Le Journal d’un poilu

Le Journal d’un poilu
Sandrine Mirza

Gallimard jeunesse (les yeux de la découverte), 2014

14-18, la version familiale

Par Anne-Marie Mercier

Le-journal-d-un-poiluSandrine Mirza nous propose l’histoire de son grand-père à travers des fragments de journal, des reproductions de photos et de lettres personnelles d’une part, et des documents d’archive d’autre part, tout cela fort bien identifié, les premiers sur la page de gauche, les seconds à droite.

Le journal est intéressant et très concret : il évoque les affectations qui conduisent André sur les différents fronts de la guerre des tranchées, sur la Marne, mais aussi à Salonique, les conditions de vie (une insistance sur le manque de nourriture convenable qui sonne juste), l’angoisse, les blessures (André est souvent à l’lennemihôpital pour différentes raisons). Une histoire d’amour adoucit l’ensemble, celle de la rencontre avec la jeune Antoinette (16 ans) qu’il épouse dès sa démobilisation, en 1919 : une bonne façon de dire que la guerre pour beaucoup ne s’est pas arrêtée en 1918.

Enfin, sur la guerre de tranchées, allez donc lire L’ennemi de Davide Cali et Bloch (Sarbacane, 2006) : une petite merveille.

La Première Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale
Simon Adams

Gallimard jeunesse (les yeux de la découverte), 2014

14-18, la version officielle

Par Anne-Marie Mercier

La Première Guerre mondialePlusieurs fois réédité depuis 2002, cette traduction d’un ouvrage anglais ressort pour les circonstances de la commémoration avec quelques ajouts et améliorations sur le plan de la lisibilité. On y retrouve les principes qui ont fait le succès de la collection : de nombreuses images bien identifiées (photos, archives, reconstitutions muséales…) et textes brefs sur des sujets divers : les grandes étapes du conflit, l’équipement des soldats, la guerre de tranchée, celle du désert, celle de l’espionnage, etc., un glossaire et un index. Mais celui-ci, bien utile, renvoie pour le mot « mutinerie » à celles de soldats russes et allemands, mais rien pour les anglais et les français, c’est dommage.

C’est donc une version encyclopédique un peu déshumanisée (à opposer à l’album de Dedieu paru cette année) qui pourra être complétée par un autre album paru chez le même éditeur : Le Journal d’un poilu publié par Sandrine Mirza, donc nous parlerons dans la prochaine chronique.

Adam et Thomas

Adam et Thomas
Aharon Appelfeld
Traduit (hébreu) par Valérie Zenatti
L ‘école des loisirs, 2013

 Robinsons du ghetto

Par Anne-Marie Mercier

adam-et-thomasLes robinsonnades partent souvent d’une situation quelque peu artificielle et improbable pour installer une situation expérimentale, un laboratoire fictionnel, censé montrer les profondeurs de l’âme enfantine, son côté lumineux et résilient ou son côté noir (sur le modèle de Sa Majesté des mouches) tout en distrayant avec la découverte du lieu, enchanteur ou non, et les ressources de débrouillardise des petits héros.

Ici, on retrouve tous ces aspects : les deux enfants réfugiés dans la forêt construisent des abris, vivent avec les animaux qui passent, se nourrissent de baies et d’eau de source, mais la réflexion est ancrée dans l’histoire : leurs mères les ont amenés là, chacune séparément, non pour les y perdre mais pour les cacher, loin du ghetto en proie au chaos (sans doute celui de Czenowicz où est né Appelfeld, en 1932). Ils voient les flammes qui consument la ville, entendent le bruit des canons et des fusillades, la course de fuyards au pied de leur arbre; ils secourent quelques un de ceux-ci. Ils ne survivent que grâce à l’aide d’une petite fille réfugiée dans une ferme proche, Mina, dans laquelle ils reconnaissent une camarade de classe à qui ils ne se sont jamais intéressés, et aux dons d’un inconnu. Ils souffrent de la faim, du froid et vivent dans l’angoisse.

Loin d’être une simple parenthèse comme dans de nombreux récits contemporains, l’« île » est un lieu de réclusion, une malédiction. On retrouve l’esprit du Robinson de Defoe :

« N’est-ce pas étrange, nous vivons dans la forêt sans nos parents et nos amis. Qu’avons nous fait de mal ? J’ai l’impression que c’est une punition. Je ne comprends pas bien qui nous punit et pourquoi ?

