Petit fiston

Petit fiston
Elzbieta
Le Rouergue, 2013

Clown triste cherche amis

Par Anne-Marie Mercier

petitfistonIl y a beaucoup de vent et beaucoup de larmes dans cet album. Petit fiston est l’enfant du conte : il n’a plus de mère, elle a été remplacée par une autre qui lui veut du mal. Il est aussi l’enfant sur la route : pourchassé, pris entre terreurs réelles et imaginaires, il trouve un ami, perdu comme lui, un petit chien. Puis tous deux rencontrent un homme qui dort dans la rue ; c’est peut-être un ange.

Tout l’art d’Elzbieta est dans le « peut-être », dans la magie plaquée sur la dureté du réel. Comme dans Petit gris (où le héros et sa famille « attrapent » la pauvreté), l’espoir renaît au milieu de la noirceur afin de laisser entendre qu’il y a toujours une solution à tous les malheurs. Le costume de clown du héros, l’humour et la simplicité des décors confèrent à cette fable une dimension universelle et distanciée.
Les images accompagnent cette impression de précarité et de faiblesse et sont proches de l’esthétique de L’Ecuyère (qui finissait là où l’histoire de petit fiston commence : dans un cirque). Les personnages sont dessinés sur des petites bandes de papier chiffon coloré. En arrière plan, un paysage minimal et symbolique : nuit, arbres, ciel, plage… Parfois la page s’ouvre et prend le large : les bandes forment ensemble un paysage unique qui occupe toute la page, comme celle qui montre des oiseaux volant vers l’autre bout de la terre, au-delà de la mer, loin, mais « tout droit ».
Plonger dans le malheur et faire apercevoir une sortie, loin mais « tout droit », voila l’enfance de l’art d’Elzbieta.

 

 

 

La Pierre de Sagesse (Un Livre dont vous êtes le héros)

La Pierre de Sagesse (Un Livre dont vous êtes le héros)
Joe Dever
Traduit (anglais) par Pascale Jusforgues et Alain Vaulont
Gallimard Jeunesse (Défis fantastiques), 2012 [1985]

Attention : ici, on fabrique du lecteur
(et c’est tant mieux)

Par Matthieu Freyheit

LapierredesagesseIl n’est peut-être pas besoin que je répète, une fois encore, mon enthousiasme pour le Livre dont vous êtes le héros. Poursuivons simplement notre découverte de ce genre foisonnant.

La Pierre de Sagesse fait partie d’une collection bien particulière, intitulée Loup Solitaire. Cette précision ne manque pas d’importance. D’abord, parce que Loup Solitaire, c’est vous. Mais aussi parce que cette collection illustre une proposition nouvelle dans le champ du LDVEH, qui récupère le principe sériel de la culture populaire dont il s’est nourri. En effet, la suite des Loup Solitaire correspond à un ensemble de quatre cycles faisant une somme de trente-deux volumes, trente-deux aventures à vivre dans la peau d’un personnage unique (exception faite de certains épisodes du dernier cycle). Une série éponyme, roman-fleuve, appelez cela comme vous voulez : il reste que cette lecture en extension complique singulièrement les choses – et les enrichit par la même occasion.

Explications. Exit, les héros de la collection Défis Fantastiques, laissés à la charge unique – ou presque – de leurs lecteurs. Désormais, la cofabrication implique de la part du lecteur une part d’attention et d’action supplémentaires. Pour Umberto Eco, le jeu de lecture se réalise à la fois dans un travail de protention (le lecteur cherche à deviner ce qui va arriver) et de rétention (mémoire de ce qui s’est passé). C’est de cette manière exactement que se lit le LDVEH et en particulier la série Loup Solitaire, où le jeu de la protention s’augmentant d’une part équivalente de rétention. Comme dans les autres LDVEH, il faut ici garder en mémoire (ou/et sur votre de route) les différents éléments, capacités, objets, mots de passe, obtenus au fil de l’aventure. Mais le gain de la quête, à l’instar du personnage, est de surcroît migrant, transhumant d’un volume à l’autre, contraignant ainsi le lecteur à les accompagner en esprit. Quand le livre se referme, son contenu, lui, demeure donc actif pour une utilisation future. Ceci dit, pas d’inquiétude, le système offre une grande liberté et permet d’entamer la lecture de n’importe quel volume indépendamment du reste de la série.

