Tout près le bout du monde

Tout près le bout du monde
Maud Lethielleux
Flammarion-Castor poche (Tribal), 2010

Roman coup de poing

par Sophie Genin


journal intime,récit épistolaire,adolescence,délinquanceLe début du livre est déroutant : un « je » écrit son journal intime et on ne sait ni son nom ni son âge ni d’où il vient. A sa suite, deux autres « je » écriront à leur tour, chacun au moins une page par jour, comme le leur a demandé la mystérieuse femme qui semble avoir leur charge, éducatrice particulière.

La typologie et le ton changent radicalement d’une page à l’autre et jamais un narrateur ne nous aidera à y voir clair, de même que la seule adulte du roman ne prendra jamais la parole, alors qu’on sait qu’elle écrit, elle aussi, tous les jours. Au fil des pages, on découvre ainsi Jul’, qui écrit des lettres à son amoureux perdu de vue dans des circonstances obscures et violentes, Solam, d’une agressivité exemplaire et absolue, et Malo, 11 ans, totalement perdu à cause d’une histoire familiale étonnante et déroutante.

Les quatre personnages, obligés de vivre ensemble dans une ferme à rénover, comme perdue au bout du monde, vont apprendre, petit à petit, à s’apprivoiser. Par l’écriture, ces écorchés vifs de la vie renaîtront.

La beauté à couper le souffle de cette rencontre improbable ne peut laisser de marbre et le style coup de poing de Maud Lethielleux, capable d’incarner, avec une justesse incroyable, des adolescents très différents en perdition vous marquera longtemps.

La Reine des mots

La Reine des mots
Armand Cabasson
Flammarion-Père Castor (Tribal), 2011

 Armand Cabasson : le roi des mots

par Sophie Genin


9782081250307.gifParce qu’elle était incapable de se taire petite, Jenny D’Alembert a été surnommée par ses parents la « reine des mots ». Ce surnom pourrait s’appliquer à l’auteur de ce roman. En effet, les images mises dans la bouche de l’héroïne par ce psychiatre-écrivain sont souvent surprenantes : « Ma vie d’aujourd’hui ressemble à un verre en cristal que je fais lentement tourner dans ma tête à la recherche d’une fêlure. Je ne remarque rien d’anormal, pourtant il ne teinte plus comme autrefois. » (p. 7) ou « Et là, tout à coup, mes parents sont deux morceaux de beurre lâchés dans une poêle brûlante. » (p. 110) ou « Le gâteau se désagrège dans ma bouche, la vie ne devrait être rien d’autre qu’une mousse de noix riche en beurre. » (p. 279) ou encore « (…) grandis encore un peu et tu réaliseras que le monde est une gigantesque boule de bowling bleue qui va te rouler dessus si tu te mets en travers de sa route, et tu seras éjectée en l’air comme une quille, ou broyée… » (p. 305).

Le double de l’auteur, le docteur Rimter, accompagne Jenny (qui découvre en même temps qu’elle est surdouée et que ses parents vont divorcer) dans sa « mue », comme elle le dit elle-même « je suis devenue une autre moi-même ». La justesse de l’auto-analyse du personnage associé à un style unique permet au lecteur de comprendre l’héroïne de l’intérieur.

Mais dans ce roman, on croisera Blanche Neige, Hérédia, Appel du pied de Risa Wataya, donné en ordonnance par le psychiatre à Jenny, Le Petit Prince, héritage familial qui redonnera le sommeil à la jeune fille, La Joueuse de Go de Shan Sa, Le Seigneur des anneaux, La Vie à deux de Dorothy Parker, Quartier Lointain de Taniguchi et bien d’autres encore qui donnent envie de voyager dans la littérature pour devenir un ‘ »autre soi-même », comme Jenny ! On trouvera même une chronique de lecture de Passage des miracles de Naguib Mahfouz, page 412 !

La Bande à Tristan

La Bande à Tristan
Marie-Aude Murail
Ecole des Loisirs (Mouche), 2010

Tristan : un petit Nicolas des temps modernes ?

par Sophie Genin

amitié,écoleLa mystérieuse dédicace de Marie-Aude Murail (« Chacun son tour d’apprendre la vie dans la cour de récréation ») semble s’adresser directement au personnage du caïd dénommé Olivier dans le roman, davantage un enfant maltraité par la vie qu’un vrai méchant.

Sur un ton juste, l’auteur adopte le point de vue d’un héros de CE2, Tristan, qui raconte ses aventures scolaires quotidiennes, souvent liées à celles de sa petite soeur, Karine, en CP mais drôlement dégourdie. Dans un premier temps, le garçon veut entrer dans la bande de Jujube et est prêt, pour cela, à « mettre une fausse crotte en plastique sur la chaise » de son maître. Mais, par le suite, allant de découvertes en découvertes, en particulier concernant la gentillesse d’un voisin présenté tout d’abord comme une sorte d’ours mal léché, Tristan va décider de créer une bande pas comme les autres, une bande qui accepte les filles et même les CP !