– Nous sommes juifs, lui répondit Adam comme une évidence. »

Adam, 9 ans, est fils d’un artisan croyant ; il connaît bien la forêt « et tout ce qu’elle contient ». Son camarade de classe, Thomas, est un bon élève, fils d’intellectuels laïcs ; il ne sait rien de la nature. Ils échangent leurs savoirs sur le monde, la situation, les raisons qui font qu’ils doivent se cacher, en reprenant des formules qu’ils ont entendues chez eux et les opinions de leurs pères : d’après l’un, il faut agir pour ne pas trop réfléchir, l’autre veut comprendre. Qu’est ce qu’être juif, pourquoi sont ils pourchassés, reverront-ils leurs pères et leurs grands parents, pourquoi leurs mères tardent-elles tant à venir les chercher, auraient-ils mieux fait d’aller se réfugier chez une femme qu’ils savent méchante, comme elle l’avaient conseillé ?

Si la fin est relativement heureuse (les mères reviennent, les Russes libèrent la ville et sauvent Mina mourante), le traitement qu’a subi Mina, battue par le paysan censé la sauver, un « homme au cœur vide », laisse une ombre sur l’apprentissage des deux enfants, comme l’absence de réponse aux autres questions.

Ce regard sur une période sombre de l’histoire est porté par un récit sobre et prenant, un regard sensible sur la vie de la forêt comme sur les relations entre les deux enfants ; les aquarelles de Philippe Dumas rendent avec douceur la fragilité et la beauté des moments et des êtres, les souvenirs et les songes. Le narrateur ne donne jamais de leçons, il se contente d’énoncer les faits pour laisser la place au dialogue des deux enfants ou à leurs pensées secrètes et à leurs rêves.

Ce très beau récit est le premier livre pour la jeunesse de Aharon Appelfeld. Il reprend son expérience de la période de la guerre en Roumanie pendant laquelle, après avoir vécu dans le ghetto, il est déporté en Ukraine. En 1942 (âgé de 12 ans), il s’est enfui et a survécu dans la forêt puis chez des paysans, jusqu’à l’arrivée de l’Armée rouge.

14-18. Une minute de silence

14-18. Une minute de silence pour nos arrière-grands-pères courageux
Dedieu
Seuil, 2014

Indicible – visible ?

Par Anne-Marie Mercier

14-18Les albums peuvent être supports de textes mais aussi de silences, c’est ce que prouve admirablement cet album de Dedieu dédié à la « grande guerre ». Une première phrase l’ouvre, d’une écriture tremblée : « Hélas ma chère Adèle, il n’y a plus de mots pour décrire ce que je vis ». Une lettre le clôt, la réponse d’Adéle à son mari, d’une écriture serrée,  souple et élégante, pliée en quatre dans une petite enveloppe collée sur la troisième de couverture. Entre les deux, un album sans texte ni narration, en très grand format – on ne s’en « saisit » pas facilement, au propre comme au figuré – des images au pastel sépia, dont le contour blanc imite ceux de la photographie ancienne. On est de fait dans un entre-deux, mi documentaire mi-artistique.

Ces doubles pages montrent l’horreur de la guerre, la fuite des humains et des animaux, la destruction générale, un monde sens dessus dessous. Pas de récit qui mette à distance, pas de mots qui permettent une prise. Pas d’humanité autre que fracassée, jusqu’à la lettre finale qu’on n’ouvrira peut-être pas. Des portraits crayonnés et de la photo rassurante du poilu  souriant  du début jusqu’aux aux portraits cauchemardesques de « gueules cassées » de la fin, en passant par le gros plan d’un pou, ou des images d’assaut et de blessures à mort, l’album réussit le pari de décrire l’indicible, un peu à la façon des encres de Goya, « les désastres de la guerre ». Autant dire que ce spectacle fait violence au regardeur.

La lettre de la fin complète ce tableau avec les difficultés des familles qui voient revenir les blessés, font face au quotidien, aux travaux des champs devenus encore plus difficile sans la présence des hommes, attendent le retour des aimés, en espérant qu’ils feront partie des chanceux. Oui, il leur a fallu du courage, aux hommes et aux femmes qui ont vécu ce long temps de guerre. Et au lecteur, il en faudra aussi un peu…

Autant le dire nettement, au risque de fâcher certains: il ne semble pas pertinent de proposer cet album (et, si on y tient, surtout pas sans précautions) à de  jeunes lecteurs et même à des lecteurs pas forcément jeunes qui n’auraient pas envie d’affronter certaines images. Il est superbe, vrai. Justement. C’est une oeuvre d’artiste, qui dit bien quelle place l’album pourrait tenir aussi chez les moins jeunes : montrer ce que les mots peinent à dire, interroger sur le pouvoir des images et connaître ce que chacun peut/veut voir et savoir, faire oeuvre.