Mais voilà plus de précisions sur Loup Solitaire. Dans une guerre terrible, les Seigneurs Kaï du Sommerlund ont été massacrés par les Seigneurs des Ténèbres d’Helgedad. Échapper au manichéisme n’a pas été la tâche première de l’auteur, Joe Dever, génie du LDVEH. Peu importe. Loup Solitaire est le dernier survivant de la lignée des Seigneurs Kaï. Sa mission, si vous l’acceptez, est de rendre à la discipline du Kaï sa grandeur d’antan, et surtout de permettre au Sommerlund, votre pays, de vivre enfin en paix. Une des étapes importantes de cette quête consiste à retrouver la fameuse Pierre de Sagesse, détentrice d’un pouvoir unique. Pas inintéressant et relativement riche en possibilités et en alternatives d’exploration, La Pierre de Sagesse a aussi l’avantage de ne pas être d’une difficulté insurmontable : un atout pour qui espère venir à bout de la série complète.

Comme toujours, le style peut sembler un peu dépassé, fidèle à l’esprit mi-médiéval mi-fantasy des jeux de rôle des années 1980. Il n’empêche, le plaisir de suivre sa propre évolution dans la peau d’un personnage suivi sur autant d’épisodes reste intact. Mais surtout, surtout, le LDVEH s’affirme plus que jamais, dans la multiplication de ses modalités de lecture, non seulement comme une fabrique du personnage, mais également comme fabricant de lecteurs actifs, impliqués, et donc intelligents.

Gueule de loup

Gueule de loup
Sarah Cohen Scalli
Archipel 2010, Poche, 2012

 

Effrayant !  

Par Maryse Vuillermet

 

gueule de loup imageGueule de loup, c’est le nom d’une fleur retrouvée sur chaque cadavre d’enfant enlevé et tué par un serial killer. Cette fois, c’est le fils de Jean qui est enlevé, mais Jean n’est pas un père comme les autres ; il est policier,  spécialiste des  stupéfiants et il est divorcé, séparé de son fils qu’il adore et à qui il raconte constamment ses affaires de flic. Jean décide  alors de mener l’enquête, même s’il n’en est pas chargé. Par erreur, il avale des pilules bleues,  réquisitionnées auprès d’un jeune junkie qu’il a protégé, il tombe  alors dans une sorte de coma,  et il s’aperçoit que sous l’emprise de cette drogue, pendant ce sommeil forcé, il est en contact avec son fils, dans une sorte de lien télépathique.

S’en suit une enquête assez troublante en compagnie de l’étudiant ex-junkie qui a expérimenté  le premier ses pilules, en fait une drogue de substitution expérimentale.   Les deux hommes vont mener une  double enquête  totalement hallucinée, dans le monde des fabricants clandestins de drogue et pour retrouver le fils de Jean.  Pressé par le temps et désireux de retrouver ses visions, Jean prend de plus en plus de pilules bleues au risque d’en mourir,  et entre deux prises, il est dans un état de manque insupportable.  On ne sait jamais s’il est fou ou si  cette drogue a  vraiment ce pouvoir d’activation des neurones. Le personnage de Djamel, le jeune junkie, est intéressant parce lui,  sous l’emprise de la drogue,  est devenu  un écrivain de polars, dans un   jeu de miroir assez bien mené.  L’histoire est pleine d’invraisemblances mais on se laisse prendre à ces deux personnages attachants, à la  cruauté de l’affaire,  et on va jusqu’au bout, emporté par un suspens bien maîtrisé.

Le Cas Jack Spark, saison 2 : automne traqué

Le Cas Jack Spark, saison 2 : automne traqué
Victor Dixen
Gallimard (pôle fiction), 2012

Laborieux second

Par Anne-Marie Mercier

Jspark2Le premier tome avait été une belle surprise et une réussite, le second est bien décevant. Compliquant les choses à l’extrême (le roman fantastique ou policier est doublé d’espionnage, de féérie, d’aventures interplanétaires, de SF…), la narration s’éclate en plusieurs points de vue, suivant chacun des protagonistes à tour de rôle (façon Game of Thrones/Trône de fer). Mais l’auteur ne fait pas confiance à son lecteur, rappelant sans cesse les détails précédents. Il se permet de faire débiter de longues tirades explicatives à des personnages en pleine action. Enfin, la psychologie, assez fine dans le premier, est devenue lourde. Dommage…

 

La décision

La décision
Isabelle Pandazopoulos
Gallimard jeunesse, Scripto, 2013

Genèse d’un abandon

Par Caroline Scandale

la décisionLouise, brillante élève de Terminale, demande à sortir de son cours de mathématiques. Elle accouche quelques instants plus tard, dans les toilettes du lycée… Elle ne se savait pas enceinte.

