaire s’épure

Par Dominique Perrin

Un jour, pendant le bref été du Nord…

Œuvre d’un grand sculpteur, peintre à ses commencements, Le papillon voyageur évoque les six mois que dure la vie des papillons monarques. Parfaite épure documentaire, l’album réalise un équilibre rarement atteint, mais aussi rarement visé entre la transmission d’informations puissamment signifiantes sur le monde qui nous entoure et le pouvoir d’évocation dynamique de la double page illustrative à l’italienne. Si le thème visuel de la métamorphose et l’immense sobriété du texte rappellent les œuvres pionnières de Iela et Enzo Mari, l’intensité propre à l’enquête documentaire nue, dédiée sans médiation fictionnelle ni jeux de langage au mystère du vivant, apparaît ici indépassable. Ce livre, comme la pensée qui l’irrigue, est de toute beauté.

 

Les rêves de Trotro

Les rêves de Trotro
Bénédicte Guettier
Gallimard jeunesse, 2012

« Faut qu’ça bouge »

Par Dominique Perrin

Les rêves de Trotro continuent la saga du petit âne sous la forme de six généreuses doubles pages de pop-up. Trotro rêve qu’il est tout petit, qu’il vole comme un oiseau, avec les oiseaux ; qu’il cuisine dans la jungle, danse – mais un peu à l’étroit – dans le ventre d’une baleine, échappe à un dinosaure… et se réveille plein d’allant en offrant aux jeunes lecteurs la recette appétissante et facilement réalisable du gâteau dont il a rêvé. L’ensemble est une grande simplicité – malgré divers clins d’œil à Alice et à Pinocchio, à Tarzan et autres remonteurs de Temps  –, et le mouvement des pages cartonnées inventif et loufoque – par là pleinement à même d’enchanter des lecteurs friands de surprenantes manipulations.

L’Histoire en vert de mon grand-père

L’Histoire en vert de mon grand-père
Lane Smith

Gallimard jeunesse, 2012

par Anne-Marie Mercier

Auteur de C’est un livre et C’est un petit livre, Lane Smith sort de l’univers de l’imprimé pour se rendre au jardin. Dans ce jardin du grand-père, l’enfant voit figurés les événements de sa vie, ceux d’un temps ancien, différent de notre monde, sans beaucoup d’objets mais avec des ruptures (la guerre), des bobos (la varicelle), des rencontres… L’espace du jardin se fait temps, voyage… et le jardin garde la mémoire de celui qui la perd petit à petit.

Rien n’est asséné : à chacun de lire ce qu’il veut dans ce parcours… tout en vert.

La maison de Pénélope

La maison de Pénélope
Anne Gutman, Georg Hallensleben
Gallimard jeunesse, 2011

 livre-maison de poupée

Par Yann Leblanc

Dans les catégorie du « livre-objet » et du « livre-jeu », voici un livre-maison de poupée (ou plutôt « maison de peluche » puisque Pénélope, ourson bleu, est fournie. On y passe de la cuisine à la chambre, de la salle de bains au jardin. Il y a des portes de placards à ouvrir… mais pas grand chose dedans sauf dans la première « pièce ». L’épaisseur de l’objet est bien exploitée.

Mademoiselle Lune


Mademoiselle Lune

Cendrine Genin, Nathalie Novi (ill.)
Gallimard Jeunesse, 2011

« Mes mots sont quelque part »

Par Christine Moulin

mademoiselle luneMême si la littérature de jeunesse s’est  affranchie de beaucoup de tabous, certains sujets restent malgré tout rarement traités : la folie (avec toutes les précautions oratoires que mériterait l’utilisation de ce terme, cela va sans dire), et notamment la folie d’un parent, est de ceux-là (même si l’on se souvient de bouleversantes réussites comme Follede Bernard Friot, Thierry Magnier, 2002).

Tel est donc le thème de cet album, dont la splendeur graphique contraste avec la gravité du propos. Nathalie Novi, avec les couleurs chaudes dont elle a le secret (le rose Novi devrait exister, au même tire que le bleu Klein) a fait œuvre de peintre, proposant ses tableaux sur la « belle page », la bien nommée, en face du texte qui occupe celle de gauche, faisant de cet album plus un livre illustré qu’un album au sens strict.

La narration se fait sous la forme d’un monologue adressé à sa mère par Lune, ou Luna (pourquoi cette hésitation sur le nom?), le jour de son anniversaire, pour conjurer l’absence, l’écriture venant remplacer la parole, devenue impossible (« Parce qu’en vrai, je ne parle plus. On m’a dit d’arrêter de me faire du mal, alors j’ai arrêté de parler »). On apprend ainsi, à travers un récit rétrospectif mais mené au présent, le temps des blessures toujours vives, qu’un assistant social est venu arracher Luna à sa mère, que la douleur qui ronge celle-ci est de la sale espèce sinistrement nommée bi-polaire (« toi qui rigoles et pleures »), que Luna a été placée chez une vieille dame, Jeannine, dont la maisonnette ressemble à celle d’un conte de fées et que malgré les efforts de cette même pas sorcière, Luna s’enferme dans un mutisme désespéré. Puis, soudain, au moment où (seule exception à l’alternance faussement sage entre texte et illustration) l’image, tel un appel vers la liberté, se déploie sur une double page, tout en restant, il est vrai, écrasée par le texte qui la surplombe,  la maman de Luna vient la chercher: est-ce vrai? La petite fille semble en douter. Pourtant, elle écrit: « Pour me punir, sûrement, celui  qui m’a enlevée ne m’a pas ramenée chez Jeannine ». La fugue a bien eu lieu, générant une culpabilité d’autant plus compréhensible que la relation mère-fille est visiblement fusionnelle. Fusion mortifère car Luna s’enfonce dans ce qu’elle nomme sa « bulle ». Placée dans une autre famille, elle s’en sort, grâce à un « docteur qui fait dessiner ». Mais elle continue d’attendre…

L’analyse des sentiments, dans leur complexité, est esquissée sans pesanteur. L’écriture est belle, fragmentée par le silence, traversée par des fulgurances (« Non, je ne suis pas chagrin, maman »). On regrette d’autant plus, dans un texte qui a su donner une idée de l’ambivalence des sentiments de Luna à l’égard de sa mère, quelques banalités didactiques qui sont comme des corps étrangers, : « Les enfants ont droit qu’on leur explique. parce que, peut-être que, quand on sait, on souffre moins ». Justement, si ce livre émeut, c’est parce qu’il n’explique pas trop.

Un Monde en couleurs

Un Monde en couleurs
Philippe Nessmann
Gallimard jeunesse, 2011

 Couleurs du monde et du temps

par Anne-Marie Mercier

 Bleu, rouge, jaune, vert… d’où viennent les couleurs, à quelle époque certaines ont-elles été employées et pour quoi ? quelles sont leurs tonalités, leurs effets (le bleu est pensif , le rouge vivant…).

On retrouve dans ce documentaire la veine des écrits de Michel Pastoureau : les couleurs sont prises aussi bien dans la nature que dans l’art, les objets quotidiens, les vêtements et les symboles comme les drapeaux et sont vues dans leur contexte historique et géographique. C’est un bel ouvrage, précis, facile à parcourir (maquette bien faite), qui parle à travers les images plus que par les textes, et beau, enfin par la grande qualité des reproductions.