 

 

 

Camp Paradis

Camp Paradis
Jean-Paul Nozière
Gallimard, Scripto, 2013

 

Que les hommes sont cruels !

Par Maryse Vuillermet

camp paradisLe narrateur Boris, orphelin,  est amené au Camp Paradis par un complice de son père,  trafiquant d’armes. « Eclopé de la vie » comme quatre autres enfants qu’il va y rencontrer, il est aimé et sécurisé par Pa et Ma, les responsables du camp  qui se sont donné la mission de sauver ces enfants.  Chacun d’eux a un passé horrible qu’on découvre par bribes, enfant esclave, enfant soldat,  enfant handicapé  et martyrisé ou affamé.  Dans ce camp, les règles sont strictes, pas de religion,  pas de prières,  pas de race, on travaille et on s’entraide. Mais les guerres tribales de religion ou de pouvoir sévissent tout autour et se rapprochent.

Le lieu et le camp sont imaginaires  et le récit présente quelques invraisemblances, mais c’est un roman tendre et violent,  qui se lit avec  terreur. Il tient bien sa place dans la collection Scripto.

 

Le Dernier Ami de Jaurès (juillet 1914)

Le Dernier Ami de Jaurès
Tania Sollogoub
L’école des loisirs, 2013

Pourquoi ont-ils tué Jaurès?

Par Anne-Marie Mercier

CouvmediumGabaritLe dernier ami de Jaurès, c’est un adolescent solitaire et amoureux qui tente de lui tenir lieu de garde du corps au moment où des menaces se précisent, peu avant son assassinat le 31 juillet 1914, et surtout peu avant la mobilisation générale de la « grande » guerre à laquelle Jaurès s’opposait. La vie de Jaurès et celle du jeune homme – amoureux pour la première fois – alternent avec des scènes qui évoquent la vie du temps dans les couches populaires : travail, conversation, bal… et le quartier de la rue de la Gaîté.
Mais ce qui fait que ce roman est bien plus qu’un roman historique, ce sont les courts chapitres intitulés « prologue » qui donnent l’arrière-plan des événements : l’assassinat de Sarajevo, les réactions de l’empereur d’Autriche, de Poincaré, du Tsar et de Guillaume II, les manoeuvres en sous-main du ministre autrichien des affaires étrangères pour pousser à la guerre des dirigeants qui n’en veulent pas, les manifestations pacifistes en Russie comme en France, les ultimatums, l’engrenage. Il accroche à ces événements les réactions de Jaurès qui tente de sauver la paix, qui prépare ses discours, les prononce devant une foule qui l’acclame, mais aussi qui désespère et ressent la solitude.
C’est un Jaurès très humain qu’on nous présente, et le grand homme du Panthéon, celui-ci dont le nom a servi à nommer tant de places et d’avenues prend chair au milieu de multiples personnages secondaires issus du peuple. Tout cela vit, aime, souffre, se passionne et se dispute et  montre les multiples façons de réagir à ces événements.

Une occasion de se souvenir de la chanson de Brel, « Jaurès »?  Ici.

Sous l’armure Catherine Anne

Sous l’armure
Catherine Anne
L’école des loisirs (théâtre), 2013

Sous l’armure, c’est une fille

par Anne-Marie Mercier

SouslarmureLa trame de la pièce est assez classique, du moins aujourd’hui : un seigneur part à la guerre, emmenant avec lui son fils adoptif qui n’aime pas se battre et laissant à la maison sa fille qui rêve d’être chevalier.

Echange d’identité,  combats et blessures, scène de reconnaissance, pardons… On n’est guère surpris mais charmé : les paroles simples et brèves des personnages, le style dépouillé contribuent à la poésie de l’ensemble.

Guerre. Et si ça nous arrivait ?

Guerre. Et si ça nous arrivait ?
Janne Teller
Illustré par Jean-François Martin
Traduit (danois) par L W. O. Larsen
(Les grandes personnes), 2013

Comment peut-on être réfugié ?

Par Anne-Marie Mercier

Guerre-GP« Et si aujourd’hui il y avait la guerre en France… Où irais-tu ? » Tout ce petit livre est dans cette question-programme.

