Elliot, super- héros

Elliot, super- héros
Cécile Chartre
Rouergue

Le super-héros qui murmurait à l’oreille des cochons d’Inde

Par Michel Driol

eliottChouchou, fayot, bon élève, Elliot voit sa vie basculer le jour où, pour épater  Lisa, il lance maladroitement le ballon dans la fenêtre du directeur. Pendant la punition, le soir, avec deux autres garçons, un néon de la classe explose. Comme dans la série Broken arms… Et cela suffit à donner aux trois punis des superpouvoirs : Elliot parle aux chats, Gaspard rote à volonté, et Robin se téléporte ! C’est la naissance de la bande de super-héros, prêts à sauver le monde, Robin(e) and co, qui arrivent le lendemain matin en tenue de super-héros…  Mais qui sauver ? La femelle cochon d’Inde de Lisa, qui s’est enfuie de la caisse dans la classe ! Cet exploit permettra à Elliot de décider d’apprendre à parler humain, pour les beaux yeux de Lisa !

Ce petit roman désopilant et plein d’humour est raconté à la première personne par Elliot, dans une langue orale juste  et  savoureuse.  Tout y est affaire de langage et de mots : la parole du  narrateur et celle des  enfants ont le pouvoir de faire naitre les superpouvoirs qui n’existent que par le fait de les évoquer, de les raconter… et d’y croire.  La « leçon » faite par Elliott à la maman  cochon d’Inde est un petit bijou d’éloquence et un hymne naïf et fort à l’amour maternel. Cécile Chartre dresse avec délicatesse et tendresse le portrait d’un garçon de 10 ans, ordinaire et naïf, qu’on devine vivre dans sa famille avec sa mère et sa sœur, élève solitaire à l’école qui n’attend que de trouver le chemin des autres.

Un roman drôle et sensible, ce n’est pas incompatible…

Bravo !

Bravo !
Ole Könnecke
Ecole des loisirs

Ils ont des poids ronds ou carrés…

Par Michel Driol

bravoDeux enfants vont au cirque, prennent leur ticket à la caisse, et racontent le spectacle. Le directeur les accueille, puis se succèdent, au fil des doubles pages, les numéros du cirque traditionnel : les acrobates, l’homme le plus fort, le dresseur de chevaux, le dompteur, le plongeur, l’homme canon, les clowns. Soudain un incendie éclate. Les deux enfants l’éteignent, au grand soulagement de tout le monde.

Une histoire simple, dans laquelle les personnages sont tous des animaux : difficilement identifiables pour les deux enfants, oiseaux pour les acrobates, hippopotame pour le plongeur… Animaux humanisés, portant vêtements et costumes de cirque. La représentation à laquelle on assiste fait succéder des numéros tantôt réussis, tantôt ratés, souvent improbables : l’hippopotame saute dans un minuscule seau d’eau, le dompteur traverse le cerceau à la place du lion, et le cavalier porte son cheval.  Histoire en randonnée, chaque double page commence par voici… et se clôt sur le « BRAVO ! » des enfants, suivi du rituel « Et maintenant », avant le renversement final où tous les « artistes » saluent les enfants d’un « BRAVO ! ». (A noter la qualité du texte de la traduction, simple et efficace, dû à Florence Seyvos)

Un album humoristique, voire loufoque et burlesque, coloré et animé. Il reprend les techniques de la bande dessinée dont la fameuse ligne claire et les vignettes. Mais celles-ci ne sont pas encadrées, ce qui donne plus de liberté pour jouer avec l’espace graphique, animer les doubles pages, et donner l’illusion du mouvement et du rythme du numéro présenté.

Bravo ! donne envie de retrouver le plaisir que l’on a, enfant, d’aller dans le monde magique du cirque, et d’y retrouver naïvement la joie et le bonheur.

La Vraie Fausse Histoire du Minotaure

La Vraie Fausse Histoire du Minotaure
Frédéric Laurent
Rêves bleus

Thésée le taiseux

Par Michel Driol

Mise en page 1Tout le monde connait l’histoire de Thésée, du fil d’Ariane et du Minotaure. Frédéric Laurent la revisite avec humour. D’abord en faisant de Thésée un taiseux : ne parlant pas, on le prend pour un étranger, un fou, et on le chasse. A son arrivée en Crète, on lui propose de chasser le Minotaure, et il se tait. Heureusement, d’un seul regard, sans parler, Ariane et lui tombent amoureux, et la fille du roi lui donne une pelote de fil rouge et lui transmet un message écrit. Il rencontre enfin le Minotaure, qui se révèle un être amical, bavard. Il raconte son histoire : affublé d’une tête de taureau, il a été victime de quolibets, et a chargé la foule… De ce fait, on l’a condamné à vivre dans le labyrinthe. Thésée et lui reviennent  chez Minos. Lors du mariage, ils souhaitent que tout miroir soit interdit en Crète.