Le ton de l’ensemble est une sorte de mélange entre le club des cinq et le petit Nicolas, tout en étant réaliste dans la description de la réalité des cours d’école, même si la fin est un peu décevante. En effet, que penser du pauvre petit Olivier, méchant parce que pas gâté par la vie qui se transforme complètement lorsque, pour Noël, Tristan et sa bande, après de nombreuses difficultés, lui offrent un cadeau ? Sans parler de la préparation du spectacle de Noël, grande catastrophe à la Sempé !

Ces Années blanches

Ces années blanches
Julia Jacob-Coeur
Thierry Magnier, 2011

L’enfer de la drogue vu par une soeur impuissante

par Sophie Genin

9782844209016.gifMarie a une soeur, Rose, dont on comprend qu’elle est droguée: à cause de cela, toute la famille est perdue, brisée, anéantie. L’originalité de ce roman, outre de donner le point de vue de la « soeur de la droguée », réside dans une narration non chronologique car, selon la narratrice, les autres cherchent toujours à reconstituer l’ordre de l’histoire afin de trouver une explication mais Julia Jacob-Coeur, qui livre son premier roman jeunesse, s’y refuse. Ce n’est pas tant Rose qui l’intéresse (on entendra sa voix une unique fois dans l’oeuvre) que Marie, plus jeune, en colère, qui cherche à sauver sa peau et ne veut pas comprendre celle qui lui a gâché la vie depuis si longtemps. 

 Le lecteur est tout d’abord déconcerté par le manque de cohérence temporelle, placé face à des titres plus qu’énigmatiques tels que « Beyrouth », « Qaanaaq » ou « New York 1971 » après « New York 2001 » mais, peu à peu, les pièces du puzzle se mettent en place et, de cette façon si particulière, à partir de ces fragments apparemment désordonnés, l’auteur nous donne accès à la vérité de son personnage écorché qui s’en sortira, malgré tout ou grâce, justement, à cette expérience ?

La Fourmilière

La Fourmilière
Jenny Valentine,
traduit (anglais) par Cyrielle Ayakatsikas
Ecole des Loisirs (Médium), 2011

Une auberge espagnole trash

par Sophie Genin

adolescence,culpabilitéLes vingt-quatre chapitres de ce roman original sont alternativement pris en charge par Sam et Bohemia, tous deux jeunes locataires d’un immeuble délabré d’un quartier peu fréquentable de Londres. Sam a 17 ans et a fugué, laissant derrière lui une sombre histoire que le lecteur, perplexe, découvre peu à peu. Sam souhaite se faire oublier dans la capitale anglaise. Il ne veut parler à personne mais c’est sans compter sur la vie et la rencontre avec Bohemia, gamine de 10 ans paumée, élevée par une mère alcoolique, droguée et totalement perdue.

On suit les deux points de vue sur la vie et l’amitié avec avidité, tant les personnages sont attachants, déroutants et jamais caricaturaux. La découverte progressive de l’ancienne vie et surtout de l’évolution de Sam est touchante et les seconds rôles (la mère, Cherry, la voisine âgée qui se mêle de tout, Isabel, et son chien Paillasson, Mick, le cycliste paumé et Steve, le propriétaire défiguré) font sans cesse penser à un film, un bon film par lequel on se laisse embarquer, surprendre, passant du rire aux larmes, comme dans la vie, en plus intense encore !

Ultraviolet

Ultraviolet
Nancy Huston
Thierry Magnier, 2011

Grandir en 1930 au Canada quand on a treize ans 

par Sophie Genin

9782844209047.gif« Les larmes me montent aux yeux et je les chasse, il faut qu’elles aillent dans les mots, que leur eau salée devienne encre sur la page au lieu d’aller se perdre dans mon cou en traçant des rigoles à travers la poussière. » (p. 10)
Lucy Larson vit au Canada. Nous sommes en 1936 et la chaleur ainsi que la famine pèsent sur l’héroïne, fille du pasteur d’une petite ville perdue dans la campagne appauvrie. La narratrice entame son journal intime le mercredi 29 juillet, peu avant l’arrivée d’un jeune médecin à qui elle devra ses premiers émois adolescents. Le docteur Beauchemin n’a plus le droit d’exercer, c’est pourquoi il accepte l’hospitalité des Larson. Lorsque s’éclaircira le mystère de sa déchéance sociale, le récit prendra fin, après une crise existentielle de Lucy qui aura, en quelques mois, grandi et accédé à la liberté de penser et à la maturité d’un futur écrivain.
Nancy Huston n’est pas loin de cette jeune fille, dans l’évocation de l’écriture salvatrice, même si l’aspect historique en toile de fond ne permet pas d’envisager l’auto-fiction. Le ton, très réaliste, rappelle celui d’une certaine Anne Frank, c’est dire à quel point on croit au personnage de Lucy, auquel on s’attache, surtout lorsqu’elle se libère des contraintes familiales et sociales qui pèsent très fortement sur elle, jeune fille de treize dans les années 30 au Canada.