Louise est un personnage assez énigmatique et finalement peu attachant. Hormis qu’elle est une fille belle et intelligente à qui toutes les filles rêvent de ressembler et avec qui les garçons veulent sortir, on ne sait pas grand chose d’elle… Louise se livre peu. Désincarnée, elle pense qu’elle n’est qu’une image, une illusion… Une vie a poussé en douce dans son ventre. Comment cela a-t-il pu arriver?

La réponse est à la fois simple et tragique… Elle a été victime de la drogue du violeur. Dans ce contexte là, comment créer un lien maternel avec son bébé? Elle ne l’a pas désiré, ne l’a psychiquement pas porté ni accouché, son cerveau ayant poussé le déni au point de lui faire perdre connaissance au moment de le mettre au monde?

Dès lors la décision de le confier à l’adoption ou non est déjà prise… Le foyer des mères-filles, les tentatives de prendre ses responsabilités de maman et de se rapprocher affectivement de son enfant sont vouées à l’échec… Si on ne nait pas mère, on ne le devient pas forcément non plus.

Un livre pudique pour un sujet hautement tabou, qui brise le mythe de l’instinct maternel quitte à bousculer les convenances et à mettre mal à l’aise. Les récits entremêlés des acteurs du drame et la voix de Louise qui tarde à se faire connaître sont autant d’éléments distanciateurs qui permettent au lecteur de prendre un peu de recul face à sa souffrance, et à celle du petit Noé, qu’on imagine abyssale.

On peut rapprocher ce récit douloureux du roman graphique de Rascal, Angie M, paru chez l’édune, confrontant un policier silencieux et une jeune fille mutique autour d’un cas d’infanticide.

Dom do dom!

Dom do dom !
Ervin Lazar
Traduction Joëlle Dufeuilly
La joie de lire, 2012

Ébouriffant !

Par  Maryse Vuillermet

dom_do_dom imageDes personnages vraiment bizarres, un cheval bleu,  un sapin mobile,  une petite fée verte, Dom do dom, c’est le nom d’un personnage qui ne sait dire que ça, mais ça semble signifier à chaque fois quelque chose d’adéquat à la situation, bref, vous l’aurez compris, on est dans un univers fantaisiste,  drôle,  décalé, complètement échevelé.

Le rythme est rapide, les personnages et les aventures se multiplient mais tout se passe dans la gentillesse et le renouvellement permanent. Quelle imagination ! On découvre  donc avec plaisir,  grâce à La joie de lire un auteur très prolixe et très connu dans son pays, la Hongrie.

Angel Fire

Angel Fire
L.A. Weatherly
Traduit (anglais) par Julie Lafon
Gallimard jeunesse, 2012

Guerre aux Anges !

Par Anne-Marie Mercier

angelfireSuite de Angel, ce volume a des allures de road movie, avec des héros en fuite, partant des USA vers le Mexique, allant de motel en camping pour fuir les terribles anges-vampires qui sont en train de conquérir la planète. La catastrophe se fait cataclysme quand la lutte de l’ange déchu contre ses supérieurs conjuguée à celle des héros contre les anges provoque une série de tremblements de terre et la ruine des grandes cités du monde.

Comme le précédent, ce roman est un piège efficace pour les lecteurs amateurs de suspens et de paranormal. Il vise surtout les jeunes lectrices qui se délecteront peut-être des atermoiement sentimentaux de Willow entre deux garçons et deux amours. On aura reconnu sans doute une situation proche de celle de l’héroïne de Twilight, tandis que le tourment de celle qui se sait être la fille du monstre évoque La Guerre des étoiles. De bonnes recettes, pas trop mal mixées et un décor (Mexico) assez bien utilisé.

La suite se passera au Nevada avec le même trio, d’où le titre: « Angel fever »…

Pauvre Petit Chat

Pauvre Petit Chat
Michel Van Zeveren
Pastel, 2012

Ne pas regarder le doigt… 

par Christine Moulin

47853L’idée de départ est originale : un pauvre petit chat blanc est perdu. La lune s’en rend compte et, affublée d’un grand nez, se met à lui parler. Elle le rassure, le prévient des dangers qui le menacent, le houspille parfois: bref, une vraie mère…!