Imagine, dit le livre au lecteur, imagine la France gouvernée par un régime autoritaire et tentant d’imposer sa loi à l’Europe. Imagine les démocratie libres du nord liguées contre elle et ses alliés du sud, la guerre, les maisons détruites, des personnes emprisonnées, le pays déstructuré, la terreur, le froid et la faim : où aller ? Le récit raconte au lecteur son itinéraire possible. Réfugié avec sa famille au Moyen Orient, mal accepté dans un pays dont il ne parle pas la langue, d’une culture et d’une religion différente, qui se méfie de la sienne, il ne peut pas faire d’études, doit se résigner à des emplois qui le rebutent ; il rêve de retour, mais le pays qu’il a quitté ne veut plus de lui.

Janne Teller a transposé le quotidien banal d’un réfugié en se contentant de décaler les situations et de faire vivre (par le tu et le vous : le texte est écrit du début à la fin à la deuxième personne) cela par ceux qui regardent les choses de l’extérieur. La forme du livre est-elle même exemplaire : il imite le format et la couverture d’un passeport européen ; les dessins stylisés illustrent la simplicité et la rigueur de la situation.

Un tout petit livre, un grand choc et une belle leçon.

Voir la présentation par l’auteur 

La Drôle De Vie de Bibow Bradley

La Drôle De Vie de Bibow Bradley
Axl Cendres
Sarbacane (Exprim’), 2012

Chienne de vie

Par Anne-Marie Mercier

ledroledeviedebibowDestiné aux grands adolescents (la collection Exprim’ s’est débarrassée du label de la loi de 1949 sur les productions pour la jeunesse), ce livre raconté à la première personne par le roi des tocards – qui devient à la fin un total clochard – est aussi drôle que tragique. Mal aimé, fils et arrière petit fils de ratés alcooliques, Bibow est engagé dans la guerre du Viet Nam. Par lassitude plus que par conviction, il massacre ses propres camarades, mais échappe au tribunal militaire car il est recruté par la CIA à cause de son talent particulier et exceptionnel, découvert au moment de son interrogatoire : il est incapable de ressentir la peur et est donc capable de tout et de n’importe quoi.

Dans cette histoire d’espion, c’est surtout le n’importe quoi qui domine, des opérations absurdes, en Amérique chez les Hippies ou en URSS, qui laissent toujours le roman en deçà de la réalité: celle-ci est représentée par les personnages de William Colby (directeur de la CIA de 1973 à 1976, il causa la mort de dizaines de milliers de personnes au Viet Nam) et de Richard Helms, son prédécesseur. Bibow les décrit comme « juste deux psychopathes qui avaient le pouvoir de faire tout ce qu’ils voulaient ». Le héros est donc un double burlesque des grands personnages.

Malgré cela, le roman n’est pas totalement nihiliste : peu à peu (et il y met le temps), Bibow découvre l’amour, l’empathie, la compassion et offre un portrait d’homme sans foi ni loi, mais libre et lucide. C’est une belle lecture, souvent drôle, et toujours édifiante par les réalités qu’elle révèle ou rappelle.

Les morceaux d’amour

Les morceaux d’amour
Géraldine Alibeux
Autrement, 2012

Que ne ferait-on pas par amour ?

Par Christine Moulin

les-morceaux-d-amour-de-alibeu-geraldine-914729357_MLNous sommes dans l’univers du conte : les personnages ne sont pas individualisés (« la jeune fille », « le jeune homme »); la guerre dont revient le soldat vaut pour toutes les guerres; Géraldine Alibeu a réduit à l’essentiel le décor, rural et enneigé, dans les tons ocre qui sont sa signature.

La jeune fille tombe amoureuse du jeune homme, bien que celui-ci ait perdu un bras, un œil et une jambe mais le jeune homme ne la remarque même pas, perdu qu’il est dans sa tristesse. Comme elle l’aime et qu’ « il n’y a pas d’amour sans preuve », elle lui envoie son bras, ses cheveux et son œil. Le jeune homme retrouve goût à la vie et tombe amoureux de sa bienfaitrice. La fin, très morale, affirme la force de l’amour, au-delà des apparences et du désespoir (« On ne voit bien qu’avec le cœur », ce qui explique sans doute les allusions au Petit Prince sur la première de couverture : l’écharpe et le renard). Tout est parfait, un peu trop, peut-être. L’ennui n’est pas loin.

Un aperçu de l’album sur le site de l’auteur.
Une analyse éclairante sur le site du journal suisse Le Temps.