Des crêpes à l’eau

Des crêpes à l’eau
Sandrine Beau, illustré par Sandrine Kao

Grasset jeunesse (lampe de poche), 2011

Dure réalité et tendresse

par Sophie Genin

9782246780663.gif Un livre tendre sur une vérité difficile à comprendre et à verbaliser pour Solène, petite fille de 7 ans : la galère financière de sa maman. La tendresse de ce court roman est accentuée par les illustrations douces et pudiques, aux crayons de couleurs semble-t-il, de Sandrine Kao. La résolution du problème est un peu rapide, certes, comme dans tous les textes narratifs de première lecture mais c’est le seul point noir de ce récit rythmé, aux titres accrocheurs mais pas racoleurs et surtout aux personnages attachants : Sara, la maman très originale que l’on rêve d’avoir, battante et inventive, Zoé, la meilleure amie, avec laquelle la jeune narratrice partage chaque semaine une pause « cacahouète qui frétille », et son père, Basile, musicien noir qui va « sauver » Solène et sa maman. Rien n’est jamais trop stéréotypé ni facile dans cette histoire qui raisonne longtemps dans l’esprit du lecteur. Une beau récit à proposer aux jeunes lecteurs qui sont mis, certes, face à une réalité douloureuse mais grâce à un texte littéraire de qualité.

Caché pas caché dans le sable

Caché pas caché dans le sable
Michelle Daufresne
Seuil Jeunesse, 2011

Une aventure à la mer

par Sophie Genin

51+edQUxgPL._AA115_.jpg   Cet album en accordéon recto-verso proposé dans la série « caché pas caché » permet aux très jeunes lecteurs, côté recto, narratif, de s’identifier au petit crabe à la recherche de son papa (suffisamment original pour être souligné : pour une fois, il n’est pas en quête de sa maman !) ou, au verso, plus « documentaire », d’observer les animaux du bord de mer.

Les illustrations, mêlant éléments naturels et créations de papiers collées faisant songer à Eric Carle, facilitent la recherche, pas toujours évidente, des éléments demandés par le texte (« Qui nage dans l’eau ? Où est passé le chien ? »). Tout cela donne envie d’accompagner le jeune enfant et de s’enthousiasmer avec lui de ses premières découvertes.

Petite Lili dans son grand lit

Petite Lili dans son grand lit
Sylvie Poillevé et Charlotte Gastaut

Flammarion-Père Castor, 2011

Aller se coucher dans ce grand lit ?

par Sophie Genin

Sylvie Poillevé, charlotte gastaut,coucher,sophie genin    L’angoisse classique d’aller se coucher est, dans cet album humble et coloré, transcendée par les illustrations si particulières de Charlotte Gastaut qui met en image l’écriture poétique et minimaliste de Sylvie Poillevé : les assonances et les rimes font chanter la toute simple mais si grande aventure de la petite Lili riquiqui qui décide que, si elle y va dans ce grand lit, ce ne sera pas toute seule ! Gros ours, Lapinou costaud, son gros chat Mimi, « un foulard qui sent bon Maman », « une écharpe qui sent bon papa » et « quelques livres adorés » l’accompagneront ! L’univers proposé est propice aux rêves qui suivront à coup sûr cette lecture, si elle a lieu avant le coucher des plus jeunes ou même des plus âgés encore rêveurs ou futurs poètes !

La septième fille du diable, tome 2 : Les Maudits

La Septième fille du Diable, tome 2, Les Maudits
Alain Surget, couverture : Rébecca D’Autremer

Flammarion, 2011

En route pour l’aventure au Moyen-Age !

par Sophie Genin

1000 Petits Poucets.gifYann Autret a choisi de broder sur le conte de Perrault en le prenant comme point de départ : un couple pauvre a trop d’enfants ; la femme, méchante, exige que son mari les en débarrasse. Seulement voilà, les enfants connaissent l’histoire du Petit Poucet et tout se passe à l’envers du résultat escompté. Cette version fantaisiste est un peu légère mais elle est assez joliment illustrée par des pastels gras très colorés et expressifs et une typographie qui imite celle des livres anciens.