Voici donc la rencontre de deux antihéros, rejetés l’un comme l’autre par la société, l’un pour ne pas parler (il ne dit qu’un mot dans tout l’album), l’autre pour délit de sale gueule. Deux antihéros que tout semble opposer : le muet et le bavard, le chasseur et la proie, mais qui se révèlent tous deux prisonniers du même labyrinthe aux marges de la civilisation. Le Minotaure n’a plus rien de l’être cruel du mythe, il est devenu, par force, herbivore, et n’a dévoré aucun des prédécesseurs de Thésée. Frédéric Laurent inverse donc complètement la signification du mythe, ne gardant que l’amour et l’intelligence d’Ariane qui permet à Thésée de sortir du labyrinthe.

L’humour se manifeste tant dans le texte que dans l’illustration. Par exemple dans l’allitération qui ouvre l’album « Thésée était taiseux » ou dans le conseil prosaïque d’Ariane « Ne prends pas froid ». L’illustration joue des cadrages (tête de taureau chargeant pleine page) ou du pastiche (le repas de noces est une allusion explicite à la Cène).

Bien sûr à réserver à ceux qui connaissent la vraie ( ? )  histoire du Minotaure et qui pourront apprécier les décalages qu’introduit l’auteur !

Touït Touït

Touït Touït
Olivier Douzou
Editions du Rouergue

Le ver et l’oiseau

Par Michel Driol

touit_touit_mUn ver sort de terre, coiffé d’un haut de forme, et affublé d’un nez. Un oiseau arrive, menaçant,  gigantesque par rapport au ver, qui rentre dans son trou. Entre les deux commence un combat, ponctué de grr, de touït, de pfff… L’oiseau souffle dans le trou du ver, devenant de plus en plus gigantesque à mesure que ses poumons se gonflent. Mais il ne parvient qu’à gonfler encore plus le ver, comme un ballon de baudruche. Et, bien sûr, c’est le minuscule ver, devenu énorme, qui fera peur à l’oiseau et qui l’emportera.

Voici un nouvel album sans texte de la collection Flippe-books du Rouergue (voir Plouf Plouf, de José Parrondo), qui met en scène deux protagonistes qui ne tiennent pas à se dégonfler, au sens propre ici. On retrouve bien sûr, dans cette nouvelle version du combat de David contre Goliath, l’humour, l’absurde, les gags et la chute des comics et des films muets. L’illustration, traitée en bichromie orange et noir, accentue l’expressivité des deux personnages : surprise, colère, perplexité, résolution…

Un album, proche dans l’esprit de certaines fables de La Fontaine,  dont l’humour ne laissera pas indifférents petits et grands…

Cour des miracles

Cour des miracles
Henri Meunier (texte) – Jean-François Martin (Illustrations)
Rouergue

Freaks, ou Compère, qu’as-tu vu ?

Par Michel Driol

courmiraclesLe narrateur discute avec tous les personnages improbables qu’il rencontre Cour des Miracles. Deux angelots marron, un éléphant dans un magasin de porcelaine, l’âme sœur, le sage cyclope de Catalogne, l’ornithorynque, une cartomancienne… Ceux-ci lui donnent des leçons de vie ou de sagesse, sa devise : « Pourquoi pas ? », des incitations « Essaye ! Sois touche à tout ». A la fin, le narrateur se retrouve sur le grand boulevard, dont on ne voit pas le bout, et s’y lance, content et rassuré.

Cour des Miracles, bien sûr, on ne rencontre que des monstres et des éclopés : un personnage qui porte sa tête dans son bras, un ours, un éléphant ou un ornithorynque humanisés, un cyclope chauve. Le narrateur lui-même perd dans les dernières pages sa rigidité pour s’onduler, comme une figure de papier. On part donc à l’exploration d’un univers imaginaire  mythique et inquiétant : les illustrations, aux dominantes marron et noir, renforcent ce côté sombre par la présence de nombreux murs en brique  qui enferment les personnages. Les vêtements – chapeau melon,  costumes noirs évoquent les années 20 : le dadaïsme ou le surréalisme.

Qu’est ce qui est beau ? Qu’est ce qui est normal ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Comme dans la monstrueuse parade de Tod Browning, les monstres révèlent leur humanité, leur drôlerie, leur sagesse, leur esthétique  ou leur philosophie.