Sur fond noir, au sombre de la nuit, le récit « en randonnée » (qui ne nous mènera pas bien loin: on ne quitte pas le quartier du petit chat!)  permet ici de s’identifier au héros et d’affronter, pour se rendre compte qu’on peut y échapper, les dangers qui menacent les petits: le bruit qui fait peur, la porte qui claque et qui fait mal, mais aussi la honte, la peur de l’abandon… Qu’il sera doux pour les enfants de trembler pour de faux!

L’adulte, quant à lui, a le droit de voir dans cette histoire un reflet de la façon dont on traite les exclus dans notre société: les indifférents d’hier se glorifient d’être les « sauveurs » d’aujourd’hui. Un écho de la façon dont on peut lire le phénomène des « Restos du coeur »? Qui sait ?

La chute, comme toujours chez Michel Van Zeveren, laisse la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations et de réflexions… La lune, par exemple, pourrait-elle être une figure de l’auteur qui fait mine de se désoler des malheurs de son personnage mais qui doit bien les lui faire subir pour qu’existe l’histoire, jusqu’au silence final, celui sur lequel se referme le livre…?

Les Lumières du théâtre ou les Colombes en BD?

Les Lumières du théâtre : Corneille, Racine, Molière et les autres
Anne-Marie Desplat-Duc
Flammarion jeunesse, 2012

Les Colombes du roi soleil. Le Secret de Louise (en BD)
Roger Seiter (scenario) et Mayalen Goust (images),

 théâtre éteint, BD lumineuse

Par Anne-Marie Mercier

leslumieresdutheatrePur produit scolaire, texte sans souffle, dialogues plats, situations artificielles, ce livre censé accompagner la lecture des classiques et la faire aimer risque d’avoir l’effet contraire. Et ce n’est pas lui qui convaincra les professeurs de collège peu intéressés par la littérature de jeunesse qu’elle peut être « littéraire ». Relisons plutôt le Molière publié par L’école des loisirs ou Louison et le secret de Monsieur Molière de M. C. Helgerson (Castor poche, 2001).

On peut aussi aller vers la bancolombesBD2de dessinée des Colombes du roi soleil, le titre le plus célèbre de cette auteure. Mis en images par Roger Seiter (scenario) et Mayalen Goust (images), le récit du Secret de Louise prend un charme qu’il n’avait pas dans sa version première. La mièvrerie du texte est masquée ici par le style épuré d’une ligne claire qui sait se couvrir d’ombre de façon subtile et dramatiser les points de vue. Restent les dialogues et l’intrigue, bien convenus: les amateurs s’y retrouveront.
Les Colombes du roi soleil ont leur site, tout en rose et parme… un club, des jeux, des infos sur la cour de Louis XIV, on se croirait dans le journal Gala de l’époque.

Pour un point de vue critique, voir Les représentations du XVIIe siècle dans la littérature pour la jeunesse contemporaine : patrimoine, symbolique, imaginaire, dirigé par Marie Pérouse et Edwige Keller (Papers on French Seventeeth century littérature, vol XXXIX, n° 77 (2012)).

Un rêve sans faim

Un rêve sans faim
François David, Olivier Thiébaut

Motus, 2012

De la poésie, du rêve et de la jeunesse
– dans leur rapport au politique

Par Dominique Perrin

rêv19Dans cet album au grand format souple, ce sont d’abord les images d’Olivier Thiébaut qui s’imposent au lecteur ; elles mobilisent des matériaux aussi variés que fondamentaux, à l’état brut ou manufacturé, agençant différentes dimensions d’une anthropologie de la faim au vingt-et-unième siècle. Elles sont, on cherche le mot, confondantes. Elles ne suscitent ni larmes ni même serrements de cœur, mais mettent en branle la pensée, « sans coup férir » et durablement.
Le texte de François David se présente comme la succession souple d’autant de poèmes-arguments d’une page, à la fois autonomes et solidaires, alternant les points de vue et les angles d’attaque, sur ce gros morceau livré conjointement à la sensibilité et à l’intellect : sur cette planète une et indivisible (« il y a un seul monde », rappelle à bon entendeur tel philosophe contemporain) cohabitent la plus aberrante richesse thésaurisatrice* et… une quantité irreprésentable de personnes, notamment d’enfants, mal nourris ou mourant de faim.
Texte et image s’offrent ici en vis-à-vis (et comme « visage à visage », conformément à l’étymologie) dans une vingtaine de doubles-pages présentées par l’éditeur comme dédiées à un sujet « peu abordé » frontalement en littérature de jeunesse – et moins encore en poésie.

*(nous soulignons plus explicitement encore que ne le fait ce très grand album)