Le texte, d’une façon très poétique, joue avec la langue « Passer, c’est leur gagne-pain béni, aux anges ! », l’étoile éteinte « m’a confié ses feux, tous intérieurs ». Et ce ne serait pas forcer le texte que d’y lire un art poétique.

A la croisée entre la leçon de sagesse et l’exploration des faces cachées de notre inconscient, l’album nous laisse sur une fin ouverte, à la fois rassurante et inquiétante car le personnage est devenu lui aussi quelque peu mou… et monstrueux, partant à la conquête de la vie.

Un bel album, qui nous interroge sur nos différences, sur nos apparences et qui nous invite à aller au-delà des préjugés et à voir la part d’humanité et de douceur présente en chacun de nous.

L’Heure des mamans

L’Heure des mamans
Yaël Hassan Sophie Rastégar
Utopique

La liste du raton-laveur

Par Michel Driol

couv_Heure_mamans_HDComme tous les jours, la maitresse dit que c’est bientôt l’heure des mamans… Ce qui fait bouillir intérieurement le petit raton-laveur,  héros et narrateur de cette histoire, parce que ce n’est jamais sa maman qui l’attend, car elle travaille. Et, au fil des pages et des jours, comme dans une comptine, il fait la liste de celles et ceux qui viennent le chercher à la sortie de l’école : baby-sitter, grand parents, oncle, père… ou qui parfois l’oublient … L’heure des mamans, pour le petit héros,  on la découvrira dans la  double page qui termine  l’album : c’est samedi et dimanche, l’heure des câlins dans un grand lit.

SI le décor est bien celui d’une ville, d’une école, d’un appartement aujourd’hui, les personnages sont des animaux illustrant la diversité des enfants de la classe : porc-épic, girafe, kangourou…, humanisés par leur posture sur deux pattes et un accessoire vestimentaire (bottes, gilet). On retrouve cette même diversité dans la représentation des adultes. L’illustration de Sophie Rastégar, pleine de tendresse,  fourmille de détails humoristiques : le parent kangourou tend sa poche à son enfant, un bébé chat vole une plume à une maman oiseau.

Yaël Hassan propose un texte léger et limpide, avec des mots simples, à hauteur d’un enfant qui s’interroge sur la pertinence du vocabulaire des adultes (l’heure des mamans). Voici un album qui pose la question des stéréotypes dont le langage de l’école est porteur. Il n’y a pas que les papas qui travaillent. Et bien des enfants sont attendus par quelqu’un d’autre que leur maman. Et pourtant, cela reste « l’heure des mamans ».

Un album plein de fantaisie et de poésie sur les rythmes de vie d’aujourd’hui, sur les modes de garde après l’école et sur les relations familiales, dans lequel se reconnaitront de nombreux enfants qui fréquentent l’école maternelle.

Plouf plouf

Plou plouf
José Parrondo
Rouergue 2014

Histoire sans paroles

Par Michel Driol

ploufVoici un album sans texte, qui met aux prises un marin sur son bateau et une baleine bleue. Le marin perd sa casquette, tente de la rattraper, au gré des vagues et du mouvement du bateau. Mais voici que la casquette se retrouve coiffer une baleine bleue, qui rit… comme seule une baleine peut le faire. Devenu capitaine Achab, le marin tente d’harponner la baleine pour récupérer sa casquette. Mais au bout du compte, c’est le bateau et le marin qui serviront de couvre-chef à la baleine.

Un album sans paroles, comme du temps des films muets, à la grande époque du burlesque. Album en noir et blanc, à l’exception du bleu de la baleine et de certains éléments du bateau et du marin. Comme au temps du muet, les visages sont sur-expressifs (inquiétude, joie, colère).  Un flippe-book (sic), dans lequel l’image se reproduit, d’une double page à l’autre, presque à l’identique, avec une petite variation (de place de la casquette par rapport au bateau par exemple), ce  qui suffit à faire progresser l’intrigue vers son dénouement à travers gags et retournements de situation. Du marin ou de la baleine, qui sera le plus fort ? Qui aura le dernier mot ?

Un album minimaliste par sa forme, reposant sur des ressorts du comique bien établis, opposant l’agitation forcenée vaine et stérile du marin à la force tranquille et pleine d’humour de la baleine… Le rire n’est pas que le propre de l’homme !

La Valise

La Valise
Frédérique Bertrand
Rouergue

Colère noire !

par Michel Driol

valiseTous les enfants, un jour où l’autre,  ont fait une grosse colère, et pris la décision de faire leur valise, et de tout emporter. C’est ce que fait le petit personnage de cette histoire,   sans nom pour qu’on puisse plus facilement s’identifier à lui.

Au fil des pages de l’album, il fait le tour du logement et, pièce après pièce, remplit sa valise de tout ce dont il aura besoin… ou envie de garder avec lui. Tout y passe, des vêtements aux jouets, de la nourriture aux affaires de toilette… Tout, absolument tout,  contenu et contenant (armoire, frigo)…Jusqu’à prendre aussi Papa et Maman… Bien sûr, la valise noire minuscule au début prend la taille de la dernière page, entrainant l’inquiétante question finale : Mais qui va porter ma valise ?

Le texte, simple et efficace, associe phrases courtes et listes, liste des choses à emporter. L’image, très stylisée, montre la silhouette de ces objets, statiques ou dans leur vol vers la valise. Les couleurs accompagnent le changement de pièces (rouge pour la chambre, bleu pour la cuisine, vert pour la salle de bains), permettant des repérages faciles. Quant aux parents, ils sont systématiquement représentés sur un fond de page de cahier… à réglure Seyès, image de l’ordre et des repères auxquels le héros veut échapper.

Un album, en apparence simple, qui devrait plaire aux tout-petits et qui aborde, non sans humour, la question de ce dont a besoin pour être heureux et de la difficulté à se séparer de son univers familier.

Détectives de père en fils (Tome 1)

Détectives de père en fils (Tome 1)
Rohan Gavin
Gallimard Jeunesse 2014

Le retour de Sherlock, père et fils ?

Par Michel Driol

detectivesOù il est question d’un étrange livre, Le Code, qui produit d’inquiétants effets sur les lecteurs, les terrifiant par des hallucinations insupportables. Où il est question aussi d’une association criminelle, la Combinaison, force du mal responsable de tous les crimes.  Où il est enfin question d’un père détective, sortant à peine d’un coma hypnotique de 4 ans, et de son fils, petit génie aux facultés déductives extraordinaires. Et aussi d’un oncle Bill, membre éminent de Scotland Yard, d’un beau-père présentateur d’une émission consacrée à la voiture, d’un professeur de physique inventeur à ses moments perdus, d’une concierge – femme de charge roumaine…

Bref, voici un livre touffu et dense : dense par le nombre de pages (près de 400), touffu par les intrigues qui s’y croisent, relançant sans cesse le suspense dans une série de rebondissements qui vont conduire les héros jusqu’au cœur de Londres, dans un souterrain désaffecté. De la galerie de portraits un peu caricaturaux se détachent les deux détectives, le père et le fils, dont la relation est bien décrite par l’auteur, avec un mélange d’admiration et de déception de la part du fils.

L’humour –  britannique – enfin ajoute une dimension supplémentaire à ce roman.  Théorie du complot, livre aux pouvoirs étranges traversant les âges, passion pour les voitures et la technologie : on retrouve là  quelques-unes des caractéristiques de notre société.

Attendons le tome deux…

Go escargot go !

Go escargot go !
Elena et Jan Kroell
Editions du Rouergue, 2014

Éloge de la lenteur et du minimalisme

Par Michel Driol

goescargotConçu dans les années 1970 par un couple d’architectes, Elena et Jan Kroell, cet ouvrage est enfin édité. Le récit est minimaliste : un escargot sort de sa coquille pour aller faire ses courses, réalise qu’il est sorti du mauvais côté, et rentre à nouveau dans sa coquille… pour enfin en ressortir du bon côté, ce que laisser penser la 4ème de couverture.

Le texte est très simple, et s’amplifie de page en page à mesure que l’escargot sort. Mais c’est dans le silence que l’escargot rentre dans sa coquille, avant de proférer sa seule parole « Où avais-je donc la tête ». La typographie accompagne l’effet de lenteur, (présentation en colonne, distordant les mots, découpés en syllabes). Il nous situe dans un univers proche de celui de Jacques Roubaud, et cet escargot aurait bien sa place dans les Animaux de tout le monde

Quant au graphisme, influencé par les productions des deux architectes-auteurs, il est à base de formes géométriques à la limite de l’abstraction, que renforce le choix de deux couleurs, orange et marron. La sortie, puis la rentrée de l’escargot sont traités à façon de certains flip-books : la silhouette de l’escargot se reproduisant, de façon immuable, au centre de la page de droite. Avec humour, le mot go, qui renvient plusieurs fois, est traité graphiquement avec les composants de l’escargot…

Objet graphique et poétique original bien plus complexe qu’il n’y parait à première vue, cet album aura sa place dans tous les bons bestiaires.